Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à RTL le 15 février 2006, sur le désamiantage du "Clémenceau" et la refonte de la directive "Bolkestein".

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Les salariés des chantiers navals de l'Inde espèrent bien que le "Clemenceau" entrera dans l'un de leurs ports, parce
qu'ils veulent travailler. Ils veulent donc le désamianter, puis le couper en morceaux. Comprenez-vous cette volonté des
salariés indiens de faire leur travail ?
R- Bien évidemment, je les comprends. Mais je crois que notre travail de syndicalistes, ici, en France, c'est aussi d'agir
pour qu'ils travaillent dans les meilleures conditions possibles. L'amiante, c'est un poison. L'amiante tue, dans notre pays
: plusieurs centaines de décès tous les ans, dans les années qui vont venir. L'Europe a décidé d'éradiquer l'amiante de tous
les bâtiments et de tous les navires. Donc l'Europe demande de désamianter les bateaux, en particulier avant destruction. Et
elle a donné des contraintes énormes pour protéger les travailleurs pour le désamiantage. Et le Gouvernement français
fonctionne, avec le "Clemenceau", comme une multinationale des plus détestables au niveau social. C'est-à-dire qu'il se
décharge sur un sous-traitant, en quelque sorte, de ses responsabilités sociales. Donc nous sommes d'accord pour que ce
bateau soit découpé en Inde, à condition que le Gouvernement français paie une sécurité pour les travailleurs indiens, pour
qu'ils puissent désamianter ce bateau dans les meilleures conditions, et non pas au rabais, comme on allait le faire...
Q- Alors, que faut-il faire maintenant ? Faut-il lui permettre d'aller jusqu'en Inde et vérifier que les conditions seront
bonnes là-bas, ou faut-il rapatrier le "Clemenceau" ?
R- L'un ou l'autre. Mais si l'on découpe ce bateau en Inde, à ce moment-là, il faut qu'il y ait un chantier de désamiantage,
en Inde, avec la protection des travailleurs indiens. Ou, si on ne peut pas le faire en Inde, qu'on le fasse en France avec
la protection des travailleurs français. On ne peut pas, d'un côté, voter des normes sociales en Europe, et se décharger sur
les pays qui ne peuvent pas les mettre en oeuvre, pour faire le travail qu'on ne veut pas faire. On ne peut pas, d'un côté,
demander que l'Europe pèse sur l'équilibre, sur la réglementation sociale au niveau mondial, et ne pas respecter ce qu'on se
donne. Donc le Gouvernement français est en faute. Il faut qu'il trouve une solution et qu'il protège les travailleurs
indiens.
Q- Si le Gouvernement est "en faute", faudra-t-il que quelqu'un paie la faute ?
R- Mais on est en train de le payer ! On ne peut pas, d'un côté, accepter qu'on nous donne des leçons sur le déficit de
l'Etat, et faire des erreurs de ce point de vue-là, qui coûtent cher aux contribuables français. Mais l'essentiel, je le dis
bien, c'est de protéger la santé des travailleurs, qu'ils soient français ou indiens. On ne peut pas dire à Monsieur Mittal
qu'on ne veut pas de son entreprise en France, parce qu'elle ne respecte pas des normes sociales, et puis, de cette
façon-là, d'un revers de main, décharger sur l'Inde les responsabilités qu'on ne peut pas prendre en France. C'est
complètement contradictoire vis-à-vis des indiens. Je comprends qu'ils soient choqués par cette démarche.
Q- Je reviens sur la notion de faute. S'il y a eu faute au Gouvernement, il faudra que quelqu'un paie : une démission ?
R- Non, c'est le problème politique, je ne rentre pas dans cette démarche-là.
Q- Les syndicats ne font pas de politique ?
R- On participe au débat politique, bien évidemment. Mais là, c'est une question de relations politiques dans le
Gouvernement, ce n'est pas mon problème !
Q- La CGT, Force ouvrière, tous les partis de la gauche française condamnent la nouvelle mouture du projet de directive, qui
est actuellement discutée au Parlement Européen. Et vous, à la CFDT, vous soutenez ce projet de directive. Passion de la
solitude ?
R- La CFDT n'est pas la seule à soutenir ce projet de réforme de la directive...
Q- En France, vous n'êtes pas nombreux. Il y a l'UMP...
R- Je n'ai pas entendu la CGT dire le contraire, hier, dans la manifestation. La CGT était dans la manifestation, hier, avec
la Confédération européenne des syndicats. Et ensemble, nous avons fait une déclaration : nous soutenons la démarche de la
Confédération européenne des syndicats, qui a proposé des amendements importants à cette directive. Un, que les règles
sociales qui s'appliquent soient les règles du pays qui accueille, donc celles de la France si l'on accueille des
travailleurs d'un autre pays. Et ensuite, qu'on exclue de cette directive, une partie des services publics : ce qui a été
obtenu. Maintenant, le Parlement doit décider. Et la Confédération européenne des syndicats, avec ses syndicats - et, à ce
que je sache, la CGT n'a pas dit le contraire - soutiendra cette démarche-là, à condition, bien évidemment, que les chefs
d'Etat la reprennent à leur compte, parce que c'est un système de co-décision. Il ne suffit pas que le Parlement fasse une
nouvelle directive - et on ne parlera plus, à ce moment-là, de "directive Bolkestein" ou d'une nouvelle directive - : il faut
aussi que les chefs d'Etat la soutiennent.
Q- Peut-être n'aimez-vous pas la solitude, mais B. Thibault, hier, a dit que la directive Bolkestein est "tout à fait
représentative de tout ce que rejette les salariés". Comme adhésion, on a vu mieux !
R- Bien évidemment ! La directive Bolkestein, on n'en parlera plus à partir de jeudi...
Q- La nouvelle mouture ?
R- Non, non !
Q- La CGT n'a pas l'air d'être très favorable !
R- La démarche de la Confédération européenne des syndicats, hier, était celle d'une modification de la directive Bolkestein
qui, une fois qu'elle sera adoptée par le Parlement, sera une autre directive. On s'est quand même battu ! Il faut quand même
valoriser le travail syndical ! On a fait une manifestation, à Bruxelles, le 19 mars. Il y a eu 70.000 personnes pour refuser
cette directive. On y était, les autres organisations syndicales y étaient. Aujourd'hui, on a des députés socialistes et du
Parti populaire, au niveau européen, qui vont intégrer nos demandes : non au dumping social, on enlève les services publics
de cette directive. Eh bien, écoutez, on valorise le travail syndical et nous, syndicalistes, nous avons l'habitude de
travailler de cette façon-là, au niveau européen. Et les syndicats européens soutiennent cette démarche...
Q- Vous avez dit, hier qu'il "serait dommage que la gauche française soit en rupture avec le syndicalisme européen". En quoi
cela serait-il dommage ?
R- Parce que la tradition européenne, c'est la tradition sociale-démocrate et on fait avancer aussi le droit dans l'Histoire.
J'ai fait simplement un petit rappel de l'Histoire de l'organisation syndicale, qui négocie avec les gouvernements pour faire
avancer le droit. Et là, hier, j'ai rencontré, dans une délégation de la Confédération européenne des syndicats, le groupe du
Parti socialiste européen. Et le Parti socialiste européen, qui a proposé nos amendements à cette directive, va soutenir ce
texte. Donc, voilà, ce sera un regret. Si cette directive n'est pas votée, il se passe deux choses. D'une part, c'est la
Commission qui fait tout seul le droit, avec des pays qui sont ultra-libéraux, comme en Pologne. Et deuxièmement, on se prive
d'un développement de l'emploi en France, vu que les français sont parmi les champions des services. Donc la libéralisation
des services, c'est aussi de l'emploi pour la France.
Q- Le CPE : c'est fini, cela va passer ?
R- Ce qui me choque le plus c'est, qu'au départ, on était sur une loi - rappelez-vous - qui devait parler du problème des
banlieues. Et d'un débat sur le problème des banlieues, qui a fait l'actualité mondiale pendant un moment, on en fait un
débat sur une déréglementation du code du travail dans notre pays ! On a un détournement de débat. On ne règle pas le
problème des banlieues, dans notre pays : c'était cela, cette loi. Et le Gouvernement est en train de faire passer, en
urgence, une loi qui devait parler d'un problème social fondamental : comment on règle ce problème social, dans les
banlieues...
Q- Donc le CPE va passer ?
R- On va manifester pour que cela ne passe pas !Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 février 2006