Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur la coopération scientifique et technologique entre la France et l'Italie, Turin le 29 janvier 2001.

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Circonstance : Installation de l'université franco-italienne, à Turin le 29 janvier 2001

Texte intégral

La valeur fondamentale de l'utilisation de la raison est le message à transmettre aux nouvelles générations .
Cette exhortation de l'une des grandes figures de la science italienne, la professeure Rita Levi-Montalcini, prix Nobel de médecine, née, ici, à Turin, ne devrait-elle pas, à défaut de pouvoir figurer au frontispice de l'université franco-italienne, inspirer les travaux de son conseil scientifique, que mon collègue et ami, Ortensio Zecchino et moi-même, avons l'honneur d'installer ce matin ?
La rapidité du progrès scientifique et technologique contemporain, les bouleversements économiques, sociaux et culturels qu'elle entraîne, font resurgir des peurs ancestrales et en suscitent de nouvelles. Les repères se brouillent et, sans toujours abdiquer, la raison doute. La tentation est forte, alors, de se réfugier dans les croyances du passé ou de s'abandonner aux replis identitaires.
Pour que la raison l'emporte, pour que le lien entre la science et nos sociétés, leur jeunesse en particulier, ne se rompe pas mais au contraire se renforce, il nous faut des lieux, des forums, comme celui que nous inaugurons ce matin, qui rende la recherche plus visible et plus attractive, la connaissance plus accessible et mieux maîtrisable et à l'Europe sa vocation ancestrale d'être le champ naturel de leur déploiement.
Je crois que l'Université franco-italienne répond à ces objectifs de manière exemplaire et ceci pour plusieurs raisons :
Elle s'appuie sur le socle solide d'une riche coopération bilatérale.
Les échanges culturels et scientifiques entre nos deux pays ont toujours été riches et nombreux. Longtemps à sens unique, quand artistes et écrivains français venaient chercher en Italie inspiration et savoir faire, ils sont aujourd'hui plus équilibrés mais toujours aussi intenses : les accords entre nos organismes de recherche, les coopérations en science et technologie se comptent par centaines et dans tous les domaines. J'ai, par exemple, dénombré 184 accords interuniversitaires (il n'y en avait que 39 en 1985) et 305 accords liant des écoles d'ingénieurs ou de commerce françaises avec des partenaires italiens.
Certes, pour faciliter cette dense coopération scientifique et technologique entre les organismes et les établissements d'enseignement supérieur et de recherche de nos deux pays, existent déjà des structures tel que le programme " Galilée " qui met désormais l'accent sur la mobilité des jeunes chercheurs, doctorants ou post-doctorants, et sur les équipes nouvellement créées ou que l'accord, signé en 1998, sur les cotutelles de thèses.
Mais l'UFI, conçue comme une " tête de réseau " des actions de coopération et d'échanges, va permettre de leur donner une meilleure visibilité et une plus grande attractivité :
en menant un effort particulier d'information et de promotion de la mobilité entre les deux pays, l'offre de formation universitaire proposée par le partenaire étant encore insuffisamment connue, notamment par les étudiants français, en constituant un réseau d'établissements sur des objectifs de formation intégrée,
en prenant des initiatives d'intérêt commun en matière de formation initiale et continue,
en encourageant les stages croisés en entreprise,
en proposant des modalités d'action pour la mise en uvre de programmes d'études et de recherche franco-italiens,
en améliorant les conditions de l'intégration des périodes d'études à l'étranger dans le cursus d'origine et la validation des acquis. A cet égard, l'UFI pourra faire siens les instruments offerts par le plan d'action pour la mobilité, proposé par la Présidence française et adopté par le Conseil de novembre dernier.
en valorisant les formations bilingues et la connaissance de l'autre culture.
Elle devrait faciliter aussi l'ouverture de pistes nouvelles de coopération :
Notamment en faveur de la formation des enseignants de langues vivantes, en impliquant les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et en s'appuyant sur le réseau des lecteurs de langues-attachés linguistiques.
Ou encore pour renforcer la pratique des formations co-diplômantes déjà nombreuses dans le domaine des sciences, des langues et des lettres.
Par ailleurs, l'introduction en Italie, en 1999, d'un système de formation technico-professionnel supérieure (FIS) similaire à nos filières de BTS, devrait permettre d'étudier une coopération dans ce domaine.
Fruit d'un long processus de coopération bilatérale dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, l'Université franco-italienne doit également constituer un laboratoire de projets novateurs pour la mise en place de l'Europe de la connaissance" et pour la création d'un "espace européen de la recherche et de l'innovation".
Nos deux pays ont joué un rôle moteur pour que se rapprochent les systèmes d'enseignement supérieur en Europe : L'Italie et la France sont à l'origine de l'initiative qui a permis de lancer l'espace européen de l'enseignement supérieur, en ralliant leurs homologues d'Allemagne et du Royaume-Uni, le 25 mai 1998, à la "Déclaration de la Sorbonne" qui engageait un processus d'harmonisation entre les architectures de leurs systèmes d'enseignement supérieur.
Le retentissement de cette décision a permis de rassembler les adhésions de 29 pays d'Europe lors de la deuxième Conférence, organisée à Bologne en juin 1999.
Ce processus, que tous les pays d'Europe se sont désormais approprié, devrait connaître de nouvelles avancées lors de la Conférence de Prague, au mois de mai 2001.
Si l'Italie et la France travaillent actuellement au rapprochement des systèmes d'enseignement supérieur en Europe pour permettre l'émergence de " l'étudiant européen " que le recteur de l'Université de cette ville, M.Bertolino appelait de ses vux lors de votre premier colloque, à Grenoble, en décembre dernier, elles travaillent aussi à l'édification de l'Espace européen de la recherche , car, bien sûr, l'un ne peut se faire sans l'autre.
Une part croissante des échanges s'inscrit désormais dans le cadre de programmes européens : PCRD, EUREKA, grands équipements et agences européennes comme le CERN, l'ESO (Organisation de Recherche Astronomique), l'ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) et l'ESA.
L'UFI doit donc aussi nous aider, comme observatoire, à cibler, en matière de recherche, la coopération sur les complémentarités d'intérêt et à proposer des orientations communes dans les enceintes multilatérales.
Enfin, l'UFI doit traduire notre volonté commune d'ouvrir l'Europe de la recherche et de la connaissance au reste du monde, à ce "Sud" avec lequel le fossé se creuse, en particulier à ce Sud méditerranéen si proche de nous, italiens et français.
Elle doit être, me semble-t-il, le fer de lance du dialogue euro-méditerranéen sur les questions d'enseignement supérieur et de recherche, un dialogue relancé à l'automne dernier, à l'initiative de mon ami Ortensio Zecchino, lors de la rencontre informelle qu'il avait organisée à Capri.
J'y avais lancé le projet d'un Forum de la Recherche méditerranéenne. Je vous propose que la première édition de celui-ci soit organisée, sous l'égide de l'UFI. Elle pourrait se dérouler à la Maison de la Méditerranée, à Aix-en-Provence, au cours du premier trimestre 2002.
***
Ainsi, l'Italie et la France disposent donc aujourd'hui d'un nouvel instrument de travail fédérateur et ambitieux. Les nouvelles performances que nous devons accomplir aujourd'hui dans le contexte de la mondialisation et d'une compétitivité accrue exigent que la mobilité des personnes, l'accès au savoir, les transferts de technologie bénéficient d'une organisation souple et rapide.
L'Université franco-italienne a été conçue pour faciliter les passages : elle servira d'observatoire de la mobilité et des coopérations interuniversitaires ; de laboratoire permettant l'identification et l'expérimentation de projets innovants, la conception et le test de modalité de coopérations pilotes ; d'instance de labellisation des opérations de coopération bien évaluées, leur ouvrant la voie à des cofinancements dans le cadre d'autres programmes ; de portail donnant accès aux sources d'information sur les possibilités d'échanges entre les deux pays avec un lien sur les programmes européens ; de tête de réseau pour les pays partenaires tiers, notamment du pourtour méditerranéen.
C'est pourquoi, au nom de Jack Lang et en mon nom, il m'est agréable de rendre hommage au travail accompli par Messieurs Alfio Mastropaolo et Michel Duclot, dont la ténacité et l'enthousiasme communs et les compétences complémentaires - puisque l'un est professeur de sciences politiques comparées à l'Université de Turin, et l'autre professeur de sciences physiques à l'Institut national polytechnique et à l'Université Joseph Fourier de Grenoble - ont permis de jeter les bases solides de cet ambitieux projet. Et je dirai même de la " mettre en musique " puisqu'ils viennent, m'a-t-on dit, de s'engager à ce qu'il produise, en cette année de centenaire, un CD de l'Intégrale de Giuseppe Verdi
Je les remercie, ainsi que vous tous, membres du Comité scientifique, de vous apprêter à faire vivre cette université. En fait, vous avez commencé à agir, dans l'esprit attendu, en préparant les opérations futures :
par la création d'un site Internet bilingue à deux entrées, la constitution d'un centre de documentation et d'information, la mise en réseau des établissements acteurs de la coopération franco-italienne
par l'organisation de deux colloques, l'un consacré aux " politiques d'aides aux mobilités franco-italiennes " qui s'est tenu à Grenoble en décembre 2000, l'autre, à venir en mars, à Rome, intitulé " Uni(di)versité : parcours de la culture française en Italie et coopération universitaire franco-italienne ".
Fondée sur le caractère privilégié de notre coopération bilatérale, projet emblématique de notre volonté commune d'ouverture culturelle, de progrès scientifique et d'une citoyenneté européenne, l'UFI doit être aussi un espace de création, d'initiatives, bref un espace de liberté. Car, comme le dit Montaigne dans les Essais : " Je voudrais avoir droit de vous demander, au style que j'ai vu quêter en Italie, " Fate ben per voi " "
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président du Conseil,
Monsieur le Premier ministre,
Excellences,
Mes chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Dans l'enfer concentrationnaire, Primo Levi tente de retrouver pour Jean, son ami français, les vers de Dante. Parmi ceux qui lui reviennent, il y a ceux-ci : " Considerate la vostra semenza
Fatti non foste a viver come bruti
Ma per seguir virtute e conoscenza. "
" Considérez quelle est votre origine : Vous n'avez pas été faits pour vivre comme brutes, mais pour ensuivre et science et vertu. "
C'est sous les auspices de celui qui, plongé " dans la douleur sans espoir ", trouve la force de réciter ces vers et d'y croire encore, que je vous propose de placer, dans sa ville natale, le lancement de l'Université franco-italienne.
Science et vertu. La mission de l'Université reste bien là : transmettre les savoirs accumulés par les générations passées, produire des connaissances nouvelles mais aussi former civiquement et armer moralement les jeunes qu'elle accueille.
Mais, la rapidité du progrès scientifique et technologique contemporain, les bouleversements économiques, sociaux et culturels qu'elle entraîne, brouillent les repères et compliquent l'accomplissement de cette mission. La relation entre la science et la vertu est contestée, le lien entre la science et la société se distend.
Pour que ce lien ne rompe pas mais au contraire qu'il se renforce, il nous faut rendre la recherche plus visible et plus attractive et la connaissance plus accessible et mieux maîtrisable.
L'édification de l'Espace européen de la recherche et de l'Europe de la connaissance nous fournit, pour y parvenir, une opportunité d'autant plus facile à saisir, ici, qu'une longue complicité culturelle et intellectuelle nous lie à l'Italie.
C'est pourquoi nous avons souhaité créer cette Université franco-italienne, qu'Ortensio Zecchino et moi-même avons l'honneur de lancer publiquement devant vous après avoir, ce matin, installé son conseil scientifique.
Elle donnera à nos enseignants, à nos chercheurs, comme à la jeunesse de nos deux pays, une meilleure visibilité de notre très active coopération bilatérale et la rendre plus attractive.
Elle facilitera l'ouverture de pistes nouvelles d'échanges et de coopération, aussi bien dans le domaine de l'enseignement que dans celui de la recherche.
Elle constituera également un laboratoire de projets novateurs pour la mise en place de l'Europe de la connaissance et pour la création d'un " espace européen de la recherche et de l'innovation " dont le récent sommet de Nice a souligné l'importance.
Enfin, l'UFI devra traduire notre volonté commune d'ouvrir l'Europe de la recherche et de la connaissance au reste du monde, à ce Sud avec lequel l'écart grandit, en particulier à ce Sud méditerranéen auquel tant de liens, Italiens et Français, nous unissent. C'est pourquoi, ce matin, nous avons invité le conseil scientifique, à l'occasion de sa première réunion, à organiser, dès l'an prochain, un premier Forum de la recherche méditerranéenne.
Pour conclure, vous permettrez que j'adresse mes vifs remerciements à tous ceux qui ont permis que cette Université franco-italienne voit le jour et fasse ses premiers pas, en particulier, MM. les professeurs Mastropaolo et Michel Duclot, chevilles ouvrières du projet.
Comme je le soulignais ce matin, fondée sur le caractère privilégié de notre coopération bilatérale, projet emblématique de notre volonté politique commune d'ouverture culturelle, de progrès scientifique partagé et d'une citoyenneté européenne, l'UFI doit être aussi un espace de création, d'initiatives, bref, de liberté. Comme Montaigne, je le cite : " je voudrais avoir droit de leur demander, au style que j'ai vu quêter en Italie "Fate ben per voi ".
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 9 février 2001)