Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à France 2 le 10 janvier 2006, sur le plan social de Hewlett Packard et la négociation de l'accord sur l'assurance chômage.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral


Q- Aujourd'hui, les employés de Hewlett-Packard sont en grève. C'est une entreprise où ils avaient accepté de renégocier les 35 heures, en échange d'un plan social moins dur. Est-ce que cela veut dire, s'ils se mettent en grève, que leurs efforts n'ont servi à rien ?
R- Non, leurs efforts ont été récompensés, si j'ose dire, parce que le plan social a prévu moins de licenciements qu'au départ, plus de 300 licenciements en moins.
Q- Mais s'ils sont en grève aujourd'hui, c'est qu'il y a un problème quand même ?
R- Si ils sont en grève, c'est tout simplement parce qu'il faut négocier maintenant le plan social, il faut négocier les conditions de départ, il faut négocier les primes de licenciements, il faut négocier tout ce qui tourne autour d'un plan social qui concernera plus de 800 personnes. Et il est normal que les organisations syndicales fassent pression pour obtenir ce qu'ils proposent.
Q- Mais beaucoup disent quand même que renégocier les 35 heures dans l'espoir d'avoir des plans social moins durs, c'est un piège ?
R- "Un piège", pas obligatoirement. D'abord, il faut bien préciser que ce n'est pas la fin des 35 heures à Hewlett-Packard par exemple. C'est une renégociation de l'accord, en remettant en cause certains avantages que les salariés avaient obtenus. Dans le passé...
Q- Au départ, vous voulez dire qu'au départ, ils avaient obtenu plus que les 35 heures ?
R- Mais les accords des 35 heures, c'est au minimum un certain nombre de réductions de temps de travail, et puis dans certaines entreprises, ils ont eu plus. Et selon les situations sociales, il y a une renégociation, comme cela s'est toujours fait dans les entreprises. Avant, on parlait surtout des primes, là on parle du temps de travail, en échange de moins de licenciements ou en échange de la création d'emplois. Cela a toujours été comme ça, c'est comme ça que ça se passe, et les syndicats font tout simplement leur travail pour protéger l'emploi.
Q- Mais est-ce que certaines entreprises peuvent être tentées par un certain chantage, en disant "si vous n'acceptez pas de revoir les 35 heures, nous, on licencie" ?
R- Bien évidemment. Le chantage des entreprises, dans certains endroits,cela existe toujours, à une limite près : les différences de coûts du travail entre la France par exemple et la Chine, parce qu'on nous parle souvent de la concurrence internationale, sont tellement importantes, parfois jusqu'à 30 fois moins important le coût du travail dans ces pays là, que ce n'est pas en remettant en cause certains avantages qu'on remettra en cause la concurrence internationale. Ce sont donc des fausses pistes.
Q- Est-ce qu'il y a quand même un risque en France de baisse de la protection sociale généralisée ?
R- La protection sociale en France n'a pas baissé ces dernières années. Le souci de la protection sociale actuellement, c'est de pouvoir financer les évolutions des techniques, le retournement démographique avec le vieillissement de la population. C'est donc : comment trouvons-nous des nouvelles recettes pour pouvoir garder ce niveau de protection sociale qu'on a dans notre pays ?
Q- Le deuxième dossier, c'est l'Unedic. Vous avez signé l'accord de financement de l'assurance chômage. Est-ce que vous ne vous sentez pas un petit peu seul, dans la mesure où il y a seulement un autre syndicat qui a signé avec vous ?
R- La question aujourd'hui n'est pas de savoir si on est seuls ou pas. On sait très bien qu'à l'Unedic, il y a d'abord un syndicat, la CGT, qui ne signe jamais - c'est comme ça depuis plus de 40 ans -, et d'autres syndicats, FO, qui n'arrivent plus à revenir dans la gestion de l'assurance chômage. La question c'est : est-ce que les syndicats en France sont prêts à assumer toutes leurs responsabilités ? On a l'habitude, dans notre pays de dire, quand le Gouvernement prend des décisions sans nous : "Vous n'avez pas le droit de prendre des décisions, il n'y a pas de dialogue social". Mais lorsque on est sur un sujet où personne ne conteste notre pouvoir, on a des organisations syndicales qui n'arrivent pas à s'engager ! Donc maintenant, il va falloir savoir si dans notre pays, on est prêts à assumer toutes nos responsabilités, dans le cadre de la gestion de ces organismes d'assurance chômage ou dans le cadre du dialogue social.
Q- Mais ce que dit la CGT, c'est que les syndicats n'ont pas à accepter de nouveaux sacrifices des salariés ?
R- Vous savez, la CGT n'est jamais entrée dans une démarche de négociations depuis sa création. Donc elle s'est mise hors jeu de ce débat-là. La CGT estime que c'est à l'Etat de gérer l'assurance chômage. Nous, nous pensons que c'est notre rôle d'organisation syndicale, non pas parce qu'on a un gâteau à protéger, mais tout simplement, parce que dans tous les pays européens, où c'est l'Etat qui gère l'assurance chômage, l'Etat a baissé les droits des chômeurs. Cela été le cas, par exemple, en Allemagne dernièrement, quel que soit le gouvernement, de droite ou de gauche. Là, c'était un gouvernement de gauche. L'Etat a baissé le système d'assurance chômage. La preuve : M. Schröder a eu un échec aux élections de ce fait. Donc nous pensons que c'est de notre intérêt de le faire, parce qu'on protège mieux les chômeurs que ce que peut faire l'Etat.
Q.-Vous parliez de "gâteau". Certaines mauvaises langues disent que la CFDT veut signer à tout prix, parce qu'elle va prendre la présidence de l'assurance chômage...
R- Mais la CFDT s'engage dans ses responsabilités ! Lorsqu'on signe un accord, lorsqu'on a une responsabilité de défendre les chômeurs et leurs droits, inévitablement, il faut prendre ses responsabilités jusqu'au bout...
Q- Quitte à prendre des mesures difficiles ?
R- Mais les mesures difficiles, aujourd'hui, elles sont équilibrées. On a obtenu dans cette négociation, un meilleur accompagnement des chômeurs, pour que les chômeurs retournent au travail plus rapidement. Ce sont quinze jours de chômage en moins en moyenne pour tous les chômeurs. Donc ce n'est quand même pas une responsabilité difficile à prendre de faire en sorte qu'on ait plus d'aides, pour que chaque chômeur retrouve du travail plus facilement.
Q- L'autre dossier, ce sont les fonctionnaires. La presse de ce matin dit que le Gouvernement pourrait proposer, dans les négociations qui vont reprendre 0,5 % d'augmentation. Est-ce suffisant ?
R- Bien évidemment, on est loin du compte. On sait que toutes les organisations syndicales, la CFDT en premier, veulent négocier autour de l'inflation prévue. Donc c'est plutôt entre 1,5 et 1,8. C'est là que doit se situer la vraie négociation. Mais nous ne souhaitons pas négocier uniquement ce problème-là. On nous parle de modernisation de l'Etat, on nous parle de mobilité des fonctionnaires. Si on veut moderniser l'Etat, si on veut permettre aux fonctionnaires de changer de métier pendant leur carrière, il faut travailler sur les carrières professionnelles, il faut travailler sur la formation, il faut travailler sur les méthodes de dialogue à tous les niveaux de la fonction publique. C'est l'ambition que la CFDT a.
Q- Vous ne voulez pas en rester aux salaires, vous voulez aller beaucoup plus loin ?
R- Bien évidemment, ce serait une négociation petit bras. On nous parle d'évolution de l'Etat. Si l'on veut parler de cette évolution de l'Etat, il faut donner les moyens aux fonctionnaires d'assumer cette évolution. C'est de la formation, c'est de la mobilité, c'est une évolution des carrières professionnelles : c'est ça, les enjeux derrière. Après, le problème du pouvoir d'achat est un problème important, mais essayons de voir les choses d'une façon beaucoup plus large et beaucoup plus ambitieuse.
Q- Demain, D. de Villepin va proposer son plan pour réduire la dette publique. Les syndicats sont conviés. Qu'est-ce que vous allez dire ?
R- Tout simplement que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il y a une dette de l'Etat...
Q- Mais elle s'est beaucoup aggravée...
R- Oui, mais justement, elle s'est aggravée ces dernières années. Et je trouve que le Gouvernement est un peu hypocrite de tenir ce discours. Un, je rappelle que la CFDT n'a pas soutenu la réforme de l'assurance maladie, justement parce que l'Etat transférait la dette aux futures générations. C'est la fameuse "caisse de la dette". Le Gouvernement, et la CFDT l'a contesté, s'est privé de recettes importantes, en baissant les impôts. Et aujourd'hui, on nous dit qu'il y a une dette de l'Etat. Je pense que quand on a des difficultés, d'une part on ne baisse pas les recettes, mais surtout, si on veut demain savoir comment on va permettre à l'Etat de remplir ses missions, il faut définir quelle sont nos ambitions, pour la formation, quelles sont nos ambitions pour la justice. On a aujourd'hui l'ouverture de la commission d'enquête sur la commission d'Outreau. Quelles sont nos ambitions sur la sécurité ? Quelles sont nos ambitions pour l'armée ? Ce sont tous ces sujets-là qu'il faut mettre sur la table. Et une fois qu'on aura défini les ambitions de l'Etat, on définira les moyens et ensuite, le nombre de fonctionnaires, la qualification des fonctionnaires. Mais ce sujet-là, le Premier ministre n'en parle pas. Il a trop peur de parler, parce que je crains qu'il y ait une vraie difficulté, de la part de ce Gouvernement-là, d'avoir une vraie vision de l'Etat, une vision d'avenir pour notre pays.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 janvier 2006)