Texte intégral
Q - Nous allons revenir sur cet attentat en Egypte, à Dahab. Le bilan toujours provisoire fait état de 23 morts, 62 blessés, dont, semble-t-il, deux Français. Avez-vous des informations sur nos compatriotes ?
R - Oui, il s'agit de deux Français, qui sont, je crois, légèrement blessés. En tout cas, il y a trois membres du consulat et de l'ambassade qui s'occupent d'eux. Je crois qu'on vit, là, un véritable combat qui traverse cette région. Souvenez-vous de Tabah il y a deux ans, souvenez-nous de Charm El-Cheikh l'année dernière...
Chaque fois, il s'agit de lieux touristiques, pour empêcher le développement capitalistique ou touristique de cette région. D'abord, je voudrais penser particulièrement aux victimes, et, bien évidemment, au régime de M. Moubarak et à ceux qui croient, dans un pays modéré, à un islam modéré. Je pense à ce combat qu'il faut mener aux côtés de ceux qui pensent qu'il peut y avoir un dialogue des civilisations, un dialogue des cultures et un dialogue des religions. Je crois qu'il faut éviter tout radicalisme ; il faut se battre contre le radicalisme et l'intégrisme, parce que le terrorisme, il n'y a rien de pire que cela. Cela touche, on le voit, des innocents, et c'est un combat qui est mené par un certain nombre de personnes. Il faut donc réagir, résister.
Q - Vous dites "résister" : en ce moment, un certain nombre de Français sont en vacances de Pâques, certains, peut-être, sont dans la région. Concrètement, que leur conseillez-vous ? De rester sur place, de rentrer ?
R - Il n'y a aujourd'hui aucune raison de leur donner des indications particulières. Ce que je peux dire par contre, c'est qu'il est excessivement important, plus que jamais, pour nous, la France, comme pour l'Union européenne, de défendre cette vision du monde, qui est une vision de dialogue entre les religions et les civilisations, de ne pas tomber dans la guerre des civilisations où l'on veut nous faire tomber.
Q - C'est-à-dire qu'il faut continuer à y aller ? Si on est sur place, on garde son sang-froid, on passe des vacances tranquillement ?
R - J'étais, il y a trois jours, à Charm El-Cheikh, sur la stèle des Français qui sont morts dans le vol entre Charm El-Cheikh et Paris, le 3 janvier 2004, à 4h44 du matin ; j'étais là pour voir cette stèle, parce que j'accompagnais le président de la République en Egypte, et parce qu'il était normal que le ministre des Affaires étrangères y soit. J'y suis allé et, évidemment, tout se passe normalement, il y a une vie normale. La seule chose, c'est qu'il ne faut pas baisser les bras vis-à-vis du terrorisme. La France est aujourd'hui un des pays au monde à se battre le plus contre le terrorisme, au niveau de tous les services de l'Etat.
Q - Cette région était traditionnellement la plus sûre, c'est ce que l'on disait. On disait qu'à Charm El-Cheikh comme à Dahab, il y avait évidemment une surveillance particulière. Cela va quand même porter un coup au tourisme dans la zone, incontestablement.
R - Oui, bien évidemment. Mais ce qu'il faut voir, c'est le Moyen-Orient. Aujourd'hui, il y a l'Egypte, mais il y a à côté, pas très loin, le Proche-Orient, avec le Hamas qui a gagné les élections législatives palestiniennes. Il y a aujourd'hui cette demande... D'ailleurs, vous avez remarqué que pour la première fois, cet attentat est non seulement condamné par Israël, non seulement condamné par M. Habbas, le président de l'Autorité palestinienne, mais pour la première fois, condamné aussi par le Hamas.
Q - Cela veut-il dire que le Hamas pourrait tempérer un peu ses positions ?
R - Je ne veux pas dire cela, je dis en tout cas qu'il l'a condamné, pour la première fois. C'est un attentat terroriste que le Hamas condamne. Je le note, parce que c'est un élément de politique étrangère majeur, c'est la première fois. Mais au-delà de cela, il y a aussi, bien sûr, l'Iran, et on voit aujourd'hui...
Q - ...Oui, c'est le sujet de préoccupation majeure aujourd'hui, puisque l'Iran a jusqu'à vendredi, selon les injonctions internationales, pour cesser l'enrichissement de son uranium à des fins militaires.
R - Oui. Les Russes, les Chinois, les Américains, les Britanniques, les Allemands et nous, nous avons demandé solennellement, au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies, à l'Iran de suspendre toute activité nucléaire sensible. Savez-vous que, de manière unilatérale, ils avaient repris la conversion de l'uranium le 4 août 2005, et maintenant, l'enrichissement de l'uranium. Nous avons donné jusqu'au 28 avril à l'Iran pour nous répondre. M. El Baradeï, le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, était sur place il y a une semaine ; il va nous faire un rapport. Et là, nous verrons...
Q - L'Iran n'a franchement aucune intention d'obtempérer, toutes les déclarations récentes le montrent.
R - Evidemment, j'ai entendu comme vous et je condamne ces déclarations, en particulier lorsque le président de l'Iran se permet de dire qu'"il faut mettre une croix sur l'Etat d'Israël", ou lorsque lui-même doute de l'existence de l'holocauste, ce que je trouve évidemment abominable et horrible ! Mais on attend le 28 avril. Si le 28 avril il y a, en effet, comme vous le dites, une réponse négative, alors c'est au Conseil de sécurité des Nations unies de se réunir et de prendre ses responsabilités. Encore une fois, nous proposons à l'Iran l'énergie nucléaire civile à des fins pacifiques, et pas, évidemment, pour d'autres raisons.
Q - Quand vous insistez sur le Conseil de sécurité des Nations unies, il me semble entendre, en arrière-fond, que ce n'est pas une affaire que les Américains peuvent régler tout seuls. Il y a aussi un risque, de l'autre côté, qu'il puisse y avoir une intervention militaire américaine en Iran. De votre point de vue, est-ce quelque chose qui, pour l'heure, est tout à fait exclu, ou bien le président G. Bush pourrait envisager quelque chose de cet ordre ?
R - Pour nous, ce n'est évidemment absolument pas d'actualité. Et la France, plus que jamais, est attachée à la Charte des Nations unies. Nous pensons que des décisions comme celle-là, des réflexions sur n'importe quel pays au monde, doivent être faites ensemble, en multilatéral. Ce n'est pas un pays, fût-ce le plus grand, fût-ce le plus faible, qui doit décider pour les autres, c'est ensemble. C'est donc le Conseil de sécurité qui doit donner un accord, et qui doit soutenir politiquement l'AIEA. Nous croyons au multilatéralisme, pas à l'unilatéralisme.
Q - Si les Etats-Unis interviennent dans cette zone, alors là, c'est la porte ouverte à une sorte de ralliement sur la plus grande radicalité ?
R - Il faut surtout éviter de tomber dans une guerre, comme je le disais au début, entre deux mondes. Par exemple, celui qui serait un monde musulman, qui serait unifié, contre un Occident, qui serait considéré comme humiliant le premier. Cela, la France, jusqu'au bout, essaiera de l'éviter. Il faut tout faire pour éviter cela. J'étais au Caire, il y a trois ou quatre mois, où j'ai rencontré un cheik très important dans le monde sunnite qui, lui, évite cette guerre des civilisations. Il faut croire au dialogue entre les religions car si l'on ne croit pas au dialogue entre les religions, alors le pire peut arriver.
Q - C'est justement pour éviter tout cela que vous avez pris une initiative un peu inattendue : vous avez mis en ligne, sur un site qui est ouvert en Iran - puisqu'il y en a quelques-uns qui sont ouverts à la population iranienne ; le site s'appelle "Roozonline.com" - une interview pour faire passer un message de paix auprès des Iraniens.
R - Oui, parce qu'il faut quand même savoir que chaque fois que nous disons qu'il ne faut pas d'armes nucléaires en Iran, le président Ahmadinejad, lui, monte dans les sondages en Iran.
Je suis passé par Internet pour parler à toute la jeunesse et à tous les universitaires, à tous les chercheurs, à tous ceux qui n'ont pas, malheureusement, de liberté de la presse, parce que je le dis, ici, les Droits de l'Homme ne sont pas respectés en Iran. Il y a encore un droit de lapidation dans le droit iranien, il y a des exécutions, y compris de mineurs, il n'y a pas de liberté de presse et il y a des prisonniers politiques. Alors, j'ai donc souhaité aussi le dire, par l'intermédiaire d'Internet, parce que c'est cela aussi la démocratie pour nous, de pouvoir s'exprimer, partout, en disant ce que l'on pense.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 avril 2006