Lettre de M. Hervé Morin, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, adressée à M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, le 19 janvier 2006, sur l'exercice par les députés du droit d'amendement.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Vous avez bien voulu me transmettre les propositions de résolution portant modification du Règlement de l'Assemblée nationale dont nous avions discuté lors de notre déjeuner de décembre dernier, et je vous en remercie.
Je vous confirme notre soutien sur l'essentiel d'entre elles, qui représenteront à nos yeux une amélioration de la qualité du travail parlementaire. C'est le cas de la réorganisation des commissions permanentes, l'accroissement de la place de leurs travaux dans l'agenda de l'Assemblée, l'amélioration de l'information de l'Assemblée en matière communautaire, la réduction du nombre et de la durée des motions de procédure, le respect du domaine de la loi, le délai de dépôt des amendements, le renforcement du pluralisme dans les procédures de contrôle et l'introduction de la procédure des commissions élargies en matière budgétaire.
A l'inverse, je vous informe de l'opposition la plus forte et la plus déterminée du groupe UDF au principe du « crédit-temps » que vous envisagez dans la discussion des amendements en séance. Il s'agit là, selon nous, d'une atteinte lourde au principe constitutionnel du droit d'amendement, qui est également un droit à la défense des amendements.
La flibuste est inhérente à la procédure parlementaire. Elle existe dans toutes les démocraties occidentales et elle doit être maintenue, notamment pour permettre à l'opposition, par cette capacité de retardement, d'alerter l'opinion publique sur des réformes qu'elle estime dangereuses pour le pays.
C'est un droit élémentaire accordé à l'ensemble des groupes parlementaires et des députés, dont on ne saurait, sous un prétexte d'accélération des débats, faire l'économie. Comme vous le savez, ce n'est pas tant l'exercice du droit d'amendement qui perturbe le fonctionnement de l'Assemblée que la multiplication des procédures d'urgence ou la mauvaise maîtrise de l'ordre du jour par le gouvernement.
Au demeurant, la problématique de l'absentéisme des parlementaires, d'une Assemblée nationale qui se transforme en théâtre d'ombres ne sera jamais réglée par toutes les améliorations de notre Règlement.
La restauration du Parlement, notamment dans ses fonctions de contrôle et de représentation, passe par un rééquilibrage de nos institutions.
La confusion et la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, sans qu'il ne soit responsable devant quiconque, dès lors que la cohabitation a été admise contrairement à l'esprit de la Constitution voulue par le Général de Gaulle et ses rédacteurs, donne à nos institutions un caractère de plus en plus affirmé de monarchie républicaine sans aucun contrôle, d'un Président de la République qui marche sur les eaux.
La Ve République voulue par le Général de Gaulle reposait sur un principe simple : la concentration des pouvoirs dans les mains du Président de la République avait pour corollaire sa responsabilité devant le peuple lors d'élections intermédiaires ou lors d'un référendum. Il refondait ainsi sa légitimité en cours de mandat. Ce principe a malheureusement été abandonné.
La dérive de nos institutions s'est encore renforcée avec le quinquennat sec qui a fait perdre toute légitimité à l'Assemblée nationale puisque l'élection des députés devient seconde et subordonnée à l'élection présidentielle.
C'est une situation que l'UDF dénonce, et qui justifie notre engagement en faveur d'une VIe République, dans laquelle le pouvoir exécutif serait réellement exercé par le Président de la République, élu par l'ensemble des Français, le Premier ministre devant alors simplement assurer la coordination de l'action gouvernementale, et le pouvoir législatif vraiment exercé par un Parlement renouvelé tant dans sa composition, à travers la mise en oeuvre d'un mode de scrutin qui permettrait à l'Assemblée nationale de représenter la totalité des courants politiques importants du pays tout en permettant de dégager une majorité d'action, que dans ses prérogatives, qu'il s'agisse du vote de la loi, de contrôle de l'action gouvernementale ou de l'organisation du débat public.
Tel est le sens des observations que je tenais à vous transmettre.Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'assurance de ma haute considération.