Entretien de M. Philipppe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec des radios et des télévisions le 1er mars 2006 à Paris, sur les avancées obtenues à la Conférence de Paris dans la recherche de nouveaux financements pour aider au développement et à la lutte contre les pandémies dans les pays les plus pauvres.

Prononcé le 1er mars 2006

Circonstance : Conférence de Paris "Solidarité et mondialisation : financements innovants pour le développement et contre les pandémies" les 28 février et 1er mars 2006

Texte intégral

Q - Sur l'histoire des billets d'avion, il y a seulement une vingtaine ou une trentaine de pays, n'est-ce pas un peu décevant ?
R - Cette conférence montre un tournant historique dans la lutte pour le développement des pays les plus pauvres et en particulier pour lutter contre les maladies que sont le sida, la tuberculose et le paludisme. Pourquoi ? Parce que d'abord 13 pays ont accepté de mettre en place une contribution sur les billets d'avion, mais surtout 40 pays ont décidé de participer à ce que l'on appelle une Facilité d'Achat de Médicaments. Il faut que cet argent aille dans une sorte de caisse, ce qui nous permettra de dire aux industries pharmaceutiques : "Nous allons vous acheter beaucoup de médicaments et donc vous allez baisser les prix, et chaque fois que les prix seront baissés, nous pourrons soigner plus de malades." N'oubliez pas que sur les 6 millions de personnes qui ont besoin d'urgence de traitement contre le sida, un million simplement aujourd'hui en ont. Il est donc nécessaire de mettre en place le plus vite possible ce système.
Q - Avant la conférence, avez-vous eu l'espoir que plus que 13 pays ?.
R - Jamais nous n'aurions cru qu'il y ait aussi rapidement un engouement pour cette aide au développement car il s'agit tout simplement de défendre une idée. L'idée est simple : plus la mondialisation avance, plus les pays riches deviennent de plus en plus riches et plus les pays pauvres, à l'inverse, deviennent de plus en plus pauvres. Il est donc normal de créer, à partir des fruits de la mondialisation, comme l'avion par exemple, des ressources qui permettent de soigner les pays les plus pauvres. C'est important dans le monde dans lequel nous vivons, de plus en plus dangereux, de soigner et de tendre la main à ceux qui sont les plus pauvres et les plus démunis.
Q - On a quand même l'impression que c'est une préoccupation des pays du Sud, que les pays développés, je pense notamment aux Etats-Unis et au Canada, grosso modo, ne sont pas préoccupés par le développement tel que la France l'entend, en tout cas.
R - Aujourd'hui, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège, l'Espagne et d'autres pays se joignent à nous et aux pays du Sud pour participer à cette aventure extraordinaire qui consiste à dire : "Profitons de cette mondialisation pour taxer, donner à ceux qui en ont plus besoin, en particulier à ceux qui sont en train de mourir du sida, de la tuberculose et du paludisme par manque de médicaments". Cette grande idée est simple : mettons cet argent dans une caisse, ce qui nous permettra ensuite de dire aux industries pharmaceutiques : "parce que nous allons vous acheter énormément de médicaments et pendant très longtemps, baissez vos prix, et avec la même enveloppe financière vous traitez trois millions de personnes au lieu de deux millions, ce qui change la vie évidemment des pays pauvres".
Q - Que peut-on dire de la vision des principaux intéressés à la taxe aérienne que sont les compagnies aériennes ? Elles ont montré beaucoup de réticences.
R - Je répondrai aux compagnies aériennes qu'il est ridicule de penser que cela peut gêner l'une ou l'autre. Toutes les compagnies aériennes seront taxées de la même manière. Lorsqu'un pays aura décidé d'une contribution sur les billets d'avion pour le développement, toutes les compagnies, quelles qu'elles soient, dans la mesure où elles atterrissent en France, où elles décollent de France, seront taxées de la même manière. Il n'y a donc pas de problème de concurrence. Par ailleurs, pour quelqu'un qui prend un billet d'avion de 5 000 ou 6 000 euros en classe affaires pour aller à New York, permettez-moi de vous dire que 10 ou 20 euros ne me paraissent pas être de nature à lui faire remettre en cause son voyage. Cela je ne le croirai jamais.
Q - Pourquoi est-ce la France qui prend la tête de cette croisade, alors qu'il existe des organismes internationaux, le Fonds Global, l'ONUSIDA, etc??
R - Aujourd'hui, si nous ne doublons pas l'aide au développement, nous aurons une catastrophe sanitaire sans précédent sur la planète, compte tenu de la démographie d'un côté et de la mondialisation de l'autre qui appauvrissent les plus pauvres. Alors vous aurez un phénomène très clair : une surmortalité dans les pays les plus pauvres et, à la sortie, bien évidemment, dans les pays les plus pauvres, les plus démunis, des jeunes qui se transformeront en grandes personnes qui vont venir déstabiliser les démocraties occidentales.
Deuxième raison, c'est une exigence morale et éthique. Comment peut-on accepter que, sur 6 millions de personnes qui ont besoin de manière urgente de médicaments contre le sida, comment peut-on accepter que 5 millions ne voient pas la couleur d'un seul comprimé ?
Q - Mais les organismes internationaux, cela ne marche pas ?
R - Ils marchent, mais ils n'ont pas suffisamment d'argent.
Q - Il y a la Banque mondiale, le Fonds mondial sur le sida, pourquoi créer un autre organisme ?
R - Parce qu'aujourd'hui, malheureusement, que ce soit le Fonds mondial, que ce soit ONUSIDA, ils n'ont pas suffisamment de moyens pour faire face à cette demande sanitaire de plus en plus importante si bien qu'il y a une personne qui, toutes les six secondes dans le monde, est contaminée par le VIH/sida.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mars 2006