Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, dans "Lutte ouvrière" les 18 et 25 novembre 2005, sur la réponse du Président de la République aux émeutes dans les banlieues, et sur les leçons à tirer du Congrès du parti socialiste au Mans.

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Editorial de Mme Arlette Laguiller
Lutte Ouvrière n°1946 du 18 novembre 2005
Chirac à la télévision : Grands mots et pas de remèdes
Lundi soir 14 novembre, dans sa déclaration télévisée, Chirac n'a pas lésiné sur les grands mots, invoquant les "valeurs de la République", "la justice, la fraternité, la générosité". C'est évidemment plus facile de parler de "générosité" et de condamner en paroles les discriminations, que de libérer les fonds qui seraient nécessaires à l'Éducation nationale pour donner à tous les jeunes des banlieues un véritable accès aux connaissances, à la culture. Surtout quand on préside un régime qui préfère multiplier les cadeaux aux plus riches que donner aux services publics les moyens de fonctionner correctement.
Mais il est vrai qu'en ce qui concerne les responsabilités dans la situation présente, Chirac n'a trouvé qu'à condamner la prétendue démission des parents, menaçant de sanctions ceux qui ne prendraient pas "toutes leurs responsabilités". C'est se moquer du monde, quand on applique une politique qui dans tous les domaines (logements insuffisants et insalubres, extension du travail de nuit et du week-end) rend de plus en plus difficile la vie de famille de milliers de travailleuses et de travailleurs. Et ce n'est certainement pas en proclamant, comme il l'a fait, qu'il "faut être strict dans l'application des règles du regroupement familial" qu'on permettra aux parents immigrés de mieux pouvoir s'occuper de leurs enfants!
Quant aux solutions avancées par Chirac, ce n'est que poudre aux yeux. Le "service civil volontaire" qu'il a présenté comme une innovation ne fait que regrouper pour l'essentiel des bricolages déjà existants: la "Défense, deuxième chance" qui vise surtout à créer un milieu de recrutement plus facile pour l'armée, les "cadets de la République" destinés à jouer le même rôle pour la police, et si les promesses sont tenues quelques milliers de "contrats d'accompagnement à l'emploi", c'est-à-dire de sous-contrats, qui ne représentent rien par rapport à l'étendue du chômage.
Chirac a demandé aux communes qui n'appliquent pas la législation sur le "logement social", et qui sont le plus souvent des municipalités UMP, de s'y conformer, comme s'il suffisait de le lui dire pour voir Sarkozy ou son successeur construire des HLM à Neuilly. Il a multiplié les conseils aux partis politiques, aux syndicats, aux chaînes de télévision pour qu'ils fassent quelque chose contre la discrimination. Mais à supposer que les grands partis politiques fassent une place un peu plus grande à des personnes issues de l'immigration (et on peut en douter, quand on voit quelle mauvaise volonté ils mettent à donner des responsabilités aux femmes), à supposer que les chaînes de télévision engagent un peu plus d'animateurs ou de journalistes à la peau un peu plus foncée que la moyenne, qu'est-ce que cela changerait? Il y aurait quelques alibis, quelques Azouz Begag de plus pour essayer de prouver que, même issus des quartiers défavorisés, certains peuvent s'en sortir? Mais cela, on le sait depuis longtemps. Le problème, ce n'est pas celui des exceptions, c'est celui de la grande masse des jeunes laissés sans éducation et sans choix d'avenir autre que le chômage et les petits boulots, ou la débrouille individuelle.
Reste l'annonce de la prolongation pour trois mois de "l'état d'urgence", mesure contestée par la gauche parlementaire (qui voudrait bien faire oublier que, pour avoir été quinze ans au gouvernement durant les vingt-cinq dernières années, elle porte elle aussi une énorme responsabilité dans la situation présente), et votée le 15 novembre par la droite à l'Assemblée nationale. Cette décision satisfera sans doute la fraction la plus réactionnaire de l'électorat, mais ce qui est sûr, c'est que si elle se traduira par plus de brimades policières pour l'ensemble de la jeunesse, voire pour toute la population des quartiers dits "sensibles", elle n'empêchera pas le cas échéant de nouvelles explosions de colère aveugle.
Durant ces quatorze minutes de monologue, Chirac n'a tout de même pas osé réutiliser l'expression "fracture sociale", son slogan de 1995. Mais c'est sans doute parce que cela aurait trop mis en évidence l'hypocrisie du discours du chef d'un État qui parle des pauvres quand cela l'arrange, mais qui ne donne qu'aux riches.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 29 novembre 2005)
Lutte Ouvrière n°1947 du 25 novembre 2005
L'espoir n'est pas dans l'alternance électorale
mais dans la lutte d'ensemble des travailleurs
Au sortir du congrès socialiste des 19 et 20 novembre au Mans, François Hollande, secrétaire national du PS, a lâché, content de lui, que désormais l'espoir de l'alternance est ouvert. Le PS n'a pas encore réglé qui, dans son trop-plein de candidats, le représentera. Mais, désormais, le parti est uni autour d'un texte de synthèse, toutes voiles dehors vers l'horizon électoral de 2007.
Le PS a "gauchi son langage", s'extasie une partie de la presse. Fabius, ex-Premier ministre, ex-ministre de l'Économie, s'en est pris "à l'hyper-capitalisme financier". Hollande veut un "nouveau partage de la valeur ajoutée". Et Lang s'est envolé: "Il faut faire rendre gorge au capitalisme sauvage". Rien que ça! Mais qu'y a-t-il de concret derrière les envolées?
Le smic à 1500 euros avant la fin de la législature, en 2012? Mais cela correspond exactement à ce que le smic sera de toute manière si l'inflation se maintient à son niveau actuel.
Pénaliser le recours "abusif" aux contrats précaires? Mais qui décidera de ce qui est abusif alors qu'une part majeure des embauches nouvelles, quand il y en a, est constituée de contrats précaires?
L'abrogation de la loi Fillon sur les retraites? Mais il n'a même pas été question d'abroger la loi Balladur.
Le PS promet de revenir sur le début de privatisation d'EDF mais garde le silence sur toutes les autres privatisations. Et pour cause: une grande partie en a été décidée par le gouvernement Jospin.
Il promet de "dissuader les entreprises qui licencient aux seules fins de répondre aux exigences financières". Comment? En rétablissant la loi de modernisation sociale qui, sous Jospin, n'a pas empêché un seul licenciement.
Des mots, mais rien de concret. Pas question d'interdire ni les licenciements, ni les contrats précaires. Pas question de revenir sur toutes les restrictions sur la Sécurité sociale. Pas question d'augmenter les cotisations patronales autant que l'ont été les cotisations des salariés. Pas question de rétablir les retraites dans leur intégralité. Pas question d'augmenter les salaires.
À en juger par L'Humanité au lendemain du congrès, le PC considère pourtant qu'il y a une "inflexion à gauche". Il faut maintenant construire "un contrat entre toutes les forces de gauche sur un programme de transformation sociale", commente Marie-George Buffet. Mais si c'est la synthèse du congrès du PS qui doit servir de base à ce "contrat", c'est à croire que les partis de gauche ne veulent pas donner aux électeurs du monde du travail des raisons de voter pour eux.
Autant dire que les travailleurs n'ont rien à attendre de "l'horizon 2007" pour changer leur sort. Pour cela, il n'y a pas d'autre voie que celle des luttes, des grèves et des manifestations.
Les organisations syndicales de la SNCF avaient appellé à partir du 22 novembre à une grève reconductible. Mais pourquoi l'appel aux cheminots un jour, un autre appel aux agents de la RATP le lendemain? Pourquoi avoir laissé seuls les traminots de Marseille pendant 42 jours? Pourquoi cette dispersion voulue, cet échelonnement orchestré des appels à la grève, même dans des secteurs voisins? Pourquoi ces repliements par corporations, après la journée d'ensemble du 4 octobre, à laquelle il n'y a toujours pas de suite proposée?
Ce n'est pas comme cela qu'on fera céder le gouvernement! Ce n'est pas comme cela qu'on fera peur au patronat au point de le faire reculer! Et ce n'est pas comme cela qu'on inspire confiance aux travailleurs dans l'issue de la lutte!
En tout cas, l'espoir pour les travailleurs est dans leurs propres luttes, et pas du côté de cette "alternance" que nous promettent Hollande, Fabius et les autres.
(Source http://lutte-ouvrière.org, le 29 novembre 2005)