Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le projet de budget conjoint pour les ministères des affaires étrangères et de la coopération, Paris le 1er décembre 1998.

Prononcé le 1er décembre 1998

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du projet de budget du ministère des affaires étrangères pour 1999, au Sénat le 1er décembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
J'ai écouté avec beaucoup d'attention les interventions de vos rapporteurs et des différents orateurs. Beaucoup de vos analyses, de vos remarques témoignent de l'intérêt que vous portez à notre diplomatie, aux conditions de fonctionnement et aux moyens de l'administration des Affaires étrangères. J'ai relevé dans vos propos nombre d'observations pertinentes, de propositions et de souhaits que je reprendrais volontiers à mon compte.
Vous avez tous souligné le caractère novateur voire symbolique de ce projet de budget, premier budget unique Affaires étrangères - Coopération en application de la réforme annoncée en février dernier par le Premier ministre de notre dispositif de coopération. Je vous présente ce premier budget unique conjointement avec Charles Josselin, le débat sur les crédits de coopération et d'aide au développement ayant toutefois lieu plus tard compte tenu des modifications dans l'organisation de vos travaux. J'ai noté les appréciations générales que vous portez sur ce budget, les aspects positifs dont vous vous félicitez, comme certaines critiques ou certaines faiblesses que je suis prêt à reconnaître mais que j'assume. Je suis néanmoins convaincu que ce projet de budget me permettra de soutenir notre action, de relayer notre influence dans le monde et de poursuivre la réforme de notre outil diplomatique dont vous savez que j'ai fait un objectif prioritaire de mon action à la tête du ministère des Affaires étrangères.
Tout en répondant à vos principales observations, je voudrais souligner comment notre diplomatie tient compte des réalités du monde d'aujourd'hui pour agir plus efficacement ; j'expliquerai le sens des réformes que je mène et je présenterai enfin le budget de mon ministère pour l'année qui vient.
I. Quels sont nos objectifs ?
Je les résumerai, car vous les connaissez : en temps de crise comme dans les moments ordinaires, nous agissons pour que notre diplomatie contribue à la sécurité présente et à venir de notre pays ; qu'elle prévienne ou contrebalance dans le monde les évolutions stratégiques, économiques ou culturelles qui pourraient être défavorables à nos intérêts et qu'au contraire, elle soutienne ces derniers ; qu'elle favorise la mise en oeuvre dans le monde de nos conceptions et de nos idées ; qu'elle nous assure, dans une Europe de plus en plus large, une influence toujours déterminante. Ce sont là des buts permanents que nous poursuivons en Europe comme en Méditerranée, en Afrique, au Proche-Orient, ou dans les Amériques ; que nous déclinons en matière diplomatique comme dans tous les domaines ; qui nous inspirent dans les sommets internationaux, comme dans les visites ou les rencontres bilatérales.
Pour atteindre ces objectifs constants, comment tenons-nous compte des caractéristiques du monde de 1998, de sa globalité, de l'interdépendance entre les Etats, du poids des Etats-Unis si particulier aujourd'hui ?
. parce que ce monde est global, que notre pays est une puissance d'influence mondiale et qu'elles sont peu nombreuses dans cette catégorie - six ou sept au maximum - et que nos intérêts sont partout, notre diplomatie doit l'être aussi. C'est le sens des nombreux voyages ou contacts du président, du Premier ministre ou de moi-même, de Charles Josselin et de Pierre Moscovici. Nous avons des relations étroites et régulières avec plusieurs dizaines de pays. Certains - Allemagne, autres membres de l'Union européenne, Etats-Unis - sont des partenaires de tous les jours. Au-delà, aucun des 184 autres pays du monde ne peut être négligé. Chacun d'eux dispose un jour ou l'autre d'une voix, d'une influence, d'un rôle. C'est ainsi que nous avons relancé notre diplomatie dans toutes les instances multilatérales, qu'il s'agisse d'institutions, comme le Conseil de sécurité, ou de réunions ad hoc comme le Groupe de contact ;
. comme dans ce monde global, tout se négocie en permanence dans diverses enceintes, nous devons prêter attention à tout. C'est le rôle du ministère des Affaires étrangères, plus indispensable que jamais, que de veiller aux risques, et de saisir les opportunités, de conduire ou en tout cas de suivre toutes les négociations et de surveiller leurs interactions. Ne pouvant être exhaustif, je citerai quelques unes d'entre elles en matière européenne, économique et stratégique.
Avec nos partenaires européens, nous avons entamé des négociations délicates sur le financement de l'Union pour les années 2000-2006, ce que l'on appelle l'Agenda 2000. Nous voulons limiter les dépenses, maintenir le budget de l'Union dans les limites de 1,27 %, continuer à consacrer à la Politique agricole commune une part de ce budget suffisante pour que l'agriculture remplisse ses diverses fonctions et disposer de moyens adéquats pour la politique des fonds structurels. Il s'agira, si possible sous la présidence allemande qui commence début janvier, de trouver un arrangement équitable entre les Quinze.
Par ailleurs, nous avons fait part à nos partenaires de notre absolue détermination et de la nécessité de réformer les institutions européennes avant tout nouvel élargissement, faute de quoi l'Union à 20, 25 ou 30 se paralyserait, avant de se dissoudre. Cette approche est aussi celle de notre partenaire allemand. Ces réformes préalables peuvent être atteintes avant que s'achèvent les négociations d'élargissement. Celles-ci ont débuté avec six des pays candidats à l'adhésion. Pour que cet élargissement soit réussi, elles devront être sérieusement menées ; Pierre Moscovici et moi-même les suivrons de très près.
Nous nous sommes retirés des négociations AMI et avons obligé la Commission européenne à reconsidérer les négociations NTM sur un nouveau marché transatlantique. Mais, toujours avec nos partenaires européens, nous allons bientôt devoir définir ce que sera la politique de l'Union quand, dans un an, débuteront, comme prévu au sein de l'OMC, de nouvelles négociations sur des sujets aussi sensibles que l'agriculture, l'audiovisuel, les services, la société de l'information. Chacune de ces négociations comportera pour nous des risques, mais aussi des chances pour notre économie.
Enfin, nous allons commencer à débattre dans les prochaines semaines avec les Etats-Unis et nos autres alliés au sein de l'OTAN du "concept stratégique" qui sera adopté pour le cinquantenaire de l'OTAN en avril prochain à Washington. Notre objectif est double : ce concept doit respecter la Charte des Nations unies ; il ne doit pas entraver l'éveil de cette identité européenne en matière de défense et de sécurité. L'alliance doit par ailleurs conserver un objet et une zone de compétence précis. Ce sont des questions dont nous débattons en ce moment même avec nos partenaires britanniques ; demain avec mon collègue Alain Richard, nous rencontrerons nos homologues britanniques pour explorer plus avant les récentes ouvertures britanniques et pour savoir jusqu'à quel point la Grande-Bretagne a changé de position sur cette question de la défense européenne où depuis des années la France a multiplié des initiatives qui n'ont pas pu être concrétisées du fait de l'absence de soutien notamment de la part de ce partenaire important. Nous en parlerons à la fin de la semaine dans le cadre du sommet franco-britannique de Saint Malo, nous verrons à ce moment quelles sont les suites à donner aux récentes ouvertures britanniques dans ce domaine.
Dans le monde actuel, les Etats-Unis ont un poids prédominant, dont les manifestations sont quotidiennes. Cette hyperpuissance d'un type nouveau s'étend à tous les domaines : économie, technologie, défense, culture de masse, production d'images, formation des élites du monde.
Parce que les Etats-Unis sont nos amis et nos alliés, nous devons être prêts à soutenir leurs efforts chaque fois que c'est justifié - comme par exemple pour la relance du processus de négociations au Proche-Orient -, à travailler avec eux comme nous le faisons au sein du Groupe de contact sur le Kossovo, à débattre avec eux de tous les sujets difficiles : Iraq, Iran, Afrique, rôle de l'OTAN.
Parce qu'ils sont aussi une hyperpuissance portée à l'hégémonisme ou à l'unilatéralisme - surtout leurs assemblées d'ailleurs, mais aussi parfois l'exécutif - et qu'ils perdent parfois de vue ce qu'est un partenaire ou un allié, nous devons également être capables de leur résister sur des sujets tels que le commerce international, l'autonomie de décision, la diversité culturelle, l'OTAN.
En ayant à l'esprit ces contraintes et ces nécessités, et tout en poursuivant nos objectifs de fond, nous avons fait face aux principaux événements de l'année écoulée. Ainsi sur l'Iraq, et je voudrais répondre sur ce point à Mme Bidart-Reydet et à M. Mathieu, malgré les graves incidents récents, nous ne renonçons pas à rechercher une issue d'avenir qui respecte les résolutions. Mais il faut que l'Iraq se conforme enfin à toutes ses obligations pour que l'on puisse aller au bout du désarmement. Je le dis avec gravité alors qu'une fois de plus ses dirigeants se sont engagés dans la mauvaise direction.
En Iran, tout en restant prudents, nous accompagnons les évolutions nouvelles. Au Proche-Orient, tout en ne cessant d'agir pour le déblocage du processus de paix, nous avions appelé à un plus grand engagement américain. Nous avons donc soutenu les efforts de Mme Albright, salué l'engagement du président Clinton et les résultats obtenus à Wye Plantation. Nous entendons maintenant accompagner de manière active, du côté israélien comme du côté palestinien, le processus de paix relancé mais encore très fragile. Nous entendons être attentifs et disponibles durant les négociations sur le statut final. Nous n'oublions, dans ce contexte nouveau, ni la Syrie, ni le Liban.
Après les essais indiens et pakistanais, nous avons agi pour préserver le Traité de non prolifération et convaincre ces pays importants de prendre une autre voie par des moyens moins arrogants et moins contre-productifs que les sanctions. En Afrique, nous avons poursuivi l'adaptation de notre nouvelle politique qui respecte les engagements et les amitiés de la France mais proscrit les ingérences et veut développer nos liens avec tout le continent, sans nous laisser décourager par les drames de l'Afrique des Grands lacs ou d'autres. Le succès du XXème Sommet Afrique/France, en traitant des défis de la sécurité, a manifesté la confiance des Etats africains à l'égard du seul pays occidental capable de susciter un tel regroupement.
S'agissant de la Russie, une plus grande lucidité s'impose : il nous faudra accompagner encore longtemps son redressement. Soyons conscients - mieux vaut tard que jamais - qu'on ne peut plaquer brusquement sur les décombres de l'URSS une économie de marché et une société moderne que partout ailleurs nous avons mis des décennies, pour ne pas dire des siècles, à édifier. Aujourd'hui naturellement la priorité va à l'accord avec le FMI que le gouvernement russe a besoin de trouver. Au-delà, il faut que la Russie reconstruise un Etat qui permettra une économie moderne, réellement saine, de se développer dans des conditions différentes de celles qui les accable aujourd'hui. Aux Russes, comme à nous Français et Européens qui souhaitons les aider utilement, de trouver le chemin de ce processus.
Au Kossovo, et là encore pour répondre à Mme Bidart-Reydet, en liaison et en entente constantes avec nos partenaires du Conseil de sécurité, du Groupe de contact, de l'Union européenne, de l'OTAN et de l'OSCE, nous nous sommes mobilisés pour arracher aux autorités de Belgrade, en combinant tous les moyens de persuasion et de pression, l'engagement d'une autonomie substantielle pour le Kossovo et convaincre les Kossovars d'accepter cette solution. Une mission de vérification s'est installée sur place, dont le numéro 2 est un diplomate français ; une force d'extraction va s'établir en Macédoine et la France agit comme nation-cadre. Cette combinaison d'actions vise à obtenir un règlement politique de la crise, et à cet égard, malheureusement, on piétine encore, la relance de la négociation pour trouver une solution politique est urgente C'est une question de persévérance.
Enfin l'Union européenne. Au-delà des négociations entamées et à réussir, et des ratifications à accomplir, l'enjeu est tout simplement de reprendre le contrôle politique de son évolution et la maîtrise des décisions qui s'y prennent, afin qu'elle apporte sur tous les plans aux citoyens de ses Etats membres des raisons de continuer à souhaiter son développement. Nous ferons tout, dans les temps qui viennent, à travers la relance franco-allemande évidente au Sommet de Potsdam d'hier et de ce matin, pour que l'Union retrouve son rayonnement et son élan.
Ce monde est instable. Vous l'avez tous souligné, c'est évident et c'est préoccupant. Ce tour d'horizon le souligne à nouveau. Il est aussi très concurrentiel. Aucune situation acquise, aussi illustre soit-elle, n'y est protégée des remises en cause. Il est instable et perturbé comme le montrent les quelques trente guerres ou crises graves qui mettent aujourd'hui aux prises plus cinquante Etats ainsi que les rebondissements intercontinentaux de la crise financière alors qu'il est au même moment patent que les organes de régulation mondiale - Conseil de sécurité, FMI, G8 - peinent à accomplir leur tâche. Notre diplomatie doit donc plus que jamais anticiper, inventer, proposer. C'est bien parce qu'elles sont conscientes de tous ces enjeux, et pas uniquement en raison de la cohabitation et la Constitution, que les autorités françaises ont à coeur de parler d'une même voix même si c'est par plusieurs bouches, celles du président, du Premier ministre, du ministre des Affaires étrangères, des autres ministres concernés. La France, disais-je, parle et propose d'une même voix. Cette cohérence est sans prix.
C'est ainsi qu'au cours des mois écoulés :
- j'ai proposé, après les essais indiens et pakistanais, j'ai proposé au nom de la France la négociation d'un Traité universel d'interdiction des matières fissiles à usage militaire pour montrer que la démarche vers le désarmement n'était pas frappée, pour l'essentiel, par les essais de ces deux pays. Cette idée progresse :
- le président a lancé, et j'ai repris devant l'ONU, l'idée d'une négociation d'une Convention universelle contre le financement du terrorisme, une idée qui progresse également ;
- le ministre des Finances a proposé à nos partenaires européens un mémorandum contre l'instabilité financière internationale. Le président en a saisi ses partenaires du G8, et il a lancé l'idée d'un code de la route pour la bonne circulation des capitaux ;
- sans oublier plusieurs propositions présidentielles ou gouvernementales, concernant l'Europe, sa réorientation sociale, la coordination des politiques économiques, la représentation extérieure de l'euro, l'intégration progressive de l'UEO dans l'Union européenne ni, sur un autre plan, le rôle décisif que le gouvernement a joué pour qu'aboutisse en juin dernier la Conférence de Rome sur la création d'une Cour pénale internationale crédible. Si l'on prend l'actualité la plus récente, c'est-à-dire l'Afrique, et pour nous concentrer sur l'Afrique des Grands lacs, nous avons remis au coeur de cette réflexion d'actualité l'idée d'une conférence pour paix dans l'Afrique des Grands lacs, et nous avons été les premiers à dire, avant que les protagonistes ne reconnaissent la réalité de leurs propres engagements, que ce n'était pas la crise d'un pays, la République démocratique du Congo, mais une guerre régionale mettant six ou sept pays.
Dans ce monde tel qu'il est, la France doit conduire une diplomatie moderne, vigilante, anticipatrice qui soit à la fois une diplomatie globale et une diplomatie du mouvement. Ceci guide l'action de modernisation de notre outil diplomatique.
II. La réforme, les moyens, le budget
J'aborde maintenant la réforme de notre outil diplomatique, les moyens qui y sont consacrés, et la présentation des principales caractéristiques de ce premier budget unique en m'efforçant de répondre point par point à vos différentes remarques.
A) J'évoquerai d'abord les réformes en cours.
1) Comme vous le savez, nous avons commencé par la réforme de la coopération. Attendue depuis de nombreuses années, différée dans le passé, pour de multiple raisons, annoncée par le Premier ministre lors de son discours de politique générale de juin 1997, arrêtée dans ses principes début février 1998, réforme à la mise en oeuvre de laquelle Charles Josselin et moi-même travaillons depuis lors sans relâche. Tous les membres de votre Haute Assemblée qui se sont exprimés ce soir l'ont évoquée et j'ai cru déceler dans vos propos un large assentiment autour des objectifs de cette ambitieuse réforme. L'adhésion de principe que vous avez marquée en sa faveur constitue pour le gouvernement un encouragement précieux. Charles Josselin évoquera devant vous plus longuement sa mise en oeuvre et ses modalités d'application. Je me limiterai donc à mettre l'accent sur deux points essentiels à mes yeux :
- le premier est que nous mettons en place à cette occasion une organisation administrative profondément rénovée. Au début de janvier prochain, une nouvelle entité, la "Direction générale de la coopération internationale et du développement" (DGCID) verra le jour. Je voudrais dire à cette occasion que le mot coopération dans notre sens et dans ce sigle est un mot global qui englobe toutes les formes de notre présence et de notre action à l'étranger, y compris la dimension à proprement parler culturelle. Sans doute aurions-nous pu nous contenter de juxtaposer les structures de l'ancien ministère de la Coopération et du ministère des Affaires étrangères. Mais nous aurions alors perdu l'occasion de faire une vraie réforme et laissé perdurer des redondances inutiles. Un certain nombre d'analystes, et sans doute cette assemblée, n'auraient pas tardé à regretter l'occasion manquée.
Nous avons retenu un schéma plus ambitieux qui consiste à associer dans un même ensemble les multiples fonctions de coopération internationale aujourd'hui assurée par la Direction générale en matière de relations culturelles, scientifiques et techniques et de celles d'aide au développement portées par les services de la rue Monsieur, sans pour autant compromettre l'identité de chacune d'entre elles, puisque à l'intérieur de cette grande DGCID, les services sont réorganisés autour de métiers qui au contraire vont pouvoir s'exprimer avec plus de forces que dans le mode d'organisation qui était auparavant géographique. Nous en attendons, comme vous avez été nombreux à le souligner, une rationalisation de notre dispositif de coopération, une clarification de nos modes d'intervention et une définition plus lisible de nos priorités d'action. J'ai constaté, au travers de vos interventions et notamment à travers les encouragements de M. Guy Penne et de M. Roujas, combien vous partagiez ce souci de cohérence et d'efficacité qui nous a guidé.
- Deuxième point que je tiens à souligner, et je me fais là l'écho de préoccupations que j'ai perçues sur vos bancs, en particulier celles émises par le président de Villepin, cette réforme de la coopération n'est en rien synonyme de distanciation vis-à-vis de nos partenaires traditionnels, en premier lieu africains. Certes, dans le même temps, je l'ai évoqué, notre politique africaine est en mutation. Parce qu'il le faut, parce que, comme nous, l'Afrique et les africains évoluent, nous devons adapter notre présence, notre influence, notre assistance à la modernité africaine tout en restant bien entendu fidèle à nos amis et en élargissant nos relations à l'ensemble du continent. Notre solidarité ne se relâchera pas. La rencontre de Paris a bien montré que ceci ne se faisait pas au détriment de la fidélité et notre solidarité, nous aurons l'occasion d'en reparler, ne se relâchera pas.
2) Je reviens à l'adaptation des structures du ministère des Affaires étrangères pour souligner qu'elle ne concerne pas uniquement l'ancienne "direction générale".
Au-delà des changements d'organisation découlant de la réforme de la coopération, il m'est apparu à l'usage que plusieurs ajustements de l'organigramme du ministère des Affaires étrangères devaient être effectués. Ces adaptations sont donc en cours et le nouveau décret d'organisation qui les fixe sera très prochainement publié.
L'idée générale que je ne développe pas, et que j'ai retrouvée fort pertinemment décrite par plusieurs de vos rapporteurs dans leurs rapports budgétaires, est de simplifier nos structures d'administration centrale, de raccourcir autant que faire se peut les différentes chaînes hiérarchiques et de clarifier les différentes fonctions et missions exercées à Paris notamment tout ce qui relève de l'administration et de la gestion.
Cette adaptation de nos structures centrales devra trouver son prolongement sur le terrain, dans le réseau de l'Etat à l'étranger. Je reprendrais à cet égard bien volontiers la formule du rapport de Guy Penne pour qui la réforme ne doit pas être uniquement parisienne. La carte de nos implantations à l'étranger doit évoluer, tout simplement parce que le monde change et que par conséquence la localisation à l'étranger de nos entreprises et de nos compatriotes se modifie. Nous devons en tenir compte et procéder à des ouvertures de postes, à des fermetures, à des redéploiements, rendus de toute façon nécessaires par la limitation de nos effectifs. Mais se borner à répercuter mécaniquement des coupes budgétaires aboutirait à un résultat absurde J'ai donc demandé qu'un plan d'adaptation de notre réseau fondé sur une vision prospective du monde et de notre présence me soit présenté d'ici les prochaines semaines. J'en informerai naturellement vos commissions spécialisées. Je compte également interroger les autres administrations de l'Etat présentes à l'étranger sur leurs projets dans ce domaine. J'ai bien pris note à cet égard des observations de plusieurs de vos rapporteurs et en particulier de M. le sénateur Dulait, quant à l'évolution de notre réseau consulaire en Europe. La réflexion que je conduirai devra bien entendu intégrer cette dimension.
3) J'ai également entrepris de moderniser les méthodes de gestion de mon administration et je poursuivrais cet effort sans relâche. Certes, un important travail de réforme et de modernisation a été mené depuis plusieurs années. Mais mon diagnostic est clair : les contraintes budgétaires durables qu'il nous faut affronter, les exigences nouvelles et justifiées de rigueur quant à l'argent public, la nécessaire réforme de l'Etat y compris de ses administrations dites "régaliennes", le développement des relations internationales des autres ministères ou de la société civile, la nécessité d'être mobiles, adaptables et réactifs m'ont conduit, pour dire les choses simplement, à "passer à la vitesse supérieure". J'espère réussir à enraciner au ministère des Affaires étrangères une vraie culture de gestion moderne, ce qui implique aussi d'accepter des évaluations. Dans cet esprit j'ai créé un comité de management que je réunis chaque mois. Avec ce comité, j'ai commencé à mettre en oeuvre les changements nécessaires dans les domaines du personnel et la gestion :
. rénover la politique du personnel et de la formation, c'est favoriser la mobilité interne et externe, réformer les statuts et les corps, à la lumière en particulier de l'arrivée au sein des Affaires étrangères des personnels de la Coopération, et améliorer la formation. Je partage à ce propos pleinement les observations de Mme Ben Guiga sur la valorisation des compétences et sur la nécessité de dépasser les rigidités des corps et des statuts.
. réformer la gestion, c'est déconcentrer les crédits, renforcer l'évaluation, améliorer la gestion quotidienne, introduire de façon accélérée les nouvelles technologies de l'information : des initiatives nombreuses ont été prises depuis plusieurs mois. J'accélère ce mouvement. Les Affaires étrangères ne sont pas uniquement une grande administration de l'Etat dépositaire d'une fonction régalienne éminente ; elles sont également un service public qui doit contribuer d'une manière exemplaire à la réforme de l'Etat et à la recherche de l'efficacité. Je remercie à cet égard le sénateur Chaumont et le sénateur Roujas pour leurs appréciations positives sur les réformes de gestion que j'ai intensifiées et qui m'encouragent à aller de l'avant.
. je m'attache en particulier à la restructuration complète de notre politique immobilière. J'ai bien pris note des observations portées en ce domaine notamment par MM. Dulait et Chaumont. Un équilibre doit effectivement être trouvé entre le caractère emblématique de nos représentations à l'étranger et le souci de rigueur et d'économie. A ce titre, les exemples que vous citez de nos constructions à Berlin, à Pékin ou ailleurs illustrent précisément la nécessité de refondre nos procédures, d'encadrer plus strictement ces projets, ce que j'ai entrepris avec détermination. Un effort supplémentaire doit par ailleurs être mené en faveur des constructions scolaires à l'étranger. Les cas mentionnés par M. Penne ou par M. Chaumont nous rappellent que nos crédits d'investissement doivent probablement être mieux répartis entre les constructions de locaux diplomatiques et celles de locaux scolaires.
J'ai également fait refondre et modifier le niveau du comité de politique immobilière, et c'est dans ce cadre, à partir du début de l'année prochaine, que nous prendrons des orientations nouvelles sur tous ces points, avec beaucoup plus de clarté et de transparence.
B) Le budget pour 1999
J'en viens maintenant aux principales orientations de ce premier budget unique Affaires étrangères - Coopération. Globalement, et vous l'avez souligné, il s'agit d'un budget de reconduction, même si cela recouvre des évolutions différenciées entre la partie proprement Affaires étrangères et celle relative à l'ancien périmètre du budget de la Coopération. Avec 20,7 milliards de francs, le projet de budget que je vous présente avec Charles Josselin s'inscrit en effet dans la continuité des moyens mis en place en 1998. Plusieurs d'entre vous ont pu regretter telle ou telle insuffisance ; bien sûr chacun peut toujours souhaiter, et moi le premier, disposer de davantage de moyens. Mais, il faut tenir compte d'un équilibre général, même si la part consacrée au ministère des Affaires étrangères dans le budget de l'Etat est modeste. Je me suis pleinement retrouvé dans les propos du président de Villepin sur notre devoir de doter notre pays des moyens nécessaires à une action internationale efficace et à sa puissance et à sa présence effectives dans le monde.
Ce budget de consolidation comporte des choix clairs correspondant à plusieurs priorités marquées que nous finançons par des redéploiements assumés. J'en donnerai devant vous quatre brèves illustrations :
1) J'ai personnellement insisté, pendant la préparation de ce budget, sur l'importance que revêt pour notre influence dans le monde le maintien d'un effort public significatif en faveur de la coopération culturelle, scientifique et technique. C'est parfois contesté, et je le regrette car nos actions de coopération dans ce domaine constituent l'indispensable accompagnement de notre diplomatie ; elles sont également le support de notre politique en faveur de la Francophonie ; - j'ai lu à cet égard avec attention le rapport budgétaire de votre collègue M. Legendre, fin connaisseur du monde de la Francophonie - ; elles sont enfin souvent la condition préalable au succès de nos entreprises sur certains marchés extérieurs. La culture est au coeur de la place de la France dans le monde.
Après plusieurs années d'érosion continue, interrompue in extremis l'an dernier, j'ai à nouveau obtenu cette année la reconduction des moyens financiers affectés à ces actions. Pour lutter contre l'éparpillement, j'ai toutefois décidé d'amorcer, à partir de 1999, une réorientation de ces crédits autour d'actions que je juge prioritaires. Je suis heureux d'ailleurs de constater que cet effort de hiérarchisation et de détermination de priorités claires pour notre action culturelle extérieure a été salué par plusieurs d'entre vous.
. Première priorité, la politique audiovisuelle extérieure qui bénéficiera de plus de 130 MF de mesures nouvelles. Le soutien à TV5 dont la grille de programmes va être profondément remaniée sous l'impulsion de son nouveau président, M. Jean Stock, dont je souligne devant vous le dynamisme l'aide à la montée sur satellites de nouvelles chaînes françaises, le soutien accordé à l'exportation de productions françaises constituent, je vous le rappelle, les trois axes de ce plan d'action et qui répondent, je le crois, aux interrogations exprimées par M. le sénateur Del Picchia. Au total, et pour la première fois, les moyens consacrés à l'audiovisuel extérieur par le ministère des Affaires étrangères dépasseront le milliard de francs. J'ai bien relevé l'importance que votre Assemblée accorde à cette politique de l'audiovisuel extérieur, qu'il s'agisse d'ailleurs de la télévision ou de la radio.
A cet égard, j'ai demandé à M. Jean-Paul Cluzel, dont j'avais souhaité personnellement le renouvellement, de poursuivre la consolidation de RFI, en élargissant son audience et en adaptant sa programmation, en harmonie avec les nouveaux enjeux et notre présence extérieure.
- Deuxième priorité : la promotion des formations supérieures françaises à l'étranger. Le marché de la formation supérieure est dorénavant devenu mondial et concurrentiel en même temps qu'il est un investissement stratégique. Si l'Université française veut demeurer un centre d'attraction pour les jeunes élites étrangères, avec toutes les conséquences à en attendre pour notre pays il est impératif de renforcer les actions de promotion internationale de notre enseignement supérieur. En 1999, il s'agira de mieux accueillir les étudiants étrangers, d'assouplir les formalités de visas pour les étudiants étrangers, mettre en place un nouveau programme de bourses d'excellence. J'ai réservé à cet effet 55 MF de moyens financiers nouveaux. M. Claude Allègre, avec qui cette politique est pensée et menée, et moi venons de constituer un nouvel opérateur, l'Agence "EduFrance". La première opération de promotion d'EduFrance, à laquelle j'ai pu récemment participer au Mexique, en compagnie de votre président de Villepin et du sénateur Durand-Chastel, démontre, je crois, la nécessité d'une telle mobilisation. dont la mission sera de relayer les efforts de nos deux administrations et des universités françaises pour assurer à l'étranger cette promotion de notre système d'enseignement supérieur.
- J'ai enfin décidé que notre action culturelle devait obéir à des priorités géographiques plus claires et plus compréhensibles. Je parle de vraies priorités et non de celles que l'on accumule à tel point que ce mot perd toute signification. Ainsi en 1999, c'est la coopération avec les Etats-Unis, avec la Chine (à la suite des déplacements du président de la République et du Premier ministre), avec les pays du Mercosur, comme M. Baylet en a exprimé le souhait, et enfin avec les grands pays d'Afrique anglophone (Afrique du Sud et Nigeria en particulier) qui sera accrue, au prix des redéploiements nécessaires. Je suis convaincu que vous appuierez cette logique d'une plus grande sélectivité en fonction de nos priorités politiques.
2) Le deuxième choix important de ce budget vise à permettre à notre pays de retrouver son influence dans le système multilatéral de l'ONU, grâce à la restauration du niveau de nos contributions volontaires. Vos rapporteurs et orateurs ont à juste titre relevé le redressement du volume des contributions volontaires de la France aux organisations internationales, grâce à une mesure nouvelle très significative de 50 MF, soit un accroissement de 25 % des crédits correspondants. Cette mesure était indispensable, vous l'aviez dit, les uns et les autres, à juste titre.
3) Troisième priorité marquée de ce budget : la solidarité envers nos compatriotes de l'étranger. J'insiste bien entendu sur ce point car je connais la sensibilité particulière de votre Haute Assemblée et des sénateurs représentant les Français de l'étranger à l'égard de tout ce qui touche le sort de nos communautés hors de France. Vous avez relevé, généralement pour vous en féliciter, l'effort important qui sera consenti en 1999 en faveur de l'aide à l'enseignement français à l'étranger. Le gouvernement, compte tenu de la priorité générale qu'il accorde à l'éducation, accroîtra l'an prochain de 5,4 % les moyens de l'AEFE, avec en particulier un net "coup de pouce" pour les bourses scolaires pour lesquelles est inscrite une mesure nouvelle de 20 MF, soit +10 %. Cet accent mis sur les bourses constitue une réponse, mais qui n'est que partielle, j'en conviens, à la question de l'accroissement des droits de scolarité dont plusieurs d'entre vous se sont à juste titre préoccupés. Je ne développerai pas davantage ce point sinon pour vous indiquer combien à mes yeux est précieux l'atout que représente pour notre influence, pour la Francophonie, le réseau de nos établissements scolaires à l'étranger. Je sais que ce sentiment est également partagé par Claude Allègre et j'entends le convaincre de l'intérêt d'une implication accrue de son administration dans la politique de l'enseignement français à l'étranger.
J'ai écouté avec attention l'intervention de Mme Ben Guiga sur la question de l'aide sociale à nos compatriotes vivant à l'étranger. En augmentant de 10 % en 1999 les crédits d'assistance consulaire, le gouvernement marque son devoir de solidarité à l'égard des français de l'étranger en situation sociale précaire. Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur une éventuelle remise en question de ces aides sociales en Europe. Il faut effectivement, et c'est le sens des instructions que j'ai données à mes services, mettre en conformité nos pratiques en ce domaine avec la réglementation communautaire. Mais je tiens à vous rassurer : cette mise en cohérence s'effectuera d'une manière très graduelle et progressive de sorte que nos compatriotes les plus démunis résidant en Europe n'en subissent pas les conséquences.
4) Vos avez tous souligné la question sensible de l'évolution des effectifs diplomatiques et consulaires. Le projet de budget que nous vous présentons prévoit pour l'ensemble des services des Affaires étrangères et de la Coopération, une nouvelle tranche de suppression d'emplois à hauteur de 143 postes.
J'ai écouté avec attention vos observations sur les contraintes supplémentaires qu'allaient occasionner ces nouvelles réductions de poste, après tous les efforts déjà consentis au cours de ces dernières années. Comment ne pas comprendre vos inquiétudes sur ce plan, celles qu'exprimaient tout à l'heure le président de Villepin, M. Dulait ou Mme Ben Guiga ? Compte tenu de la configuration actuelle de notre réseau à l'étranger, nous sommes probablement parvenus à une sorte de point-limite, notamment dans un certain nombre de consulats alors que, dans le même temps, nous relançons la politique des visas et que la demande d'assistance consulaire, loin de diminuer, a plutôt tendance à s'accroître. La poursuite d'un processus de réduction d'emplois appellerait inévitablement des décisions difficiles. Je suis prêt, comme je vous l'ai indiqué il y a un instant, à procéder aux aménagements nécessaires. Mais ceux-ci doivent toutefois découler d'une vision politique de l'évolution de notre présence à l'étranger et non d'une simple approche comptable. Je m'efforcerai d'obtenir satisfaction sur ce point.
Je terminerai cette présentation du budget en abordant deux points que plusieurs d'entre vous ont évoqués :
- d'abord la question des personnels recrutés locaux posée par Mme Ben Guiga, par M. Chaumont et M. Penne. Une remise en ordre est effectivement souhaitable compte tenu de la diversité des statuts, des niveaux de rémunération, des régimes de couverture sociale. A cette fin, j'ai demandé qu'un rapport complet sur ce dossier complexe me soit présenté d'ici la fin de l'année. J'en exploiterai, dès le début de l'année prochaine, les propositions les plus pertinentes. Sans attendre, j'ai obtenu que les crédits correspondants soient sensiblement revalorisés dans le budget 1999 (+5 %), de sorte que les disparités les plus criantes soient dès maintenant corrigées.
- Ensuite, la question de l'avenir des coopérants du service national sur laquelle le président de Villepin, Mme Brisepierre, M. Dulait et d'autres m'ont interrogé. Comme vous le savez, le gouvernement prépare un projet de loi sur le volontariat civil destiné à remplacer l'actuelle formule du service national de coopération. Il s'agit d'un enjeu important pour le ministère des Affaires étrangères mais également pour d'autres administrations, je pense notamment au ministère des Finances en raison du rôle joué à l'étranger par les coopérants en entreprises. Je tiens à cet égard à vous indiquer que le gouvernement a la ferme volonté de présenter rapidement au Parlement un projet de loi qui assurera, sans solution de continuité, le relais des coopérants par les futurs volontaires.
Conclusion générale
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis sûr que vous êtes convaincus comme moi de la nécessité de renforcer pour cette année 1999 et dans ce monde si compliqué et si instable le caractère vigilant, global, inventif et mobile de notre diplomatie.
Je vous ai dit comment j'agissais pour que l'outil diplomatique au service de ces objectifs soit de plus en plus performant et comment j'utilise à cette fin les moyens qui me sont donnés. Le projet de budget pour l'année 1999 représente une nouvelle étape. Je vous remercie de bien vouloir l'adopter, lorsque vous aurez à vous prononcer, demain soir je crois, par un vote unique..
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2001)