Conférence de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'examen par l'Union européenne des questions liées aux Balkans occidentaux, notamment au futur accord sur le Kosovo, au référendum au Montenegro et à la coopération de la Serbie avec le TPIY, aux perspectives d'intégration dans l'Union européenne et à la date d'adhésion à l'UE de la Bulgarie et de la Roumanie, Salzbourg le 11 mars 2006.

Prononcé le

Circonstance : Réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne (Gymnich) les 10 et 11 mars 2006 à Salzbourg

Texte intégral

Je me félicite que la Présidence autrichienne m'ait convié pour cette rencontre informelle. Vous savez en effet que l'année 2006 sera très importante pour cette région avec, en particulier, la question du statut du Kosovo et la question bien sûr du référendum au Monténégro.
Nous avons d'abord parlé du Kosovo. Nous nous sommes réunis avec M. Martti Ahtissari qui a fait le point sur le processus, après sa dernière visite dans la région et la première réunion sur la décentralisation entre des représentants de Belgrade et de Pristina.
Nous avons tous apporté un soutien sans faille à son approche qui, comme vous le savez, se focalise d'abord sur le règlement de questions très concrètes liées au contenu du statut, comme la décentralisation, la protection des sites religieux, avant d'aborder la question du statut lui-même.
De ce point de vue, nous nous félicitons de la poursuite des contacts entre Belgrade et Pristina dans les prochaines semaines.
J'ai rappelé que chacune des parties devait faire preuve de réalisme et d'un esprit de compromis. J'ai également souligné la nécessité pour l'Union européenne de se préparer concrètement à assurer une présence accrue au Kosovo pour la mise en oeuvre le futur accord sur le statut, notamment dans les domaines de la police et de l'Etat de droit.
Nous avons évoqué, après le Kosovo, le Monténégro. Nous nous réjouissons bien sûr de l'accord qui est récemment intervenu entre le gouvernement et l'opposition sur les conditions d'organisation du référendum grâce à la mission de M. Lajcak, représentant personnel de M. Solana dans cette affaire.
Nous attendons désormais que les engagements pris de part et d'autre soient tenus. Ensuite, nous avons accueilli les ministres des Affaires étrangères des pays des Balkans, cette rencontre nous a permis de mesurer le chemin parcouru par les pays des Balkans depuis les Sommets de Zagreb et Thessalonique sur la voie de la stabilité et du rapprochement avec l'Europe.
Nous avons également saisi l'opportunité pour les encourager à continuer leurs efforts en ce sens. Nous avons bien sûr souligné l'importance de la perspective européenne des Balkans occidentaux, mais j'ai aussi souligné que cette perspective devait s'articuler avec la réflexion sur la stratégie sur l'élargissement de l'Union que nous devons avoir cette année, d'ici juin, conformément d'ailleurs aux souhaits du Conseil européen de décembre 2005. Cette réflexion doit, comme vous le savez, aborder le sujet de la capacité absorption de l'Union européenne.
Q ? Qu'avez-vous répondu à M. Straw qui a critiqué la France qui aurait un problème avec l'élargissement et a notamment refusé à deux reprises l'entrée du Royaume-Uni dans la CEE?
R - Je lui ai répondu que j'étais très heureux non seulement de voir aujourd'hui que le Royaume-Uni était dans l'Union européenne, mais également que je voyais à quel point il devenait de plus en plus européen. Pour moi, c'était évidemment une conclusion très positive de voir le Royaume-Uni devenir très européen.
Vous savez que c'était en l'an 2000 sous présidence française, que la vocation européenne des pays des Balkans occidentaux a été clairement affirmée. Aujourd'hui, nous avons eu une réunion très intéressante qui a permis de montrer à quel point des progrès avaient été accomplis et, également, de confirmer clairement la perspective européenne de ces pays.
On ne peut pas demander à ces pays de faire des réformes difficiles, dures, sans donner une perspective européenne. Mais, attention, nous avons besoin du soutien des citoyens de l'Union européenne pour la poursuite du processus d'élargissement. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, en juin prochain, avoir un débat au Conseil sur l'avenir de l'Union. Il faut bien comprendre qu'il est vraiment dans notre intérêt commun, et je dis bien commun, que ce débat ait lieu, dans l'intérêt même de la poursuite des prochaines étapes du rapprochement européen des Balkans occidentaux.
Je voudrais également dire que j'ai l'engagement européen trop chevillé au corps pour ne pas tenter de bien définir ce que nous voulons faire. Pour moi, l'Union européenne, c'est un sens politique, ce n'est pas un marché. Donc, chaque fois qu'un pays peut être amené à rentrer dans l'Union européenne, il est important de savoir ce que nous faisons, toujours dans le sens de l'action. Quel sens donnons-nous à l'Union européenne ? Est-ce un simple marché, auquel cas, évidemment, on peut toujours l'élargir, ou bien des valeurs communes, bien sûr, mais également une union politique, avec des règles concernant un certain nombre de sujets qui peuvent toucher, en effet, à la Défense, à la politique étrangère, à la force, tout simplement, de l'Union européenne.
Je ne sais pas si mon collègue a abordé ce sujet ce matin. Ce serait intéressant d'avoir un débat avec lui sur ce sujet, sur le sens que nous donnons à l'Union européenne. Pour la France, en effet, ce n'est pas l'extension économique d'un vaste marché, c'est un sens politique.
Q - L'indépendance du Kosovo est-elle inévitable ?
R La meilleure manière de respecter ceux qui négocient, c'est d'abord de respecter le négociateur et donc de ne pas préjuger de la conclusion des négociations. M. Martti Ahtisaari est à mon avis l'un des meilleurs négociateurs que l'on pouvait espérer. Pour être allé à Pristina, pour être allé à Belgrade, pour avoir rencontré toutes les parties, pour avoir beaucoup parlé avec M. Martti Ahtisaari, à plusieurs reprises, je peux vous assurer que son calendrier, ses idées, sa manière de respecter l'autre nous paraît être une bonne chose.
Q ? Lorsque vous parlez de la perspective européenne, pensez-vous aussi au statut de membre de l'Union à part entière ou parlez-vous d'autre chose ?
R - Vous savez, aujourd'hui la question n'est pas là. Nous avons eu une discussion très intéressante. Le ministre albanais a été absolument remarquable en parlant des problèmes de corruption, en parlant des problèmes de démocratie et des vrais sujets de sécurité. Nous n'en sommes pas encore là, on en est d'abord à savoir quels sont les sujets qui avancent, ensuite, nous verrons ce que nous ferons. En tout cas, il me paraît bon, comme l'avait dit la présidence française, pour la première fois, de donner une perspective européenne aux Balkans occidentaux, c'est à la fois permettre à ses peuples de mieux comprendre les réformes qu'il faut envisager, et c'est, en même temps, s'assurer d'une stabilité pour l'Union européenne.
Q ? Vous demandez aux responsables de la Serbie d'accepter un référendum au Monténégro, l'évolution du statut du Kosovo et de coopérer avec le TPIY. Que leur donnez-vous en échange?
R - J'espère que vous ne mettez pas sur le même plan le référendum du Monténégro, le statut du Kosovo et le TPIY. Cela n'a rien à voir. Je commence par le Tribunal international qui est quelque chose d'absolument fondamental. Il n'est pas question, en tout cas pour ma génération, de penser un seul instant qu'il puisse y avoir une simple petite perspective européenne s'il n'y a pas une parfaite collaboration des gouvernements serbes, bosniens et croates. En ce qui concerne le TPIY, M. Karadzic doit être arrêté et transféré à La Haye, M. Mladic doit être arrêté et transféré à La Haye. Les Serbes ont aujourd'hui des perspectives mais aussi des responsabilités fortes, qu'ils peuvent accepter dans la mesure où ils auraient, en effet, des contreparties.
Je crois, aujourd'hui, que si on regarde le Monténégro, constitutionnellement. Si on regarde ce que les élus du Monténégro pensent, globalement, il y a une forte majorité pour la démocratie. Ce qu'il faut, en effet, c'est qu'il existe d'excellentes relations entre les deux capitales. Deuxièmement, sur le Kosovo, je ne préjuge pas de cela, je peux vous assurer que la communauté internationale, la France en particulier, exigera le respect des minorités serbes, le respect des patrimoines culturels et religieux serbes. J'ai envie de vous dire que si ces réformes sont faites, si la collaboration avec le TPIY est parfaite, c'est la perspective européenne pour la Serbie qui sera d'autant plus facile.
Q - Avez-vous parlé de la date de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie ?
R - Non.
Q - Y a-t-il des membres qui pensent qu'il faut reporter cette adhésion à d'un an, compte tenu du fait que les problèmes de corruption ne sont pas des choses que l'on peut régler en quelques semaines ou en quelques mois ?
R - Comme vous le savez, sur ces pays, la Commission rédige un rapport. Dès l'instant où nous aurons parfaitement lu le rapport de la Commission, nous aurons à nous exprimer. C'est vrai pour tous les élargissements et la Commission va donner son rapport en mai. C'est vrai qu'il y avait eu des retards, par le passé, en particulier en matière de Justice et Affaires intérieures (JAI) mais nous avons très vite su passer au prochain rapport. Si la Commission rédige un rapport favorable, nous serons évidemment heureux d'accueillir la Roumanie et la Bulgarie.
Q ? Est-ce que vous n'appliquez pas deux poids et deux mesures selon s'il s'agit d'une part de la Roumanie et de la Bulgarie et d'autre part des Balkans?
R - Nous avons, en France, connu une absence de pédagogie des différents gouvernements qui se sont succédés depuis quinze ans sur l'élargissement. Je dis simplement qu'il faut faire attention aux peuples lorsque l'on fait de la politique, il faut savoir que le peuple n'a jamais tort. La fuite en avant ne servirait à rien entre bureaucrates, technocrates ou Européens convaincus dans nos bureaux de dirigeants. Ouvrons les yeux. Il faut leur expliquer les modélisations dont ils ont peur et réagir aux peurs collectives. A nous, les politiques, de l'expliquer.
Le deuxième point, pour que nous soyons clairs, M. Mladic doit être arrêté et déféré à La Haye. C'est un élément fondamental. La honte qu'a représentée la guerre dans les Balkans, en cette fin de XXème siècle, la purification ethnique au coeur de l'Europe, à 1h20, 1h30 de Paris, c'est une honte et ceux qui l'ont fait doivent être condamnés, je le pense profondément. Je salue aujourd'hui tous les démocrates des pays des Balkans qui veulent tourner la page, qui veulent regarder devant, veulent regarder vers l'Union européenne, veulent regarder vers la démocratie, vers les Droits de l'Homme, vers le respect de la personne humaine. Nous ferons tout, l'Union européenne, et la France, en particulier, fera tout pour les aider à acquérir cela dans une perspective européenne.
Vous comprenez bien que s'il n'y avait pas de coopération, il n'y aurait pas de confiance.
Q - Comme l'adhésion des Balkans occidentaux n'est pas pour demain, estimez-vous qu'en ce moment, l'Union européenne a la capacité d'absorption pour la Roumanie et la Bulgarie, psychologiquement et institutionnellement ?
Si, le 16 mai, la Commission recommande leur adhésion, serait-elle ratifiée au cours de cette année ?
R - Très clairement, je suis absolument persuadé que tous les pays d'Europe seront très heureux d'avoir la Roumanie et la Bulgarie dans l'Union européenne. C'est une chance pour nous. Simplement, je crois qu'il ne sert à rien de mettre des critères et de demander à la Commission de faire des rapports si on ne la suit pas. Pour la deuxième partie de votre question, si la Commission annonçait des progrès et conseillait l'entrée rapide de la Roumanie et de la Bulgarie, la France la suivrait évidemment très vite. La France n'a aucun problème là-dessus. Nous sommes très heureux et fiers de pouvoir participer à l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie qui, je le répète, sont une chance pour nous.
Q - Et dans quel délai ?
R - Allons-nous suivre la Commission européenne ? Ou alors, ne sert-elle à rien? Comme l'on a dit pour la Turquie, nous verrons chapitre par chapitre et on suivra ce que dira la Commission.
La Commission fait un rapport et si le rapport est positif, on fait rentrer, si le rapport est négatif, on attend ou alors tout cet exercice ne sert à rien.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2006