Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 29 mars 2006, sur les conséquences des élections en Israël sur le processus de paix israélo-palestinien, l'aide européenne à l'Autorité palestinienne, la mobilisation de la communauté internationale sur le dossier nucléaire iranien, l'opinion de la presse étrangère sur les manifestations contre le contrat première embauche(CPE) et les capacités de réforme en France.

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Média : La Chaîne Info

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Q - Résultat des élections en Israël, les élections législatives qui ont eu lieu hier : Kadima, 28 sièges sur 120, le parti travailliste 20 sur 120, le Likoud 11. C'est une petite victoire du parti Kadima. Pour partie, Ehud Olmert a-t-il manqué son pari ?
R - Tout d'abord, Kadima a gagné comme prévu, avec une toute petite avance et j'ai envie de dire, surtout, une faible participation.
Nous verrons la coalition qui sera formée ; je dirai que Ehud Olmert, que je connais pour l'avoir rencontré plusieurs fois, est l'homme de la politique unilatérale. Il a un héritage politique, celui d'Ariel Sharon et en même temps, il a toujours voulu reconnaître l'existence de deux peuples, de deux Etats qui vivent en sécurité et en paix l'un à côté de l'autre.
C'est, je le crois, une bonne nouvelle pour la paix. Nous devons travailler avec les Palestiniens et les Israéliens, maintenant, tout de suite et nous devons dire au Hamas qu'il faut évidemment reconnaître l'Etat d'Israël.
Q - Mais vous venez de dire qu'il faut travailler également avec les Palestiniens, lorsque l'on regarde le programme de Kadima, le retrait est unilatéral, et au fond, c'est Israël qui décide de se retirer et qui décide de tracer les frontières selon son gré entre ce versant israélien et ce versant palestinien.
R - En effet, c'est tout le sujet. D'abord, lorsque l'on dit que l'on va travailler avec les Palestiniens, avec qui. Je vous le dis, ici, l'Autorité palestinienne, c'est Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne que nous devons aider, institutionnellement et qui est le point de référence en particulier des Européens et de la communauté internationale. Et puis, il est évident que nous devons demander aux Israéliens, en face, de reconnaître la Feuille de route du Quartet c'est-à-dire en particulier ne pas avoir une politique unilatérale qui impose leur politique aux Palestiniens. C'est tout le rôle de l'Union européenne.
Durant ces derniers mois, nous avons joué un rôle puisque à Rafah, le point de frontière entre Gaza d'un côté et les pays voisins en particulier l'Egypte de l'autre, nous avons mis en place des positions de contrôle, d'allers et venues des marchandises et des biens. C'est l'Union européenne qui l'a fait et nous devons faire la même chose maintenant pour le processus politique ; il doit y avoir, à tout prix, un Processus de paix là-bas.
Q - Si je comprends bien, la configuration qui serait la plus souhaitable selon vous, dans une coalition, ce serait une coalition entre Kadima et le parti travailliste qui a 20 sièges et qui est pour discuter avec les Palestiniens.
R - Je ne vais pas me permettre de dire à Ehud Olmert, ce matin, avec qui il doit gouverner. Mais ce que je sais, c'est qu'il n'y aura qu'une seule possibilité dans cet endroit du monde : c'est d'une part le dialogue - et l'Union européenne est là je crois, plus que jamais pour qu'il y ait un dialogue entre le président de l'Autorité palestinienne et maintenant ce nouveau gouvernement israélien qui sera très vite formé - et d'autre part, que nous puissions apporter une solution économique à Gaza et en Cisjordanie.
Nous ne pourrons pas laisser plus de 50 % de la jeunesse au chômage à Gaza si nous voulons avoir un Processus de paix. Il n'est pas possible de laisser ces personnes dans le désespoir.
Comme d'autres partenaires européens, je ferai ce voyage à la fois dans les Territoires palestiniens et en Israël en particulier pour donner, faire des propositions sur le port de Gaza, sur l'aéroport de Gaza et j'espère bien en parler avec les Israéliens.
Q - Avez-vous le sentiment que les Américains sont sur la même longueur d'ondes que les Européens aujourd'hui ?
R - Il est nécessaire que les Américains - comme les Européens - reconnaissent l'Autorité palestinienne, le président de l'Autorité palestinienne.
Q - Vous cherchez à le renforcer ?
R - Bien sûr, chercher à le renforcer, demander au Hamas la reconnaissance d'Israël, l'arrêt de la violence explicite mais aussi, et c'est peut-être la chose la plus importante, notre capacité à donner la possibilité économique aux territoires occupés d'exister.
Q - Si je ne me trompe pas, demain le président de la République rencontrera Condoleezza Rice ; vous-même vous serez à Berlin avec les ministres des Affaires étrangères ?
R - Et également avec Condoleezza Rice puisqu'elle est membre permanent du Conseil de sécurité. Nous allons nous réunir demain à Berlin pour parler du sujet iranien qui, comme vous le savez, est un sujet majeur.
Q - Précisément, nous en sommes au stade du Conseil de sécurité, quelle peut être sa position ? Que suggérez-vous ?
R - Depuis le début, nous suggérons la même ligne et nous n'avons pas changé. L'unité et la fermeté de la communauté internationale vis-à-vis de l'Iran. C'est-à-dire que l'Iran, de manière unilatérale, a décidé de reprendre des activités de conversion de l'uranium, c'était début août, et d'enrichissement de l'uranium, c'était il y a un mois et demi.
L'ensemble de la communauté internationale, les Américains, les Européens, les Russes et les Chinois ont décidé d'aider M. El Baradeï, le directeur de l'AIEA, qui pour nous est vraiment l'élément, l'institution, l'organisme clef pour aller au Conseil de sécurité. Là, nous choisissons de faire une déclaration présidentielle, c'est ce qui est prévu par le Conseil de sécurité. C'est la première étape, et j'espère que demain, nous nous mettrons d'accord sur les termes d'une déclaration présidentielle pour dire très fermement aux Iraniens de suspendre les activités nucléaires sensibles.
Q - Tout à l'heure, vous rencontrerez les représentants de la presse étrangère à Paris, vous devrez faire la pédagogie du CPE. Des représentants de la presse étrangère qui ont le sentiment, en tout cas c'est ce que l'on voit dans les revues et les publications à l'étranger, que la France est à feu et à sang. Qu'allez-vous leur dire ?
R - Quand vous lisez la presse étrangère...
Q - Certains ont même comparé la place de la Nation à Tien An Men.
R - Oui et c'est exagéré. Mais, lorsque l'on lit la presse étrangère, comme vous le faites et comme je le fais, tous les jours, nous nous apercevons que ce n'est pas tant le CPE qui est décrié, il est au contraire assez défendu je dirai.
Non, la question qui est posée et d'ailleurs, qui est justement posée, c'est celle de la capacité de notre pays à se réformer pour être compétitif dans le monde nouveau dans lequel nous vivons. C'est un sujet qui intéresse beaucoup la presse étrangère et je pense qu'elle a raison car, lorsqu'un Premier ministre, Dominique de Villepin, dit qu'il veut baisser le taux de chômage des jeunes dans mon pays qui est à 25 % et à 40 % pour ceux qui ne sont pas qualifiés, je ne vois pas qui peut véritablement être contre. Alors, on peut parler de la méthode de discussion, ce qui est sûr, c'est qu'un Premier ministre qui décide de baisser le chômage des jeunes, il ne peut pas être critiqué en tant que tel.
Q - Peut-on réformer contre l'opinion, contre la rue, comme semble vouloir le faire Dominique de Villepin ?
R - En tout cas, il y a une démocratie, un Parlement et il y a eu une discussion de plusieurs heures, de plusieurs jours.
Q - Mais, il y a un ou deux millions de personnes dans les rues, c'est quand même quelque chose d'important !
R - Oui, mais la démocratie, la loi, les députés, c'est important, les sénateurs c'est important dans une démocratie et bien évidemment, il faut les écouter.
Q - Mais, dites-moi, dites-moi !
R - Il faut les écouter et le Premier ministre l'a toujours dit, il est prêt à écouter les jeunes.
Q - A postériorité !
R - ...à écouter les syndicats de salariés à condition qu'ils viennent bien sûr à la table des négociations.
Q - Et personnellement, quel est votre avis ? Pensez-vous que le président de la République, à supposer que le Conseil constitutionnel donne son aval, doit-il promulguer très vite la loi ou bien au contraire, doit-il ouvrir le débat et le faire au travers d'une seconde lecture comme le lui permet la Constitution ?
R - Je n'ai bien sûr aucun conseil à donner au Président.
Q - Peut-être un sentiment ?
R - Mon sentiment est que nous ne pouvons pas continuer aujourd'hui à être pratiquement le seul pays, en Europe en tout cas, à avoir un taux de chômage des jeunes aussi important que celui que nous avons.
Q - Mais, vous ne répondez pas à ma question.
R - Bien sûr que si, je vous réponds, le Premier ministre a fait des propositions sur la durée de stage, serait-ce un an plutôt que deux, sur les explications qu'il faut donner à un jeune dont le patron dirait "maintenant c'est fini". Là, je crois qu'il y a des manières de parler. Mais c'est une manière de parler, ce n'est pas une manière d'imposer, il ne faut donc pas dénaturer le CPE, il faut probablement peut-être l'améliorer et le Premier ministre l'a proposé.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mars 2006