Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "LCI" le 10 avril 2006, sur la nécessité d'abroger le contrat première embauche (CPE) pour sortir du malaise social et de la constestation générale, sur la préparation du projet socialiste pour l'élection présidentielle de 2007.

Prononcé le

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

F. Hollande, bonjour.
Bonjour.
Q- On saura dans deux heures, deux heures et demi comment le Gouvernement compte enterrer le CPE. Si la formule de compromis est celle qui était évoquée au début de ce week-end- est la bonne, c'est-à-dire une suspension ou un remplacement du CPE par une sorte de contra qui serait ressemblant au CIVIS, l'actuel contrat CIVIS, plan de cohésion sociale, est-ce que cela aura votre aval, est-ce que ça peut selon vous être la bonne sortie de crise ?
R- Je ne sais pas à l'heure où nous parlons quelle sera la formule mais je demande qu'elle soit simple et claire, que ce soit une abrogation, c'est à- dire la fin du CPE, et que ce soit rapide, c'est-à-dire dès la semaine prochaine par une nouvelle proposition de loi. Toute autre formule, on le voit bien, alambiquée, ambiguë, ajouterait encore de la confusion et je pense qu'il n'en faut plus. Nous vivons une agonie insupportable depuis maintenant trois semaines parce que finalement, tout cela aurait pu s'arrêter lors d'une manifestation plus importante que les autres qui avait eu lieu au début du mois de mars et qui aurait permis, si le Premier ministre avait eu les mots justes, d'en terminer avec cette mauvaise affaire. Plutôt que de cela, on a eu une rivalité au sommet de l'Etat. On a eu des hésitations. On a eu de l'obstination. On a eu de l'orgueil. Ecoutez on est lundi, c'est le début d'une semaine. Ça doit être la fin du CPE.
Q- Avez-vous avez une explication à ce week-end interminable ? On croyait la solution vendredi. Est-ce que vous avez le sentiment que le président de la République est d'une certaine manière sous l'influence de son Premier ministre ?
R- Je pense qu'au sommet de l'Etat, il n'y a plus d'autorité. Il n'y a plus de chef capable d'imposer une décision. Le président ne préside plus, sinon il y a bien longtemps qu'il aurait par sa propre intervention ramené le calme et l'esprit de concorde. Et son intervention il y a maintenant dix jours à la télévision, loin de clore le chapitre du CPE, le livre du CPE, en a rajouté encore quelques pages. Il n'y a pas non plus d'autorité du Premier ministre. Il devrait être le chef de la majorité. Il n'est que le subordonné de N. Sarkozy, théoriquement son numéro deux. Ce qu'il n'a sans doute pas accepté vendredi. Il pourrait y avoir de la part du président de l'UMP, quelque autorité aussi à faire valoir dans une certaine mesure. Il est le candidat, si j'ai bien compris, de ce parti pour la prochaine élection présidentielle. Il pourrait quand même imposer ses vues. Alors comme personne n'est capable de dire ce qui doit être fait, c'est les trois qui se paralysent. Et c'est insupportable. Pas simplement pour l'UMP, pas simplement pour la droite. Je pourrais moi-même m'en réjouir comme responsable du Parti socialiste, mais c'est accablant pour le pays.
Q- Allons jusqu'au bout : est-ce que de votre point de vue, le Premier ministre devrait tirer les conclusions et rendre son tablier plutôt que d'aller à la télévision ce soir annoncer le décès d'un projet sur lequel il s'est totalement investi ?
R- Ecoutez ça, c'est son affaire. A lui de jouer le croque-mort puisqu'il a été à un moment, hélas, l'accoucheur du CPE. Il aura joué donc le rôle de naissance et de mort, de décès du CPE. C'est son affaire. Moi je ne suis pas là pour accélérer des échéances ou préférer celui-ci à celui-là. C'est la même équipe. J. Chirac, D. de Villepin, N. Sarkozy ont fabriqué ce projet. Ils doivent maintenant nous en faire sortir de cette mesure et de ce dispositif. C'est eux qui seront jugés en 2007 sur l'ensemble, si je puis dire, de leur oeuvre.
Q- Est-ce que néanmoins vous allez rédiger une proposition de loi ?
R- Mais nous l'avons faite cette proposition.
Q- Je veux dire, est-ce que vous allez la défendre ?
R- Ecoutez ça dépendra.
Q- Est-ce que ça mérite d'être défendu si ce soir, les choses sont terminées ?
R- Cela dépendra de ce qui nous sera proposé aujourd'hui. S'il y a abrogation, substitution - je ne sais quel sera le mot mais en tous cas - fin du CPE, nous verrons par quoi il sera remplacé. S'il est remplacé par quoi que ce soit. Mais de toute manière nous, nous avons une possibilité de débattre de notre proposition le 16 mai prochain et nous ferons en sorte que des propositions nouvelles soient offertes aux jeunes.
Q- Qu'est-ce que vous pensez de la formule de J. Dray : proposer c'est risquer de manifester notre division ?
R- Non ce n'est pas ce qu'a voulu dire J. Dray. C'est qu'au moment où tout le mouvement syndical, toutes les organisations de salariés et de jeunes sont sur un seul mot d'ordre qui est le retrait du CPE, il n'était pas souhaitable d'ajouter d'autres formules. Donc il fallait d'abord obtenir le retrait ou l'abrogation, nous verrons bien ce qu'il en sera aujourd'hui. Et ensuite, c'est bien normal, une fois qu'il y a plus le CPE, de permettre qu'il y ait des progrès pour l'insertion des jeunes et notamment ceux qui sont sans qualification. Et nous avons fait cette proposition dès le départ. Moi-même, avec les socialistes, nous avons dit qu'il faudrait un contrat non pas pour tous les jeunes pour les précariser, mais un contrat à durée indéterminée permettant à un employeur de dispenser une formation et offrant à cet employeur par l'Etat, une contrepartie sous forme de remboursement de cet effort de qualification.
Q- Après cet épisode, quand on voit l'impopularité et du Premier ministre et du président de la République, est-ce que vous estimez définitivement qu'au fond votre adversaire pour la prochaine présidentielle, adversaire de l'opposition, c'est N. Sarkozy ?
R- Ecoutez moi je pense que nous aurons un adversaire de droite au second tour de l'élection présidentielle.
Q- C'est probable.
R- C'est probable. L'essentiel c'est quand même nous, socialistes, d'arriver à offrir une alternative à la droite, pas simplement attendre le rejet mais promouvoir un projet. Et je n'oublie pas les conditions du 21 avril 2002. Jamais je ne les oublierais. Donc d'abord faire notre travail de formation politique de gauche, être au second tour de l'élection présidentielle, être capable de montrer qu'il y a projet contre projet, bilan contre bilan, un véritable choix. Et offrir au pays une solution à travers un président, une présidente, nous verrons bien, de gauche pour l'avenir.
Q- Quand vous voyez le mouvement tel qu'il s'est développé de contestation, est-ce que vous avez vous le sentiment qu'il y a une radicalisation et que cela exige de la gauche qu'elle radicalise ses positions ? Et notamment du Parti socialiste ?
R- Vous savez quand même, nous avons fait preuve d'une grande responsabilité ces dernières semaines. De même que le mouvement syndical, de même que les organisations de jeunesse ont fait preuve d'une grande responsabilité. Face au spectacle invraisemblable du pouvoir, face à ce temps perdu, ce temps gâché, face à cette palinodie, face à cette comédie. Et triste comédie. Nous aurions pu, nous aussi, essayer de récupérer, de manipuler, de durcir, de "radicaliser", vous dites. Nous ne l'avons pas fait car nous avons le sens de l'Etat et de l'intérêt général. Et je ne veux pas qu'on utilise la colère des jeunes à d'autres fins. Ce ne serait pas digne si parce que les jeunes aujourd'hui en ont assez d'une droite qui veut les vulnérabiliser, les précariser, nous essayons de passer derrière pour obtenir leur suffrage. Je ne l'ai pas voulu. Les jeunes, en tous cas tous ceux qui se sont manifestés contre le CPE, feront leur choix le moment venu en 2007. Et je ne suis pas là pour simplement essayer de récupérer leur colère.
Q- L. Fabius était sur cette antenne hier soir. Il disait un triptyque : valeur de gauche, proposition de gauche, rassemblement à gauche. C'est un slogan que vous pouvez faire vôtre ?
R- Mieux vaut pour un candidat socialiste d'être de gauche. Mais pour un président de gauche, de gouverner et de diriger à gauche.
Q- Alors est-ce que vous avez ressenti ça comme une critique des valeurs que veut défendre S. Royal qui sont, si j'ai bien compris, conjuguer à la fois des valeurs de gauche et un certain néo conservatisme autour de valeurs traditionnelles, la famille, l'autorité...
R- Je ne vois pas en quoi la famille, l'autorité, les règles et leur respect seraient comment vous dites ? Conservateurs ou conservatrices ces valeurs- là ? Non pas du tout. Je crois qu'il s'agit là de choix qui doivent être partagés. Et puis de toute manière, je ne doute pas que le candidat, nous verrons bien qui il sera ou qui elle sera, sera le candidat du projet du Parti socialiste. Il y aura un projet au mois de juin. Nous allons adopter nos propositions, faire valoir nos références, nos valeurs.
Q- Apparemment, les candidats à la candidature n'attendent pas ce projet.
R- Ils y participent tous.
Q- Ils développent tous leurs propositions.
R- Donc lorsque les militants auront voté sur un projet, ils auront à choisir un candidat et ce candidat sera celui du projet socialiste.
Q- Est-ce que vous êtes partisan d'organiser, comme certains le souhaitent, des débats entre les candidats à la candidature et quand, si oui ?
R- Nous verrons bien. Sans doute au mois d'octobre. Nous connaîtrons à ce moment-là les candidats ou candidates à la candidature. Et nous organiserons comme il convient, les choses. Mais je ne veux pas donner le spectacle d'une campagne électorale entre socialistes. Je veux quand même rappeler ici, que la bataille n'est pas au sein du Parti socialiste - nous aurons à faire un choix - mais entre le Parti socialiste et la droite.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2006