Texte intégral
Monsieur le Président, Cher Joseph Limagne,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens d'abord à vous remercier pour les v?ux chaleureux que vous m'avez adressés, Cher Joseph, ainsi qu'à Brigitte Girardin et Catherine Colonna. Toutes deux s'associent à moi pour vous redire toute notre amitié et vous adresser, en retour, à vous-même et à tous ceux présents ici aujourd'hui, des v?ux très sincères pour une très bonne et très heureuse année.
Mesdames, Messieurs,
Comme chaque année, vous avez été en 2005 des témoins privilégiés de l'actualité internationale et de l'action de ce ministère. Des témoins privilégiés, mais aussi, comme chaque année, des témoins exposés.
Aussi, je voudrais que nous ayons une pensée pour les 63 journalistes qui ont payé de leur vie, en 2005, la passion qu'ils mettaient au service de leur vocation, sans oublier leurs 5 collaborateurs qui, eux aussi, ont trouvé la mort l'an dernier. 63 journalistes, c'est le plus lourd tribut que votre profession ait payé depuis de nombreuses années.
Je souhaite évoquer aussi le souvenir de Samir Kassir, lâchement assassiné le 2 juin à Beyrouth, lui qui était un symbole de la liberté de ton et de l'indépendance de la presse libanaise. C'était un homme libre : il a payé de sa vie cette valeur qui est au c?ur de votre engagement et qui est justement l'honneur de votre profession. Tout comme Gebrane Tuéni, frappé lui aussi en décembre dernier, et sans parler de May Chidiac, à jamais mutilée, il est mort au nom d'une exigence : celle du libre accès à l'information.
Je veux redire ici, en votre présence, toute la part que je prends à la douleur de la famille de Fred Nerac qui, tant qu'elle ne saura pas exactement ce qui s'est passé le 22 mars 2003, voudra obtenir des réponses. Qu'elle sache que nous continuerons à tout faire pour l'y aider.
Oui, vous prenez des risques et nous avons, pour notre part, le rôle ingrat de vous mettre en garde mais vous le faites au nom de l'une des plus belles causes qui soient, celle d'informer. Je mesure ce que représente ce droit à l'heure où les moyens de communication se diversifient, à l'heure où ils permettent une diffusion immédiate à l'échelle de la planète, à l'heure aussi où l'image est utilisée comme une arme et un instrument de pression politique.
C'est pourquoi ce ministère reste mobilisé pour vous soutenir lorsque les aléas de votre métier vous exposent. Ainsi de Laurent Van der Stockt, blessé en Irak il y a peu et pour lequel notre ambassade a apporté son aide. Qu'il me soit permis ici d'évoquer la mobilisation qui a été la nôtre et celle, en effet, de Michel Barnier, pour obtenir la libération de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun, le 12 juin dernier, après celle de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot quelques mois plus tôt. Ou encore celle de Mohamed Ouathi, à Gaza, le 22 août. Qu'il me soit permis, aussi, d'évoquer Guy-André Kieffer, pour lequel nous devons continuer à rechercher inlassablement la vérité.
Et puis il y a tous les messages que nous faisons passer, les démarches que nous effectuons pour vous aider, vous et vos confrères étrangers, dans l'exercice quotidien de votre métier - je me limiterai à mentionner la récente agression dont Christophe Boltanski a été victime à Tunis. La tâche est immense quand on connaît le nombre de journalistes aujourd'hui emprisonnés dans le monde. Ils ne sont pas moins de 126 recensés selon Reporters Sans Frontières et je salue ici son président M. Robert Ménard.
Mesdames, Messieurs,
Je suis déterminé à ce que cette nouvelle année ne soit pas une année de transition. Dans un monde en pleine transformation dans un monde où les lignes de fracture évoluent avec une très grande rapidité, il ne peut y avoir "d'année blanche". Nos conceptions, nos moyens d'agir, doivent sans cesse s'adapter pour préserver la place de notre pays et surtout les valeurs qu'il entend défendre. Cette année doit donc être, plus que jamais, avant tout une année d'initiative une année d'action même si se profile le grand rendez-vous présidentiel.
Initiatives sur l'Europe, d'abord, pour aider à remettre l'Union sur la voie de l'ambition politique et lui permettre de retrouver la confiance de nos compatriotes.
Nous avons reçu, hier, avec Catherine, Mme Plassnik, la nouvelle présidente du Conseil Affaires générales, la ministre autrichienne des Affaires étrangères. La présidence autrichienne qui vient de débuter verra un grand dossier, c'est celui de l'avenir de l'Europe. C'est le moment de s'attaquer à l'enjeu politique de fond qui est de dire clairement désormais à nos concitoyens où va l'Europe et ce qu'elle veut ; et ce n'est pas parce-que nous avons voté "non", ici en France, qu'il n'y a pas ce désir d'Europe. Peut-être n'avons-nous pas su faire suffisamment partager notre désir d'Europe ?
Nous devons réfléchir ensemble aux institutions. Nous devons aussi faire avancer ensemble des projets concrets qui répondent aux attentes des citoyens, à l'image de Galileo il y a quelques semaines : cela signifie des avancées en terme de gouvernement économique, en particulier dans la zone euro ; cela implique aussi des progrès dans le domaine de la recherche, de l'éducation, de l'immigration, de l'énergie aussi ; lorsque l'on voit la semaine dernière le conflit gazier russo-ukrainien, on peut se demander où est la politique énergétique de l'Europe, lorsque l'on voit les 100 milliards de dollars américains consacrés à la recherche fondamentale sur les biotechnologies ou les 100 milliards de dollars américains consacrés aux nanotechnologies, on peut se demander où est la politique de recherche européenne. On peut aussi demander pour 2006 une vraie ambition en matière de politique de défense et de diplomatie, là où l'Europe ne doit plus attendre mais au contraire se mobiliser pour tenir son rang au sein de la communauté internationale.
Derrière ce programme de travail, chacun voit bien qu'il nous faut répondre à un double déficit vis-à-vis de notre opinion : d'une part l'insuffisance des résultats obtenus jusqu'à maintenant par l'Union européenne en matière d'emploi ou de croissance, qui ont déçu nos compatriotes face aux attentes et aux efforts déployés ; et, d'autre part, l'incertitude sur l'avenir de l'Europe et sur les frontières de l'Union européenne. Sur cette question de l'élargissement, nous ne pouvons plus aujourd'hui procéder au cas par cas, sans idée précise de ce que nous voulons faire : nous avons besoin d'une vision globale d'un projet politique mobilisateur et d'une redéfinition claire des politiques communes. Face à ces perspectives, ne soyons ni pessimistes ni résignés : il y a là une opportunité à saisir pour remettre le projet européen sur le chemin du progrès et du succès. C'est vrai, le défi est immense ; à nous de nous en montrer dignes. Je suis persuadé que l'Europe sera demain ce que nous en ferons dans les prochains mois.
Cette volonté de mobilisation, j'entends aussi l'exercer au Proche et au Moyen-Orient. Les dossiers délicats y sont nombreux : conflit israélo-palestinien - notre pensée va en effet aussi vers Ariel Sharon qui lutte au moment où nous parlons - Liban, Syrie, Irak, Iran - et je serai demain avec mon homologue britannique Jack Straw et mon homologue allemand Frank-Walter Steinmeier aux côtés de Javier Solana à Berlin pour faire une communication commune sur l'Iran et sur la violation nouvelle par ce pays des obligations internationales dans le dossier nucléaire - autant de sujets sur lesquels la diplomatie française devra se montrer active dans la région comme aux Nations unies. Je souhaite m'y impliquer personnellement en me rendant dans les pays de cette zone au cours des prochains mois : il s'agira, à cette occasion, de réaffirmer les grands principes qui ont inspiré la politique de notre pays dans cette région et d'?uvrer à la recherche patiente et résolue de la stabilité et de la sécurité qui font actuellement si cruellement défaut.
Mais je veux aussi promouvoir notre influence dans les autres régions du monde, qu'il s'agisse de l'Asie où j'accompagnerai prochainement le président de la République en Thaïlande et en Chine, des Etats-Unis où je compte me rendre à nouveau en mars prochain, ou encore de l'Amérique latine. Partout, je veillerai à écouter et à comprendre les priorités de tous ces partenaires qui sont indispensables à notre action diplomatique et à notre rayonnement. Mais au-delà de ces aspects politiques, j'entends aussi travailler aux côtés de nos entreprises et de nos compatriotes, Français de l'étranger, dans leurs efforts pour promouvoir l'expertise et le savoir-faire français.
Enfin, en Afrique, où je souhaite également me rendre à nouveau prochainement, nous devrons continuer à nous mobiliser, non seulement pour résoudre les crises qui continuent malheureusement de se développer à l'ouest comme à l'est de ce continent, mais aussi pour encourager tout ce qui peut contribuer au développement d'une région forte d'un potentiel considérable et encore trop mal exploité.
Cette réflexion sur l'Afrique conduit naturellement à évoquer un autre chantier de la diplomatie française, celui de l'aide au développement. En ce domaine, la France joue un rôle moteur, notamment dans la mise en place de financements innovants : comme vous le savez, en décembre dernier, le Parlement a adopté le texte instaurant une contribution de solidarité sur les billets d'avion. La France a ainsi donné l'exemple et a contribué à donner un contenu concret à la déclaration de New York. Il s'agit maintenant de poursuivre l'élan afin qu'à l'occasion de la conférence ministérielle prévue à Paris pour la fin du mois de février, d'autres pays se rallient à notre initiative.
J'ai lancé en parallèle une réflexion approfondie sur l'affectation de cette contribution en proposant d'affecter les ressources ainsi prélevées à la mise en place d'une facilité financière pour l'achat de médicaments, notamment dans le cadre de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Sur 6 millions d'hommes et de femmes qui ont besoin de ces médicaments, 1 million simplement peuvent en bénéficier. Il faut donc rester mobilisé pour faire reculer cette "fracture sanitaire" qui mine la stabilité des Etats autant qu'elle met en péril la paix et le développement durable.
L'action, c'est aussi l'effort que je souhaite poursuivre pour moderniser le ministère des Affaires étrangères, c'est-à-dire adapter en permanence ses objectifs et ses méthodes, face aux évolutions de notre monde contemporain.
Je ne vais pas énumérer ici les réformes en cours. Elles sont nombreuses, qu'il s'agisse de l'adaptation de notre réseau diplomatique et consulaire, de la politique immobilière, de la mise à jour de notre dispositif de communication, de la mise en place d'un système d'évaluation des responsables de ce ministère, ou encore du Comité d'éthique dont j'ai annoncé récemment la création et qui sera très prochainement mis en place.
Reste l'immense chantier de notre coopération culturelle et universitaire, ma chère Brigitte, ainsi que du développement de nos lycées français à l'étranger : ce sont là deux priorités que je souhaite faire avancer rapidement. Il s'agit de placer notre pays en pointe afin de promouvoir "l'économie de la connaissance" et d'affronter dans les meilleures conditions l'internationalisation du savoir et des formations. En ce domaine, j'entends adapter profondément nos méthodes et je vous ferai bientôt part de mes idées sur ces deux sujets.
Enfin, l'action, cela veut dire également contribuer, cas par cas, à faire aboutir des dossiers individuels au nom de principes inscrits au c?ur de notre pacte républicain et de notre conception de l'homme : la justice, l'humanité et la liberté. Et je reviens un instant sur ce sujet parce que ce sont des valeurs fondamentales de la France et des Français. Si je prends l'exemple des lycées français, voilà 15 ans, 20 ans, que chaque ministre des Affaires étrangères se voit confronté au problème du budget et au ministre de l'Economie et des Finances qui lui dit "nous n'avons pas d'argent pour développer les lycées français, les écoles primaires françaises, les collèges français". Et quand je vais au Caire et que je vois que les trois quarts des ministres parlent le français, quand je vais au Brésil et que je vois que les trois quarts ou les quatre cinquièmes des ministres parlent le français, chaque fois que je vois un chef d'Etat ou de gouvernement qui me dit "laissez-passer 15 ans, 20 ans et vous n'aurez plus ces ministres qui parleront le français"... Vous voyez, la place du français est un élément fondamental de l'action que j'ai à mener ici. Ce n'est pas un élément subalterne. Ce n'est pas uniquement pour aider les enfants des Français à l'étranger. C'est aussi pour que les étrangers mettent leurs enfants dans ces lycées, y compris les élites et pour que nous voyions notre capacité d'influence et de rayonnement inchangée. Oui, j'aurai l'occasion de vous proposer prochainement la création de 5, 6, 7 nouveaux lycées français sans un sou de plus de Bercy simplement par un partenariat public - privé avec la Caisse des Dépôts. Trouver des financements nouveaux, trouver des mécanismes nouveaux pour défendre le français dans le monde, cela fait partie des missions de cette maison. Alors oui, ce pacte républicain, cette conception de l'homme, c'est une conception française.
Parce que ces mots ont un sens particulier pour notre pays, parce qu'ils sont inscrits au c?ur de notre rapport si particulier avec le monde, parce qu'ils sont également conformes à nos engagements européens, j'ai eu l'occasion de faire valoir à mon homologue cubain le sort des prisonniers politiques dans son pays. Je viens également de recevoir le candidat unique de l'opposition pour les prochaines élections en Biélorussie. Cela fait partie aussi des missions de cette maison.
Parce que ces mots participent également de notre action au service de l'Etat, je reviens de Libye où j'ai rencontré les infirmières bulgares et le médecin palestinien emprisonné mais aussi les enfants de Benghazi. Je continuerai, soyez en sûrs, à suivre ce dossier pour aider à ce que ces enfants reçoivent un soutien médical approprié et qu'une solution juste et digne soit trouvée.
Je continuerai de me battre aussi, soyez en certains, pour qu'Ingrid Betancourt retrouve sa liberté en Colombie. Je n'oublie pas non plus tous ces Français disparus ou emprisonnés pour lesquels j'entends me mobiliser, qu'il s'agisse de Céline Henry au Népal, de Marc Beltra en Colombie, de Christophe Beck au Venezuela ou encore de Michaël Blanc en Indonésie. Autant de cas douloureux sur lesquels ce ministère travaille avec détermination et avec conviction. Je veux être clair, Mesdames et Messieurs les journalistes. Il ne s'agit pas de conduire une diplomatie humanitaire, mais bien de mener une action internationale où l'homme et sa dignité ont toute leur place.
En conclusion, Mesdames, Messieurs, je veux simplement vous assurer à nouveau de ma disponibilité et de celle de ce ministère, notamment de la Direction de la communication et de l'Information et de son directeur, Jean-Baptiste Mattéi, pour vous aider, chaque fois que cela vous sera nécessaire, dans votre mission si difficile, mais si indispensable, qui consiste à informer et à ouvrir ainsi une fenêtre sur le monde. Je vous souhaite à toutes et à tous, ainsi qu'à vos proches, une excellente année 2006. Et après tout il n'y a pas une meilleure formule que celle d'Héraclite pour dire "si tu n'espères pas l'inespéré, tu ne le trouveras pas".
Bonne année.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 janvier 2006