Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, notamment sur la politique de défense et les avancées de la défense européenne, à Paris le 23 janvier 2006.

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Circonstance : Clôture des 13éme rencontres parlementaires "Paix et défense", à l'Assemblée nationale le 23 janvier 2006

Texte intégral


Je me réjouis de constater que les Rencontres parlementaires « Paix et Défense » deviennent, au fil des années, une référence en matière de réflexion sur les questions de défense. Elles permettent de laisser de côté tout pessimisme et toute idée de déclin pour au contraire envisager l'avenir avec optimisme.
Le sujet que vous avez choisi de traiter aujourd'hui vient parfaitement clore une journée placée sous le signe de l'Europe de la défense. Ainsi, j'étais il y a quelques heures à Vicenza en Italie, pour donner le « coup d'envoi » officiel de la Force de Gendarmerie européenne.
Cette réalisation de la France et de quatre de ses partenaires, dans un délai exceptionnellement court, démontre bien qu'avec détermination et ambition, il est possible d'aboutir à des résultats concrets très rapidement dans le domaine de la construction européenne.
Le contexte sécuritaire actuel appelle des réponses fortes, rapides, bien souvent militaires. De plus, les efforts de ces dernières années dans le domaine de la PESD ouvrent aujourd'hui à l'Union de nouveaux horizons. Enfin, les progrès concrets par la défense européenne réfutent l'idée d'une stagnation du projet européen.
Les menaces qui pèsent aujourd'hui sur notre sécurité appellent plus que jamais des réponses fortes
Il y a vingt ans, la défense était avant tout une affaire nationale. Elle recouvrait essentiellement la protection de notre territoire contre les risques éventuels d'invasion. Aujourd'hui, les menaces sont différentes : elles sont diffuses et transfrontalières. Dans ce contexte dangereux, la première responsabilité d'un Etat consiste à assurer la sécurité de sa population, à la fois sur son territoire, mais aussi, le cas échéant, à l'extérieur du territoire.
Dès lors, nous devons disposer d'un outil de défense efficace. Tel est le sens du combat que nous menons depuis plus de trois ans pour redresser la défense française et garantir la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. Cet effort permet aujourd'hui aux forces françaises de jouer un rôle majeur pour la paix et la sécurité et de voir ce rôle reconnu, y compris loin de nos frontières. Nous sommes ainsi un des rares pays capables de mener, en tant que nation cadre, des opérations d'une certaine envergure. En outre, nous sommes d'autant plus respectés que les efforts financiers consentis ont été significatifs et se sont inscrits dans la durée. C'est la raison pour laquelle il est essentiel que cette pérennité soit garantie au-delà de l'actuelle loi de programmation militaire. Il en va de notre responsabilité à tous, militaires et politiques.
Nos militaires sont engagés dans des opérations destinées à circonscrire des foyers terroristes, restaurer l'état de droit dans des pays en crise et contrôler les trafics et les flux d'armement. De plus, la prolifération des armes de destruction massive est plus que jamais une source de préoccupation majeure, qu'il s'agisse des armes nucléaires, biologiques ou chimiques.
La tentation de certains Etats de se doter de la puissance nucléaire, en contravention avec les traités, constitue une menace réelle pour la paix et la sécurité internationale. A cet égard, nous ne pouvons que désapprouver les décisions unilatérales prises récemment par l'Iran, en violation de l'accord de Paris de novembre 2004. L'Iran est une grande nation qui a toujours eu une influence, mais aussi un rôle culturel et économique majeurs. Elle a toute sa place dans le concert international. A ce dessein, elle doit éviter toute action susceptible d'aggraver la tension, et se comporter en acteur responsable de la communauté internationale.
Dans ce contexte général où le risque d'utilisation des armes de destruction massive est patent, le Président de la République a rappelé jeudi dernier que la dissuasion nucléaire française demeure un élément incontournable de notre sécurité, comme de celle du continent européen. Il serait irresponsable, au moment où les risques se multiplient sur l'ensemble de la planète et où certains ont des comportements qui peuvent menacer la paix du monde, de renoncer à la dissuasion nucléaire ou de la rendre obsolète, en ne mettant pas les crédits nécessaires à la remise à niveau permanente qu'elle exige.
L'effort de la France pour sa défense la place aujourd'hui en tête des pays susceptibles d'assumer un rôle important dans la gestion des crises. Mais notre effort ne peut être solitaire. La réponse à une crise n'est jamais aussi forte et efficace que lorsqu'elle est collective. Les pays les plus proches doivent donc conforter leurs moyens de travailler ensemble. Tel est le sens de l'engagement sans relâche de la France pour la construction de l'Europe de la défense.
Cette année verra l'aboutissement de nombreux projets, qui donneront à la défense européenne les moyens de relever ces défis.
Sur le plan opérationnel, les groupements tactiques 1 500 sont désormais une réalité. Là aussi, je rappelle que lorsque l'on veut agir, il est possible de le faire rapidement. En effet, cette décision a moins de trois ans et aujourd'hui, les groupements sont effectivement opérationnels. Ensuite, la cellule de planification et de conduite des opérations sera activée cette année. De plus, l'état-major de la Force de Gendarmerie Européenne a été officiellement inauguré aujourd'hui. Je pense également que d'ici à la fin de l'année 2006, nous aurons engagé au moins une opération de la Force de Gendarmerie Européenne. Je ne doute pas que ces outils sauront prochainement démontrer leur efficacité, si l'Europe venait à être confrontée à une crise et appelée à intervenir en vue de sa résolution.
Sur le plan capacitaire, avec la signature du contrat pour les frégates multimissions et le lancement de projets comme le drone de combat NEURON, les Européens montrent leur détermination à développer de grands programmes d'armement en coopération. L'Agence européenne de défense, dont le lancement a été réussi en à peine un an, porte désormais des projets concrets, dans les domaines de la recherche et du maintien de la base industrielle et technologique de défense en Europe. Sur tous ces sujets, l'échec du référendum n'a rien entravé en matière de défense : nous avons continué d'avancer.
La formation de nos personnels commence à être assurée en commun, par exemple au sein du Collège européen de sécurité et de défense (CESD) ou de l'école franco-belge de pilotes de chasse. Nous poursuivons nos efforts pour favoriser la généralisation de cette démarche, notamment dans le domaine de la marine.
Forts de ces réalisations concrètes, les Européens doivent progressivement élargir leur champ d'action. Ainsi, trois nouvelles directions apparaissent intéressantes. Tout d'abord, en cas de grande catastrophe humanitaire, l'Europe doit se doter de structures civilo-militaires et de procédures propres afin d'intervenir sans délai. Aujourd'hui, les militaires sont les seuls capables d'intervenir sur une catastrophe naturelle, dans la mesure où ils disposent du savoir-faire et des moyens nécessaires pour projeter sur place une force d'intervention. A la lumière des rapports effectués sur la comparaison des interventions opérées dans différentes catastrophes naturelles lors des deux dernières années, il est évident que les militaires ont un rôle très spécifique à jouer au sein de l'Union européenne.
Ensuite, de nouveaux partenariats peuvent être également établis, notamment en Afrique. L'Afrique est confrontée à une série de crises qui vont se développer et s'entretenir les unes les autres. Ainsi, avec la nouvelle montée des rivalités interethniques et la lutte pour l'appropriation de richesses, nous assistons à une déstabilisation de l'Afrique. De plus, les différents belligérants utilisent de manière négative la communauté internationale. C'est pourquoi je pense qu'il faut aider l'Union Africaine à créer et à renforcer les capacités africaines de gestion et de prévention des crises. La France s'est ainsi engagée depuis quelques années à travers le concept RECAMP dans la formation, l'entraînement et l'équipement de forces africaines pour leur permettre de réagir face à des crises militaires ou humanitaires. Il est nécessaire que l'ensemble de l'Europe s'associe à cette démarche le plus rapidement possible.
Enfin, il convient d'évoquer la création d'un nouveau dialogue stratégique en direction du CCEAG, sur le modèle du 5+5 que nous menons en Méditerranée occidentale. Nous pouvons nous inspirer de ce modèle pour agir auprès des pays du Golfe, région particulièrement instable. De fait, un certain nombre de ces pays ne souhaitent pas s'appuyer uniquement sur un seul partenaire majeur. Ainsi, nous disposons dans ce cadre d'une nouvelle manière de développer l'action et l'influence de l'Europe dans le monde.
Plus d'initiatives concrètes pour la défense européenne offrent une plus grande visibilité pour l'Europe
La défense permet de relancer le projet européen. Des projets concrets et visibles constituent un moyen de conforter la crédibilité de la défense européenne, mais aussi de l'Europe entière auprès de nos partenaires. Il s'agit de rassurer nos partenaires sur la capacité de l'Europe à avancer, mais aussi d'associer davantage nos concitoyens à notre action.
Je suis persuadée qu'un des problèmes majeurs rencontrés au moment du référendum était dû au fait que les gens ne comprennent pas et ne voient pas ce que l'Europe leur apporte. Or en matière de défense, les actions sont visibles. Ainsi, un récent sondage a montré que la défense européenne était acceptée et estimée indispensable par 83 % des Européens. Plus nous proposons de projets concrets, plus nous les mettons en oeuvre et plus nous rendons cette finalité de l'Europe visible à nos concitoyens. Ainsi, l'avenir de l'Europe repose sur la mise en place de tels projets.
Il faut réaffirmer la place des citoyens dans la politique européenne. Il faut combattre l'opacité bureaucratique, la lenteur, l'éloignement et la confusion. Ainsi, à trop construire l'Europe sans les Européens, on leur a donné le sentiment qu'on la construisait contre eux. A travers la mise en place de projets concrets, dont la finalité est claire aux yeux de tous, nous redonnerons l'envie d'Europe. Telle est ma conviction de ministre de la Défense, mais également de responsable politique.
J'ajoute que l'exemple de la défense peut être imité dans bien d'autres domaines.
Je ne doute pas que l'impulsion que nous donnons aujourd'hui à la PESD contribuera à initier le redémarrage du projet européen. Nous devons saisir sans tarder cette opportunité de construire l'Europe dont nos peuples ont besoin, l'Europe que nous appelons de nos voeux, oeuvrant au développement, à la justice, à la stabilité et à la paix dans le monde.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 2 février 2006