Interview de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, à Europe 1 le 13 décembre 2005, sur le chômage des jeunes, le financement de l'Unedic et la politique de l'emploi.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Je sais que vous êtes un chrétien engagé : est-ce que vous avez une pensée, une prière ou un mot pour "Tookie", ce noir américain que M. Schwarzenegger a refusé de gracier, qui va être exécuté dans une demi-heure ?
R- Oui, pour moi, la peine capitale est un crime, c'est-à-dire que je ne me sens aucun droit et je donne aucun droit à aucun Etat de décider ainsi de la mort d'un homme. Même s'il relève de la justice, il y a des peines. Mais je voudrais avoir aussi une pensée pour un homme qu'on a exécuté hier, c'était un ami, c'était un grand journaliste : M. Tuéni, député au Liban, qui a longtemps écrit dans An Nahar, la volonté de liberté de démocratie au Liban. J'ai une pensée très forte pour lui ce
matin.
Q- C'est social, urgent, c'est tous azimuts ! Comme C. Colomb, le gouvernement Villepin découvre un continent : le social ! Vous débarquez dans la précipitation sur tous les territoires du social. Est-ce pour combler les brèches de la mondialisation, pour anticiper ou éviter trop de dégâts, ou pour préparer 2007 ?
R- Non, je pense que nous sommes un pays à la fois formidablement compétitif - et les Français sont parmi les meilleurs en productivité ? et en même temps, il y a beaucoup d'angoisses, beaucoup d'inquiétude, avec un chômage qui est vraiment au c?ur des préoccupations des Français, et notamment le chômage des jeunes. Et notre réponse, c'est la bataille pour l'emploi, une bataille qui mobilise derrière le Premier ministre l'ensemble du Gouvernement. C'est ça, la réponse. Ce n'est pas la découverte d'un nouveau continent, c'est l'exigence de faire reculer le chômage.
Q- Comme les Trois Mousquetaires, vous êtes quatre : auprès de D. de Villepin, J.-L. Borloo, C. Jacob et vous, tous ensemble...
R- Et A. Begag pour l'égalité des chances ! Et C. Vautrin !
Q- Les syndicats critiquent. Vous êtes tous plein de bonne volonté. Mais hier, par exemple, vous manquez de concret...
R- Vous savez, le "concret"... Par exemple, mettre en place un plan d'action pour les jeunes, pour se dire qu'à la fin de l'année 2006, il faut qu'on ait trouvé une solution pour chaque jeune, à 90 jours après la difficulté que rencontre ce jeune ou son entrée dans la vie professionnelle ou la fin de sa scolarité, ça, c'est du concret. Tripler la validation des acquis de l'expérience, c'est-à-dire la reconnaissance de l'expérience, ça, c'est du concret...
Q- C'est-à-dire les jeunes, les seniors...
R- Mettre en place aujourd'hui un plan national d'action, en février, pour que l'on cesse de faire jouer aux seniors, le rôle de variable d'ajustement des plans sociaux, ça, c'est du concret !
Q- Alors priorité à l'emploi... Avec toutes ces mesures, comme par hasard fin 2006, cela fait combien de réduction de chômeurs ?
R- Vous savez, aujourd'hui nous sommes sur la base de moins 20.000 chômeurs par mois. Nous souhaitons poursuivre dans cette direction. Tant que j'aurais 22 % des jeunes au chômage, c'est ma vraie priorité...
Q- Vous continuez à calculer ?
R- Oh, je suis assez peu calculateur, je dois vous dire, et le mathématicien que je suis, c'est de se dire, au bout du compte, que si nous avons 300.000 chômeurs de moins à la fin de l'année 2006, eh bien, nous aurons bien travaillé pour l'emploi.
Q- Aujourd'hui, sur l'Unedic, est-il vrai que les partenaires sociaux, syndicats et Medef sont pratiquement d'accord pour un compromis sur l'assurance chômage ?
R- D'abord, je fais confiance aux partenaires sociaux. La deuxième des choses, c'est que je pense que la priorité de leurs débats, c'est autour des mesures actives du retour vers l'emploi. Bien sûr, l'indemnisation est quelque chose d'important, mais les mesures actives, c'est quoi ? Plus de formation, plus d'accompagnement vers l'emploi... Et là-dessus, le Gouvernement sera à leur côté, notamment au travers de la mise en place de l'entretien mensuel.
Q- Vous ne m'avez pas répondu : est-ce qu'on va vers un compromis, ce soir ?
R- Je pense qu'aujourd'hui, on est en état de trouver un équilibre, mais ceci dépend des partenaires sociaux, entre les entreprises et les salariés, et c'est la liberté du paritarisme.
Q- D'accord, mais l'Etat ne laisserait pas l'Unedic en crise et sans solution ?
R- Le 1er janvier, nous devrions prendre, conformément au texte, le relais, avec la nécessité de l'indemnisation, le retour à l'équilibre - il y a 14 milliards de déficit cumulé. D'ici deux mois, en l'état actuel de la réduction du chômage, nous sommes revenus à l'équilibre mensuel. Cela veut dire que les perspectives de retour à l'équilibre sont devant nous et qu'il faut trouver des réponses adaptées, à la fois pour bien indemniser le chômage, avoir des mesures actives et retourner à l'équilibre.
Q- Vous faites confiance aux partenaires sociaux et vous pensez quedans la journée, il pourrait y avoir un accord ?
R- Je l'espère, je le souhaite vraiment, pour l'avenir du paritarisme et du
modèle social.
Q- Une des propositions vedettes annoncée hier par le Premier ministre, et vous étiez à ses côtés, c'est la mise en place dans six bassins d'emploi en difficulté, d'un contrat de transition professionnelle. C'est un contrat qui est destiné aux licenciés d'entreprises de moins de 300 salariés. Cela veut dire qu'il faut donner un emploi à qui perd son emploi...
R- Hier, j'étais à Romans, dans le secteur sinistré de la chaussure. J'ai rencontré des salariés de Charles Jourdan et en même temps, 200 salariés qui ont perdu leur emploi dans le secteur de la chaussure...
Q- Et vous leur avez trouvé des emplois ?
R- Nous sommes en train de leur trouver des emplois, 191 d'entre eux. Déjà 60 emplois sont aujourd'hui disponibles. La deuxième des choses, c'est que nous avons mis en place, dans la loi du 18 janvier, la convention reclassement personnalisé. Alors, qu'est-ce que ce contrat de transition professionnelle ? Ce sont pour des salariés licenciés dans des secteurs particulièrement sinistrés, un contrat d'une année au cours de laquelle ils vont être accompagnés, formés et en même temps, avoir la possibilité d'être employés par des entreprises, pour qu'au bout du compte, ils débouchent sur un nouvel emploi.
Q- Mais quelles entreprises, s'il n'y a pas de place dans le public et s'il n'y a pas d'emploi dans le privé, dans des bassins qui vont être touchés par le chômage ?
R- Je vais prendre l'exemple d'hier à Romans, où c'est en convention de reclassement personnalisé, Areva, qui développe considérablement son activité, face au renouveau du nucléaire aujourd'hui dans le domaine de l'énergétique, a proposé 30 contrats de professionnalisation pour des salariés licenciés du secteur de la chaussure, voilà du concret !
Q- Bravo Anne Lauvergeon ! Mais qui va payer le salaire du licencié ?
R- L'Assedic, parce que c'est naturellement l'assurance chômage, les entreprises et l'Etat, si nous devons assurer le différentiel. Le Premier ministre s'est clairement prononcé sur ce point-là.
Q- La CGT a réagi plutôt bien hier, elle trouve que c'est une bonne chose ; Force ouvrière, non, parce qu'elle demande quel est le statut du licencié. Est-ce qu'il est salarié ou est-ce qu'il est toujours chômeur ?
R- Il sera sous contrat, donc il sera salarié d'un organisme public. Mais je crois naturellement qu'il appartient maintenant de définir, dans les jours à venir, une fois l'accord de la négociation de l'assurance-chômage conclu, quelles sont les conditions du contrat de transition professionnelle ?
Q- Et si ce contrat voit le jour, quand est-ce ?
R- Je pense dans les premières semaines de l'année 2006.
Q- Vous disiez tout à l'heure que vous ne saviez pas calculer, mais vous avez réfléchi au financement : qui finance et comment seront financées toutes ces séries de plans sociaux ?
R- Nous consacrons 42 milliards à des mesures d'indemnisation et à des mesures actives pour le retour à l'emploi. Je crois qu'il s'agit d'utiliser bien l'ensemble de cette mobilisation d'argent public.
Q- Alors vous dites : "Pas un sou de plus" ?
R- Quand il y a 13 milliards sur cinq ans dans le plan de cohésion sociale, nous ne disons pas "pas un sous de plus". Il y a, dans le plan de cohésion sociale, les moyens. Il y a aussi dans un certain nombre de dégagements budgétaires, pour notamment les quartiers en difficultés, un certain nombre de moyens supplémentaires.
Q- Je vous le dis en catimini, parce que dans 24 heures, le rapport Pébereau va vous recommander l'équilibre des finances publiques, zéro dette dans les cinq ans... Le savez-vous, ça ? Absolument !
Et donc, il faudra en tenir compte...
R- Nous en tiendrons compte, mais à chaque fois qu'un chômeur retrouve un emploi, c'est plus d'activité, c'est plus de richesses créées et c'est moins de dette.
Q- Hier, le Premier ministre est venu lui-même chez vous, à Grenelle, pas pour des "accords" de Grenelle, mais pour des "promesses" de Grenelle. Quel est le sens de cette visite symbole
pour vous ?
R- Il est venu chez J.-L. Borloo et moi-même. C'était bien la primauté donnée à l'emploi et la priorité de la bataille pour l'emploi. Et c'est aussi un lieu de dialogue social : nous dialoguons tous les jours à Grenelle ou rue Saint-Dominique. Et donc c'est la reconnaissance de l'importance du dialogue social. Ce sont d'ailleurs les propositions qu'a fait le Premier ministre en conclusion : renforcer le dialogue social, réfléchir sur la représentativité et le financement des partenaires sociaux.
Q- Cela veut dire que votre discussion avec les syndicats continue ?
R- Vendredi sur les seniors, début janvier sur les jeunes...
Q- En 2006, le Premier ministre espère, je vais le citer, que "des terrains d'entente seront trouvés sur les salaires des fonctionnaires". "L'Etat, promet-il, va poursuivre ses efforts". Il y aura donc des augmentations de salaire ou des revalorisations de salaire ?
R- Oui, je crois... C'est le secteur de C. Jacob, mais qu'il faut que l'on réfléchisse aussi à tout ce qui est classification, grille et qu'il y ait un accord global. Ce qui est très important, depuis huit ans, c'est qu'il n'y a pas eu d'accord dans la Fonction publique... C. Jacob recherche cet accord ...
Q- Il y aura des augmentations de salaire ?
R- ... Parce que la fonction publique ne peut pas être à côté de la dynamique sociale. Nous avons besoin d'une fonction publique forte, efficace, elle ne peut pas être à côté de la dynamique sociale engagée par le Premier ministre.
Q- Et dans le privé, vous demandez aux branches professionnelles de conclure des accords sur les salaires. Vous donnez même la date : avant le 15 mars prochain... Plus une prime de transport, plus l'Unedic etc. Est-ce que vous ne demandez pas trop au Medef et aux entreprises ?
R- Nous demandons à ce que la négociation collective annuelle prenne en compte la réalité des transports et notamment puisse discuter d'une prime de transport. Il y a certaines régions où ceci existe déjà - je pense la région Ile-de-France. Eh bien, nous demandons aux entreprises et aux salariés, de voir ensemble, comment aussi ils peuvent partager les dividendes créés par le travail.
Q- Dans cette lutte pour l'emploi, pourquoi ne tenez-vous pas compte du contrat de travail unique proposé par N. Sarkozy ?
R- Je pense que le contrat "nouvelles embauches" est un élément qui ouvre aujourd'hui l'espace contractuel...
Q- Donc on n'a pas besoin du contrat Sarkozy, c'est ça ?
R- Je rappelle que F. Chérèque a proposé qu'à un moment, les partenaires sociaux puissent engager sur le contrat de travail une véritable négociation. C'est aux partenaires sociaux aussi d'avoir sur ce terrain là de véritables échanges et des propositions à nous faire...
Q- A ce rythme, qu'est-ce qui va rester à la gauche, si vous continuez à lui dérober des idées, par exemple, sécuriser le parcours professionnel, ce que vous venez d'expliquer depuis tout à l'heure ?
R- Ce que je voudrais, c'est que la France, fin 2006, ait beaucoup de chômeurs en moins. J'ai fixé un objectif, 300.000. C'est ça qui m'importe, bien plus que de savoir les rapports gauche-droite. J'ai des convictions, je suis bien dans l'UMP, derrière le Premier ministre
[inaud.]...
Q- Je n'en doute pas, mais vous êtes au Gouvernement, c'est normal !
R- Je suis au Gouvernement et j'agis pour l'emploi.
Q- Mais arrêtez de déshabiller François pour habiller Dominique !
R- Oui, mais peu m'importe ! A mon avis, Dominique est habillé ! En tous les cas, il est déterminé !
Q- Jusqu'à quand est-il habillé ? 2007 ?
R- Il y a un rendez-vous démocratique, en avril-mai 2007. Eh bien, là, les Français choisiront !
Q- Donc il met le costume social pour cette époque ?
R- Non, je pense que c'est vraiment sa priorité au quotidien.
Q- Le Parti socialiste, avec J. Dray, estime que vous êtes dans le virtuel et que dans six mois, il ne restera plus rien de vos projets. Que lui répondez-vous ?
R- Eh bien, que je lui donne rendez-vous dans six mois, quand nous mettrons en place le plan d'action concerté pour les jeunes, qui est la priorité des priorités.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 décembre 2005)