Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la politique énergétique européenne, la directive sur les services, la croissance et l'emploi en Europe, les efforts en faveur de la recherche et sur l'avenir de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 28 mars 2006.

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Circonstance : Audition devant la Délégation pour l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 28 mars 2006

Texte intégral


Je suis très heureuse de cette nouvelle audition, qui complète votre information après le débat public de la semaine dernière, et me permets de vous informer sur le Conseil européen de Bruxelles avant de répondre à vos questions.
Il convient d'abord de relever que ce Conseil s'est déroulé dans une atmosphère de sérénité propice au travail, que nous n'avions pas connue depuis quelques temps en raison des tensions des deux derniers Conseils européens consacrés au budget de l'Union. Je veux y voir un signe de la capacité des Européens à se retrouver. De plus il avait été bien préparé par la présidence autrichienne, à laquelle le président de la République a rendu hommage. Il a donc permis de progresser sur les projets concrets et importants pour l'avenir de l'Union.
Avant d'aborder les questions économiques et sociales, qui ont constitué, comme à l'habitude, l'essentiel de l'ordre du jour de ce Conseil européen de printemps, j'appelle votre attention sur le fait que les chefs d'Etat ou de gouvernement ont condamné l'arrestation par les autorités biélorusses de manifestants pacifiques qui protestaient contre le déroulement de l'élection présidentielle. Ils ont décidé d'adopter des mesures restrictives contre les responsables de ces violations des engagements pris, y compris contre le président Loukachenko. En parallèle, le Conseil a décidé de renforcer les actions de l'Union européenne en direction de la société civile et des médias. C'est la seule déclaration de politique étrangère de ce Conseil.
J'en viens maintenant aux autres résultats du Conseil européen de Bruxelles sur :
- l'énergie,
- la proposition de directive services,
- la stratégie de Lisbonne,
- l'avenir de l'Union et l'élargissement.
1 - L'énergie
L'énergie était évidemment le sujet principal des travaux, sujet nouveau dans un Conseil européen et sujet important car il est essentiel que l'Union se dote d'une véritable politique énergétique européenne - et n'aborde plus ces questions comme auparavant sous le seul angle de la libéralisation du marché et de la concurrence.
La France avait proposé cet automne à la présidence britannique qu'elle retienne l'énergie parmi les grands sujets d'avenir évoqués au Conseil de Hampton Court, puis elle avait élaboré et transmis à ses partenaires, au mois de janvier, un mémorandum proposant une politique européenne de l'énergie, avec trois grands objectifs : la compétitivité, la sécurité des approvisionnements et le développement durable. La Commission s'en est d'ailleurs largement inspirée dans le livre vert qu'elle a publié le 6 mars. Et nous avions préparé les travaux de près avec notre partenaire allemand notamment, ainsi qu'avec la Grande-Bretagne, qui a beaucoup évolué sur ces questions par rapport à ses positions antérieures.
Que prévoient les conclusions du Conseil européen ? D'abord, que l'Europe élabore une stratégie énergétique externe, qui devra être débattue à brève échéance. Le Conseil européen a ainsi invité la Commission, mais aussi le SG/HR, M. Solana, à lui faire des propositions en vue du Conseil européen de juin prochain. Car les questions d'approvisionnement revêtent à l'évidence une dimension externe. La Commission devra aussi faire un rapport stratégique annuel. Par ailleurs, le Conseil appelle la Russie à ratifier la charte de l'énergie signée en 1994 et souhaite le renforcement du dialogue avec les grands fournisseurs.
Les conclusions appellent aussi à l'orientation des efforts des Etats membres :
- efforts d'investissement, avec le développement d'une analyse commune des perspectives d'offre et de demande et des capacités de production nécessaires, sans exclure la contribution possible du nucléaire, mais aussi le développement des interconnexions électriques (avec l'objectif d'un taux d'interconnexion de 10 %) ; s'agissant du nucléaire, je précise que cette question figure dans le livre vert de la Commission, mais pas dans les conclusions du Conseil européen car elle reste délicate pour certains Etats dont l'Allemagne ;
- efforts de solidarité, avec le renforcement de la transparence sur l'état des stocks de gaz et de pétrole, indispensable en cas de crise énergétique.
Le mémorandum français allait plus loin mais ce Conseil européen constituera la première étape de la mise sur pied progressive d'une véritable politique européenne de l'énergie. Et c'est déjà un beau résultat. Nous serons très attentifs à la mise en oeuvre des éléments de ce programme, à commencer par le volet externe, qui sera le premier test crucial pour l'Union dans les mois qui viennent.
2 - La proposition de directive sur les services
La proposition de directive sur les services a été longuement débattue en séance, plus que les autres sujets et sans que cela soit surprenant. Nous sommes particulièrement satisfaits des conclusions adoptées par le Conseil européen. Nous avons en effet obtenu que celles-ci prévoient expressément que le futur texte se base sur le vote du Parlement européen du 16 février. C'est un résultat important, d'abord sur le fond parce que le Parlement européen a totalement remanié la proposition initiale de la Commission, comme nous le souhaitions, mais aussi parce que l'accord des deux grandes forces au Parlement européen et l'ampleur de la majorité acquise de ce fait - environ 400 voix contre 200 - ont créé une réalité politique qui s'impose au Conseil comme à la Commission. Je relève que le président de la Commission, après le président Borrell, a appuyé très clairement nos efforts et ceux des pays qui comme nous (Présidence, Allemagne, Royaume-Uni, pays scandinaves notamment) voulaient préserver l'équilibre atteint le 16 février. C'est enfin un résultat très intéressant au regard de la capacité d'influence de notre pays, car seuls quelques Etats sont allés contre ce sentiment majoritaire alors que nous étions en réalité minoritaires au Conseil il y a quelques mois. Nous n'avons notamment pas retrouvé les clivages encore présents au Conseil compétitivité. Il y a donc eu lors de ce Conseil européen un véritable renversement de situation.
Je m'en réjouis. Les conclusions adoptées sont bonnes, et c'est un hommage à notre pays qui a été le premier à identifier les difficultés politiques posées par la proposition initiale de la Commission puis a su convaincre et gagner des alliés au fil des mois. Au total, le réalisme a prévalu. Il y aura d'autres rendez-vous. Début avril, la Commission présentera sa nouvelle proposition ; elle le fera sur la base d'un mandat très clair du Conseil européen.
3 - La stratégie de Lisbonne
Comme vous le savez, il s'agit de la stratégie dont se sont dotés les Européens en 2000 pour développer la croissance et l'emploi, qui constituent le premier sujet de préoccupation de nos concitoyens.
Je dois dire à ce propos qu'il n'y a eu aucune polémique sur le soi-disant "protectionnisme". En réalité, comme l'a souligné avec force le président de la République lors de sa conférence de presse, la France est le grand pays européen le plus ouvert aux investissements étrangers : rapportés à la richesse nationale, ceux-ci y sont presque deux fois plus élevés qu'en Allemagne et trois fois plus qu'en Italie. Il serait donc bien difficile de nous décrire comme un pays protectionniste et fermé. Mais revenons à Lisbonne.
Cette stratégie est la bonne même si elle a été insuffisamment reprise jusqu'ici dans les politiques nationales. C'est la raison pour laquelle la mise en place, à l'automne dernier, des programmes nationaux de réformes constitue une innovation qu'il faut saluer et qui doit permettre une meilleure appropriation de cette stratégie par les Etats. Je souhaite d'ailleurs que la préparation du 2ème "programme national de réformes" (PNR), cette année, permette de mieux intégrer encore ces préoccupations et de développer la concertation avec le Parlement et les partenaires sociaux.
Plusieurs projets ont avancé. J'en citerai quelques-uns.
En matière de recherche et d'innovation, le Conseil européen a soutenu l'idée de la Commission de lancer un Institut européen de Technologie, qui devrait fonctionner en réseau. Il y aura encore beaucoup d'étapes. La Commission est invitée à présenter une proposition concrète d'ici la mi-juin.
Le Conseil européen a également repris l'idée du président de la République d'utiliser la Banque européenne d'Investissement en cofinancement avec l'Union européenne pour augmenter les fonds consacrés à la recherche d'un montant pouvant atteindre 30 milliards d'euros.
Autre projet important, faciliter le rôle des PME, très créatrices d'emploi. Le Conseil européen s'est doté d'objectifs précis, comme la réduction des formalités administratives de façon à permettre d'ici 2007 un guichet unique pour la création d'une PME en moins d'une semaine dans toute l'Europe. J'espère pouvoir revenir devant vous en 2007 pour vous dire que cet objectif est atteint.
S'agissant de l'éducation, le Conseil européen a expressément, à notre insistance, validé l'idée de l'augmentation du budget des bourses Erasmus et Leonardo. C'est un sujet que j'ai porté, à ma place et modestement, depuis juin 2005 car c'est un moyen de montrer l'utilité de l'Europe à la jeunesse qui parfois en doute. C'est par ailleurs possible et nécessaire dans le cadre de l'accord intervenu le 16 décembre sur les perspectives financières 2007-2013. Aujourd'hui 25000 jeunes français bénéficient de ces bourses que nous proposons de doubler.
Par ailleurs, il a validé deux mesures très importantes à nos yeux :
- le Fonds d'ajustement à la mondialisation, qui doit permettre d'aider à faire face aux chocs brutaux ;
- et le Pacte européen pour l'égalité des hommes et des femmes au travail.
Enfin, je souhaite souligner devant la délégation que le Conseil européen consacre pour la première fois un paragraphe spécifique à la zone euro. Vous connaissez les réflexions de la France sur ce sujet. C'est un signal de bon augure pour le renforcement de la coordination au sein de l'eurozone que nous appelons de nos voeux, à différents niveaux.
4 - Avenir de l'Union et élargissement
Je terminerai par l'avenir de l'Union et l'élargissement, thèmes qui seront à l'ordre du jour du Conseil de juin, et sur lesquels la présidence a souhaité que les ministres aient un échange informel en marge de ce Conseil, jeudi soir. Ils devraient en avoir un autre dans quelques semaines, vraisemblablement en Autriche.
Il s'agira en particulier de préciser ce que l'on entend par capacité d'absorption de l'Union. C'est notre pays qui avait demandé et obtenu lors du Conseil européen de décembre l'organisation d'un tel débat sur l'avenir de l'Union. Nous souhaitons que le Conseil européen de juin se traduise par des avancées concrètes pour mieux définir cette capacité d'absorption.
Pour conclure, je tiens à souligner que sur tous ces sujets - énergie, financement de la recherche, réorientation de la proposition de directive services, augmentation des bourses Erasmus et Leonardo, la France a été en initiative. Elle a été active et a fait des propositions. Sur chacun d'entre eux, nous sommes repartis de Bruxelles vendredi dernier avec des résultats. C'est donc la bonne méthode. Soyez bien convaincus que le gouvernement entend continuer à travailler de cette façon.
Et puisque nous parlons de progrès des idées françaises, je saisis cette occasion pour me réjouir de la décision de la Commission du 22 mars, approuvant le système français d'aide au cinéma et à l'audiovisuel, où nous avions là aussi décidé de jouer la transparence et la coopération. Comprenez que l'ancienne directrice générale du CNC salue ce résultat si important pour la diversité culturelle. Cela va sans dire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2006