Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, sur les revendications qu'elle portera comme candidate à l'élection présidentielle de 2007, Paris le 9 décembre 2005.

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Circonstance : Meeting à la Mutualité le 9 décembre 2005

Texte intégral

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
Je ne vous parlerai, ce soir, ni de l'élection présidentielle, ni des élections législatives, et encore moins du deuxième tour de l'une ou des autres, bien que, si la presse a un peu parlé de nous cette semaine, c'est parce que le congrès de notre organisation, Lutte ouvrière, m'a choisie pour la représenter à la présidentielle de 2007.
Ce que j'ai à en dire pour le moment, c'est que nous serons présents dans ces campagnes électorales pour nous adresser au monde du travail et pour y défendre les intérêts vitaux de tous ceux qui n'ont que leur salaire pour vivre, ouvriers, employés, cheminots, enseignants, postiers, personnel des hôpitaux et des services publics ou qui, aujourd'hui à la retraite après une vie de travail, n'ont qu'une pension encore plus dérisoire.
Et, puisque les campagnes électorales, et plus particulièrement l'élection présidentielle, sont les seules occasions qui nous sont données de nous faire entendre de l'ensemble des classes populaires de ce pays, nous saisirons bien sûr cette occasion pour le faire. En sachant cependant que, pour pouvoir le faire, nous avons des conditions légales à remplir et beaucoup d'obstacles à franchir.
Je vous fais juste remarquer qu'à peine ma candidature a été annoncée, certains médias ont sorti de leurs poubelles leurs vieux papiers ou ceux de leurs confrères, quelques mensonges, bien des déformations, voire quelques calomnies à notre égard ou des diffamations, pour certaines desquelles leurs auteurs ont même été condamnés par la justice.
Cela ne nous étonne pas, ni ne nous décourage : nous prenons cela comme un avertissement sans frais sur ce qui nous attend pendant la campagne si celle-ci rencontre un écho.
Cela dit, d'ici les élections, les travailleurs seront confrontés à d'autres problèmes bien plus graves et exposés à d'autres coups de la part du gouvernement, un des plus réactionnaires que le pays ait connus depuis longtemps.
Rarement il n'a été aussi évident, aussi visible, que le gouvernement n'est que le conseil d'administration de la grande bourgeoisie -pour reprendre une expression que vous connaissez tous. Ce gouvernement l'assume ouvertement, et il en est fier.
Je vous ferai grâce des mesures innombrables que les gouvernements Chirac-Raffarin, puis Chirac-Villepin, ont prises en deux ans et demi d'existence, contre les travailleurs et contre les classes populaires. Comme je vous ferai grâce d'autres mesures, tout aussi innombrables, qui ont été prises pour favoriser telle ou telle catégorie de possédants ou pour les favoriser toutes.
Le gouvernement a amputé les retraites en prétextant que c'était pour les sauver. Il démolit la législation du travail en prétendant l'alléger. Et maintenant qu'il a engagé des discussions avec les organisations syndicales, en insistant sur la nécessité de sauver l'Unedic, nous pouvons être sûrs qu'il se prépare à mutiler, une fois de plus, les allocations chômage et à rayer de la liste des allocataires un nombre encore plus important de chômeurs.
Le gouvernement agit et parle comme les patrons qui, lorsqu'ils licencient, prétendent que c'est pour sauver l'entreprise et donc pour sauver des emplois.
C'est encore sous prétexte de sauver la Sécurité sociale qu'il démolit la protection des travailleurs face à la maladie. Il diminue les remboursements, il en exclut un nombre croissant de médicaments, il fait payer des actes médicaux auparavant non payants, il accroît le forfait hospitalier. Un nombre croissant de travailleurs ou de chômeurs ne peuvent plus se soigner convenablement, alors même que les cotisations des salariés ont augmenté.
Aux patrons, en revanche, on ne demande pas de « sauver la Sécurité sociale ». La cotisation patronale pour l'assurance maladie n'a non seulement pas augmenté depuis 23 ans, mais elle a baissé tandis que celles des salariés ont augmenté considérablement. Si les cotisations sociales patronales avaient suivi celles des salariés, il n'y aurait pas de trou de l'assurance maladie. Et les caisses de la Sécurité sociale, dont les recettes sont plus importantes que celles du budget de l'Etat, deviennent une sorte de self-service où les patrons puisent avec l'autorisation du gouvernement. Baisser les charges sociales des patrons est désormais un moyen, pour ainsi dire ordinaire, pour chaque gouvernement qui passe de donner un coup de pouce favorable à la trésorerie des entreprises. Les caisses de la Sécurité sociale, alimentées par les gros sous des travailleurs, sont devenu ainsi un moyen d'accroître le profit patronal.
Je répète qu'il suffirait de supprimer les dégrèvements dont bénéficient les patrons ; il suffirait de les obliger à augmenter leurs cotisations au même rythme que les salariés, pour que l'ensemble de la Sécurité sociale, vieillesse et chômage compris, redevienne largement équilibrée. On pourrait même revenir alors en arrière et annuler toutes les mesures, comme les déremboursements de médicaments, le ticket modérateur, le forfait hospitalier, l'euro à chaque consultation, qui écartent des soins ceux qui n'ont pas les moyens de cotiser à une mutuelle et dont les salaires et les retraites sont tellement bas qu'ils ne peuvent pas dépenser même quelques euros de plus.
Alors que la bourgeoisie, alors que les possédants grands et petits ne savent que faire de leur argent tant les profits sont élevés, tant les revenus du capital sont importants, l'Etat fonctionne de plus en plus ouvertement comme une immense pompe destinée à prélever sur toutes les couches populaires, avant tout sur les salariés, des sommes de plus en plus importantes drainées ensuite vers la classe riche.
Qu'il me suffise de vous donner cet exemple révoltant qui nous est fourni par l'actualité : le week-end dernier, le Téléthon, destiné à recueillir de l'argent pour faire avancer la recherche sur les maladies génétiques, s'est réjoui d'une recette record de 100 millions d'euros. A coup sûr, cela montre que ceux qui ont donné ont du coeur. Du moins parmi les petites gens.
Mais que peut-on dire de l'Etat lui-même, de ce gouvernement, de ces députés, de ces sénateurs, de ces lamentables valets des riches qui, à peine quinze jours avant, au détour d'un article de la loi de finances, ont décidé une réduction de 3,6 milliards d'euros sur les impôts des plus hauts revenus ? 0,1 milliard au Téléthon contre 3,6 milliards pour les plus riches ! Où est donc l'erreur ou, plutôt, la crapulerie ?
Ce n'est qu'un parmi les innombrables cadeaux faits même pas aux entreprises sous prétexte de sauver des emplois, mais des cadeaux donnés directement aux riches en tant qu'individus.
Mais 3,6 milliards d'euros, c'est la recette de 36 ans de Téléthon !
De combien on aurait pu faire avancer la recherche rien qu'avec ce petit cadeaux aux riches ? Combien de ces malheureux gosses, qu'on nous a montrés à la télévision, atteints de maladies aujourd'hui incurables, on aurait pu sauver avec cet argent ?
Eh bien non, cet argent ira à ceux qui en ont déjà trop, qui n'en font rien, même pas l'investir dans la production ! Et ce sont les mêmes qui profitent pour l'essentiel de ces quelque 400 niches fiscales dont le montant total dépasse les 50 milliards d'euros.
Ceux qui dominent cette société et ceux qui la dirigent sont vraiment des requins qui s'attaquent à tout ce qui bouge.
Parfois, les journalistes me demandent si, depuis le temps que je milite, je ne me sens pas fatiguée. Eh bien, je peux vous dire que rien qu'un fait comme celui-là attise ma révolte et mon envie de me battre contre cette société injuste, contre ces hommes politiques qui nous abreuvent de discours sur la démocratie, sur la république, sur l'intérêt national, sur l'égalité des chances, mais qui, pour servir les plats aux plus riches, écrasent les plus pauvres à coups de talon !
Cette année encore, les entreprises ont battu des records de bénéfices. Ces bénéfices ne servent à rien pour la société. Ils ne sont pas investis dans la production et ne créent pas d'emplois. Ils ne sont pas utilisés pour la recherche. Ils sont distribués aux actionnaires dont les plus riches deviennent encore plus riches. Ils sont dilapidés en consommations de luxe ou en placements spéculatifs. Lorsque leurs spéculations font s'envoler le prix des oeuvres d'art ou des bouteilles de grands crus, ce n'est encore que du gaspillage. Lorsqu'elles font s'envoler les prix dans l'immobilier, la hausse des loyers se répercute jusqu'aux plus infâmes taudis réservés aux travailleurs les plus mal payés.
Les entreprises elles-mêmes spéculent et placent leurs capitaux là où ils sont susceptibles de rapporter les 15 ou 20 % de plus par an, qui sont la règle dans les milieux financiers. Elles se rachètent les unes les autres ou rachètent leurs propres actions de façon à augmenter un peu plus encore la part de chacun des gros actionnaires. Elles annoncent des plans de licenciement rien que pour que les prix de leurs actions en Bourse augmentent, permettant à leurs détenteurs d'empocher une plus-value au passage.
Regardez EDF ! Elle n'a été privatisée qu'il y a trois semaines. Et voilà que la direction vient d'annoncer la suppression de 6.000 emplois ! Dans une des entreprises les plus riches du pays et d'Europe dont les affaires marchent on ne peut mieux. Et dans une période de chômage ! Mais il faut croire que cette annonce spectaculaire a été jugée utile pour tenter de doper en Bourse les actions EDF qui, paraît-il, avaient du mal à prendre de la valeur.
C'est vraiment un monde de charognards !
Et c'est pour alimenter cette course au profit, nuisible pour la société, qu'on diminue les effectifs dans les entreprises, qu'on licencie au nom de la rentabilité, qu'on fait crever les uns au travail pendant que les autres, transformés en chômeurs, n'ont qu'à crever de misère. Et ce n'est pas une image, vous le savez bien ! A peine l'hiver arrivé, combien de sans logis sont déjà morts de froid ? Ici, dans ce pays considéré comme riche, au XXIème siècle ! Un tiers des sans domicile, condamnés à errer d'asile en refuge, sont des gens qui ont pourtant un emploi mais un salaire misérable. Comment payer un logement quand on est précaire, touchant en bout de mois la moitié ou le tiers du Smic ? Comment même en trouver un quand on n'a pas de quoi payer la caution exigée ?
Et l'Etat, au lieu de chercher à diminuer le fossé, contribue à le creuser.
Qu'ils ne s'étonnent pas que cela finisse un jour par leur exploser à la figure ! Ce que, je ne le cache pas, je leur souhaite de tout coeur !
La part des salariés dans le revenu national diminue depuis bien des années. Principalement au profit de la grande bourgeoisie, des possesseurs de capitaux -mais pas seulement. L'exploitation aggravée des travailleurs que traduit la hausse spectaculaire des profits arrose toute une classe de privilégiés, qui vivent bien et qui bénéficient, au titre de telle niche fiscale ou de telle autre, de la générosité du gouvernement. Ceux-là ont de solides raisons de considérer ce gouvernement comme le leur, à applaudir comme « courageuse » la politique qui diminue la part des travailleurs car elle augment leur part, à eux.
C'est à ceux-là qu'un Sarkozy cherche à plaire. Jusqu'à son langage, son mépris des pauvres, et ce ramassis de slogans ou de gestes réactionnaires qu'il envoie tous azimuts en attendant que l'écho lui en revienne sous la forme de quelques points gagnés dans les sondages. Parfois, l'écho ne lui en revient pas de là où il l'espérait. Et je vous avoue que cela me fait bien plaisir que Sarkozy ait été obligé d'annuler son voyage en Martinique ou en Guadeloupe, après ses déclarations frisant le racisme et la xénophobie et après le vote de la meute de ses députés au Parlement, voulant obliger les enseignants à trouver « un rôle positif » aux conquêtes coloniales, faites de massacres, de commerce d'esclaves et de pillages ! Aux dernières nouvelles, à la place de son voyage aux Antilles, Sarkozy a préféré participer à la réunion d'un syndicat de policiers. C'est plus prudent et plus sa place, assurément !
Eh bien, je suis fière, et nous à LO nous sommes tous fiers de ne pas avoir appelé à voter pour Chirac en 2002, contrairement aux grands partis réformistes qui se sont littéralement couchés devant cet homme de droite. Oui, nous sommes fiers d'avoir été les seuls à rejeter Le Pen sans pour autant nous jeter dans les bras de Chirac. On voit bien aujourd'hui que voter pour Chirac, c'était voter pour les requins qui l'entourent. Entre autres, pour Sarkozy qui ne vaut guère mieux que Le Pen.
Le Pen n'a pas fini de servir d'alibi à la gauche réformiste. En présentant systématiquement comme fasciste le démagogue d'extrême droite, elle attribue par la même occasion un label « démocrate » à des hommes qui ne sont guère différents, ni par leur langage, ni par leurs intentions.
Mais le fascisme n'est pas qu'une affaire d'individu ou d'intentions. C'est bien plus encore une affaire de circonstances sociales. Il serait vain de vouloir compter toutes les crapules qui, dans le passé, se sont rêvées en chefs fascistes? Mais si ce rêve a pu devenir le cauchemar des peuples que l'on sait en Italie ou en Allemagne, c'est parce que le grand patronat de ces pays, confronté à une grave crise sociale, a fait le choix de financer les bandes fascistes recrutées parmi des boutiquiers ruinés ou des chômeurs prêts à tout pour briser la classe ouvrière.
Pour le moment, le grand patronat n'est pas confronté à une telle situation. Il n'en est pas à financer des bandes fascistes pou briser des grèves, pour incendier des bourses du travail, pour faire matraquer des militants ouvriers. Oh, ce n'est pas que le grand patronat d'aujourd'hui soit moins anti-ouvrier que ne l'était le grand patronat en Italie au début des années 20 ou en Allemagne au début des années 30 ! C'est que, pour le moment en tout cas, le contexte, la nature de la crise n'ont pas fait surgir le besoin de meutes fascistes que le grand patronat pourrait financer et lâcher contre les travailleurs. Il n'en éprouve pas la nécessité et il n'est pas prêt à en subir les inconvénients pour lui-même.
Alors, la barrière infranchissable que la gauche réformiste fait passer entre un Le Pen, homme d'extrême droite et démagogue xénophobe, et un Sarkozy, qui ne l'est pas moins, n'est qu'un artifice. Leurs démagogies respectives ciblent le même électorat d'extrême droite, sensible aux déclarations anti-immigrés et aux mouvements de menton sécuritaires.
Quant à leur politique, si l'un ou l'autre était appelé à diriger le pays, il ferait ce que le grand patronat lui dicterait. Pour ne prendre que cet exemple, l'un comme l'autre vitupèrent contre l'immigration, qu'ils rendent responsable de tous les maux de la société, du chômage au déficit de la Sécurité sociale. Mais ce n'est que démagogie destinée à séduire les inconscients et les imbéciles. Tant que le grand patronat aura besoin de travailleurs immigrés pour faire tourner les chaînes de l'industrie automobile ou pour faire marcher les chantiers de construction, la « chasse aux immigrés », les rafles, les reconduites aux frontières, seront surtout utilisées pour instaurer un climat de crainte parmi les travailleurs immigrés, pour tenter de diviser les travailleurs les moins conscients, tout en faisant plaisir aux petits bourgeois racistes et xénophobes.
Alors, je ne sais pas qui des deux est le pire, l'original ou celui qui le copie, mais la principale différence, c'est que, si Le Pen ne semble pas près de s'installer à la présidence de la République, Sarkozy est déjà dans l'antichambre.
La droite au gouvernement mène une politique tellement clairement contre les classes populaires que les dirigeants de la gauche croient qu'il leur suffira d'attendre et que le mécontentement que la politique de la droite suscite leur donnera une chance de l'emporter aux élections de 2007.
Ce en quoi ils se trompent peut-être. Car le dégoût de ce petit jeu politique entre une droite vraiment anti-ouvrière et une gauche qui l'est hypocritement finit par dégoûter un nombre croissant d'électeurs des classes populaires. Les uns se détournent seulement des élections. Mais combien, parmi les moins conscients, penseront en 2007 qu'en votant Le Pen, ils donneront un bon coup de pied dans la fourmilière ? Ce serait un calcul irresponsable mais la responsabilité en incombe aux partis de gauche qui ont privé les travailleurs jusqu'à l'idée qu'ils doivent se défendre eux-mêmes.
Mais quelle raison positive auraient donc les travailleurs de voter pour le Parti socialiste ? Qu'est-ce qui, dans ses promesses, pourrait leur donner l'espoir que leur vie pourrait changer avec le changement électoral ?
Contrairement à ce qu'on nous reproche bien souvent, nous ne disons pas que les partis de droite et les partis de gauche sont identiques. Ce que nous disons, c'est que les partis de droite comme les partis de gauche sont des partis bourgeois car ni les uns ni les autres ne veulent toucher à l'ordre social existant mais, au contraire, le gérer tel qu'il est, avec son économie de marché aveugle, sa classe capitaliste rapace, ses injustices sociales criantes.
Lorsqu'ils étaient au pouvoir, les partis de gauche ont cependant pris quelques mesures progressistes. Mitterrand a aboli la peine de mort, ce qui est certainement un pas en avant du point de vue tout simplement humain. C'est encore un gouvernement socialiste qui a décidé le PACS. Mais l'une comme l'autre de ces mesures avaient l'avantage pour le PS de ne pas toucher aux intérêts du patronat et ne pouvaient en rien changer la situation des salariés.
Les rares fois où les socialistes ont pris des mesures un peu favorables aux travailleurs, comme la loi des 35 heures, ils ont craint la réaction du patronat. Alors, pour que celui-ci n'ait pas le sentiment que ses intérêts étaient lésés, ils ont assorti la réduction de l'horaire hebdomadaire de travail de tellement de concessions au patronat, comme la flexibilité des horaires, les exonérations de charges sur les bas salaires, le Smic à plusieurs niveaux, que, pour bien des travailleurs, ce qu'ils ont perdu était supérieur à ce qu'ils ont gagné.
Aujourd'hui dans l'opposition, les socialistes se gardent pourtant même seulement de promettre aux travailleurs, en cas de retour au pouvoir, quoi que ce soit susceptible de léser les intérêts du grand patronat. Le grand patronat se sent aujourd'hui en position de force. Il sait qu'il peut se servir de la menace du chômage contre les travailleurs. Il ne tolère pas que les hommes politiques susceptibles de gouverner fassent des concessions aux travailleurs, et surtout pas des concessions sans contrepartie.
Du coup, les partis dits réformistes sont privés de toute possibilité de « réforme » en faveur des travailleurs. Il est significatif d'ailleurs que, de nos jours, quand on parle de « réforme », ce n'est jamais pour donner un tant soit peu aux travailleurs, mais toujours pour leur prendre quelque chose. Au point que le mot même de « réforme » fait aujourd'hui plus partie du vocabulaire de la droite que de celui de la gauche qui se veut réformiste.
Il ne reste pas grand-chose à la gauche pour se différencier de la droite. Il ne lui reste que l'espoir que, devant les dégâts causés par le gouvernement de droite, les travailleurs se disent qu'avec la gauche, c'est tout de même « moins pire », en dispensant la gauche de prendre le moindre engagement.
Une presse complaisante et aussi la direction du PCF ont présenté la synthèse sortie du récent congrès du Mans du PS comme le signe d'une « inflexion à gauche » de ce parti. L'ironie du sort est que cette inflexion à gauche est attribuée à Fabius, cet ancien Premier ministre qui passe pour un des hommes du PS les plus liés à la grande bourgeoisie. Mais, dans les 57 pages de cette synthèse socialiste, il n'y a aucune promesse concrète qui puisse toucher les travailleurs. A côté de ce texte, feu le Programme commun, cosigné à l'époque par Mitterrand, passerait aujourd'hui pour une proclamation ultra-gauche ! On sait pourtant ce qu'il en est advenu.
Même quand le PS promet d'abroger certaines dispositions prises par le gouvernement de droite, comme la loi Fillon sur les retraites par exemple, c'est pour promettre « de renégocier avec les partenaires sociaux », c'est-à-dire essentiellement avec le patronat qui use et abuse de sa dictature économique. Pour le reste, rien ! Rien de concret contre les licenciements, contre la précarité. Rien de concret pour les salaires -à part la dérisoire promesse d'augmenter le Smic au rythme où il augmenterait légalement de toute façon. Rien pour annuler les mesures de la droite, même les plus défavorables aux travailleurs.
Lors de la récente campagne référendaire pour ou contre le projet de Constitution européenne, aussi bien la direction du PCF qu'à son échelle, la LCR, et bien d'autres nous ont présenté le vote « non » comme un geste important, décisif, pour les travailleurs.
Pour notre part, nous avons appelé à voter « non » tout simplement pour voter contre un projet de Constitution européenne anti-démocratique que les travailleurs n'avaient aucune raison de cautionner. Mais nous nous sommes refusés à présenter le référendum comme une bataille décisive car celles qui changent réellement la vie des travailleurs ne se livrent pas en cette occasion ! Et si nous nous sommes réjouis de la victoire du « non », nous n'avons jamais parlé de « dynamique unitaire » susceptible de changer le rapport des forces en faveur des travailleurs. Pas plus que nous n'avons participé aux comités divers et multiples mis en place par les militants du PCF, de la LCR, en compagnie de ceux de diverses associations, pour capter je ne sais quel mouvement venant prétendument des profondeurs !
On nous a traités de sectaires. Et bien des partisans du « non » ou des journalistes qui leur sont favorables ont prétendu que notre intervention dans la campagne était timide, voire timorée. Ni plus ni moins que celle des autres, mais il est vrai qu'elle n'avait pas lieu sur les tribunes des meetings unitaires, aux côtés de personnalités du PCF, du PS et des Verts, partisans du « non », mais auprès des travailleurs, dans les entreprises (et les radios et les télés nous ont rarement tendu le micro). Et il est vrai aussi que nous avons toujours refusé de mentir aux travailleurs et de leur présenter, comme des amis des travailleurs, des personnalités politiques simplement parce qu'elles ont pris fait et cause pour le vote « non ». Nous n'avons pas cessé de répéter que la victoire du « non » n'empêcherait pas un seul patron de licencier, n'obligerait pas un seul patron à accorder des augmentations de salaire, ne remplacerait pas un seul emploi précaire par un emploi correctement payé.
Même sur le terrain de l'Europe, sur lequel était organisé le référendum, la victoire du « non » n'a pas changé grand-chose. Si l'Europe des patrons et des marchands, l'Union européenne, connaît crise sur crise, c'est infiniment plus en raison des divergences d'intérêts entre les différentes bourgeoisies d'Europe, celles en particulier qui opposent les principales puissances impérialistes, britannique, française et allemande, qu'en raison d'un référendum raté du point de vue de ses initiateurs.
Pendant la campagne référendaire, la direction du PS s'est coupée en deux. Et l'électorat socialiste a désavoué la majorité de cette direction qui a appelé à voter « oui ».
Oh oui, cela a fait plaisir que la direction socialiste prenne une claque de la part de sa propre base électorale qui a avalé bien d'autres couleuvres, mais qui, cette fois, ne voulait pas voter pour un projet élaboré par Giscard et patronné par Chirac ! Mais le contentement s'arrête là. On a vu avec quelle facilité au congrès du Mans tout ce beau monde s'est réconcilié et le clivage entre les partisans du « oui » et les partisans du « non » s'est résorbé en une nuit et en un seul texte dit de « synthèse », c'est-à-dire de compromis !
Alors, ce n'était certainement pas à des révolutionnaires de présenter ce petit clivage politicien comme une rupture majeure dans la vie politique française.
Le PCF a prolongé un peu la dite « dynamique unitaire » en continuant à participer à quelques « comités du non » et en organisant des forums, et que sais-je encore. Nous ne savons pas si ces forums et ces comités serviront au PCF à préparer simplement la campagne de Marie-George Buffet, sa propre candidate, ou s'ils serviront de justification « démocratique » au ralliement du PCF à une candidature socialiste dès le premier tour.
Mais ce qui est sûr, c'est que le choix du PCF pour la présidentielle sera fonction de sa stratégie globale, impliquant également les législatives, qui vise l'alliance avec le PS car, vu la loi électorale, seul le PS peut laisser au PCF quelques circonscriptions où celui-ci peut avoir des élus. Ce qui signifie sa subordination au PS.
Car tel est le résultat inéluctable de dizaines d'années de politique d'abandon du terrain de la lutte de classe par le PCF. Ce parti, qui avait la présence que l'on sait dans la classe ouvrière, a usé tout son crédit auprès des travailleurs à les détourner de la lutte de classe et à les convaincre depuis trente ans que la seule perspective pour les travailleurs, le seul débouché politique possible, était un gouvernement socialiste avec la participation de ministres communistes. Mais, malgré la présence de ses ministres au gouvernement pendant trois ans sous Mitterrand, pendant cinq ans avec Jospin, le PCF, jamais en situation de peser sur la politique menée, n'a fait que la cautionner devant les travailleurs, y compris dans ses aspects les plus anti-ouvriers.
C'est à cause de cette politique que le PCF a perdu une grande partie de ses militants et une grande partie de son influence dans la classe ouvrière. Et, aujourd'hui, sa direction en est réduite à n'avoir aucune autre perspective à proposer que de se rallier, à nouveau, tôt ou tard, au PS.
Nous ne savons pas non plus dans quelle impasse se dissoudra ce reliquat de la « dynamique unitaire » du « non de gauche » qui finira par se réduire à quelques représentants d'associations qui ne représentent rien pour les travailleurs, à quelques militants rétifs à toute organisation, à qui ces « comités du non » ont donné une raison d'exister, à des altermondialistes à la recherche d'une représentation politique, à quelques Verts qui s'intéressent plus au tri sélectif des poubelles qu'aux salaires et à nos camarades de la LCR. Du moins, jusqu'à ce que cette dernière annonce son propre candidat, si tel finit par être son choix.
Tout cela aboutira-t-il à la candidature plus ou moins unitaire d'une femme ou d'un homme, qui pourra être le plus petit dénominateur commun des diverses associations et des différents groupes gauchistes ? Ou, incapables de s'entendre, ces groupes et ces associations vont-ils se disperser en pleurant sur la misère du temps et sur l'incapacité de la gauche de la gauche à s'unir ?
Eh bien, pour notre part, plutôt que de se cacher derrière une candidature qui serait d'autant plus unitaire qu'elle serait insipide, nous préférons, dans les élections à venir, défendre clairement les intérêts du monde du travail, et rien que cela !
Mais, comme je l'ai dit en commençant, d'ici les élections, il se passera du temps. Et j'espère, je souhaite que, d'ici là, les travailleurs réagissent aux coups qui leur sont portés.
La stratégie des syndicats ne vise absolument pas une lutte d'ensemble sans laquelle la classe ouvrière ne peut pas espérer faire peur au patronat et au gouvernement au point de les faire reculer sur les exigences vitales du monde du travail.
Nous ne reprochons certes pas aux confédérations syndicales de ne pas unifier des luttes qui n'existent pas ou qui, même lorsqu'elles existent et qu'elles sont déterminées, comme celle des travailleurs de la SNCM puis celle des traminots de Marseille, restent isolées. Ce que nous leur reprochons, c'est de ne pas avoir une stratégie claire, ouvertement annoncée, qui vise à redonner aux travailleurs confiance dans la lutte.
La journée nationale d'action du 4 octobre a été bien suivie. Comme l'avait été celle du 10 mars. Mais des journées comme cela, si elles restent sans suite pendant des mois, ne contribuent pas à la mobilisation nécessaire. Chaque journée d'action devrait avoir une suite, annoncée par avance et à brève échéance. Il serait naïf de croire qu'un simple appel à la grève générale illimitée puisse réussir. Mais il faut que les travailleurs sachent que c'est cela, l'objectif, c'est cela qui se prépare à travers chaque journée d'action. Il faudrait un plan de lutte, clairement annoncé, pour mobiliser, de journée en journée, de plus en plus de travailleurs. Il faut que les plus déterminés aient l'occasion et la possibilité d'entraîner ceux qui hésitent encore.
Les confédérations syndicales elles-mêmes n'ont pas la capacité de susciter une action d'ensemble de tous les travailleurs, mais c'est cette préparation qui est nécessaire et qui serait à leur portée si elles voulaient réellement s'affronter au patronat.
Mais elles ne le veulent pas car elles sont trop liées à la société actuelle. Les confédérations syndicales agissent dans le sens inverse. Au cours du mois de novembre qui vient de s'écouler, plusieurs appels à la grève se sont succédé : à la SNCF, à la RATP, chez les professeurs des collèges, pour ne mentionner que ceux-là. Mais pourquoi ces appels corporation par corporation ? Pourquoi mettre en avant des revendications corporatistes dans lesquelles les travailleurs des autres corporations ne peuvent pas se retrouver ?
Certains de ces appels ont été suivis. C'est le cas au moins pour la grève à la SNCF. D'autres l'ont moins été. Mais le fond du problème n'est même pas que des grèves limitées à une corporation et limitées dans le temps n'ont aucune chance de faire peur au patronat et au gouvernement au point de les faire reculer. Ce qui est plus grave, c'est qu'au lieu d'inspirer confiance aux travailleurs, elles les découragent. Bien sûr, les travailleurs d'un secteur peuvent être prêts à se mettre en grève alors que les autres ne le sont pas ou pas encore. Mais une stratégie corporatiste qui transforme dès le départ les autres travailleurs en spectateurs passifs risque de creuser le fossé entre travailleurs. Au lieu d'être un exemple à suivre pour les autres, ceux qui luttent risquent de reprendre avec le sentiment d'avoir été abandonnés.
L'isolement où se sont retrouvées les luttes les plus déterminées de la période, celle des travailleurs de la SNCM ou celle des transports publics de Marseille, n'est pas le fait des seules organisations syndicales. Mais ce qui est certain, c'est que celles-ci, même la CGT, ne font rien pour les surmonter, ne font rien pour que, de grève en grève, un nombre chaque fois plus important de travailleurs comprennent que le seul avenir, c'est une lutte d'ensemble autour des revendications vitales, l'augmentation générale des salaires, contre les suppressions d'emplois et contre la précarisation.
C'est cette idée en tout cas que nous avons à défendre autour de nous, parmi les travailleurs et dans nos organisations syndicales. Mais nous savons aussi que la plupart des grandes luttes du passé, celles en tout cas qui ont fait réellement trembler le grand patronat et le gouvernement, celles qui les ont obligés à reculer, sont parties de la classe ouvrière elle-même et que ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont obligé les syndicats à les suivre.
Il n'est, bien sûr, pas en notre pouvoir de provoquer cette explosion sociale. Mais il est de notre devoir de contribuer à populariser les objectifs qui répondent aux intérêts vitaux de la classe ouvrière pour stopper l'offensive permanente du patronat et de son gouvernement dont les effets sont dévastateurs pour le monde du travail et catastrophiques pour la société.
Cela fait bien des années que nous avons commencé à développer, sous le nom de « plan d'urgence », un ensemble de revendications qui correspondent à ces objectifs. Ces revendications n'ont rien perdu de leur actualité. Bien au contraire.
Il faut interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits et imposer le maintien de tous les emplois en prenant sur ces profits.
Il faut que les salariés, les consommateurs et la population aient accès à toute la comptabilité des grandes entreprises. Il faut éclairer les circuits de l'argent, voir d'où il vient, par où il passe, où il va et à qui il va. Il faut connaître et rendre publics, à l'avance, les projets des grandes sociétés. La gestion capitaliste des entreprises, menée dans le secret des conseils d'administration en fonction de la seule rentabilité financière, montre jour après jour à quel point elle est nuisible pour la collectivité.
Il faut une augmentation générale d'au moins 300 euros du Smic et de tous les bas salaires.
Il faut mettre fin aux contrats précaires et à temps partiel imposé. Il faut des salaires en aucun cas inférieurs au Smic ainsi augmenté, quel qu'en soit le prétexte invoqué : âge, stagiaire ?
Il faut imposer la construction par l'Etat, et non par les municipalités, d'habitats sociaux dans toutes les villes en réquisitionnant les terrains nécessaires.
Il faut embaucher des enseignants en nombre suffisant pour que, dans les quartiers populaires, surtout dans les plus défavorisés, tous les enfants, et en particulier ceux issus de l'immigration et qui maîtrisent mal le français, trouvent des classes maternelles en nombre suffisant pour que leurs effectifs permettent aux enseignants de transmettre à tous les connaissances que leurs familles sont dans l'incapacité de leur transmettre.
Il faut en conséquence contraindre l'Etat à prendre sur la classe riche, sur ses revenus et, au besoin, sur sa fortune de quoi faire face à ces obligations. En commençant d'abord par arrêter toute subvention ouverte ou déguisée aux entreprises et tout cadeau aux riches particuliers.
Pour imposer tout cela, il faut une lutte déterminée et radicale du monde du travail. Si dur que cela paraisse aujourd'hui, c'est moins utopique qu'espérer que les élections de 2007, quels qu'en soient les résultats, changent en quoi que ce soit le sort des travailleurs.
Voilà, amis et camarades, les revendications que nous aurons à populariser pendant la période qui vient car elles correspondent aux intérêts vitaux du monde du travail. Nous le ferons autour de nous, dans nos entreprises comme en dehors, avec nos moyens qui sont certes limités mais nous le ferons avec détermination. Nous le ferons pendant la campagne électorale avec les moyens plus larges dont nous disposerons provisoirement.
Et c'est à travers cette activité comme par nos activités habituelles de recrutement et d'éducation des travailleurs, mais aussi d'éducation politique des jeunes intellectuels, que nous continuerons à oeuvrer pour que rennaisse dans ce pays un véritable parti communiste qui défende les intérêts politiques du monde du travail et qu'à côté des partis qui se disent encore socialiste et communiste mais qui ne servent plus que les intérêts de la bourgeoisie existe un parti qui, lui, oeuvre pour l'émancipation du monde du travail en mettant fin à l'ordre social basé sur l'exploitation.
Alors, camarades, bonsoir, bon courage et à bientôt !
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 15 décembre 2005