Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur "LCI" le 1er février 2006, sur les diverses propositions du parti socialiste en faveur de l'emploi des jeunes et plus particulièrement des moins qualifiés pour contrer le projet de contrat première embauche (CPE) du gouvernement.

Prononcé le 1er février 2006

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- Dernière nouvelle : les Verts ont décidé de boycotter la réunion unitaire de la gauche prévue le 8 février. Est-ce que vous espérez encore, et comment, les faire revenir sur leur décision ?
R- Il faudra bien qu'ils reviennent, parce qu'aujourd'hui les Verts sont très empêtrés dans leurs affaires internes, leurs problèmes de personnes. Mais moi je...
Q- Ils ne sont pas les seuls à gauche.
R- Non, mais particulièrement. Les communistes préparent leur congrès, les Radicaux de gauche étaient prêts à venir. Le Parti socialiste fera tout pour que la gauche se rassemble et qu'elle signe un contrat pour une gauche solidaire, un contrat durable, parce que, dans les temps difficiles comme dans les temps de succès, il faut que la gauche soit solidaire. On ne va pas revivre 2002, ça c'est fini. Il faut préparer l'alternance, il faut permettre aux Français de choisir. Alors, nous allons être solidaires pour deux, pour trois. Et on continuera dans cette voie.
Q- Les Verts vous reprochent une chose, ils disent que vous les invitez à venir à une réunion où il n'y a pas d'ordre du jour, où il n'y a pas de propositions précises, soumises à la discussion, que c'est une réunion uniquement pour la photo au lendemain de la manifestation du 7 février contre le contrat "première embauche".
R- Franchement, je crois qu'avec les Verts, nous avons commencé les discussions pour un accord électoral et politique ; avec les Radicaux de gauche [aussi]. Et on espère que les communistes, après leur congrès, se poseront la question. Donc, les discussions ont largement commencé. Et c'est la seule voie possible. Alors, nous, nous allons continuer, parce qu'il faut que le Parti socialiste soit fort, à préparer notre projet. Nous allons désigner nos candidats pour les élections législatives en juin, et puis j'espère bien que la question présidentielle se décantera peu à peu, c'est-à-dire, pas seulement par des compétitions d'images, mais que les candidats à la candidature et les candidates nous diront ce qu'ils pensent pour la France.
Q- Finalement, le calendrier qui a été établi par F. Hollande et que vous venez de décrire, à savoir un projet, une discussion avec les différentes forces de gauche et enfin, un candidat du Parti socialiste, il a une logique, une logique tactique. Mais est-ce que ce n'est pas marcher sur la tête ? Autrement dit, est-ce que vous n'échopperez pas sur l'union, est-ce que vous ne buterez pas sur le projet tant que vous n'aurez pas un candidat du Parti socialiste, incontesté et incontestable, à la présidentielle ?
R- On n'en est pas là, parce que pour l'instant, je ne vois personne se dégager parmi les candidats à la candidature. Personne .
Q- Pas même S. Royal ?
R- Non, je ne parle pas des sondages. S. Royal est très haut dans les sondages, et je dirais tant mieux pour elle, parce que sans doute que ça exprime une attente de renouveau, de renouveau du style politique et de contenu. Mais le contenu il faudra bien qu'il vienne. Donc, c'est pour ça que je ne cesserai de lancer cet appel aux candidats et aux candidates : dites-nous ce que vous proposez au pays. Et je ne souhaite pas non plus pour eux, pour les uns ou pour les autres, si nous devions les désigner trop tôt, qu'on use nos candidats. Donc...
Q- Mais voyez ce qui se passe. Prenons l'exemple du CPE. Vous étiez à l'Assemblée...
R- Mais ça, ça n'a pas besoin d'un candidat pour savoir quoi faire.
Q- Oui, sauf que, dans les contre-propositions que vous formulez, chacun a sa contre-proposition : F. Hollande a la sienne, critiquée par D. Strauss-Kahn ; L. Fabius a la sienne, différente de celle de F. Hollande ; quant à H. Emmanuelli, il dit que ce n'est pas la peine d'avoir des contre-propositions, tout est dans le Code du travail.
R- D'accord.
Q- C'est un débat en ordre dispersé ?
R- Oui, tout à fait. Mais c'est pour ça qu'il faut que le Parti socialiste joue pleinement son rôle. Avant que l'on désigne notre candidat ou notre candidate, que le Parti socialiste joue pleinement son rôle. Donc, on a commencé à travailler effectivement sur des contre-propositions... Quel st le problème du CPE ? Le problème du CPE, c'est qu'on veut instaurer un contrat de travail précaire pour tous les jeunes, qu'ils soient qualifiés ou qu'ils ne soient pas qualifiés. Et nous, nous pensons que, concernant les jeunes, il y a le problème des jeunes qui sortent du système scolaire chaque année, sans qualification et sans diplôme, qui sont environ 150.000. C'est sur ces jeunes-là qu'il faut concentrer tous les efforts financiers, de formation, de qualification, d'aide aux entreprises qui vont les embaucher, y compris en alternance. Et ce n'est pas le CPE. Le CPE, c'est un changement du Code du travail pour tous les jeunes, qu'ils soient diplômés ou non.
Q- Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui que la contre-proposition formulée par F. Hollande, qui est celle d'un véritable CDI pour les jeunes non qualifiés et dont la formation en alternance serait prise en charge par l'Etat, est la proposition officielle du Parti socialiste ?
R- C'est la proposition officielle du Parti socialiste qui, naturellement, si
on veut la traduire en termes législatifs, doit être travaillée. Donc, nous
avons décidé hier au groupe de l'Assemblée nationale, et le Sénat va faire la même chose, de déposer une proposition de loi. Nous nous donnons plusieurs semaines pour la rédiger, pour la formuler dans le détail, pour qu'elle soit opérationnelle, pour que d'ici le mois de mai on soit prêts. Et puis, au-delà de ça, je vais vous dire, on est en train d'engager une réflexion sur l'évolution du contrat de travail en France, parce qu'il y a une multitude de contrats, on ne s'y retrouve plus du tout. Il y en a, je ne sais plus, 10, 20, 15... On est prêts à travailler à un contrat de travail unique, mais pas de façon unilatérale, en en discutant avec les partenaires sociaux, et puis en essayant de rédiger quelque chose qui soit équilibré, c'est-à-dire, qui amène effectivement une certaine souplesse par rapport au contrat de travail mais qui amène par ailleurs, des contreparties, en termes de sécurité sociale professionnelle. Ce qui est en cause aujourd'hui, c'est la précarisation généralisée que M. de Villepin veut imposer à la France. Et ça, les Français je crois ils
n'en veulent pas...
Q- Alors, précisément...
R- Ils ne sont pas pour l'immobilisme, mais en même temps, où sont les contreparties ?
Q- Alors, précisément, vous travaillez à l'assemblée pour résister à ce contrat "première embauche". C'est un peu un combat à retardement, avec des motions de procédure, des motions d'exception, etc. Est-ce que vous croyez vraiment que vous allez pouvoir, à l'assemblée, empêcher ce contrat d'être adopté ?
R- Vous savez très bien qu'il y a une majorité, qu'il y a une opposition. Donc, il faut être clair : la majorité est la majorité, elle restera la majorité...
Q-
C'est une bataille pour...
R- Oui, mais à ce moment-là, disons tout de suite qu'on n'a même plus besoin d'aller à l'Assemblée nationale si je vous suis. Non. On fait un travail politique, un travail pédagogique. Et nous ne cesserons d'expliquer que...
Q- Franchement, vous aviez l'impression que c'était un travail pédagogique cette nuit à l'Assemblée nationale ?
R- Ecoutez, si on écoute bien les arguments qui sont développés, et que ça soit depuis 15 jours par les Questions au Gouvernement, que ça soit hier, les uns après les autres, nous essayons d'expliquer, il y a un travail à faire, parce qu'il y a une vraie propagande gouvernementale qui sur tous les médias, partout, il y a une parole unique, qui consiste à dire : il y a un problème de chômage des jeunes, il y a beaucoup de jeunes qui sont dans une situation de précarité et de non qualification, alors on va faire le contrat "première embauche". Mais je rappelle, et c'est ce que nous voulons faire passer comme message, que ce contrat "première embauche" va concerner tous les jeunes Français de moins de 26 ans, qu'ils soient qualifiés ou qu'ils ne soient pas qualifiés. Ca, c'est très injuste. Aujourd'hui, les deux tiers des jeunes qui sont qualifiés et qui ont un emploi, vous savez, ils sont en CDI. Et demain, ça voudra dire qu'ils seront en CPE, c'est-à-dire, un contrat à l'essai pendant deux ans. C'est un vrai recul. Alors consacrons nos efforts sur ceux qui n'ont pas de qualification. Tous les ans, ils sont 150.000, je le répète, qui sortent du système scolaire. C'est un vrai échec de notre société.
Q- Et est-ce que vous pensez que ce que vous ne pouvez obtenir, faute de majorité à l'Assemblée nationale, la rue pourrait l'obtenir le 7 février ?
R- Je ne peux pas décréter de mouvement social.
Q- Vous le sentez comment ?
R- Pour l'instant, il y aune prise de conscience de la réalité du projet gouvernemental, parce que tout est présenté pour les jeunes en situation d'échec scolaire et de non qualification, alors qu'à la réalité c'est pour tous les jeunes ? Et tous ceux qui ont fait un effort, qui sortent avec une vraie qualification, avec un diplôme, avec un métier, ceux-là, aujourd'hui, sont embauchés, pour la quasi-totalité d'entre eux, en CDI, demain, ils seront embauchés en contrat "première embauche", c'est-à-dire avec une durée d'essai de deux ans et on pourra les licencier du jour au lendemain. C'est quand même une formule du XIXème siècle ! Quand on dit que nous proposons des solutions du XIXème siècle, c'est le Gouvernement qui les propose ! Nous, nous voulons un équilibre, une négociation avec des contreparties, c'est-à-dire un contrat, pour ceux qui ne sont pas qualifiés, de sécurité professionnelle, d'insertion professionnelle et de qualification professionnelle. C'est à cela que nous travaillons.
Q- Dernière question, qui n'a rien à voir avec notre propos. J.-F. Lamour, le ministre de la Jeunesse et des Sports, a dit qu'on allait lever les derniers obstacles juridiques à la possibilité de mettre en Bourse des clubs de foot. Vous avez un club, Nantes, connu...
R- Franchement, je pense que ce n'est pas de cela dont à besoin le Football club de Nantes. Côté en Bourse, cela veut dire qu'on va, comme pour le reste, vers la marchandisation d la société : la culture marchandisée, le sport marchandisé... Je pense que c'est une dérive qu'il faut stopper et on ferait mieux de s'occuper des vrais dossiers. Je pense, par exemple, à l'OPA sur Arcelor qui va sans doute faire disparaître, si elle se fait, des milliers d'emplois.
Q- Que peut faire le Gouvernement ?
R- Vous savez ce qu'ont fait le Gouvernement et la majorité ? Ils ont assoupli les possibilités d'OPA l'année dernière. C'est la décision du Gouvernement et de la majorité et, aujourd'hui, on voit monsieur de Villepin au 20 heures de France 2 nous dire qu'il faut défendre le patriotisme économique. Mais qu'a-t-il fait l'année dernière ? C'est franchement scandaleux ! Je crois que la question et je l'ai posée la semaine dernière à l'Assemblée nationale à monsieur Barroso, mais elle se pose aux chefs d'Etat et de Gouvernement européen : à quand une politique européenne industrielle ? Parce qu'aujourd'hui, on voit nos industries qui fichent le camp, et demain, que va-t-il rester ? Face à la mondialisation, on ne peut pas se contenter simplement des règles de la concurrence. Il faut une volonté politique industrielle européenne pour constituer de grands groupes comme on l'a fait pour Airbus et EADS, dans tous les secteurs industriels de pointe.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er février 2006