Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur la défense et l'amélioration du modèle d'intégration à la française, Paris le 24 avril 2006.

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Circonstance : Installation du nouveau collège du Haut Conseil à l'intégration, à Paris le 24 avril 2006

Texte intégral

Madame la Ministre,
Messieurs les Ministres,
Madame la Présidente du Haut Conseil à l'intégration, Chère Blandine KRIEGEL,
Mesdames et Messieurs les Membres du nouveau collège du Haut Conseil,
C'est un plaisir pour moi de vous recevoir aujourd'hui à Matignon, pour installer le Haut Conseil à l'intégration dans sa nouvelle composition. Avant toute chose, vous me permettrez de remercier celles et ceux qui ont accepté d'y participer, les membres qui ont été renouvelés, bien sûr, mais aussi les onze nouveaux membres, qui apporteront toute leur expertise et leurs compétences aux travaux du Haut Conseil.
Pour marquer la mobilisation du gouvernement sur les questions d'intégration, et pour articuler le travail gouvernemental avec vos propres réflexions, je viens de réunir le Comité interministériel à l'intégration. Cela m'a permis de fixer le cap aux ministres concernés, notamment en ce qui concerne le renforcement des parcours d'intégration jusqu'à la citoyenneté, l'accès à l'emploi et la logique des droits et des devoirs qui est au coeur du pacte républicain.
1. Ma conviction, c'est qu'aujourd'hui il nous faut défendre un modèle d'intégration à la française.
Certes, ce modèle a permis à la France de devenir et de rester une terre d'ouverture et de diversité. Tout au long de son histoire, notre pays a su accueillir celles et ceux qui venaient y chercher un nouvel espoir et construire une vie meilleure, en y respectant nos lois et les règles de notre vivre ensemble.
La première caractéristique de ce modèle, c'est sa générosité, qui découle de nos principes d'universalité : la générosité, c'est par exemple de permettre à tous ceux qui sont en situation régulière sur notre sol, sans distinction de nationalité, l'accès à l'ensemble de nos services publics, notamment l'école et la santé ou à notre protection sociale.
Au coeur de ce modèle d'intégration, il y a ensuite une exigence : c'est l'idée que nous nous faisons de l'accueil des étrangers. Il ne s'agit pas simplement de permettre à ces hommes et à ces femmes de travailler dans notre pays, mais bien de leur faire une place à part entière parmi nous. Cela implique de les aider à mieux connaître nos valeurs, afin qu'ils puissent les partager et les vivre pleinement. Mais intégration ne signifie pas assimilation. Il ne s'agit pas en effet d'imposer une identité et de nier l'acquis culturel des nouveaux venus : car une intégration réussie ne peut se faire que dans la reconnaissance de l'autre et par les autres, ainsi que par l'adhésion à nos principes républicains. C'est tout le sens des contrats d'accueil et d'intégration qu'avec Catherine VAUTRIN nous voulons généraliser pour formaliser cette volonté de participer pleinement à notre vie nationale.
Ce qui fait la spécificité de notre modèle d'intégration, c'est enfin son ambition. Car, ne l'oublions pas, la France est, avec plus de 100 000 naturalisations par an, l'un des pays les plus ouverts au monde. C'est bien l'accès à la citoyenneté, ouvert à tous les étrangers qui choisissent de s'établir durablement en France en bénéficiant du regroupement familial, qui constitue l'aboutissement de ce processus d'intégration.
Nous connaissons tous les critiques qui ont été faites à ce modèle. Nous connaissons ses limites. Mais ne confondons pas les difficultés d'intégration que rencontrent trop souvent les étrangers venus s'installer en France avec les problèmes d'égalité des chances dont souffrent certains de nos compatriotes issus de l'immigration, et dont la crise des banlieues a constitué une certaine forme de révélateur. Je voudrais à cette occasion saluer le travail d'Azouz BEGAG dans ce domaine. En effet, l'égalité des chances doit être donnée à tous. C'est un principe républicain essentiel que nous devons faire vivre pleinement. C'est une promesse que nous devons tenir, en particulier à l'égard de ceux qui ont choisi de venir s'installer en France.
Les blocages, nous les connaissons.
C'est la ségrégation urbaine, avec des quartiers qui cumulent les difficultés et qui se trouvent de plus en plus isolés du reste du territoire. La proportion d'étrangers y est souvent très supérieure à la moyenne nationale : pour eux les obstacles sont souvent plus difficiles encore à surmonter. Cette situation constitue un frein puissant à l'intégration et favorise la tentation du communautarisme et du repli sur soi, qui sont souvent des réflexes de protection de la part de groupes qui se sentent isolés ou en difficulté.
Le second blocage, ce sont les discriminations dont sont victime trop d'étrangers et trop de Français d'origine étrangère, qu'il s'agisse de trouver un logement, d'obtenir un travail ou même d'entrer dans une boîte de nuit. Or la plus petite des discriminations, surtout lorsqu'elle est répétée, surtout lorsqu'elle est quotidienne, est une blessure profonde pour celui qui la vit.
Le troisième blocage de notre société, c'est bien sûr le chômage, qui touche un grand nombre d'immigrés. Or nous le savons tous, le premier outil d'intégration, le plus efficace, c'est le travail.
Pour lutter contre ces blocages, nous avons besoin de la mobilisation de tous. C'est bien le sens de la loi sur l'égalité des chances qui a été votée par le Parlement et qui sera mise en place dans les plus brefs délais.
Le deuxième effort pour améliorer notre modèle d'intégration, c'est de renforcer l'adhésion à notre destin collectif. Si nous voulons créer chez les étrangers venus en France un sentiment d'appartenance à notre société, nous devons être capables de leur dire quels en sont les fondements, le sens et le projet.
Cela implique de mettre davantage en valeur les principes qui sont au coeur de notre République : l'égalité des chances, la laïcité et la tolérance. A nous de montrer aux nouveaux venus que ces principes sont la meilleure garantie de leur propre liberté et de leur bien être.
Cela implique également un plus grand esprit de responsabilité : nous devons promouvoir une logique de droits et de devoirs. Notre pays propose à chacun les mêmes chances, les mêmes opportunités, sans distinction d'origine, de sexe ou de religion. En retour, nous sommes en droit d'exiger de tous le même respect des règles et de l'autorité de l'Etat.
C'est bien cet équilibre qui permettra un débat serein et apaisé autour de toutes les questions concernant l'immigration.
2. Grâce à votre Haut Conseil, nous avons déjà commencé à nous attaquer à chacun de ces blocages.
Permettez-moi de rendre hommage à votre présidente, Madame Blandine KRIEGEL, qui, avec toute l'autorité que chacun lui reconnaît, a su poser les termes du débat théorique sur l'intégration, tout en s'engageant résolument dans la recherche de solutions pragmatiques. Je salue également celles et ceux d'entre vous qui ont collaboré à cet important travail de documentation
La création du service public de l'accueil des immigrés en France et du contrat d'accueil et d'intégration doit beaucoup aux réflexions que vous avez développées dans vos rapports de 2001 et 2003.
C'est aussi en partie le rapport du HCI de 1998 qui a inspiré la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Avec la loi sur l'Egalité des chances, nous lui avons donné de nouveaux pouvoirs de sanction afin de renforcer encore l'efficacité de son action.
Grâce à vos analyses des données statistiques sur la présence étrangère en France et les mesures de l'intégration, vous avez contribué à asseoir le débat sur des bases rationnelles. L'observatoire statistique qui a été créé à votre demande, Madame la Présidente, permettra d'approfondir encore ces analyses. Je sais que la présidente de son conseil scientifique, Madame Hélène CARRERE D'ENCAUSSE, est pleinement mobilisée dans cette mission.
3. Aujourd'hui, nous devons aller plus loin.
Je souhaite que le Haut Conseil travaille en priorité dans quatre directions.
D'abord, nous devons mieux appréhender les questions d'immigration et d'intégration à l'échelle du continent et de l'Union européenne. C'est pourquoi, j'attends de vous que vous me remettiez un avis comparant les différents modèles d'intégration européens. Il ne s'agit pas de renoncer à notre modèle français, mais nous ne pouvons pas ignorer ce qui marche chez nos partenaires.
Ensuite, nous devons continuer à réfléchir pour améliorer le contrat d'accueil et d'intégration. Je souhaite que le HCI travaille sur cette question notamment pour développer la formation civique sur les droits des femmes et l'Union européenne.
Je souhaite également confier au HCI la mission d'élaborer une charte de la laïcité dans les services publics. Cette question est très importante, elle répond à une préoccupation forte de nos concitoyens.
En dernier lieu, il est nécessaire de compléter votre travail sur les statistiques. Les réflexions engagées sur les indicateurs de l'intégration doivent trouver une application concrète et nous permettre de mesurer d'une manière régulière les progrès accomplis. Pour cela, nous devons nous doter d'un véritable baromètre de la condition de vie des immigrés. Je souhaite que votre observatoire, en liaison avec le Comité interministériel de contrôle de l'immigration puisse répondre à cette demande.
Au-delà, je vous demande de porter une attention particulière aux banlieues dans l'ensemble de vos avis et rapports.
Mesdames, Messieurs,
La France doit rester cette terre d'accueil et de diversité qu'elle a toujours été.
Pour cela nous avons besoin d'une mémoire collective apaisée, d'une confiance et d'une fierté retrouvée dans nos racines. Nous avons besoin d'un projet collectif pour que la France puisse aller de l'avant.
Je sais que je peux compter sur vous pour nous aider à relever ce défi.
Je vous remercie.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 avril 2006