Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les actions en faveur d'une plus grande implication du citoyen à la construction européenne, à Nantes le 9 mars 2006.

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Circonstance : Déplacement à Nantes-débat organisé par l'association "Débat et action" et le "Club européen de Nantes" sur le thème "Comment parler de l'Europe d'aujourd'hui ?", le 9 mars 2006

Texte intégral


J'ai accepté avec grand plaisir cette invitation parce que nous étions convenus d'un thème que je crois intéressant et important, en particulier pour vous, ici, qui êtes attachés à l'Europe. Votre présence me permet de dire cela. Ce thème est : comment parler d'Europe aujourd'hui ?
Comme nous l'avons dit, et je veux vous le redire, je souhaite que nous ayons un échange libre. Je veux vous dire un certain nombre de choses sur ce que nous avons fait, sur ce que nous sommes en train de faire et ensuite je voudrais vraiment que l'on puisse parler et que vous me disiez ce que vous pensez, et que vous me disiez aussi, parce que nous sommes tous responsables de notre destin, ce que sont vos idées et vos propositions. Nous avons un vrai défi à relever et, pour le faire efficacement, il faut que vous avanciez vos idées, pour ne pas être spectateurs de votre destin européen, mais actifs.
Avant de dire comment parler d'Europe aujourd'hui, une première question : pourquoi parler d'Europe aujourd'hui ? Pourquoi ce sujet ? La réponse est simple, c'est parce qu'il le faut et parce que, jusqu'ici, on n'a pas très bien réussi à parler d'Europe. Je ne reviendrai pas sur les causes du 29 mai, ce n'est pas le sujet, le référendum a eu lieu. L'heure est à l'action et non plus à l'introspection. De fait, nous nous sommes aperçus, notamment à cette occasion, que nous n'avions pas suffisamment su parler, expliquer, en tout cas que nous n'avions pas su convaincre et, j'ajouterais que nous n'avons pas suffisamment su écouter. Il faut donc le faire aujourd'hui mieux qu'hier. Ce que nous avons constaté ce jour-là, j'en suis convaincue, va bien au-delà du texte du Traité constitutionnel qui était soumis à l'approbation des Français. Nous n'avons pas su faire partager nos idéaux sur l'Union européenne, la construction européenne. Nous n'avons pas su montrer qu'elle était apte à répondre aux aspirations des citoyens. Nous en parlions à midi, chez vous, Monsieur le Préfet, merci d'avoir organisé ce déjeuner et cette rencontre. Beaucoup d'entre nous et d'entre vous, dans ma génération et les générations précédentes, nous ont dit leurs doutes, leurs questionnements, leurs frustrations, leurs préoccupations.
J'en reviens à la question que nous nous posions : pourquoi parler d'Europe ? Avant de dire comment nous allons essayer d'en parler. C'est parce qu'il faut le faire, je crois, de façon continue. Nous avons fait l'Europe. Tous les pays engagés dans cette aventure, tous les gouvernements concernés, tous les présidents, tous les chanceliers, tous les élus, ne parlent d'Europe que par à-coups. Nous parlons d'Europe au moment de référendums, au moment des élections européennes entre autres, alors que nous devrions savoir en parler de façon continue, tout simplement parce que l'Europe est présente dans nos vies quotidiennes, dans nos vies professionnelles, dans nos vies familiales.
Le pire ennemi de l'Europe, c'est le silence. Le premier objectif, le premier défi à relever, c'est de briser ce mur du silence. De dépasser, quand on parle des questions européennes, le cercle des initiés qui fait que nous sommes "spécialistes", qu'on nous pense spécialistes. Nous sommes concernés, c'est notre travail, nous sommes intéressés par ces questions mais je souhaite - tout en ayant d'excellents rapports avec les délégations de commissions compétentes du Parlement - que nous puissions parler d'Europe avec l'ensemble des élus nationaux et locaux et pas seulement avec les membres de la Commission des Affaires étrangères et les membres de la délégation des Affaires européennes. Parce que nous ne pouvons nous permettre le risque de ne pas le faire. Bien au-delà du référendum, c'est le silence qui permet à toutes les peurs et à toutes les démagogies de s'installer et qui sert tous les populistes. Des doutes peuvent s'installer parce que nous n'avons pas suffisamment parlé des choses telles qu'elles existaient, avec leurs imperfections - toute oeuvre humaine est imparfaite - telles qu'elles existaient "en vrai", telles qu'elles sont réellement. Parlons-en, y compris en recherchant ce qui peut être amélioré, ce qui doit l'être. Je ne suis pas une "euro-béate", je sais simplement ce que la construction européenne nous apporte. Parlons-en de façon continue et régulièrement.
J'en viens à notre question principale : comment, dans ces conditions, essayer de parler d'Europe aujourd'hui ? Je suis convaincue qu'il faut faire deux choses : expliquer concrètement l'Europe, dire ce qu'elle est et l'expliquer en continu. Je voudrais vous dire un certain nombre de choses que nous avons lancées, parce que nous ne sommes pas restés les bras croisés depuis la formation du gouvernement. Il y a les négociations européennes, ce que nous faisons avec les autres gouvernements, avec la Commission, avec le Parlement, mais il y a aussi ce que l'on fait en France et avec les Français. Parler concrètement d'Europe, cela signifie, d'abord et avant tout, parler de projets précis, de politiques qui répondent aux attentes des citoyens. Il faut aussi avoir nos débats au Conseil Affaires générales, au Conseil européen, avoir nos négociations, c'est indispensable, c'est comme cela que l'Europe se fait, mais il ne faut pas en parler seulement de cette façon-là, sinon, on risque d'en parler de façon très lointaine et un peu théorique aux yeux de beaucoup. Il faut, au contraire, convaincre, montrer, démontrer, que l'Europe peut répondre aux aspirations des peuples européens et, bien sûr, du peuple français. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a comme priorité "l'Europe des projets", c'est-à-dire le développement d'un certain nombre de projets concrets, de politiques concrètes répondant aux grandes préoccupations des citoyens sur l'emploi, le développement économique, la sécurité, un espace de justice et de sécurité intérieure, la politique de défense, pour que l'Europe s'unisse et pèse sur les affaires du monde et que nous ayons un certain nombre de grandes priorités, peut-être mieux ordonnées qu'aujourd'hui. L'Europe n'est pas là pour tout faire, mais elle est là pour répondre, d'abord, aux grandes attentes des citoyens. Qu'elle se donne un programme de travail plus ordonné, des feuilles de route et des calendriers bien compréhensibles.
Ceci a une conséquence pratique sur le terrain, dont je voudrais vous entretenir un instant. Je suis très attachée à l'information et à la communication sur les projets qui sont réalisés dans nos régions. Les aides européennes existent, c'est normal, nous contribuons au budget européen, nous recevons. Nous recevons beaucoup, et tant mieux, cela nous permet, dans chacune de nos régions, d'avoir des fonds européens qui viennent aider, en co-financement, la réalisation d'un certain nombre de projets industriels, économiques? Par exemple, je me suis rendue aujourd'hui à l'AFPA de Saint-Herblain qui a un certain nombre d'activités et j'ai voulu mettre l'accent, au lendemain de la Journée de la femme, sur ce que cette association faisait pour l'emploi des femmes et, en particulier, regarder comment le programme "femmes dans le bâtiment" permettait de remplir un certain nombre de besoins non pourvus et permettait à des femmes de s'insérer dans le marché du travail, toutes de façon volontaire évidemment, dynamique et avec un esprit très positif pour chacune d'entre elles. Là aussi, l'Europe agit. Cela a été plus de 2 millions d'euros du Fonds social européen, même un peu plus dans ce cas particulier. Cela, on ne le sait pas suffisamment. Nous ne l'avons jamais suffisamment dit depuis le début de la construction européenne.
C'est pourquoi j'ai proposé au Premier ministre, que, dans cette année 2006, où l'on prépare le prochain budget européen 2007-2013, on améliore l'information et la communication sur les financements européens dont bénéficient nos régions.
Pour faire en sorte que les citoyens adhèrent à nouveau au projet européen, il faut aussi instaurer un échange permanent sur l'Europe. Je m'y emploie, depuis ma prise de fonctions, mais l'Europe, c'est l'affaire de tous. Le gouvernement a pris une série de mesures, et dès le mois de juin 2005, donc dès les premiers jours, a adopté une nouvelle méthode de travail. Le Premier ministre a décidé la mise en place de comités interministériels sur l'Europe. Qu'est-ce qu'un comité interministériel sur l'Europe ? C'est, autour du Premier ministre, une réunion des ministres compétents sur un ordre du jour, qui est défini en concertation avec les services du Premier ministre, les différents ministres et mes services. Les comités interministériels permettent, tout simplement, au-delà du talent de tous ceux qui s'occupent de l'Europe dans les administrations, tant centrales que décentralisées, de replacer le politique au coeur des questions européennes.
Par ailleurs, à la demande du président de la République, le gouvernement a mis en oeuvre toute une série d'actions destinées à mieux informer et à mieux associer aux processus de décision européens le Parlement, les collectivités locales, les partenaires sociaux et la société civile. Et je crois que chacun est important. Il ne faut pas privilégier tel ou tel, ou considérer que toutes les choses viendront d'emblée. C'est l'affaire de tous. Je crois que c'est l'expression la plus simple et la plus compréhensible. Alors commençons, honneur aux élus, et c'est bien normal, par le Parlement. Nous avons pris des dispositions qui sont en oeuvre, je ne parle pas de projets d'avenir mais de choses déjà mises en oeuvre. Concernant le Parlement : désormais des débats sont organisés en séance publique avant chaque Conseil européen. Il était étrange que ce ne soit pas le cas systématiquement. Maintenant il y a un débat avant chaque Conseil européen. C'était le cas au mois juin, c'était le cas en décembre, et ce sera le cas avant le Conseil de printemps, donc le 21 mars pour l'Assemblée et le 22 mars au Sénat.
Nous organisons aussi des déplacements de parlementaires auprès des institutions européennes pour voir les lieux où l'Europe se fait, aussi bien à Strasbourg qu'à Bruxelles. On a déjà organisé deux déplacements et le troisième est prévu la semaine prochaine. Il aura lieu à Strasbourg. Je l'ai proposé au Premier ministre, qui l'a accepté, et nous le faisons bien sûr avec la pleine complicité des présidents des assemblées. Je constate que cela a du succès, que cela intéresse. A nous de proposer des programmes intéressants, mais à chaque fois nous avons pu avoir des interlocuteurs de très grand niveau : le président du Parlement européen, le président de la Commission européenne, des commissaires, etc. Plusieurs institutions sont concernées, ce que l'on ne sait pas suffisamment. Chacune a son rôle. C'est le Conseil des ministres qui prend les décisions, sur proposition le plus souvent de la Commission, qui a le monopole de l'initiative, et maintenant nous sommes en codécision sur beaucoup de domaines avec le Parlement européen. Nous avons aussi décidé d'étendre le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution. Alors, qu'est-ce que l'article 88-4 de la Constitution ? C'est celui qui permet au Parlement de recevoir de l'information sur des textes européens en négociation entre les gouvernements. Il lui faut bien être informé, pour suivre ce qui se passe, donner son avis. C'est là la responsabilité du gouvernement. Et nous avons décidé, bien que le Traité constitutionnel ne soit pas en vigueur, d'étendre le champ d'application de cet article aux mesures qui auraient été concernées si le Traité constitutionnel avait été en vigueur, c'est-à-dire, sans vous infliger trop de technique, aux textes européens qui relèvent de cette procédure de codécision avec le Parlement européen dont je viens de vous parler. Aujourd'hui, ce n'est pas une obligation. Avec le Traité, cela aurait été une transmission automatique. Donc, là-aussi, d'un commun accord entre les uns et les autres, nous le faisons, ce qui permet au Parlement français de recevoir davantage d'information sur les textes en négociation et d'exercer son jugement. J'ai le plaisir de vous dire que, non seulement c'est décidé, mais ça y est, c'est fait, j'ai transmis l'autre jour au président de la délégation européenne de l'Assemblée nationale, qui en avait fait la demande au gouvernement, un premier texte en application de ces nouvelles dispositions. Il s'agissait d'un document de la Commission sur les migrations légales. Demande nous a été faite et réponse a été donnée.
Je mentionnais les partenaires sociaux. Là-aussi, il semble non seulement légitime, mais naturel, normal, et peut être plus efficace de consulter les partenaires sociaux sur ce qu'il se passe en Europe, sur nos propositions. Il s'agit aussi de les écouter et de relayer leurs messages.
D'autres actions sont décidées. Je voudrais vous les citer, parce qu'elles seront mises en oeuvre prochainement, notamment dans le domaine de l'éducation. Le ministre de l'Education a donné son accord. C'était l'un des premiers comités interministériels qui nous a permis d'aborder cette question, pour que dans le futur socle commun de connaissances nous mettions un enseignement sur l'Europe. Donc, notre système scolaire inclut le fait européen dans les connaissances de base que tout élève doit pouvoir acquérir et, si tout va bien, maîtriser. Et pour être certains qu'il les maîtrise, autant que possible, nous avons également prévu qu'il y ait une évaluation systématique, simple mais néanmoins une évaluation, au moment du brevet des collèges et au moment du bac. De même, la ministre de la Défense a donné son accord pour que tous les jeunes "à disposition", si je puis dire, du ministère de la Défense pendant la journée d'appel de préparation à la défense, reçoivent aussi une formation élémentaire sur l'Union européenne. Ces différentes mesures sont en cours de finalisation. Elles sont décidées et validées au plus haut niveau, et elles doivent entrer en vigueur à la rentrée 2006.
Et puis, il faut associer aussi les collectivités locales. Je les engage, je les invite à faire de temps en temps des débats sur les questions européennes, et nous devons aussi développer davantage les points de rencontre avec la société civile. Nous recevons bien sûr, dans nos fonctions, des représentants de la société civile. Mais j'ai aussi souhaité qu'on puisse avoir un accès direct au citoyen qui est représenté, ou qui n'est pas représenté, en développant des échanges par Internet. On a vu dans la campagne que c'était un outil efficace, pas toujours pour diffuser des idées justes, mais en tout cas, l'outil est là : à nous de nous adapter, à nous de nous en servir. Et donc nous avons entrepris de refondre un organisme, qui s'appelle "Sources d'Europe", qui est cofinancé à parité par le ministère délégué aux Affaires européennes et par la Commission européenne. Il doit devenir un lieu de référence pour tous ceux qui veulent s'informer, un point d'entrée sur toutes les questions européennes. Je voudrais surtout qu'il devienne un espace d'échanges et de débat. Donc que ce soit un site interactif. Nous sommes en train de revoir tout ce qui existait. Ce site devrait ouvrir dans les quelques semaines qui viennent. On y trouvera de l'information mais aussi des forums de débat, et peut être des consultations sur un certain nombre de sujets en négociation.
Le débat sur l'Europe nous concerne tous. Et je voudrais vous dire qu'il est de notre responsabilité à tous d'y participer et de le nourrir. Cela concerne les membres du gouvernement, et d'ailleurs pas seulement la ministre ou le ministre délégué, mais chacun des membres du gouvernement.
Et puis, cette année, nous allons faire du 9 mai, Journée de l'Europe dans tous nos pays depuis plus de 20 ans, une véritable fête, pour donner à cette journée plus de sens et de retentissement qu'elle n'en a eu auparavant. Il y aura, si, comme je le souhaite, les municipalités et les collectivités locales nous facilitent les choses, des concerts de chorales un peu partout en France, pour chanter l'hymne européen, et puis pour poursuivre avec tel ou tel répertoire de leur choix. On éclairera un certain nombre de monuments parisiens aux couleurs de l'Europe. La RATP, l'un de nos partenaires, fera un ticket spécial "Journée de l'Europe". Il y a plein de choses en route. Libres à vous d'y ajouter vos propres initiatives et vos propres idées. Je souhaite que ce ne soit pas un événement qui me concerne mais qui concerne le plus grand nombre de gens possible.
Voilà ce que je voulais vous dire en préalable à nos échanges. Je crois vraiment important, pour dire ce que je pense, que vous vous sentiez plus concernés, quelles que soient nos responsabilités, aux uns, aux autres. L'Europe c'est un choix qui a été fait, fort heureusement, par tous nos gouvernements, tous nos dirigeants. C'est une réussite. C'est quelque chose qui est perfectible, évidemment. Mais c'est l'affaire de tous. Donc à tous le monde de s'y mettre Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2006