Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à RMC le 28 mars 2006, sur le contrat première embauche, le dialogue social et la position de la CFDT sur les réformes.

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Texte intégral

Q- Le Premier ministre vous a écrit. Avez-vous reçu la lettre ?
R- Figurez-vous que j'ai quitté mon bureau, hier soir après 20h00, et que la lettre n'était pas arrivée. Et j'ai appris par la radio qu'il m'avait envoyé une lettre pour m'inviter à dialoguer, mais je n'ai pas reçu et on ne m'a pas informé de cette lettre-là. Vous voyez bien le problème de communication qui existe dans ce pays...
Q- Il vous invite demain, à Matignon, pour discuter des aménagements du CPE. Allez-vous y aller ?
R- Comment voulez-vous, alors que vendredi, il a reçu les cinq responsables des cinq grandes confédérations, où on lui a dit que nous étions prêts à parler du problème de l'accès des jeunes à l'emploi, du problème du marché du travail, "sans préalable", c'est-à-dire qu'il nous oblige à accepter son CPE avant, comment voulez-vous qu'on y aille, alors qu'il nous donne comme préalable à la discussion que l'on accepte le CPE ? Le Premier ministre, tout simplement, nous dit : "Venez débattre avec moi de tout ce que vous voulez, mais avant, il faut que vous acceptiez le CPE. Eventuellement, je changerai à la marge, sans changer la loi, c'est-à-dire des détails, mais après on discutera du reste". Donc il nous fait un préalable qui, bien évidemment, après deux mois de conflit, ne peut pas être acceptable.
Q- Donc pour vous, c'est incontournable : le Premier ministre doit retirer le CPE. Et s'il le suspend, que dites-vous ? Imaginons qu'il vous annonce la "suspension" du CPE - puisque les mots ont de la valeur ?
R- Attendez, de toute façon, juridiquement, il n'y a que la loi qui peut transformer la loi...
Q- Un nouveau projet de loi peut changer...
R- Bien évidemment. Donc, ce que nous proposons, c'est de débattre d'un autre projet de loi, pour qu'il dépose cet autre projet de loi. Donc pour débattre un autre projet de loi, il ne faut pas que l'on n'ait pas le préalable d'accepter le CPE. C'est donc ça qui nous pose problème aujourd'hui. La CFDT a des propositions à faire au Premier ministre : il refuse de les étudier. Il refuse ! Cela fait deux mois que le Premier ministre refuse d'étudier nos propositions. Il nous dit : "J'écouterai vos propositions si vous acceptez mon CPE". On ne peut pas continuer dans cette démarche-là. Pourquoi est-il aussi bloqué que cela ? Je ne sais pas, mais il est, je crois - et d'ailleurs, tous les sondages le disent -, le responsable de ce blocage.
Q- Vous ne vous sentez-vous aucune responsabilité, vous les syndicats ?
R- Tout le monde sait que dans notre pays, il y a une difficulté de dialogue sociale. Ce n'est pas nouveau...
Q- Mais pourquoi ? Parce que vous n'êtes pas suffisamment représentatifs ? Parce qu'il n'y a pas de culture du dialogue social en France ?
R- Voilà, il y a un problème de culture du dialogue social. Mais on a rappelé au Premier ministre, vendredi, que cette majorité, le Gouvernement de M. Raffarin, a fait voter une loi en 2004, qui dit en préambule qu'il n'y aura plus, dans notre pays, de changement du code du travail sans ouverture de négociations entre partenaires sociaux. Le Premier ministre a transgressé la loi. Le Premier ministre n'a pas appliqué la loi. C'était une chance, me semble-t-il, de pouvoir débloquer les choses. C'est-à-dire qu'avant de faire une réforme ou de prendre une décision comme il vient de le décider, il la mettait à la négociation. Si on est capable de négocier, on prend ce qu'il y a dans la négociation. Si on n'est pas capable, il décide et, à ce moment-là, il est tout à fait légitime pour décider. Il n'a pas voulu rentrer dans cette démarche-là et c'est ce qui bloque les choses : c'est que l'on est malade du dialogue dans notre pays.
Q- On est malade du dialogue dans notre pays, c'est sûr et à tous les niveaux ! Imaginons que le Premier ministre reste sur ses positions ce soir. Que faites-vous demain, vous syndicats ? Appelez-vous à la grève générale, y êtes-vous favorable ?
R- Non, parce qu'une grève générale, dans notre pays, ne se déclenche que dans des cas exceptionnels. Je crois que le dernier appel à la grève générale, c'était quasiment à la Libération en 1944. En 1968, on a vécu des moments qui pouvaient ressembler à la grève générale, mais on n'en est pas là. Prendre la responsabilité de dire aux salariés qu'ils arrêtent de travailler, que l'on bloque tout le pays, l'économie, je pense qu'on n'en est pas là.
Q- Plusieurs syndicats étudiants demandent la grève générale...
R- Il y a la Coordination étudiante qui le demande, mais honnêtement, ce sont les salariés qui le décident, ce ne sont pas les syndicats d'étudiants...
Q- Aujourd'hui, est-ce que ce sont les salariés qui décident ou les étudiants sur le CPE ?
R- Actuellement, en particulier du mode d'action dont vous me parlez, ce sont les syndicats, les confédérations qui décident et, de toute façon, jusqu'à preuve du contraire, la grève est un droit individuel et on ne peut pas imposer la grève à un salarié. C'est donc lui qui le décide et je ne pense pas que les salariés soient prêts de se lancer dans une grève générale aujourd'hui.
Q- Donc que déciderez-vous demain, si le Premier ministre reste ferme dans ses positions ?
R- On va voir demain. Mais ce que je note, c'est que cela fait deux mois que l'on est dans ce conflit et, à chaque mouvement que l'on déclenche, à chaque fois, on trouve un autre type d'action - cela a commencé par des manifestations, puis un samedi, puis une grève - à chaque fois, on est encore plus suivis que la fois d'avant. C'est-à-dire qu'à l'inverse de ce que pense le Premier ministre, nous ne sommes pas vers un affaiblissement de la mobilisation, bien au contraire. Et aujourd'hui, on va le voir, on va avoir une très grosse journée d'action. Je ne peux donc pas imaginer que le Premier ministre continue dans ses préalables à la discussion. Nous voulons débattre sans préalable, d'un côté comme de l'autre, que l'on puisse étudier les propositions que fait la CFDT, d'une part pour l'accès des jeunes à l'emploi - on a des propositions concrètes - et que l'on réfléchisse ensemble quels assouplissements on peut donner au marché du travail en échange de quelles sécurités. Voilà les solutions de dialogue. On nous les refuse.
Q- On va parler des propositions que vous faites pour l'emploi des jeunes, parce qu'il faut des idées nouvelles, on a évidemment besoin d'idées nouvelles dans ce pays. Quand même, il y a des élections à la CFDT bientôt, dans quelques semaines : est-ce que vous n'êtes pas très combatif sur le CPE à cause de cela, parce que vous avez envie de vous faire réélire à la tête de la CFDT ?
R- Non, je ne me lance pas dans une carrière syndicale, comme certains se lancent dans une carrière politique. Il y aura un autre secrétaire général après moi et la CFDT continuera à vivre, quelle que soit la situation. Je pense que la CFDT, et c'est ce qui fait sa spécificité, est capable, même dans l'adversité, de soutenir des réformes qui ne font pas plaisir à tout le monde ...
Q- La réforme des retraites...
R- ... à condition qu'on les négocie, à condition que l'on soit partie prenante. On a fait une réforme de l'assurance chômage ; on a fait, avec les autres syndicats, un accord avec le patronat, sur la formation tout au long de la vie. Par contre, sur une réforme, d'une part qui ne nous va pas, et d'autre part sur laquelle on ne nous a pas demandé notre avis, il n'est pas question qu'on flanche sur ce sujet-là. On voit donc bien que la CFDT est en capacité de s'engager, même en étant courageuse. Mais sur des sujets où l'on est sûr que sur le fond, on change trop de choses et que cette façon de fonctionner est inacceptable, à ce moment-là, on s'oppose.
Q- N. Sarkozy a dit hier soir, à Douai, qu'il fallait prendre le temps que la négociation aboutisse. Il lance un appel au compromis et il propose un contrat unique, un CDI, avec les droits du salarié qui se renforceraient au fil du temps.
R- Je ne sais pas si le CDI est la bonne solution. M. Sarkozy parle de CDI, d'autres économistes parlent de cette situation-là... Il nous semble que l'on ne peut pas non plus donner une solution unique à tous les salariés. Il me semble qu'il faut adapter les solutions en fonction de la réalité des entreprises et des salariés bien évidemment. Mais ceci dit, c'est un débat et il est important que ce débat, démocratiquement, ait lieu dans notre pays. Le problème sur le CPE, c'est que le débat n'a jamais eu lieu.
Q- Et remettez-vous en cause le CNE, comme le font certains ? Demandez-vous aussi la suppression, l'arrêt du CNE ?
R- On a remis en cause le CNE, lorsque le Premier ministre l'a mis en place, là aussi sans concertation, une décision unilatérale par ordonnance. On avait obtenu des contreparties, on avait obtenu un engagement du Premier ministre lui-même de ne pas faire autre chose que le CNE tant que l'on ne ferait pas une évaluation. Et il n'a pas respecté ses engagements, il a fait le CPE. Donc bien évidemment, on a des exemples de plus en plus nombreux, aux Prud'hommes, d'excès de pouvoir de certains employeurs, qui licencient sans motif. Donc on voit bien que cela ne marche pas et que l'on va augmenter les contentieux dans les entreprises. Cela va tendre les relations entre le salarié et son employeur. Ce n'est pas une bonne chose.
Q- Si le Premier ministre reste ferme, s'il ne répond pas à vos attentes, est-ce qu'il doit démissionner ?
R- Ce n'est pas notre débat à la CFDT.
Q- Vous demandez sa démission ?
R- Bien évidemment que non. Ce serait rentrer dans un débat politique. Nous, on n'a pas à choisir les Premiers ministres. C'est le président de la République qui le fait, c'est les majorités qui soutiennent ou pas leur Premier ministre. Nous sommes en désaccord avec lui. Mais en aucun cas, nous demandons la démission de qui que ce soit.
Q- Manuel, qui est dans la Drôme, conducteur-routier. Posez votre question.
R- Manuel : Je suis un ancien adhérent à la CFDT et j'aurais beaucoup de choses à dire. Je vous pose une question : qui gouverne aujourd'hui le pays ? Est-ce le Gouvernement ou les syndicats ? A croire qu'il y a que vous qui avez des bonnes idées. Quel que soit le Gouvernement, de droite ou de gauche, à partir du moment où il fait quelque chose, vous dénoncez de suite. Pourquoi ne voulez-vous pas aller voir le Premier ministre, alors qu'une loi a été votée ? Pourquoi ne pas, éventuellement, arranger ce CPE, et non pas à tout prix vous obstiner à vouloir le retirer ?
Q- Voilà : pourquoi ne pas aller voir le Premier ministre et essayer d'arranger les choses ?
R- Alors deux choses. D'une part, je viens de le dire, la CFDT ne s'oppose pas à toutes les décisions des gouvernements, elle est en capacité d'en soutenir quand elles sont bonnes. Ca, c'est un élément qui est très important, et on a fait la démonstration dans le passé qu'on était en capacité de le faire. D'autre part, je rappelle une nouvelle fois, qu'il y a une loi qui dit, dans notre pays, qui a été votée en 2004, qu'il n'y aura plus de transformation du code du travail sans négociations entre partenaires sociaux. Et ensuite, nous sommes prêts, je le répète, à débattre, à négocier avec le Premier ministre, mais "sans préalable" comme il nous dit. Il nous dit actuellement : "Venez me voir pour adapter ce que j'ai décidé" !
Q- Mais vous, vous lui dites : "Je vais vous voir à condition que vous retiriez le CPE" !
R- Mais l'important, c'est de faire, comment dirais-je, de mettre les choses à plat de tout. C'est-à-dire que le Premier ministre s'engage à écouter toutes les propositions qu'on a à faire. Et qu'il ne fasse pas de préalable à la sortie de la discussion. Or, le préalable de la sortie de la discussion que nous propose le Premier ministre, c'est d'accepter ce qu'il veut faire. C'est quand même un vrai problème ! Donc, nous lui demandons de mettre de côté son CPE, de s'engager à ce que la loi soit transformée en fonction du résultat de la négociation, et non pas de nous imposer ce CPE !Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 mars 2006