Conférence de presse de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le bilan économique du pays avec une présentation des "indicateurs de progrès", et sur les choix de croissance économique et de compétitivité, Paris le 17 janvier 2006.

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Circonstance : Voeux à la presse à Paris le 17 janvier 2006

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
A l'occasion du nouvel an, cette réception à Bercy est une tradition.
Pour moi, c'est une première et c'est avec beaucoup de plaisir que je vous adresse à toutes et à tous mes meilleurs voeux pour la nouvelle année 2006. Jean-françois Copé, Christine Lagarde et François Loos s'associent à moi pour vous souhaiter avant tout une excellente année sur le plan personnel ainsi qu'à vos proches.
Bien sûr, nous vous souhaitons aussi une bonne année professionnelle, pour le parcours individuel de chacun évidemment, mais également pour les entreprises de presse, de radio et télévision que vous représentez et que vous animez tout au long de l'année.
Je le fais avec d'autant plus de sincérité que j'ai toujours considéré -ceux parmi vous qui me connaissent le savent depuis longtemps- votre rôle comme absolument essentiel dans une économie moderne.
C'est par vous que les Français apprennent jour après jour l'actualité économique et sociale en changement constant. C'est grâce à vos analyses qu'ils prennent un peu plus conscience chaque jour que notre pays est immergé dans une économie mondiale en transformation permanente. C'est vous, vos plumes, vos images et vos commentaires qui expliquez et mettez en perspective la politique économique que je m'efforce de mettre en oeuvre au nom du gouvernement.
Permettez-moi de profiter de cette occasion pour vous remercier. Car l'ensemble des journalistes, éditorialistes et commentateurs de la presse économique et financière dans notre pays mène à bien une mission d'information parfois difficile dans un pays qui n'a pas une grande tradition de débat économique ni de pédagogie sur les grandes mutations économiques.
C'est bien pourquoi je considère que votre rôle est essentiel pour le pays. La part sans doute la plus importante de ma mission, celle qui me tient le plus à c?ur, c'est d'expliquer ce que je tente de faire, c'est d'essayer de faire partager mon idée, ma vision de ce qu'est qu'une économie moderne et combien la France a d'atouts pour y préserver et même y accroître son rang.
Tout cela, je ne peux le faire sans vous, sans la fidélité de vos comptes-rendus qui y participent pleinement.
Tout comme d'ailleurs votre sens critique et votre indépendance sans lesquels il n'y aurait pas de débat sur la politique économique du gouvernement et donc pas la possibilité pour chacun de se faire sa propre opinion.
Pour moi, agir et rendre compte sont les fondements de toute politique publique : c'est notamment l'objet de nos conférences de presse trimestrielles que je tiendrai évidemment en 2006.
Alors merci pour tout ce que vous avez fait en 2005 et je suis sûr que vous me pardonnerez de profiter ces voeux pour commencer l'année par quelques mots sur le fond.
Tableau de bord des indicateurs de progrès
Pour tenir mes engagements, je voudrais commencer par vous présenter, avec l'équipe de Bercy au complet, la nouvelle version du tableau de bord des indicateurs de progrès de l'économie française.
Conjoncture
- D'abord, cette nouvelle version du tableau de bord retrace bien entendu le rebond marqué de la croissance au 3 ème trimestre 2005 (dernier chiffre disponible). Les chiffres détaillés de ce 3 ème trimestre montrent en effet que tous les moteurs sont allumés :
- Consommation : à +0,7 %, c'est une « valeur sûre » pour notre économie. Et cette consommation ne tombe pas du ciel : elle est la conséquence de la hausse des gains de pouvoir d'achat : +0,6 % au 3 ème trimestre, +1,9 % attendus sur l'année 2005 et probablement plus de 2 % cette année selon l'INSEE. C'est la conséquence d'une inflation toujours contenue ? grâce notamment à l'absence d'effets de second tour de la hausse du pétrole : vous noterez en particulier que le chariot-type n'a pas augmenté depuis que je suis arrivé à Bercy, il a même un peu baissé (moins 1?) ; je suis par ailleurs confiant pour 2006, avec l'entrée en vigueur de la réforme de la loi Galland ;
- Investissement : +1,8 % ; c'est une double bonne nouvelle : c'est un stimulus aujourd'hui pour notre économie, c'est un appareil de production performant pour demain.
- Exportations : +3,0 %, d'un trimestre sur l'autre, c'est colossal ! Je laisserai Christine Lagarde commenter plus avant nos résultats commerciaux, mais je constate pour ma part que la reprise de nos exportations depuis le début 2005 est très significative et relativise évidemment la dégradation du solde dont on sait d'ailleurs qu'elle est en partie liée à la flambée du prix du pétrole.
- C'est bien parce qu'elle se fonde sur la base la plus large possible que la reprise de notre croissance est solide. La 1 ère conséquence de cette solidité, c'est bien sûr la baisse régulière du chômage depuis maintenant 8 mois : 160 000 demandeurs d'emplois en moins, un taux de chômage à 9,6 % après avoir culminé à 10,2 %.
- La solidité de la reprise devrait être confirmée par les chiffres du 4 ème trimestre attendus début février. Selon les dernières informations dont je dispose (production industrielle de novembre à +2,6 %, consommation de novembre à +1,1 % notamment), je peux vous dire aujourd'hui que la croissance du 4 ème trimestre 2005 devrait avoir été de l'ordre de +0,5 % ou +0,6 %. La première conclusion que j'en tire c'est que la croissance 2005 se sera bel et bien située au c?ur de la fourchette 1,5 %-2 % que je vous annonçais au printemps dernier.
- Mais tournons-nous maintenant vers l'avenir. Les perspectives de croissance pour le 1 er semestre 2006 sont bonnes :
- notre environnement international est favorable : l'Allemagne se redresse (prévision 2006 à 2 %), prévision des principaux instituts de conjoncture européens d'une croissance robuste de l'ensemble de la zone euro au 1 er semestre : +0,4 % au 1 er trimestre, +0,5 % au 2 ème trimestre. Or, comme vous le savez, la France a depuis longtemps l'habitude de faire mieux que la zone euro : c'est un bon signe pour notre 1 er semestre !
- l'environnement financier est également très favorable. Malgré la hausse récente des taux d'intérêt, la dernière communication de la BCE confirme que la politique monétaire devrait rester accommodante ; le taux de change s'est maintenant stabilisé depuis plusieurs mois autour de 1 euro = 1,20$ ;
- le prix du pétrole s'est aussi stabilisé, à un niveau certes élevé ;
- les enquêtes de conjoncture auprès des chefs d'entreprises sont favorablement orientées, que ce soit dans l'industrie, les services ou la construction.
Par conséquent, je suis optimiste sur l'évolution de notre économie pour les trimestres à venir : je vous confirme la fourchette de croissance sous-jacente au Budget 2006 de 2 %-2,5 %, pronostic qui est maintenant assez largement partagé par les économistes de la place : je note en effet que la plupart de ceux qui critiquaient cette fourchette il y a 3 mois se sont ralliés à elle aujourd'hui (les 2/3 des prévisionnistes sont dans la fourchette) !
Finances publiques 2005
La vigueur de notre économie au 2 nd semestre 2005 a notamment eu pour conséquence de nous fournir des recettes fiscales et sociales dynamiques, pour certaines même au-delà de nos espérances. Cette vigueur des recettes combinée à une maîtrise stricte des dépenses -je parle du respect pour la 3 ème année consécutive de la norme « 0 volume » pour l'Etat et des premiers effets de la réforme de l'Assurance maladie - me rend plus confiant que jamais dans notre respect des 3% du PIB de déficit pour 2005 et je sais que ça en surprendra plus d'un.
Indicateurs plus structurels
Au-delà de ces indicateurs conjoncturels, je veux aussi m'arrêter un instant sur les évolutions positives de plusieurs indicateurs plus structurels de notre économie :
- d'abord, l'Insee publie ce matin son recensement 2005. Je note la nouvelle augmentation des naissances et de la fécondité. Avec l'Irlande, nous sommes désormais loin en tête en Europe avec 1,94 enfant par femme (1,50 en moyenne européenne) ;
- le solde migratoire s'est stabilisé autour de 100 000 en 2005 ; surtout le nombre d'étudiants étrangers en France est en constante progression : 256 000 cette année contre moins de 200 000 en 2002. Mais je suis convaincu qu'il faut aller encore plus loin dans ce domaine : cela fait partie de la solution à une croissance plus forte, surtout face au vieillissement à l'oeuvre de notre population. J'ai ainsi transmis au Premier Ministre un rapport sur l'immigration et les besoins de main d'oeuvre de notre économie à moyen terme, une sorte d'« étape 0 » d'une politique raisonnée et organisée d'immigration. A ce sujet, je me rendrai prochainement en Chine, avec notamment comme objectif d'aller à la rencontre des étudiants chinois pour les attirer dans nos universités et grandes écoles.
Je m'arrête ici mais je vous invite comme d'habitude à explorer ce tableau de bord. Cela fait partie pour moi du devoir de pédagogie vis-à-vis de nos concitoyens dont je ne me lasse pas !
Je voudrais maintenant profiter de ce début d'année pour tracer devant vous quelques perspectives sur notre action commune à tous les 4, au cours de l'année qui vient de commencer.
Et d'abord, puisque nous sommes encore dans la période des voeux, permettez moi d'en formuler un devant vous pour ce Ministère : puisse t-il retrouver en 2006 son rôle fondamental de Ministère de l'Economie ! Qu'est ce je veux dire par là? Et bien je veux tout simplement vous faire partager une impression qui m'a frappé lorsque j'ai pris mes fonctions à Bercy : pris dans des difficultés devenues structurelles à boucler le budget, ce Ministère s'était détourné de l'économie !
Moins d'économie, cela veut dire moins de pédagogie vis-à-vis de nos concitoyens et par conséquent moins de prise de conscience des enjeux, des défis et des solutions à mettre en oeuvre ! Il n'est pas étonnant dans ces conditions que certaines décisions deviennent difficiles voire impossibles à prendre ! C'est pourquoi peu après mon arrivée, j'ai souhaité réactiver cet aspect fondamental de mon portefeuille et prendre à bras le corps le besoin de pédagogie.
Tout Bercy a été re-mobilisé sur ce chantier de la politique économique dès mon arrivée et de nombreuses pistes de réforme ont été soigneusement expertisées et versées à chaque fois dans le débat gouvernemental. Je tiens devant vous à saluer le travail important des directeurs et de leurs collaborateurs dans ce domaine.
Le tableau de bord des indicateurs de progrès a été par exemple une de mes premières décisions. Puis, en juin dernier, la mission confiée à Michel Pébereau a permis de forcer les uns et les autres à regarder en face un enjeu économique capital : notre dette, son origine et ses conséquences. C'est ce diagnostic économique précis et trans-partisan qui a décidé le Gouvernement à agir et à le faire rapidement.
De ce point de vue, la venue du Premier Ministre à Bercy, à l'occasion - historique - de la Conférence nationale des Finances publiques, n'est pas un hasard : il n'est pas venu ici pour faire seulement de la comptabilité budgétaire ; il est venu pour engager notre pays dans une stratégie économique pluriannuelle de désendettement et de croissance. C'est le Programme de stabilité que j'ai présenté lors de la Conférence et transmis à Bruxelles au nom du Gouvernement la semaine dernière. C'est aussi l'engagement pluriannuel que prendra le Premier Ministre en juin prochain devant le Parlement.
Aujourd'hui, grâce à ce travail économique, les Français comprennent bien cette stratégie à trois piliers : ils comprennent pourquoi il faut d'abord mieux maîtriser les dépenses publiques tous acteurs confondus ; ils comprennent mieux pourquoi il faut utiliser nos actifs non stratégiques pour se désendetter ; ils comprennent enfin que le 3 ème pilier de cette stratégie de désendettement et sans doute le plus important, c'est la croissance.
LE CHOIX DE LA CROISSANCE
Relever le niveau de notre croissance structurelle, c'est un enjeu essentiel pour se donner les moyens de financer notre modèle social généreux et redistributif. Mais c'est aussi et surtout le facteur clé de progrès de notre niveau de vie. Je voudrais donc vous proposer en ce début d'année "ma grille de lecture " de notre économie et de notre croissance et, par voie de conséquence, de notre politique économique.
En réalité, notre économie n'est pas monolithique et nous ne pouvons appliquer les mêmes recettes à tous les secteurs d'activité. Nous n'avons pas 1 économie, mais au moins 4 économies qui cohabitent. Aujourd'hui, un peu moins de 5 % de nos concitoyens travaillent dans l'agriculture, un peu plus de 20 % dans l'industrie, le reste se répartissant entre le secteur des services à la personne et celui de ce que j'appelle l'économie de l'immatériel - j'y reviendrai dans un instant.
Chaque secteur relève d'un fonctionnement particulier, chaque secteur a sa propre « fonction de production » diraient les économistes, c'est-à-dire qu'il fait plus ou moins appel à la main d'oeuvre et à l'investissement et à la technologie.
Contrairement aux idées reçues, les secteurs traditionnels que sont l'agriculture, l'industrie et les anciennes activités de services sont loin d'être condamnés. Je ne crois pas à une spécialisation planétaire qui voudrait faire de l'Amérique du sud, le futur coeur agricole de la planète et de l'Asie, l'usine du monde. Tout au contraire, je suis fermement persuadé que notre économie, comme l'économie européenne, doit et peut rester résolument une économie plurielle : c'est une des conditions centrales pour son équilibre et son développement durable.
- Agriculture : je suis convaincu que les enjeux de sécurité alimentaire justifient une agriculture forte et moderne, et donc la pertinence de nos choix politiques en matière agricole qui sont loin d'être "ringards" ;
- Industrie : l'industrie, c'est d'abord le moteur de l'innovation. Là encore nos choix politiques récents ont bien montré notre volonté de relancer une politique industrielle ambitieuse (pôles de compétitivité, AII, mais aussi voeu du Président de la République de lever 2 M d'euros en 2006 pour les investir dans le capital de PME dynamiques.
- Services : ce secteur recouvre notamment les services de proximité et les « services à la personne ». Je suis dans ce domaine convaincu de la pertinence du Plan adopté cet été.
- Immatériel : Je voudrais juste m'arrêter un instant sur ce qui est pour moi la principale révolution de notre système productif. Jusqu'à la fin du 19ème siècle, la majorité de nos compatriotes étaient paysans ; entre la révolution industrielle et les « 30 glorieuses », c'est l'industrie qui dominait ; depuis, notre économie s'est « tertiarisée », avec une majorité de Français travaillant dans le secteur des services. Nous entrons aujourd'hui peu à peu dans une ère nouvelle où le nombre de salariés dans les secteurs de l'informatique, de la téléphonie, du multimédia, de l'information au sens large va croissant et devrait dans quelques années constituer une nouvelle majorité. Cette révolution va bien au-delà de simples changements d'activités : elle crée des défis nouveaux, se nourrit de leviers qui n'ont rien à voir avec ceux de l'économie industrielle ou de l'économie de services.
Face à cette révolution, l'Etat doit contribuer à tracer la voie. C'est dans cet esprit que j'ai demandé à l'Inspection générale des Finances de conduire cette année dans ce domaine 3 grandes missions de réflexion pour défricher les sentiers de l'économie de demain :
- la première, « concurrence, monopole et rente dans l'économie de l'immat??riel » consiste à examiner dans quelle mesure la gestion des droits liés à la propriété intellectuelle ou industrielle, à la recherche, à l'innovation correspondent bien aujourd'hui à un optimum économique. Il s'agit de comparer la manière dont ces droits sont gérés en France et à l'étranger, dont la rétribution des propriétaires est conçue, comment agissent les différents organismes qui en ont la responsabilité et in fine de concevoir une meilleure articulation entre ce système de gestion de droits et le développement des nouvelles technologies liées, notamment, à Internet.
- la deuxième, « Création de valeur et circuits de financement dans l'économie moderne » consiste à examiner quels sont les meilleurs modes d'appréhension de la création de valeur par les entreprises. Je suis frappé de voir qu'en ce qui concerne les entreprises, les analystes financiers attachent beaucoup plus d'attention dans la mesure de création de richesses à l'EBITDA (c'est-à-dire au fruit de l'activité de l'entreprise avant la dépréciation du capital et le paiement des intérêts et des impôts), à la valorisation du cours des actions, à la valorisation d'éléments immatériels plutôt qu'au résultat net. Or, aujourd'hui, en ce qui concerne les entreprises, tout notre système fiscal est fondé sur le résultat net pour appréhender la contribution des entreprises, de même que notre système de financement de la protection sociale est fondé sur la seule fiche de paye pour asseoir la contribution des entreprises.
- enfin, l'Etat est lui-même détenteur d'actifs immatériels. L'État et ses agents ont construit un savoir-faire, un socle d'expertise, une base d'informations (intelligence économique) qui sont des actifs particulièrement précieux dans le monde actuel, et qui le seront plus encore demain. Or, l'État ne dispose à ce jour ni de mécanismes ni d'une politique destinés à évaluer et à valoriser ces actifs. Ceci vaut tout particulièrement pour une phase de mutation profonde de l'économie et de la société comme aujourd'hui, ou l'État devrait faire valoir mieux encore ces actifs. La troisième mission, « Contours et valorisation du patrimoine public immatériel » visera à concevoir une politique d'évaluation et de gestion des actifs immatériels de l'État, en s'appuyant, là aussi, sur les meilleures pratiques internationales.
Services et Immatériel, voilà les grands réservoirs d'emploi d'aujourd'hui. Vous me permettrez donc de dire quelques mots sur l'emploi, après le lancement hier par le Premier Ministre du 2 ème volet de l'action du Gouvernement pour l'emploi. En tant que Ministre de l'Economie, je me félicite de cette nouvelle étape attendue de la modernisation de notre marché du travail.
A l'occasion du grand débat sur la dette - ce grand « livre d'histoire économique » - j'ai eu l'occasion de constater avec vous que certaines grandes mesures de politique économique de ces 25 dernières années ont constitué de graves contresens économiques. Le 2 nd volet du Plan emploi du Gouvernement annoncé hier par le Premier Ministre s'attaque à la plupart de ces aberrations :
- le travail des seniors d'abord, mis à mal dès le début des années 80 avec la retraite à 60 ans : le Premier ministre a annoncé - à ma très grande satisfaction - une amélioration de la "surcote", un assouplissement des modalités de cumul emploi-retraite, ainsi qu'une promotion de la retraite progressive ;
- l'assouplissement du régime des heures supplémentaires ensuite, pour corriger l'effet dévastateur sur notre économie du passage autoritaire aux 35 heures que je dénonce avec constance : certes, aujourd'hui, les verrous réglementaires sur les heures supplémentaires ont pour la plupart sauté. Il reste que les planchers légaux existant sur les taux des majorations des heures supplémentaires peuvent être décourageants pour les entreprises. Je me réjouis que le Premier ministre m'ait demandé de réfléchir avec Jean-Louis Borloo aux moyens d'adapter les prélèvements sociaux pour permettre à la fois de préserver le pouvoir d'achat des salariés qui font des heures supplémentaires et de limiter le coût pour les entreprises. Nous allons nous y employer.
- par ailleurs, comme le Premier Ministre l'a demandé, il nous faut parler de la sécurisation juridique des parcours professionnels, par exemple les modalités de rupture négociée. Plusieurs pistes sont sur la table. Faut-il aller vers un contrat de travail unique ou au contraire faut-il créer d'autres contrats particuliers adaptés à la diversité des situations ? Faut-il étendre le contrat « nouvelles embauches » à toutes les entreprises ? Je souhaite pour ma part que le débat s'engage rapidement, qu'il soit le plus large possible et sans tabou.
LE CHOIX DE L'OUVERTURE SUR LE MONDE ET DE LA COMPETITIVITE
C'est d'abord la priorité à la compétitivité de la France qui a dicté nos choix fiscaux pour 2006 et 2007. Tout particulièrement la réforme fiscale ramène enfin la France au standard européen et améliore l'attractivité de notre territoire, pour l'investissement comme pour la main d'oeuvre hautement qualifiée : la baisse de l'IR et l'introduction d'un bouclier fiscal, modernisation de la TP, facilitation des transmissions d'entreprises.
Ensuite pour que notre économie profite pleinement de la mondialisation, il faut que nos entreprises soient suffisamment fortes : or, on le sait, notre tissu de 2,5 millions d'entreprises est composé d'un écrasante majorité de TPE et de petites PME. Si je me félicite que depuis 3 ans, les créations d'entreprises en France aient bondi de 25 %, il faut maintenant faire croître toutes ces jeunes pousses ! La loi de confiance et de modernisation de l'économie que j'ai fait voter cet été, ainsi que le PLF 2006, facilitent l'accès des entreprises aux financements, avec par exemple le nouveau marché Alternext pour les PME. Le développement de l'actionnariat salarié, l'encouragement fiscal à la détention longue d'actions par les épargnants individuels, les mesures favorables au capital investissement et la création d'Oséo révolutionnent l'environnement financier des PME. Je vous rappelle les efforts faits pour faciliter les recrutements dans les TPE : le CNE, le chèque emploi TPE, l'élimination des contraintes financières liées au seuil de 10 salariés.
Je souhaite proposer prochainement un Plan d'action pour élargir les marchés des PME et leur permettre de grandir encore plus vite :
- D'abord, l'accès des PME à la commande publique sera facilité. L'inscription dans notre droit d'une préférence pour les PME dans l'attribution de marchés publics relève de la négociation internationale : j'ai entamé ces négociations. Mais je propose déjà plusieurs modifications du droit de la commande publique afin de favoriser l'accès des PME aux marchés publics : l'allotissement des marchés, l'encadrement du recours aux références à de précédents marchés, l'adaptation des exigences de capacité à la nature du marché, et surtout l'obligation pour les acheteurs publics de rendre compte de la part des marchés qu'ils ont passés à des PME, et la possibilité pour eux de fixer un nombre minimal de PME dans les candidatures.
- Il faut ensuite que les PME soient à même de plus bénéficier de la forte croissance des marchés mondiaux. Mon objectif est de les aider à faire de l'exportation lointaine une nouvelle frontière. L'initiative "Cap Export", lancée avec Christine Lagarde, nous permettra de mettre le pied à l'étrier des PME pour gagner à l'export. Je m'engage à ce que les textes d'application soient tous en vigueur d'ici la fin du mois de février.
- Enfin, je voudrais desserrer un frein auquel les PME sont confrontées : un rapport de forces défavorable avec les grands donneurs d'ordres. L'équilibre de la relation commerciale entre donneurs d'ordre et sous-traitants, souvent des PME, est une condition nécessaire à leur développement. François Loos installera début février un groupe de travail chargé d'effectuer des propositions concrètes d'amélioration.
Troisième exigence, pour le monde de l'après pétrole dans lequel nous sommes déjà entrés, continuer à être au premier plan de la modernité énergétique. Face à la disparition programmée des énergies fossiles, il nous faut d'abord développer des énergies alternatives innovantes, mais aussi soucieuses d'un développement durable. Beaucoup a déjà été fait : la diversification de nos sources d'approvisionnement, ainsi que le développement de la recherche sur les nouvelles technologies de l'énergie dans le cadre de l'ANR et de l'AII, avec la loi sur l'énergie.
En 2006, nous poursuivrons notre action d'adaptation du marché de l'énergie français et de préparation de l'avenir :
- en veillant à la soutenabilité de nos choix énergétiques sur le long terme (loi déchets nucléaires, création de l'AAI) ;
- par une action prospective innovante (rapports au Parlement sur les PPI électricité, gaz et chaleur) ;
en proposant à nos partenaires européens de planifier à moyen terme les investissements de production d'électricité et de gaz en Europe : je présenterai dans cet objectif au prochain Ecofin un mémorandum sur l'énergie ;
Troisième choix : rénover profondément notre modèle socioéconomique
Si la mondialisation fait parfois peur à nos concitoyens, ce n'est pas par quelque illusion d'optique ; ils se rendent bien compte qu'elle met de plus en plus en concurrence nos modèles socioéconomiques. C'est pourquoi le choix de la croissance et celui de l'ouverture sur le monde n'ont de sens que si nous nous engageons simultanément à conforter les bases économiques et financières de notre modèle socioéconomique. Je ne reviendrais pas sur l'indispensable soutenabilité financière de nos régimes de protection sociale qu'il nous faut retrouver grâce à l'action engagée sur la dette publique dont je vous ai déjà dit un mot. C'est le point fondamental.
Mais il faut aller plus loin. Forts de la bonne perception du nouveau monde économique dans lequel nous sommes entrés depuis quelques années déjà, et dont je vous ai présentés les grands traits, il nous faut poursuivre l'action dans 2 directions :
D'abord, donner les moyens pratiques à nos concitoyens de participer pleinement à la nouvelle économie que je viens de décrire : pour cela il faut mettre le paquet sur la formation tout au long de la vie d'une part, sur la mobilité d'autre part. Voilà 2 nouvelles conquêtes sociales que je revendique pour notre modèle social. Pour un grand nombre d'entre nous, l'exercice de plusieurs métiers, dans des territoires différents, sera une réalité banale. Cet immense changement implique de revoir de nombreuses politiques publiques.
- La nécessité d'une formation tout au long de la vie, est liée évidemment à l'émergence de l'économie de l'immatériel. Je remettais samedi dernier, le prix du livre d'économie de l'année à Patrick Fauconnier, pour son ouvrage« La fabrique des meilleurs » qui le dit mieux que moi : la vitesse vertigineuse de l'information, la course à l'innovation exigent d'abord l'excellence de l'éducation initiale mais impliquent aussi que l'on ne puisse plus à l'avenir travailler et produire efficacement tout au long de sa vie sur la seule base d'une formation dispensée 30 ans auparavant. La formation tout au long de la vie doit devenir un droit à part entière.
- Le besoin de mobilité tient lui plus généralement au renouvellement du processus productif. Nos enfants auront vraisemblablement 6 ou 7 métiers différents dans leur vie et déménageront d'un coin de l'Europe ou du monde à l'autre. Nous devons leur donner les moyens de bouger physiquement mais surtout intellectuellement d'un emploi à l'autre. C'est le signal que j'ai voulu donner dans le PLF 2006, en proposant une prime à la mobilité pour les chômeurs qui reprennent un emploi à plus de 200 kilomètres de chez eux.
Deuxième champ majeur d'adaptation de notre pacte social, nous devons nous attacher à réconcilier les différents acteurs de notre économie : les salariés, les consommateurs et les entreprises. Une entreprise qui gagne, c'est celle qui fait des profits dont une partie ira aux actionnaires, tout en rémunérant correctement ses employés et en donnant satisfaction à ses clients. Ces 3 « parties prenantes » partagent un intérêt commun. Le modèle économique de demain n'est pas celui qui oppose capital privé, travail et consommateurs. Ce sera celui, profondément moderne, qui les associera réellement. C'est aussi cela la synthèse moderne de la politique économique.
S'agissant des relations au sein de l'entreprise, nous devons continuer de moderniser notre vision de l'actionnariat et notre système d'épargne salariale :
- il faut d'abord établir un lien plus stable et une relation de confiance durable entre l'entreprise et ses actionnaires : c'est l'objet de l'exonération des plus values de cessions d'actions détenues pendant plus de 6 ans que j'ai fait voter dans le PLFR pour 2005. C'est aussi le sens de la mesure adoptée en PLF 2006 sur l'exonération à 75 % de l'ISF pour les actions de leur propre entreprise détenues depuis au moins 6 ans par les salariés et anciens salariés ;
- concernant l'épargne salariale, il nous faut développer l'intéressement et l'actionnariat salarié dans les PME, réduire les freins à la montée en charge des politiques d'actionnariat salarié tout en améliorant la gouvernance. Ce sera précisément le sens du projet de loi que je présenterai au printemps avec Gérard LARCHER. Je me contenterais à ce stade d'évoquer avec vous quelques pistes :
- concernant les PME, la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie permettra aux chefs d'entreprise de moins de 100 salariés et à leurs conjoints de bénéficier de l'intéressement. Il faut maintenant prévoir un régime simplifié d'actionnariat salarié dans les PME ;
- pour développer l'actionnariat salarié dans l'ensemble des entreprises, en complément du nouveau régime de l'ISF favorable aux détentions d'actions de leur entreprise par les salariés (et non plus seulement par les dirigeants), nous ne devons pas hésiter à mettre en place d'autres incitations fiscales (par exemple : déductibilité à l'IS des décotes lorsque les actions distribuées sont issues d'une augmentation de capital), mais aussi à autoriser l'affectation du produit des comptes épargne-temps à l'actionnariat salarié, et à encourager le développement des actions gratuites (création d'une catégorie complémentaire qui éligible au PEE) ;
- enfin, si l'entreprise veut développer l'actionnariat salarié, elle doit traiter ces actionnaires salariés en véritables actionnaires. Nous devons tendre vers un système plus respectueux des principes de gouvernance, avec des représentants des fonds commun de placement élus ou, à défaut, des porteurs de parts en mesure d'exercer leur droit de vote directement s'ils le souhaitent. De même, je suis favorable à la représentation des actionnaires salariés au conseil d'administration au-delà d'un certain niveau, sous forme d'élections directes.
Concernant les relations entre producteurs et consommateurs, mon objectif est de renforcer la confiance des consommateurs dans l'acte de consommation. C'est un enjeu de société mais aussi un enjeu économique. Pour cela, j'ai souhaité depuis 11 mois avancer dans 3 directions :
- d'abord, améliorer l'information des consommateurs et la transparence des marchés : ont ainsi été mis en place des observatoires et des outils innovants dans les secteurs sensibles comme le "chariot" de tous les jours, les carburants ou le gaz.
- ensuite, renforcer les droits et la représentation du consommateur : à cette fin, j'ai pris différentes initiatives pour promouvoir les voies de règlement extra-judiciaire des litiges et j'ai également engagé depuis plusieurs mois une réforme dans les relations entre l'Etat et le mouvement consumériste.
- enfin, améliorer l'action des pouvoirs publics pour protéger le consommateur dans les domaines des accidents de la vie courante, de la sécurité sanitaire, du pouvoir d'achat et de la sécurité des vacanciers, du secteur bancaire, du logement ou les communications électroniques.
Mais sur chacun de ces axes, je veux aller plus loin. Je soumettrai donc au premier semestre un projet de loi pour renforcer la politique gouvernementale en faveur des consommateurs. Sans entrer là non plus dans le détail, je souhaite notamment :
- améliorer les conditions d'accès à la justice des consommateurs en examinant toutes les pistes d'amélioration de notre appareil législatif conformément aux souhaits du Président de la République de permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés ;
- permettre aux associations de consommateurs de renforcer leur efficacité en mobilisant des ressources complémentaires ;
- renforcer les règles de protection et les moyens d'action de l'administration : la directive européenne sur l'interdiction des pratiques commerciales déloyales sera transposée en droit français et une liste des clauses abusives qui ne devront plus figurer dans les contrats proposés aux consommateurs sera élaborée ;
- renforcer la protection du consommateur dans certains secteurs par le dialogue bien sûr et s'il le faut par voie législative pour encadrer les pratiques commerciales. Je pense notamment au secteur de l'immobilier et du logement ;
- moderniser le régime des soldes, si la concertation que j'ai engagée sur ce sujet important en confirme l'utilité, comme je le crois, à la fois pour le pouvoir d'achat du consommateur et la dynamique globale de la consommation.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 18 janvier 2006