Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec l'agence de presse "Algérie presse service" le 5 avril 2006 à Paris, sur l'enjeu de sa prochaine visite en Algérie et sur les relations franco-algériennes.

Prononcé le

Média : Algérie presse service

Texte intégral

Q - C'est votre première visite en Algérie. Comment la percevez-vous, Monsieur le Ministre ?
R - C'est avec une grande émotion que j'effectue cette première visite dans votre pays, qui est un pays proche et ami de la France. C'est une visite importante pour le ministre des Affaires étrangères que je suis, mais également pour l'homme qui est honoré d'être bientôt l'hôte de l'Algérie. Cette visite, préparée de longue date en concertation avec mon homologue Mohamed Bedjaoui, sera pour moi l'occasion de faire progresser le partenariat d'exception mis en oeuvre entre nos deux pays depuis la signature de la Déclaration d'Alger par le président Bouteflika et le président Chirac en mars 2003. Nous aurons, M. Bedjaoui et moi, des discussions de fond sur les différents sujets de la relation franco-algérienne pour faire vivre ce lien unique entre l'Algérie et la France, mais aussi, compte tenu du rôle important que joue l'Algérie sur la scène internationale, sur les différents sujets régionaux et internationaux.
Q - Les milieux diplomatiques à Paris estiment que la loi du 23 février a fait perdre une année à une bonne évolution des relations algéro-françaises. Partagez-vous ce sentiment ?
R - Je conçois que cette loi a pu susciter de l'incompréhension de part et d'autre. Mais cette affaire est à présent derrière nous, puisque le président de la République a eu la sagesse de mettre fin à ces malentendus en abrogeant les dispositions controversées de la loi. L'Algérie et la France sont suffisamment proches pour surmonter ces incompréhensions. D'ailleurs, je ne vois pas de quelle perte de temps vous voulez parler. Depuis la signature de la Déclaration d'Alger, les orientations fondamentales de notre partenariat sont bien tracées. Bien évidemment, il n'est pas aisé d'avancer sur tous les sujets au même rythme, indépendamment de la grande volonté de faire progresser nos relations. Comme les années précédentes, les contacts ministériels ou entre hauts fonctionnaires se sont maintenus à un rythme élevé et ont permis d'avancer sur un grand nombre de sujets.
Depuis la visite du président Bouteflika à Paris il y a exactement un an, pas moins de dix ministres se sont ainsi rendus dans nos deux pays. Ces déplacements ont tous été très importants et porteurs d'une dynamique propre dans les nombreux domaines qui visent à rapprocher toujours plus nos deux peuples. Jugez-en par vous-même. Nous venons de signer mi-février, à l'occasion du déplacement à Paris du ministre des Transports, M. Mohamed Maghlaoui, un important accord aérien qui renforce les dessertes entre l'Algérie et la France. Mon collègue, Dominique Perben, vient d'inaugurer le 1er avril la nouvelle ligne Lyon-Sétif qui est la concrétisation de cet accord. Je n'aborderai que rapidement notre coopération qui est riche et dense comme en témoignent les conventions de jumelage toujours plus nombreuses. Nous travaillons depuis plusieurs mois maintenant avec l'Algérie à rénover le cadre de cette coopération pour l'adapter à nos ambitions qui sont grandes. Je souhaiterais, en particulier, renforcer les relations entre nos sociétés civiles et je pense également à ces milliers de Français d'origine algérienne, trait d'union naturel entre nos deux pays. Ils sont une chance pour nos deux pays. Je le constate à Toulouse, ville dont j'ai été le maire, où les Toulousains originaires d'Algérie sont les meilleurs ambassadeurs de notre relation.
Q - Faudrait-il, Monsieur le Ministre, s'attendre à un message fort lors de votre visite ?
R - Vous le savez, le déplacement d'un ministre des Affaires étrangères est déjà un message fort en soi. C'est l'indication que les relations entre deux pays sont primordiales pour les deux partenaires. C'est aussi le message que les deux pays veulent les voir progresser en entretenant des contacts permanents et approfondis, qui permettent d'évoquer tous les sujets d'intérêt commun, sur la relation bilatérale elle-même, comme sur les questions de l'actualité internationale. Mes liens personnels avec mon homologue, Mohamed Bedjaoui, sont des liens de confiance et de cordialité. Ils témoignent aussi de notre capacité à aborder les sujets les plus divers et tous très importants pour la relation franco-algérienne.
Nous avons beaucoup à échanger, à partager. L'Algérie est présente dans le coeur de la France, comme la France dans le coeur de l'Algérie. Il nous faut assumer ces réalités qui font de notre relation une amitié à part.
Q - On considère que la circulation des personnes, par rapport notamment à la difficulté dans la délivrance des visas, continue de subir des aléas qui ne sont pas conformes à la volonté de refondation de la relation entre Alger et Paris, en tout cas pas au diapason de la volonté affichée par les présidents Bouteflika et Chirac de faire de cette relation un partenariat d'exception. Y a-t-il en ce domaine précis et si sensible du nouveau perceptible ?
R - Les questions de circulation sont naturellement un sujet sensible et important de notre relation bilatérale. Depuis la visite d'Etat du président de la République et la signature de la Déclaration d'Alger, des avancées majeures ont été réalisées dans le traitement des demandes de visas. Un effort important a été fait pour les visas de circulation, qui se sont généralisés, ainsi que les visas pour études. De 2002 à 2005, ce sont ainsi un tiers de visas de circulation délivrés en plus. Par ailleurs, en 2005, le taux de délivrance de visas a, pour la première fois depuis plus de dix ans, dépassé 50 % des demandes. Les demandes sont désormais mieux ciblées, et sont donc plus facilement traitées. Mais je reconnais volontiers que la situation est encore loin de nos espérances. Les délais de délivrance sont trop longs et les conditions d'accueil insatisfaisantes.
Sur les préoccupations légitimes des Algériens d'un service de qualité, je suis fermement décidé à faire avancer les choses, pour les conditions d'accueil des receveurs comme pour les délais de délivrance qui sont soumis, comme vous le savez, à une procédure de consultation de nos partenaires Schengen.
Q - La France et l'Algérie ont en chantier un traité d'amitié dont l'importance est soulignée de part et d'autres. Où en est-on dans l'élaboration de ce traité ? Sera-t-il signé sous peu ?
R - Le Traité d'amitié est une étape décisive pour notre relation bilatérale. Cela reste un objectif auquel nous continuons de travailler et pour lequel les autorités françaises restent toujours mobilisées. La signature du Traité d'amitié est un rendez-vous pris entre nos deux pays et nos deux peuples, liés par l'histoire, le voisinage et par une communauté d'intérêts forte.
Q - La coopération régionale au niveau euro-méditerranéen continue de subir des pesanteurs contraires à l'esprit de Barcelone. Considérez-vous que le retour à l'esprit de Barcelone est devenu un impératif de la plus haute importance et de la plus grande urgence ?
R - Si vous faites référence aux programmes régionaux financés par MEDA, ils représentaient en effet jusqu'à présent une faible proportion comparée aux ressources pour les programmes bilatéraux d'aide consenties par l'Union européenne aux pays méditerranéens. Ces ressources sont appelées à augmenter, avec la nouvelle programmation - programmes thématiques, coopération trans-frontalière. Par ailleurs nous avions appelé depuis la Conférence de Naples à des coopérations renforcées avec le Maghreb auxquelles je suis particulièrement attaché. Nous espérons toujours pouvoir les mettre en place grâce à cet esprit de Barcelone que vous avez à l'évidence bien saisi. Mais cette coopération régionale demeure aussi tributaire d'une coop??ration Sud-Sud qui doit être encouragée.
Q - Sur la question du Sahara occidental, la communauté internationale à travers le Conseil de sécurité dont la France est un membre permanent doit à nouveau statuer prochainement. Ne trouvez-vous pas qu'il est enfin temps de mettre en oeuvre les décisions prises conformément au droit à l'autodétermination du peuple sahraoui ?
R - Après l'échec des différentes formules envisagées, qui toutes ont été rejetées par l'une ou l'autre des parties, le Conseil de sécurité a lui-même constaté l'impasse dans laquelle se trouvait le processus politique. Nous regrettons profondément cette situation, tout en en ayant bien conscience qu'il n'existe pas de solution providentielle.
Chacun sait bien que pour être praticable et durable, tout règlement devra être mutuellement acceptable par les parties. C'est d'ailleurs la politique constante du Conseil de sécurité, qui a réitéré ce paramètre fondamental dans ses résolutions passées.
C'est dans cet esprit que nous encourageons le nouvel envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, M. Van Walsum, à poursuivre sa mission et ses contacts avec l'ensemble des parties concernées, avec la conviction que la persistance du conflit est un handicap important pour la construction, que nous appelons de nos voeux, d'un espace de dialogue, d'échanges et de coopération entre les pays du Maghreb.
Q - Sur l'immigration choisie qui est proposée par la France, ne pensez-vous pas qu'elle va saigner les pays du Sud en prélevant certains de leurs éléments les mieux formés ?
R - En tout cas, la France a des valeurs universelles. Nous vivons dans un monde où la mondialisation change les rapports entre les pays. Vous avez besoin d'une jeunesse parfaitement formée, nous avons besoin d'une jeunesse parfaitement formée. Vous avez besoin, dans vos universités, d'une jeunesse formée, y compris venant de l'extérieur de l'Algérie. Nous avons besoin dans nos universités, comme les Etats-Unis en ont besoin, comme les Britanniques en ont besoin, comme les Indiens ou les Chinois en ont besoin, d'attirer les meilleurs étudiants. Nous avons besoin, aujourd'hui, dans cette planète qui est devenue un village, d'être attractifs. Nous avons besoin d'être attractifs dans un monde qui repose sur l'économie de la connaissance. C'est bien le sens de ce projet de loi.
Il est indispensable aussi que les pays du Nord se mobilisent davantage pour aider les pays du Sud à former leurs élites, leurs universitaires, leurs chercheurs. C'est d'ailleurs, cette coopération que je souhaite développer avec l'Algérie en soutenant activement la mise en place de partenariats d'avenir entre nos universités, nos instituts et centres de recherche, nos grandes écoles.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 avril 2006