Déclaration de M. Alain Bocquet, président du Groupe des députés communistes et républicains de l'Assemblée nationale, défendant une proposition de résolution relative aux services dans le marché intérieur, à Paris, Assemblée nationale, le 14 mars 2006.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur la proposition de résolution relative aux services dans la marché intérieur, Paris le 14 mars 2006

Texte intégral

M/Mme le Président,
M/Mme le Ministre,
Mes chers collègues,
La construction européenne est en crise. L'Acte unique de 1986, puis le traité de Maastricht en 1992, ont subordonné les politiques publiques à l'impératif de compétitivité des entreprises et, en réalité, à la rentabilité des placements financiers. Cette logique antisociale a été rejetée le 29 mai 2005 par les Français, le 1er juin par nos voisins néerlandais. Or c'est le sens de la directive Bolkestein qui, plutôt que d'en favoriser l'harmonisation par le haut, conçoit les acquis sociaux nationaux comme des exceptions à justifier cas par cas, et selon l'appréciation de juges européens.
Adoptée en janvier 2004 par la Commission européenne dont faisaient partie Michel Barnier, Pascal Lamy, cette directive étendait le principe du pays d'origine à des secteurs très larges sans harmonisation préalable, et assurait le triomphe d'une libre concurrence porteuse de moins disant social, fiscal et environnemental. Bien évidemment, les partisans de la Constitution européenne ont longtemps essayé de faire croire que la France avait obtenu la disparition de cette directive ! Cela continue d'ailleurs puisque Madame Colonna déclarait voici peu dans cette enceinte : " le principe du pays d'origine est éliminé, les services publics seront préservés, les secteurs sensibles également. Et surtout, c'est le droit du travail français qui s'appliquera en France, comme il se doit. Il n'y a donc plus aujourd'hui de risque de dumping social. C'est heureux car ce n'est pas ce que nous voulions. Non seulement il n'y a plus aujourd'hui de directive Bolkestein, mais il n'y en a jamais eu. "
La réalité est bien entendu tout autre. La résolution votée par notre Assemblée le 15 mars 2005 demandait une harmonisation du droit applicable aux services, mais se gardait d'exiger qu'elle se fasse par le haut. Depuis, la crise économique et sociale s'est aggravée en France et en Europe. Et les Français ont désavoué le 29 mai, la caution apportée par l'immense majorité de notre Assemblée et du Sénat, réunis en Congrès à Versailles, au postulat d'une Europe ultralibérale.
Le retrait pur et simple de la directive
C'est donc cette demande d'harmonisation par le haut et par conséquent, de retrait de la directive sur les services, que la résolution qui vous est soumise réitère haut et fort. Le compromis du Parti socialiste européen et du Parti populaire européen, voté le 16 février à Strasbourg, est un trompe l'oeil. Le principe du pays d'origine n'a pas disparu. L'expression a disparu des articles, mais pas des considérants : on l'y trouve encore deux fois. Et la droite du Parlement européen refuse d'écrire en toutes lettres que le principe du pays de destination s'appliquera. Dans la proposition initiale, l'Etat d'origine devait s'assurer que ses ressortissants respectent ses règles sur le territoire d'autres Etats membres. Le Parlement européen a renversé la charge du contrôle. Elle incombe dorénavant à l'Etat membre d'accueil et il y a là un progrès conforme, en apparence, aux demandes de notre Assemblée et du gouvernement. Mais l'amélioration est faible. Puisque le principe du pays d'origine subsiste de fait, bel et bien, on va, par exemple, demander à la France de contrôler qu'une entreprise portugaise applique certaines règles du droit portugais sur le territoire français ! Aucune réponse n'est apportée aux objections du Conseil d'Etat, relatives à l'égalité devant la loi !
Quant au régime d'autorisation, il change peu car le nouvel article 16 dresse une liste d'exigences que les Etats ne peuvent imposer, bien plus détaillée que les situations permettant des mesures protectrices. Les Etats conservent le droit d'imposer des exigences pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique, de protection de l'environnement et de santé publique, ainsi que le droit d'appliquer leur réglementation sur les conditions d'emploi... mais seulement dans la mesure où elles satisfont aux principes suivants : non-discrimination ; nécessité ; proportionnalité. C'est la Cour de justice européenne qui appréciera... On peut donc redouter que les cas de dumping social se multiplient comme pour la centrale EDF de Porcheville, le palais de justice de Thonon, et les sous-traitants surexploités de Saint-Nazaire.
Définir clairement l'étendue respective des SIG et SIEG
Rien n'est prévu pour les travailleurs indépendants. Il faut donc craindre la multiplication de faux salariés indépendants, utilisés pour contourner par exemple, la directive de 1996 sur le détachement des salariés. Les seuls Services d'intérêt économique général (SIEG) clairement exclus font déjà l'objet d'une directive sectorielle de libéralisation (tels que la poste, la distribution d'eau ou d'énergie, le traitement des déchets, les services sociaux à caractère économique): il n'y a donc pas là de grande conquête... Sur les services publics, la Commission estime qu'il n'est " pas possible d'établir a priori une liste définitive de tous les Services d'Intérêt Général (SIG) devant être considérés comme non économiques ". Mais en fait, seules les activités les plus régaliennes échappent à la définition de l'activité économique par la Cour de justice. L'amendement 73 précise bien que la directive ne s'applique pas aux services d'intérêt général, mais ils ne comprennent pas les Services d'Intérêt Economique Général. La Commission refusant de définir clairement l'étendue respective des SIG et des SIEG, on s'interroge sur la portée de cette exclusion. Le vote européen du 16 février atténue certains des points les plus ultralibéraux du projet. Toutefois, l'analyse de la proposition initiale et des amendements du Parlement témoigne que ces avancées sont illusoires. Je pense l'avoir suffisamment montré, les compromis adoptés par le Parlement européen sont donc si ambigus qu'ils aboutissent à le dessaisir de compétences au profit de la Cour de justice des Communautés européennes, et d'une jurisprudence qui privilégie le principe du pays d'origine. Dans ces conditions, il n'y a pas d'autre solution que d'en appeler au retrait du texte.
Notre Assemblée a déjà examiné trois résolutions sur la directive Bolkestein dont celle adoptée à l'unanimité le 2 février 2005, par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, en faveur de son retrait. Position à laquelle faisait écho, le 14 juillet 2005, la déclaration télévisée du Président de la Répubique préoccupé de voir "ressortir des directives qui nous inquièteraient. Je pense, ajoutait-il, à la directive « services » ou à la directive « temps de travail ». Il ne faudrait pas qu'elles ressortent en raison du flou actuel. J'y serai naturellement très attentif. "
La France peut agir efficacement avant la deuxième lecture au parlement européen
C'est le retour à la position de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne que préconise la présente proposition de résolution. Dans la procédure de codécision, l'initiative des textes appartient à la Commission qui peut retirer ses propositions comme elle a dû le faire sur les services portuaires devant le vote de rejet du Parlement européen sous la pression insistante du mouvement social. Quant au Conseil européen, il devrait se prononcer avant cet été. La France peut donc agir efficacement avant que le Parlement européen effectue une deuxième lecture au printemps 2007. Il est essentiel que notre pays soit à l'offensive pour le retrait de la directive, émanation d'une Commission dont le programme est d'accentuer la libéralisation des économies sans se préoccuper de la pérennité des services publics et du renforcement des droits sociaux. Les partisans du compromis adopté le 16 février expliquent que sans cette directive, la Cour de justice européenne donnera libre cours à une jurisprudence libérale. Mais c'est déjà le cas, et la directive veut en fait servir de support à la poursuite de cette jurisprudence. C'est donc bien un coup d'arrêt qu'il faut donner. Le refus de toute référence explicite au droit du pays de destination doit mobiliser notre Assemblée. Le compromis voté à Strasbourg le 16 février n'écarte aucun des dangers essentiels pesant sur l'activité économique menacée de dérégulations supplémentaires, et sur le monde du travail et l'avenir des droits sociaux menacés, eux,de nouveaux reculs.
Malgré le vote contraire de la majorité de notre commission des affaires économiques, j'en appelle à votre sagesse pour approuver cette proposition de résolution et demander le retrait d'une directive inacceptable, contestée et décriée.Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 30 mars 2006