Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, présidente du RPR, à RTL le 15 février 2001, sur le refus du Président de la République d'examiner en conseil des ministres le projet du gouvernement sur la Corse et sur la campagne pour les élections municipales à Paris.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt - Avant-hier J. Chirac a refusé que la réforme sur la Corse soit examinée telle quelle en Conseil des ministres. Depuis, L. Jospin souhaite que le texte, inchangé, soit inscrit au plus vite à l'ordre du jour. C'est ce que l'on appelle "un bras de fer" de cohabitation ?
- "Non, J. Chirac est tout à fait dans son rôle quand il rappelle au Gouvernement qu'il y a un Etat de droit et des institutions, et qu'il ne faut pas les mépriser. Le Conseil d'Etat est un conseil du gouvernement, il statue au plan juridique. Aujourd'hui, on a l'impression que le Gouvernement dit que tout ceci ne compte pas ! Et l'on peut se poser la question de savoir si le Gouvernement va successivement critiquer ou mépriser toutes les institutions qui ne sont pas au garde-à-vous devant lui. Il y a quelque temps, c'était le Sénat que l'on voulait supprimer pour cause d'indiscipline à l'égard des textes ou de la volonté gouvernementale ; puis c'était le Conseil constitutionnel, parce qu'il osait censurer des dispositions contraires à la Constitution et souhaitées par le Gouvernement. Aujourd'hui, c'est le Conseil d'Etat, parce qu'il dit au Gouvernement qu'il y a dans son texte un certain nombre de choses qui sont contraires aux institutions et à la Constitution."
Si le Gouvernement ne veut pas changer son texte, en quoi est-ce choquant qu'il renvoie le sujet devant le Parlement qui pourra faire des amendements tenant compte éventuellement du Conseil d'Etat ?
- "Est-il normal qu'un Gouvernement présente au Parlement un texte dont il sait fort bien qu'il est contraire à la Constitution, mal fait, et que par conséquent il sera censuré par le Conseil constitutionnel ? Il me semble que quand on est au gouvernement, on essaie au contraire de présenter des textes qui soient acceptables. Il peut toujours y avoir quelques amendements mais là, il s'agit du fondement même du texte. D'ailleurs, c'est clair, le Conseil d'Etat a dit qu'il y a plusieurs points contraires à l'égalité des Français devant la loi, à la liberté de choix de la langue, au fait que nous avons un Etat de droit. D'ailleurs, j'estime qu'en la matière, la voie sur laquelle nous engage L. Jospin, n'a que deux issues sur lesquelles il n'est pas très clair : ou le texte, tel qu'il est présenté dans une partie de ses aspects parce qu'il y a des choses qui sont tout à fait admissibles...
Des choses que vous approuvez...
- .".. au plan économique, au plan du rapprochement de la décision dans le cadre de la décentralisation - ce que nous souhaitons - c'est tout à fait normal. En revanche, quand nous disons qu'on veut rendre l'enseignement d'une langue régionale obligatoire, ce n'est pas admissible. D'autre part, quand on dit que l'on va effectivement permettre à une région de faire la loi, comme elle le veut, ce qui voudrait dire par exemple que ..."
Bon, d'accord, ça c'est le fond. Mais quelle est l'alternative que vous avez l'air de dire ?
- "L'alternative, pour nous, est simple : il faut des mesures économiques qui permettent effectivement aux Corses de développer leurs activités, qu'ils se sentent mieux dans leur environnement. Il faut aussi une décentralisation plus poussée qui s'adresse à tout le monde. Mais au point où on en est aujourd'hui, il n'y a que deux alternatives : ou le texte est réservé à la Corse, et si c'est le cas, c'est la voie de l'indépendance à brève échéance. C'est d'ailleurs ce que nous dit monsieur Talamoni. Ou ce texte s'étend à toutes les régions et à ce moment-là, nous n'allons plus vers un système d'Etat unitaire où le droit est le même pour tous les Français, mais vers un système d'Etat fédéral où, à ce moment-là, on n'aura pas le même droit en Alsace et en Bretagne..."
Mais est-ce que vous attendez qu'il y ait cette modification, cet élargissement pour que le texte puisse passer en Conseil des ministres ? Est-ce cela la position de l'Elysée ?
- "Non, pas du tout. La position de l'Elysée, c'est de demander de revoir les dispositions dont le Conseil d'Etat a dit qu'elles étaient contraires à nos institutions."
S'il ne le fait pas, c'est le blocage ?
- "Non, ce n'est pas le blocage. Le texte viendra effectivement..."
Quand ?
- "Je n'en sais rien, dans les semaines qui viennent. Nous l'examinerons et nous réitérerons nos critiques devant le Parlement. Et bien entendu, si la majorité gouvernementale vote ce texte, nous le déférerons devant le Conseil constitutionnel qui, vraisemblablement, suivra les conclusions du Conseil d'Etat puisque le Conseil d'Etat, lui-même, s'appuie sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel."
Par rapport à la campagne municipale, cette épisode de cohabitation peut être utile à la droite, dans le mesure où il montre une volonté de réplique à la gauche ?
- "Il y a une grande différence entre les campagnes municipales, qui ont des objectifs très locaux finalement, et effectivement la politique nationale qui, elle, concerne davantage les élections législatives. Mais je crois qu'il n'est jamais mauvais pour l'opposition de dire ce qu'elle a à dire, notamment quand nos institutions risquent d'être bafouées. Encore une fois, on ne peut pas au prétexte d'un petit texte susceptible de régler un problème local, mettre en cause l'équilibre même de la République, sans le dire. C'est ce que nous reprochons. Si on veut aller, si on veut proposer aux Français un Etat fédéral, où le droit des successions ne sera pas le même à Strasbourg et qu'à Biarritz, où les infractions pénales ne seront pas les mêmes, qu'on le dise. Mais à ce moment-là, il faut interroger les Français, et les interroger par voie de référendum."
A propos de ce qui n'est jamais mauvais pour une campagne, comment définissez-vous le rôle de B. Chirac dans la campagne municipale ? Elle se déplace à travers la France pour soutenir les têtes de liste de droite.
- "Madame Chirac est d'abord quelqu'un qui fait de la politique, c'est une élue qui fait un travail remarquable sur le terrain. Elle a d'autre part, des activités, notamment, à l'égard des enfants dans les hôpitaux qui sont très bien ressenties. Et il me paraît tout à fait normal qu'un certain nombre de candidats souhaitent son soutien."
Elle parle en lieu et place de son mari quand elle se déplace ?
- "Non, je ne crois pas. Chacun sait que madame Chirac a une personnalité qui lui est propre et par conséquent, elle joue son rôle."
A Paris, comment expliquez-vous que la campagne de P. Séguin n'ait pas l'air d'enclencher ?
- "Les choses sont en train de changer depuis quelques jours. Ce qui m'a beaucoup frappé au cours des dernier mois, c'est que P. Séguin pouvait faire des propositions très positives pour la vie quotidienne des Français en matière de sécurité par exemple, en matière d'environnement ou de transport et on n'en parlait pas ; les médias n'en parlaient pas. On avait par conséquent l'impression que rien ne se passait, il y avait une attente, nous la sentions dans les sondages."
Qu'est-ce qui a changé ?
- "Je trouve que depuis quelque temps, les thèmes qui sont ceux de P. Séguin, ses propositions concrètes passent davantage. On les lit dans les journaux, on les entend sur les radios et je pense que c'est en train de changer les choses."
Au plan politique, les regroupements de listes, entre listes Séguin et listes Tiberi, entre les deux tours seront faciles?
- "Le vote de droite est majoritaire à Paris, et cela nous le devons à J. Chirac. Il ne faut pas oublier qu'il l'a emporté de très peu sur la gauche la première fois. Mais effectivement, les électeurs de droite sont aujourd'hui très perturbés, démotivés par l'absence d'union. Donc, il faudra que cette union se fasse entre les deux tours pour que les électeurs puissent voter pour une liste qui corresponde à leurs idées. Je pense d'ailleurs qu'il y a des signes d'union qui doivent être donnés dès avant le premier tour."
Comprenez-vous qu'une femme qui dirige un parti politique préfère se consacrer à ce parti, plutôt que d'être candidate à l'élection présidentielle ? Je fait allusion à D. Voynet.
- "Je peux effectivement le comprendre, même si je le regrette parce que je pense que D. Voynet porte un certain nombre de valeurs et d'idées, qui ne sont pas les miennes - je le dis tout de suite - mais c'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup de respect."
Une sorte de solidarité féminine en politique ?
- "Vous êtes en train de me faire du machisme là !?"
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 15 février 2001)