Interview de M. Bernard Van Craeynest, président de la CFE CGC, à Radio Classique le 28 février 2006, sur la hausse du chômage et le contrat première embauche.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Bonos - Un chômage en hausse de 0,7 %, 16.300 chômeurs de plus, votre réaction en tant que syndicaliste ?
R - Une réaction attristée parce qu'on ne peut pas se réjouir de voir le chômage réaugmenter. Mais d'une certaine façon, ce n'est pas une surprise dans la mesure où cela fait des mois que nous mettions en exergue le fait que la baisse du chômage était pour une part entraînée par la hausse de contrat aidé. Il y a une statistique qui ne trompe pas : on regarde le tuyau dans le sens de la sortie mais il faut également le regarder dans le sens de l'entrée. En termes de statistiques, nous pouvions constater depuis le milieu de l'année 2006 que l'entrée à l'ANPE, malheureusement ne s'était pas véritablement ralentie puisqu'elle n'a baissé que de 0,7 point alors que la diminution des demandeurs d'emploi sur le second semestre a baissé de plus de 5 %. C'est bien le signe que, malheureusement, notre économie ne crée pas suffisamment d'emploi.
Q - Il faudrait que la croissance soit durablement au-dessus de 2 % pour créer des emplois selon vous ?
R - En particulier, bien entendu. On a un énorme besoin de relancer la croissance. C'est d'ailleurs ce que nous avions souligné auprès de D. de Villepin dès son arrivée au mois de juin, en constatant qu'il mettait l'accent sur la politique de l'emploi mais que celle-ci ne pouvait être durablement soutenue qu'avec une relance de notre économie, ce qui, on le constate avec les dernières prévisions de l'Insee quant à la croissance du dernier trimestre 2005, est malheureusement trop faible.
Q - Plus 0,2 %, il n'y a pas de quoi hurler au bonheur... Encore et toujours les jeunes, en première ligne pour le chômage et les longues durées. Ces jeunes, ce ne sont pas tellement les vôtres en fait, ce ne sont pas les jeunes cadres à mon avis... Les vôtres sont plutôt diplômés, donc ils sont plutôt bien protégés. En revanche, pour les chômeurs de longue durée, vous devez avoir un paquet de gens sur le carreau.
R - Il y a d'une part ce chômage de longue durée qui est toujours une préoccupation et qui s'explique en grande partie par les salariés qui sont exclus du marché du travail, après plusieurs années d'activité, plusieurs années d'ancienneté, sans avoir, par exemple, eu la possibilité d'évoluer dans leurs fonctions, de changer de poste, de recevoir la formation. Et pour les reconstruire, cela demande du temps. Mais par rapport au chômage des jeunes, je voudrais souligner le fait que les jeunes diplômés sont aussi pénalisés. Je vous rappelle que nous avons d'ailleurs examiné au Conseil économique et social, au mois de juillet dernier, un rapport présenté par notre collègue J.-L. Walter (phon) sur l'insertion professionnelle des jeunes issus de l'enseignement supérieur. Un rapport qui a mis en évidence le fait qu'eux aussi galèrent pour s'insérer durablement dans l'emploi. Eux aussi ont droit, malheureusement, à la succession de stages, de CDD, d'intérim. Et, bien évidemment, quand on arrive à des statistiques aussi élevées de chômage pour les moins de 25 ans, malheureusement, ce sont toutes les catégories qui sont concernées.
Q - Bien sûr, mais les cadres, dans ce contexte, sont-ils mieux ou moins bien protégés que les autres salariés ?
R - Il est évident que lorsque l'on a un bon bagage en termes de formation initiale et que l'on sait l'entretenir tout au long de sa carrière, on a davantage d'atouts à faire valoir pour assurer sa carrière sur, aujourd'hui, je vous le rappelle quarante ans, voire plus. C'est donc, incontestablement un atout. Mais ce n'est pas suffisant, parce que, encore une fois, notre économie n'est pas très porteuse et en dehors de ce que l'on appelle la partie protégée...
Q - ...mais au-delà de l'économie et de la croissance, il y a aussi peut-être des problèmes de structure. Pourquoi, dans ce pays, ce sont toujours les jeunes et les chômeurs de longue durée qui en prennent plein la figure ?
R - Les chômeurs de longue durée, nous en avons parlé. C'est souvent un problème, malheureusement, de qualification. Pour ce qui est des jeunes, il faut bien le reconnaître, nous avons une difficulté qui s'est instillée dans la vie des entreprises depuis de nombreuses années, qui est que, visiblement, les patrons ont une relative défiance vis-à-vis des jeunes. En particulier, ils considèrent que le produit livré par l'Education nationale n'est pas forcément toujours performant. Il faut donc s'interroger sur les diplômes et la manière dont ils sont délivrés. Il faut aussi reconnaître que ce n'est qu'une petite partie de ces jeunes qui ne sont pas forcément au niveau et que les conséquences sont dramatiques, parce que c'est l'ensemble qui est pénalisé par cette défiance...
Q - L'image est globale.
R - Voilà.
Q - Est que le contrat "première embauche" peut aider les jeunes diplômés ? Puisque cela va permettre notamment à des PME de prendre des jeunes diplômés sans la crainte de tout problème administratif s'ils veulent s'en séparer ? Comptez-vous sur cela ou pas ?
R - Dans l'idée originelle de ce contrat "première embauche", nous pouvions trouver des avantages dans la mesure où, comme je le rappelais, le parcours des jeunes est en général semé d'embûches. Ils mettent beaucoup de temps, en général plus de deux ans, pour s'insérer durablement dans l'emploi. Malheureusement, la manière dont les choses ont l'air de s'organiser - nous avions d'ailleurs attiré l'attention du Premier ministre sur les difficultés et les incohérences de son projet par rapport, entre autres, au contrat "nouvelles embauches" - il nous paraît que nous ne prenons pas la voie de la confiance pour faire en sorte, justement, de mettre en relation les offres et les demandes d'emploi.
Q - Vous voulez dire que le Gouvernement est en train d'édulcorer la loi ou de la rendre "impropre à la consommation" ?
R - Nous relevons tout simplement des incohérences, du style, nous avons d'un côté un contrat "nouvelles embauches" pour les entreprises de moins de 20 salariés, de l'autre, on fait une nouvelle catégorie avec les jeunes de moins de 26 ans. Comment vont réagir les entreprises de moins de 20 salariés qui sont plusieurs centaines de milliers, et qui veulent recruter un jeune ? Vont-elles lui proposer un contrat "nouvelles embauches" ou un contrat "première embauche" ? Or nous constatons que dans un cas et dans l'autre, les conditions de traitement sont fort différentes, que ce soit vis-à-vis de l'accès au logement, vis-à-vis de l'indemnisation chômage, vis-à-vis du droit à la formation.
Q - L'avantage du contrat "première embauche", c'est que les grands groupes peuvent prendre des jeunes de moins de 26 ans et les embaucher avec une relative tranquillité. Or ce sont plutôt les grandes entreprises qui peuvent prendre des risques.
R - J'espère quand même que les grandes entreprises continueront à avoir massivement recours au CDI, parce que les mesures de flexibilité sont déjà extrêmement nombreuses dans le code du travail, avec l'intérim, les heures supplémentaires, le temps partiel, les CDD. Il n'est donc pas forcément utile d'en rajouter. Evidemment, ce que vous évoquiez, c'est que d'un côté le Gouvernement veut sécuriser les employeurs sur la séparation avec le salarié, qui, nous l'espérons quand même, constitue un évènement exceptionnel. C'est vrai que, qu'il s'agisse de l'aspect juridique ou sur le coût d'un licenciement, les employeurs ont été amenés à être pour le moins dubitatifs vis-à-vis des possibilités offertes. C'est ce qui fait qu'ils sont particulièrement méfiants et c'est sans doute ce qui conduit à ce qu'ils aient une relative défiance vis-à-vis de l'emploi.
Q - Vous avez rencontré T. Breton à propos de l'affaire Suez-GDF, hier, que vous a-t-il dit ?
R - Pour ce qui me concerne, je n'étais pas dans cette rencontre, c'est notre secrétaire général de la fédération des industries électriques et gazières qui conduisait notre délégation à ce rendez-vous. Nous lui avons surtout posé des questions ; nous avons constaté que nous n'avons pas eu de réponses très claires sur les orientations, qu'elles soient industrielles, en matière de statuts et d'emplois pour les années à venir. Mais vous me direz qu'on n'est peut-être qu'à l'aube d'un projet...source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 février 2006