Texte intégral
J.-P. Elkabbach - Aujourd'hui est un grand jour, apaisé : il y a un siècle, jour pour jour, était promulguée la loi sur la laïcité qui sépare l'Etat des Eglises. Simplement, comment régler la place de l'islam, aujourd'hui, en France et faut-il modifier la loi ?
R - Cette loi est un acquis de la République. Pendant cent ans, et après une loi qui a été élaborée dans la confrontation, nous avons vécu en paix, les Eglises et l'Etat.
Q - Il faut rester en paix ?
R - Il faut rester en paix. A quoi servirait-il aujourd'hui, alors que nous fêtons déjà le centenaire, de changer ce qui existe et ce qui marche ? Il y a une place de l'islam qu'il faut accorder, c'est normal, c'est la deuxième religion de France. Il faut trouver des modes de régulation, de relation, de financement. Il n'y a pas besoin de changer la loi pour cela. Et ceux qui évoquent un changement de la loi au prétexte qu'il y aurait l'islam, en fait, n'ont jamais admis la loi laïque de 1905.
Q - Etes-vous d'accord avec B. Stasi, qui présidait la commission qui porte son nom : "les religieux ne doivent pas s'inviter dans le débat politique, on ne doit pas non plus les y inviter."
R - Je crois que oui et qu'il y a eu une dérive ces dernières années de penser que c'était à travers les religieux, voire les religions que l'on pouvait accéder à la citoyenneté ou à la politique. La politique c'est le vote, c'est l'organisation par les partis politiques du débat, et le pire serait de confondre les partis et les religions.
Q - Dans le débat sur colonisation, vous demandez à D. de Villepin de retirer, dans les trois semaines - c'est-à-dire avant la fin de l'année - l'article reconnaissant le rôle positif de la colonisation. Pourquoi les socialistes l'avaient-ils voté en 2004 et en 2005 ?
R - Non, les socialistes avaient voté un texte qui était sur la question des rapatriés...
Q - Non, mais vous pouvez reconnaître qu'il y avait cet article, pourquoi est-ce qu'ils l'ont reconnu ? Est-ce c'était de l'inadvertance, de l'imprudence, une erreur ?
R - Cet article est passé inaperçu, à tort. Il y a eu une émotion, une émotion légitime.
Q - Après coup !
R - Après coup, l'erreur ayant été commise...
Q - Par les socialistes aussi ?
R - Non !
Q - Vous pouvez le reconnaître !
R - Non, par un député UMP qui a fait passer, dans la nuit, un amendement. Le groupe UMP l'a voté, des socialistes par inadvertance aussi. Que constate-t-on ? On constate que cette disposition, cet amendement crée, à juste raison, une émotion. Que faisons-nous, nous les socialistes, après en avoir fait le constat ? Nous déposons - parce qu'il faut, quand il y a une erreur, la corriger immédiatement -, là, il y a une semaine, une proposition de loi pour...
Q - C'est-à-dire huit mois après !
R - ...Pour abroger cette disposition. Alors que finalement UMP, PS, toutes les formations politiques pouvaient en terminer avec une polémique qui n'aurait jamais dû naître, eh bien le Gouvernement - je dis bien le Gouvernement, par la voix du ministre des Anciens combattants -, le Premier ministre et la majorité UMP, c'est-à-dire N. Sarkozy, président de l'UMP, ont refusé la proposition socialiste. J'entends hier...
Q - Comment le Premier ministre doit-il sortir de la crise ?
R - J'entends hier le Premier ministre nous dire, et à juste raison, que ce n'est pas au Parlement de faire l'histoire et regrettant implicitement que cette disposition puisse encore figurer... Alors moi, je fais une proposition simple au Premier ministre : puisqu'il pense que ce n'est pas la bonne manière de faire, puisqu'il ne faut pas mettre cette disposition dans la loi, qu'il dépose avant la fin de l'année un projet de loi ou qu'il laisse une proposition de loi être déposée et être discutée, et donc être votée, et cela en sera terminé.
Q - Et vous le votez tout de suite ?
R - Mais puisque nous avions déposé nous-mêmes une proposition...
Q - Sans débat ?
R - Donc, sans aucun débat, cette disposition étant présentée à l'abrogation, nous voterons cette disposition.
Q - Il paraît que le président de la République confie à ses visiteurs [s'agissant] de la loi 2005 qu'elle est - pardon -, ?une monstrueuse connerie?. Est-ce que vous soupçonnez J. Chirac de ne pas être pas clair à propos des discriminations des cultures, de l'identité ?
R - Je pense qu'il ne faut pas faire naître de débats inutiles. A quoi sert-il vraiment d'avoir aujourd'hui une polémique à cet égard ? Quand il y a une erreur, il faut la corriger ; quand on ne la corrige pas, c'est une faute.
Q - Comment parler aujourd'hui aux Français originaires des Antilles et du Maghreb, aux Pieds-noirs et Harkis, la même langue et d'une même France ?
R - Nous appartenons à la même Nation, nous portons les mêmes valeurs, donc, il faut s'adresser aux Français par rapport à ce qui les unit, pas par rapport à ce qui les divise. Ce qui compte aujourd'hui, c'est l'universalisme, pas le particularisme. Si on veut s'adresser à chaque partie de la France, aux uns par rapport à leur propre histoire, aux autres par rapport à leur propre religion, à d'autres encore par rapport à leur couleur de peau - on ne parle plus à la France, on ne parle même plus aux Français, on parle à des fractions du peuple français. A partir de là - et je pense que cela doit être la démarche qui va bien au-delà du Parti socialiste aujourd'hui, ou de l'UMP, la démarche de tout responsable politique -, parlons de ce qui unit la Nation, pas de ce qui la divise.
Q - Est-ce qu'il faut aussi désormais boycotter Napoléon ou revoir toutes les pages d'histoire qui le concernent ?
R - Je pense que la Nation, par ses historiens, par ses intellectuels, et aussi par le débat citoyen, peut porter un jugement sur sa propre histoire. A la fois de fierté, par rapport à ce que nous avons pu faire il y a longtemps, au nom de nos valeurs universelles. Egalement de regret, de remord, par rapport à ce qui a pu se passer aussi dans notre propre histoire ? les guerres, avant hier l'esclavage, la colonisation... Mais nous devons aussi porter ensemble nos valeurs pour montrer que la France est aussi une référence, un exemple. La France des droits de l'homme, cela compte aujourd'hui, encore aujourd'hui. Donc les historiens font leur travail mais le Parlement ne se transforme pas en Académie des sciences morales et politiques.
Q - Mais est-ce qu'il n'y a pas une contradiction ? Parce que sous le gouvernement Jospin, le Parlement a quand même voté la loi C. Taubira qui dénonce l'esclavage comme crime contre l'Humanité ; c'est ce qui est enseigné aujourd'hui dans les écoles. Là aussi, c'est le Parlement, c'est le législateur et pas l'historien qui écrit l'histoire officielle.
R - C'est le rôle du Parlement de qualifier des crimes, de qualifier des crimes contre l'Humanité. Nous l'avons fait par rapport à la tragédie de la Shoah, nous l'avons fait par rapport à l'esclavage. Il y a des crimes contre l'Humanité qui doivent être nommés comme tels et qui entraînent d'ailleurs un certain nombre de conséquences juridiques et politiques.
Q - Vous le dites pour toutes les traites des Noirs, comme crime universel contre l'Humanité ?
R - Mais oui, et nous le disons encore aujourd'hui. Il y a de l'esclavage aujourd'hui, ce n'est pas un problème français, par rapport à notre propre histoire. C'est un problème mondial par rapport à l'histoire du monde, mais par rapport aussi à certaines réalités d'aujourd'hui.
Q - Je vous cite une phrase d'A. Camus, vous me dites si vous êtes d'accord : ?Il est bon qu'une nation soit assez forte de traditions et d'honneurs pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu'elle peut avoir encore de s'estimer elle-même. Il est dangereux de lui demander de s'avouer seule coupable et de la vouer à une pénitence perpétuelle?.
R - Et s'aimer, car je crois que c'est ça le mot qu'il faut avoir pour sa Nation, pour son pays. S'aimer, c'est à la fois se regarder comme l'on est et considérer que ce que l'on est, fruit de notre histoire, porte un message universel. Et c'est pour cela que je vous disais qu'en tant que responsable politique, il faut s'adresser à la Nation pour ce qu'elle est, en tant que Nation unie et pas en tant que particularismes ajoutés les uns aux les autres.
Q - Le sommet européen, bientôt, avec d'abord le budget de l'Union européenne pour 2007 et 2013. T. Blair a fait des propositions qui ne déplaisent pas aux Allemands, mais qui fâchent les dix nouveaux entrants de l'Europe de l'Est qui seraient moins aidés. Et la France ? J. Chirac souhaite un accord à Bruxelles si T. Blair fait de nouvelles propositions ; est-ce que vous craigniez un échec de ce sommet ?
R - Oui, je le crains car nous n'avons déjà plus de Constitution depuis le 29 mai, nous n'avons pas de budget et nous risquons de ne pas en avoir. Avec quelles conséquences ? Avec des conséquences que nous ne pouvons pas financer les dépenses d'avenir, nous ne pouvons pas financer la Politique agricole commune dans les conditions que l'on connaît aujourd'hui.
Q - Alors que fait-on ?
R - Nous ne pouvons financer l'élargissement... Oui, il y a un risque et à partir de là, il faut être capable, là encore, non pas d'être dans des particularismes nationaux, mais d'être dans une conception européenne. Et c'est pourquoi nous avons fait la proposition, certes de revoir ce qui doit être révisé, le chèque britannique, les conditions de la Politique agricole commune, le mode de fonctionnement de l'Europe ; des économies sont possibles...
Q - Autrement dit, comme J. Chirac, vous dites que chacun doit faire un effort partagé ?
R - Partager les efforts par rapport aux politiques d'aujourd'hui, mais également augmenter - je dis bien "augmenter" le budget ? pour financer à la fois l'élargissement, les dépenses d'avenir, la recherche, l'éducation. Bref, ce dont nous avons besoin en termes d'emploi et de croissance. Et si nous en restons simplement à la gestion de l'acquis communautaire, il n'y aura ni acquis communautaire ni préparation de l'avenir.
Q - Comment qualifiez-vous la présidence de T. Blair de l'Union européenne ?
R - C'est une présidence pour rien, une présidence verbale. T. Blair a des qualités, on les connaît, il cite les problèmes mais il ne les règle pas. Cela nous rappelle aussi un certain nombre de réalités en France. Il ne suffit pas de citer des problèmes, il faut les régler ! Il avait parlé de dépenses d'avenir, elles ne sont pas dans le projet de budget qu'il nous présente.
Q - L. Jospin libère son parti, votre parti, et l'encourage à un devoir d'inventaire, donc de critiques, sur son action à Matignon entre 1997 et 2002. Par quoi commencez-vous ?
R - Nous avons fait ce travail d'inventaire, de bilan, de critiques, etc....
Q - Oui, mais lui-même cite et il dit que c'est insuffisant. Encore un effort F. Hollande...
R - Lui-même, de son propre point de vue, ajoute un certain nombre de regrets par rapport à ce qu'a pu être son action. Mais je veux quand même en terminer avec cette période qui a été une période extrêmement positive en termes de croissance, d'emploi, de redistribution, de progrès sociaux, avec ses insuffisances, sinon, s'il n'y avait pas eu d'insuffisances, nous serions encore aux responsabilités. Mais je veux me tourner résolument vers l'avenir, partant de ce que nous avons fait qui a marché, regrettant ce qui n'a pas marché, mais étant tourné vers...
Q - ...Mais trois-quatre ans après le gouvernement Jospin, qu'est-ce qu'il faudrait changer ? Qu'est-ce que vous avez envie, vous, de changer pour préparer l'avenir justement ?
R - Ce que j'ai envie de changer, c'est une méthode d'action et de dire clairement aux Français. Nous allons tout faire pour que la gauche revienne aux responsabilités, il y a besoin pour relancer la croissance, trouver du pouvoir d'achat qui manque cruellement aujourd'hui, affirmer les services publics, donner priorité à l'éducation. Mais tout ne viendra pas de la loi, tout ne viendra pas de l'Etat. Il faudra, bien sûr, contractualiser avec les collectivités locales, parce que ce sont elles qui agissent avec les partenaires sociaux, parce que ce sont eux qui doivent négocier un certain nombre de textes. Donc, ce que je veux dire c'est qu'il faut en sortir avec l'idée que, venant au pouvoir, prenant des lois, que ce soit de bonnes lois ou de moins bonnes lois, tout deviendrait différent.
Q - C'est vous qui devez animer la commission chargée de concevoir le projet du Parti socialiste - on l'a entendu au Mans. La cueillette des bonnes idées, originales, singulières, lumineuses, a-t-elle commencé ?
R - Oui, elle a commencé depuis, heureusement plusieurs mois. Nous sortons d'un congrès, nous avons affirmé des propositions et je veux en citer quelques-unes...
Q - Mais quand saura-t-on ce qu'elles sont ?
R - Nous le saurons, là, au mois d'avril ou mai, mais déjà, les grandes lignes de notre projet sont connues. J'en ai assez qu'on me dise que nous ne faisons pas de propositions... Pour l'éducation, nous avons des propositions, notamment dans les quartiers : mettre des classes en zone d'éducation prioritaire à quinze élèves. Etre capable, sur les logements sociaux, de fixer...
Q - Donc, on ne supprime pas les ZEP ?
R - On les redéfinit, on les recentre où c'est nécessaire, mais on les renforce. Sur les logements sociaux, faire en sorte qu'il y ait 20 % dans chaque construction en termes de logements sociaux, que dans chaque ville, il y ait cette obligation. Bref, sur chaque sujet être capable d'être le plus concret possible. Et en même temps, de dire à la Nation ce que je viens de vous dire, c'est-à-dire être capable de nous adresser à tous et pas simplement à quelques-uns.
Q - A. Chabot, hier, sur France 2, posait une question : la gauche est-elle prête à gouverner ? Si vous y étiez, qu'est-ce que vous auriez répondu ?
R - Oui, le plus rapidement sera le mieux ; 2007 arrive, nous serons prêts. Mais être prêt, ce n'est pas simplement avoir telle ou telle proposition, c'est être capable de dire la vérité aux Français sur la situation.
Q - Les UMP promettent un candidat unique pour 2007 ; est-ce que le PS, votre parti, en fera autant ?
R - Mais le PS n'aura qu'un seul candidat, celui que les militants auront choisi. Cela se passera en novembre prochain et cette question est derrière nous. Je veux dire par là que la procédure est derrière nous, on n'a pas besoin de changer quelque statut que ce soit. Le choix du candidat, lui, il viendra en son temps.
Q - Mais comment sélectionnerez-vous le meilleur qu'il y aura à soutenir ?
R - Je vais lancer un appel. Ce sont les militants socialistes, les adhérents du parti qui feront ce choix.
Q - Il n'y a pas quelqu'un qui s'autodéclare ?
R - Cela n'existe pas chez nous. On peut se déclarer, on se présente (inaud.). Et que tous ceux qui ont envie de participer à ce choix, qui sera un choix important, du candidat ou de la candidate socialiste à l'élection présidentielle, adhérents au Parti socialiste, pourront voter et, à ce moment-là, choisir délibérément, souverainement, leur candidat.
Q - L'Italien R. Prodi a fait un tabac au congrès PS du Mans, sa méthode des primaires très ouvertes fait des envieux, est-ce qu'elle peut être adoptée par vous avant 2007 ?
R - Si des partis politiques autres que le nôtre voulaient participer au choix commun d'un candidat, ce serait quand même, finalement, aujourd'hui, une perspective qui donnerait de l'espoir. Etre fort, pas simplement pour être au second tour, encore que ce n'est pas négligeable, on s'en est aperçu en 2002, c'est même essentiel, mais être capable de créer une dynamique, de créer une mobilisation dans le pays. Alors oui, cela vaudrait la peine d'organiser à ce moment-là des primaires pour un candidat unique.
Q - Et si le candidat PS qui devance tout le monde, y compris F. Hollande, L. Fabius, D. Strauss-Kahn, est la candidate S. Royal ?
R - Ce seront les militants qui en jugeront, ce n'est pas le premier secrétaire ou tel ou tel d'entre nous. Ce sont les militants qui jugeront qui, non pas est simplement capable de gagner, de diriger le pays, de le transformer et de présenter aussi une équipe. Assez de cette conception des institutions de la Vème République qui considère qu'il y aurait un homme - peut-être demain, une femme - providentiel pour gagner et gouverner.
Q - C'est extraordinaire de pouvoir dire "une femme, peut-être la mienne..." ?
R - "La nôtre", si c'était le cas...
Q - Vous la partagez... Merci, bonne journée F. Hollande !
Source Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 16 décembre 2005
R - Cette loi est un acquis de la République. Pendant cent ans, et après une loi qui a été élaborée dans la confrontation, nous avons vécu en paix, les Eglises et l'Etat.
Q - Il faut rester en paix ?
R - Il faut rester en paix. A quoi servirait-il aujourd'hui, alors que nous fêtons déjà le centenaire, de changer ce qui existe et ce qui marche ? Il y a une place de l'islam qu'il faut accorder, c'est normal, c'est la deuxième religion de France. Il faut trouver des modes de régulation, de relation, de financement. Il n'y a pas besoin de changer la loi pour cela. Et ceux qui évoquent un changement de la loi au prétexte qu'il y aurait l'islam, en fait, n'ont jamais admis la loi laïque de 1905.
Q - Etes-vous d'accord avec B. Stasi, qui présidait la commission qui porte son nom : "les religieux ne doivent pas s'inviter dans le débat politique, on ne doit pas non plus les y inviter."
R - Je crois que oui et qu'il y a eu une dérive ces dernières années de penser que c'était à travers les religieux, voire les religions que l'on pouvait accéder à la citoyenneté ou à la politique. La politique c'est le vote, c'est l'organisation par les partis politiques du débat, et le pire serait de confondre les partis et les religions.
Q - Dans le débat sur colonisation, vous demandez à D. de Villepin de retirer, dans les trois semaines - c'est-à-dire avant la fin de l'année - l'article reconnaissant le rôle positif de la colonisation. Pourquoi les socialistes l'avaient-ils voté en 2004 et en 2005 ?
R - Non, les socialistes avaient voté un texte qui était sur la question des rapatriés...
Q - Non, mais vous pouvez reconnaître qu'il y avait cet article, pourquoi est-ce qu'ils l'ont reconnu ? Est-ce c'était de l'inadvertance, de l'imprudence, une erreur ?
R - Cet article est passé inaperçu, à tort. Il y a eu une émotion, une émotion légitime.
Q - Après coup !
R - Après coup, l'erreur ayant été commise...
Q - Par les socialistes aussi ?
R - Non !
Q - Vous pouvez le reconnaître !
R - Non, par un député UMP qui a fait passer, dans la nuit, un amendement. Le groupe UMP l'a voté, des socialistes par inadvertance aussi. Que constate-t-on ? On constate que cette disposition, cet amendement crée, à juste raison, une émotion. Que faisons-nous, nous les socialistes, après en avoir fait le constat ? Nous déposons - parce qu'il faut, quand il y a une erreur, la corriger immédiatement -, là, il y a une semaine, une proposition de loi pour...
Q - C'est-à-dire huit mois après !
R - ...Pour abroger cette disposition. Alors que finalement UMP, PS, toutes les formations politiques pouvaient en terminer avec une polémique qui n'aurait jamais dû naître, eh bien le Gouvernement - je dis bien le Gouvernement, par la voix du ministre des Anciens combattants -, le Premier ministre et la majorité UMP, c'est-à-dire N. Sarkozy, président de l'UMP, ont refusé la proposition socialiste. J'entends hier...
Q - Comment le Premier ministre doit-il sortir de la crise ?
R - J'entends hier le Premier ministre nous dire, et à juste raison, que ce n'est pas au Parlement de faire l'histoire et regrettant implicitement que cette disposition puisse encore figurer... Alors moi, je fais une proposition simple au Premier ministre : puisqu'il pense que ce n'est pas la bonne manière de faire, puisqu'il ne faut pas mettre cette disposition dans la loi, qu'il dépose avant la fin de l'année un projet de loi ou qu'il laisse une proposition de loi être déposée et être discutée, et donc être votée, et cela en sera terminé.
Q - Et vous le votez tout de suite ?
R - Mais puisque nous avions déposé nous-mêmes une proposition...
Q - Sans débat ?
R - Donc, sans aucun débat, cette disposition étant présentée à l'abrogation, nous voterons cette disposition.
Q - Il paraît que le président de la République confie à ses visiteurs [s'agissant] de la loi 2005 qu'elle est - pardon -, ?une monstrueuse connerie?. Est-ce que vous soupçonnez J. Chirac de ne pas être pas clair à propos des discriminations des cultures, de l'identité ?
R - Je pense qu'il ne faut pas faire naître de débats inutiles. A quoi sert-il vraiment d'avoir aujourd'hui une polémique à cet égard ? Quand il y a une erreur, il faut la corriger ; quand on ne la corrige pas, c'est une faute.
Q - Comment parler aujourd'hui aux Français originaires des Antilles et du Maghreb, aux Pieds-noirs et Harkis, la même langue et d'une même France ?
R - Nous appartenons à la même Nation, nous portons les mêmes valeurs, donc, il faut s'adresser aux Français par rapport à ce qui les unit, pas par rapport à ce qui les divise. Ce qui compte aujourd'hui, c'est l'universalisme, pas le particularisme. Si on veut s'adresser à chaque partie de la France, aux uns par rapport à leur propre histoire, aux autres par rapport à leur propre religion, à d'autres encore par rapport à leur couleur de peau - on ne parle plus à la France, on ne parle même plus aux Français, on parle à des fractions du peuple français. A partir de là - et je pense que cela doit être la démarche qui va bien au-delà du Parti socialiste aujourd'hui, ou de l'UMP, la démarche de tout responsable politique -, parlons de ce qui unit la Nation, pas de ce qui la divise.
Q - Est-ce qu'il faut aussi désormais boycotter Napoléon ou revoir toutes les pages d'histoire qui le concernent ?
R - Je pense que la Nation, par ses historiens, par ses intellectuels, et aussi par le débat citoyen, peut porter un jugement sur sa propre histoire. A la fois de fierté, par rapport à ce que nous avons pu faire il y a longtemps, au nom de nos valeurs universelles. Egalement de regret, de remord, par rapport à ce qui a pu se passer aussi dans notre propre histoire ? les guerres, avant hier l'esclavage, la colonisation... Mais nous devons aussi porter ensemble nos valeurs pour montrer que la France est aussi une référence, un exemple. La France des droits de l'homme, cela compte aujourd'hui, encore aujourd'hui. Donc les historiens font leur travail mais le Parlement ne se transforme pas en Académie des sciences morales et politiques.
Q - Mais est-ce qu'il n'y a pas une contradiction ? Parce que sous le gouvernement Jospin, le Parlement a quand même voté la loi C. Taubira qui dénonce l'esclavage comme crime contre l'Humanité ; c'est ce qui est enseigné aujourd'hui dans les écoles. Là aussi, c'est le Parlement, c'est le législateur et pas l'historien qui écrit l'histoire officielle.
R - C'est le rôle du Parlement de qualifier des crimes, de qualifier des crimes contre l'Humanité. Nous l'avons fait par rapport à la tragédie de la Shoah, nous l'avons fait par rapport à l'esclavage. Il y a des crimes contre l'Humanité qui doivent être nommés comme tels et qui entraînent d'ailleurs un certain nombre de conséquences juridiques et politiques.
Q - Vous le dites pour toutes les traites des Noirs, comme crime universel contre l'Humanité ?
R - Mais oui, et nous le disons encore aujourd'hui. Il y a de l'esclavage aujourd'hui, ce n'est pas un problème français, par rapport à notre propre histoire. C'est un problème mondial par rapport à l'histoire du monde, mais par rapport aussi à certaines réalités d'aujourd'hui.
Q - Je vous cite une phrase d'A. Camus, vous me dites si vous êtes d'accord : ?Il est bon qu'une nation soit assez forte de traditions et d'honneurs pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu'elle peut avoir encore de s'estimer elle-même. Il est dangereux de lui demander de s'avouer seule coupable et de la vouer à une pénitence perpétuelle?.
R - Et s'aimer, car je crois que c'est ça le mot qu'il faut avoir pour sa Nation, pour son pays. S'aimer, c'est à la fois se regarder comme l'on est et considérer que ce que l'on est, fruit de notre histoire, porte un message universel. Et c'est pour cela que je vous disais qu'en tant que responsable politique, il faut s'adresser à la Nation pour ce qu'elle est, en tant que Nation unie et pas en tant que particularismes ajoutés les uns aux les autres.
Q - Le sommet européen, bientôt, avec d'abord le budget de l'Union européenne pour 2007 et 2013. T. Blair a fait des propositions qui ne déplaisent pas aux Allemands, mais qui fâchent les dix nouveaux entrants de l'Europe de l'Est qui seraient moins aidés. Et la France ? J. Chirac souhaite un accord à Bruxelles si T. Blair fait de nouvelles propositions ; est-ce que vous craigniez un échec de ce sommet ?
R - Oui, je le crains car nous n'avons déjà plus de Constitution depuis le 29 mai, nous n'avons pas de budget et nous risquons de ne pas en avoir. Avec quelles conséquences ? Avec des conséquences que nous ne pouvons pas financer les dépenses d'avenir, nous ne pouvons pas financer la Politique agricole commune dans les conditions que l'on connaît aujourd'hui.
Q - Alors que fait-on ?
R - Nous ne pouvons financer l'élargissement... Oui, il y a un risque et à partir de là, il faut être capable, là encore, non pas d'être dans des particularismes nationaux, mais d'être dans une conception européenne. Et c'est pourquoi nous avons fait la proposition, certes de revoir ce qui doit être révisé, le chèque britannique, les conditions de la Politique agricole commune, le mode de fonctionnement de l'Europe ; des économies sont possibles...
Q - Autrement dit, comme J. Chirac, vous dites que chacun doit faire un effort partagé ?
R - Partager les efforts par rapport aux politiques d'aujourd'hui, mais également augmenter - je dis bien "augmenter" le budget ? pour financer à la fois l'élargissement, les dépenses d'avenir, la recherche, l'éducation. Bref, ce dont nous avons besoin en termes d'emploi et de croissance. Et si nous en restons simplement à la gestion de l'acquis communautaire, il n'y aura ni acquis communautaire ni préparation de l'avenir.
Q - Comment qualifiez-vous la présidence de T. Blair de l'Union européenne ?
R - C'est une présidence pour rien, une présidence verbale. T. Blair a des qualités, on les connaît, il cite les problèmes mais il ne les règle pas. Cela nous rappelle aussi un certain nombre de réalités en France. Il ne suffit pas de citer des problèmes, il faut les régler ! Il avait parlé de dépenses d'avenir, elles ne sont pas dans le projet de budget qu'il nous présente.
Q - L. Jospin libère son parti, votre parti, et l'encourage à un devoir d'inventaire, donc de critiques, sur son action à Matignon entre 1997 et 2002. Par quoi commencez-vous ?
R - Nous avons fait ce travail d'inventaire, de bilan, de critiques, etc....
Q - Oui, mais lui-même cite et il dit que c'est insuffisant. Encore un effort F. Hollande...
R - Lui-même, de son propre point de vue, ajoute un certain nombre de regrets par rapport à ce qu'a pu être son action. Mais je veux quand même en terminer avec cette période qui a été une période extrêmement positive en termes de croissance, d'emploi, de redistribution, de progrès sociaux, avec ses insuffisances, sinon, s'il n'y avait pas eu d'insuffisances, nous serions encore aux responsabilités. Mais je veux me tourner résolument vers l'avenir, partant de ce que nous avons fait qui a marché, regrettant ce qui n'a pas marché, mais étant tourné vers...
Q - ...Mais trois-quatre ans après le gouvernement Jospin, qu'est-ce qu'il faudrait changer ? Qu'est-ce que vous avez envie, vous, de changer pour préparer l'avenir justement ?
R - Ce que j'ai envie de changer, c'est une méthode d'action et de dire clairement aux Français. Nous allons tout faire pour que la gauche revienne aux responsabilités, il y a besoin pour relancer la croissance, trouver du pouvoir d'achat qui manque cruellement aujourd'hui, affirmer les services publics, donner priorité à l'éducation. Mais tout ne viendra pas de la loi, tout ne viendra pas de l'Etat. Il faudra, bien sûr, contractualiser avec les collectivités locales, parce que ce sont elles qui agissent avec les partenaires sociaux, parce que ce sont eux qui doivent négocier un certain nombre de textes. Donc, ce que je veux dire c'est qu'il faut en sortir avec l'idée que, venant au pouvoir, prenant des lois, que ce soit de bonnes lois ou de moins bonnes lois, tout deviendrait différent.
Q - C'est vous qui devez animer la commission chargée de concevoir le projet du Parti socialiste - on l'a entendu au Mans. La cueillette des bonnes idées, originales, singulières, lumineuses, a-t-elle commencé ?
R - Oui, elle a commencé depuis, heureusement plusieurs mois. Nous sortons d'un congrès, nous avons affirmé des propositions et je veux en citer quelques-unes...
Q - Mais quand saura-t-on ce qu'elles sont ?
R - Nous le saurons, là, au mois d'avril ou mai, mais déjà, les grandes lignes de notre projet sont connues. J'en ai assez qu'on me dise que nous ne faisons pas de propositions... Pour l'éducation, nous avons des propositions, notamment dans les quartiers : mettre des classes en zone d'éducation prioritaire à quinze élèves. Etre capable, sur les logements sociaux, de fixer...
Q - Donc, on ne supprime pas les ZEP ?
R - On les redéfinit, on les recentre où c'est nécessaire, mais on les renforce. Sur les logements sociaux, faire en sorte qu'il y ait 20 % dans chaque construction en termes de logements sociaux, que dans chaque ville, il y ait cette obligation. Bref, sur chaque sujet être capable d'être le plus concret possible. Et en même temps, de dire à la Nation ce que je viens de vous dire, c'est-à-dire être capable de nous adresser à tous et pas simplement à quelques-uns.
Q - A. Chabot, hier, sur France 2, posait une question : la gauche est-elle prête à gouverner ? Si vous y étiez, qu'est-ce que vous auriez répondu ?
R - Oui, le plus rapidement sera le mieux ; 2007 arrive, nous serons prêts. Mais être prêt, ce n'est pas simplement avoir telle ou telle proposition, c'est être capable de dire la vérité aux Français sur la situation.
Q - Les UMP promettent un candidat unique pour 2007 ; est-ce que le PS, votre parti, en fera autant ?
R - Mais le PS n'aura qu'un seul candidat, celui que les militants auront choisi. Cela se passera en novembre prochain et cette question est derrière nous. Je veux dire par là que la procédure est derrière nous, on n'a pas besoin de changer quelque statut que ce soit. Le choix du candidat, lui, il viendra en son temps.
Q - Mais comment sélectionnerez-vous le meilleur qu'il y aura à soutenir ?
R - Je vais lancer un appel. Ce sont les militants socialistes, les adhérents du parti qui feront ce choix.
Q - Il n'y a pas quelqu'un qui s'autodéclare ?
R - Cela n'existe pas chez nous. On peut se déclarer, on se présente (inaud.). Et que tous ceux qui ont envie de participer à ce choix, qui sera un choix important, du candidat ou de la candidate socialiste à l'élection présidentielle, adhérents au Parti socialiste, pourront voter et, à ce moment-là, choisir délibérément, souverainement, leur candidat.
Q - L'Italien R. Prodi a fait un tabac au congrès PS du Mans, sa méthode des primaires très ouvertes fait des envieux, est-ce qu'elle peut être adoptée par vous avant 2007 ?
R - Si des partis politiques autres que le nôtre voulaient participer au choix commun d'un candidat, ce serait quand même, finalement, aujourd'hui, une perspective qui donnerait de l'espoir. Etre fort, pas simplement pour être au second tour, encore que ce n'est pas négligeable, on s'en est aperçu en 2002, c'est même essentiel, mais être capable de créer une dynamique, de créer une mobilisation dans le pays. Alors oui, cela vaudrait la peine d'organiser à ce moment-là des primaires pour un candidat unique.
Q - Et si le candidat PS qui devance tout le monde, y compris F. Hollande, L. Fabius, D. Strauss-Kahn, est la candidate S. Royal ?
R - Ce seront les militants qui en jugeront, ce n'est pas le premier secrétaire ou tel ou tel d'entre nous. Ce sont les militants qui jugeront qui, non pas est simplement capable de gagner, de diriger le pays, de le transformer et de présenter aussi une équipe. Assez de cette conception des institutions de la Vème République qui considère qu'il y aurait un homme - peut-être demain, une femme - providentiel pour gagner et gouverner.
Q - C'est extraordinaire de pouvoir dire "une femme, peut-être la mienne..." ?
R - "La nôtre", si c'était le cas...
Q - Vous la partagez... Merci, bonne journée F. Hollande !
Source Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 16 décembre 2005