Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à RMC le 10 avril 2006, sur le retrait du CPE et la position de FO sur le CNE, l'emploi précaire et l'emploi des jeunes.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- Le CPE est-il mort ? Vous voulez que je réponde ? Moi, je pense qu'il est mort et terminé, le CPE. Le Gouvernement va le retirer sans le dire. Vous êtes d'accord ?
R- Ce n'est pas exclu. Notre objectif, depuis le début, c'est quoi ? C'est que le CPE soit complètement mort et enterré. On a dit " retrait du CPE ", et c'est toujours la position. Alors, ou c'est abrogé tout simplement ou alors c'est remplacé et si c'est remplacé par quelque chose qui n'a rien à voir avec le CPE, et que ça n'est pas non plus un CPE bis, que c'est une amélioration des systèmes d'accompagnement des jeunes en grande difficulté, ça, ça se regarde, c'est ce que nous avons dit, et donc nous allons attendre aujourd'hui.
Q- Que savez-vous, justement, du dispositif de remplacement ?
R- Ce que les journaux écrivent ce matin.
Q- Pas plus ?
R- Non, non, non, on a des informations, bien sûr.
Q- Vous avez été consultés tous, encore tout le week-end, j'imagine, non ?
R- Bien sûr, on a eu des coups de fil, etc., c'est évident.
Q- Comment ça s'est passé ? Racontez-nous, là, un petit peu.
R- On nous pose des coups de fil : " voilà, ça irait vers..."
Q- Qui vous passe des coups de fil ?
R- Ceux qui sont en charge des dossiers. Pas le Premier ministre, si vous voulez savoir.
Q- Pas le Premier ministre ? Il ne vous a pas appelé, non.
R- Non, non, cela fait bien longtemps.
Q- Et Sarkozy, non, non plus ?
R- Non, non, c'est les ministres en charge des dossiers. Mais on verra maintenant à 10 h 30. Vous savez, tant qu'on n'a pas le texte précis et qu'on ait le temps de l'analyser, on regardera. Mais l'objectif qu'on s'est fixé depuis maintenant, ça fait presque trois mois, depuis le 16 janvier, c'était le retrait du CPE pour des raisons qu'on a eu longtemps le cas d'expliquer les uns et les autres. Donc si cet objectif est atteint, on prendra acte, bien entendu.
Q- Que savez-vous quand même des dispositifs de remplacement ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce que vous aimeriez qu'on fasse ?
R- D'abord si - parce que j'attends, moi, je suis prudent - si c'est des dispositifs qui existent déjà, qui ne sont pas des contrats de travail dérogatoires - aucun mécanisme n'est un contrat de travail dérogatoire aujourd'hui - si c'est améliorer certains dispositifs qui existent, le CIVIS, le contrat "Jeunes en entreprise", ce sont des contrats existent, qui sont ce qu'on appelle des contrats aidés. Cela veut dire qu'il y a des aides pour les employeurs notamment, mais si on améliore la formation sur ce type de contrats, c'est des contrats plutôt réservés aux jeunes en grande difficulté. Donc ça, ça se regarde de manière positive. Maintenant, si c'est ça, c'est effectivement le retrait pur et simple du CPE, ça veut dire qu'il n'existe plus le CPE, maintenant le dossier ne sera pas fini pour autant. On n'aura pas réglé tous les problèmes pour autant et ce qu'on explique depuis le début, " Retirez le CPE, et après nous on est prêts à discuter ".
Q- Vous avez des propositions ? On va en parler. Parce qu'on ne peut pas rester sur un retrait du CPE, il va bien falloir quand même qu'on aille un peu plus loin que ce retrait.
R- C'est l'objectif qu'on s'est fixé parce que c'était le CPE - c'est, vous voyez, j'emploie déjà l'imparfait - le CPE c'est quelque chose de très dangereux. Très dangereux en ce sens où c'est un contrat précaire qui amorçait une casse du code du travail. C'est pour cela d'ailleurs qu'on a le soutien de tous les syndicats européens, ils ne voulaient pas le voir arriver dans leur pays également. Donc on a un soutien international très fort là-dessus. Il y aura des conséquences, il faudra qu'on regarde sur le CNE, d'une manière ou d'une autre. Mais également, ensuite, ce qu'il faut bien regarder, c'est que du côté des négociations avec le patronat, si on obtient satisfaction, nous allons demander au patronat d'ouvrir des discussions sur l'insertion professionnelle des jeunes, par exemple. Cala va être une demande syndicale, sur comment améliorer les systèmes de professionnalisation et toute une série de choses que l'on veut discuter avec le patronat. Il faudra aussi qu'on discute avec le Gouvernement pour ce qui est de la responsabilité du Gouvernement. Il y a des dispositifs en matière d'aide à l'emploi des jeunes qui sont strictement de la responsabilité du Gouvernement. Ça, il faudra en discuter avec eux. Il y a un problème de fond également, qui est de dire on ne crée pas de l'emploi, ce qu'on explique depuis le début, en cassant le code du travail et en cassant les contrats de travail. Donc comment on peut aider à la croissance économique qui, elle, crée de l'emploi ? Dernier élément : il faudra aussi que du côté des jeunes - quand je dis des jeunes, des syndicats d'étudiants et de lycéens - ils aient des réponses à leurs revendications du côté des pouvoirs publics. Donc, ça fait beaucoup de chantiers qui peuvent être ouverts. Et puis maintenant, il faut avancer pour qu'on puisse les régler.
Q- Donc, vous demandez au-delà du retrait du CPE, des grandes négociations, discussions avec le Gouvernement, avec le patronat ?
R- Avec le Gouvernement pour ce qui est de sa responsabilité. Avec le patronat, on est assez grand pour discuter avec le patronat, on n'a pas besoin d'ordre.
Q- Alors, justement, pourquoi ne pas faire ce qui se fait dans de nombreux pays : le patronat et les syndicats discutent, ensuite se mettent d'accord sur un texte, et ensuite le Gouvernement intervient ? Pourquoi ça ne se fait pas ?
R- Cela se fait aussi chez nous, ça.
Q- Oui, mais pas suffisamment, non ?
R- Attendez, ça se fait chez nous. Je vais prendre un exemple : en 2003, on a signé, tous les syndicats d'ailleurs, avec le patronat, un accord sur la formation professionnelle. Cet accord a été étendu dans une loi. Cela veut dire que ce qui a été l'objet d'un accord interprofessionnel entre les syndicats et le patronat est devenu une loi.
Q- Mais pourquoi ça ne se fait pas systématiquement ça ?
R- Cela ne peut pas se faire systématiquement.
Q- Et pourquoi ?
R- Parce qu'il y des domaines qui ne sont pas... je sais pas moi, on ne va pas parler de la fiscalité avec le patronat et définir les impôts nous-mêmes. Cela est de la responsabilité du Gouvernement et c'est de la responsabilité du Parlement. Vous savez, il ne peut pas y avoir un mur de Berlin entre la loi et le contrat, ça n'existe pas. Parfois le contrat, sur le domaine qui relève du contrat, quand des contrats sont signés et ils sont étendus, cela veut dire qu'ils sont rendus obligatoires par la loi et applicables à tout le monde, ça c'est la logique républicaine, qui existe. Parfois aussi, c'est la loi, à condition qu'il y ait eu consultation avant, qui peut faire l'objet de discussions. Mais la frontière n'est jamais étanche entre les deux.
Q- J.-C. Mailly, deux choses, l'actualité. J'ai vu que la Coordination étudiante demandait le retrait de toute la loi : l'article 8, évidemment, sur le CPE, mais le retrait de toute la loi égalité des chances. Vous êtes sur ce terrain-là ?
R- Nous, ce que nous expliquons depuis le début, un objectif commun aux douze organisations de salariés et d'étudiants, c'est le retrait du CPE. Il y a d'autres points qu'on conteste dans la loi, les uns et les autres : l'apprentissage à 14 ans, etc. Il faudra qu'on rediscute de ce genre de choses. Nous, l'objectif qu'on s'est fixé - et quand on a un objectif, on essaie de l'atteindre et quand il est atteint, on n'en rajoute pas. Maintenant, ils ont le droit, chacun sa liberté.
Q- Ils en rajoutent, donc ?
R- Ah non. Eux, c'est leur liberté. Chacun est libre dans une démocratie d'avoir les revendications qu'il veut. Ça, je ne critique pas ça.
Q- J.-C. Mailly, est-ce que vous demandez la réouverture du dossier CNE ? Oui ou non ?
R- Il faudra rediscuter du CNE, c'est évident.
Q- Vous demandez cela, ce matin ?
R- Il faudra en rediscuter, mais bien sûr, à la fois parce que l'évaluation on ne l'a pas, il faut arrêter, il faut une évaluation sérieuse. Comme le dit un journal satirique qui sort une fois par semaine, " Si bien en tout état de cause, le CNE mourra dans d'atroces souffrances judiciaires ". Il faut bien comprendre qu'aujourd'hui qu'est-ce qui s'accumule sur le CNE ? Il s'accumule les dossiers prud'hommes. Moi j'ai encore eu un cas qu'on m'a signalé, une personne depuis quatre mois en CNE tombe malade, est absente quinze jours, elle revient le lendemain et elle reçoit sa lettre recommandée. Voilà. Alors, ça va aller aux Prud'hommes ce genre de chose. Donc, l'accumulation des dossiers prud'homaux, ça ira jusqu'en Cour de cassation. Ce qu'on a déposé, nous, comme plainte, Force Ouvrière, auprès du BIT, moi, je suis persuadé que le CNE finira par mourir. Mais encore faut-il reprendre les discussions là-dessus.
Q- Vous demandez donc qu'on reprenne ces discussions à l'occasion des prochaines négociations ?
R- Oui, d'abord qu'il y ait une évaluation précise.
Q- Vous demandez d'abord une évaluation ?
R- Attendez, qu'on regarde. Je dis depuis le début que tous les chiffres qu'on nous sort, c'est du pipeau. Ça y est, tout le monde commence à le dire sur le CNE.
Q- Il y a beaucoup de chefs d'entreprise qui disent, " Ca marche le CNE ".
R- Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu d'embauches en CNE. Sauf que quand on veut regarder objectivement les choses, combien d'emplois ont été pris en CDI l'ont été en CNE ? Combien de dérapages ? Je ne dis pas tous les chefs d'entreprise, mais on sait très bien qu'il y a des dérapages, on en a, tous les syndicats ont des dérapages aujourd'hui avec des saisines de Prud'hommes. Qu'on regarde sérieusement les choses et qu'on arrête de nous faire de l'esbroufe en disant "il y a 400.000 emplois" etc. S'il y avait eu 400.000 emplois de créés en plus, ça se saurait quand même.
Q- Donc, on fait une évaluation, dans un premier temps.
R- L'évaluation et on regarde, mais bien sûr.
Q- Evaluation, là, à l'occasion des prochaines rencontres avec le Gouvernement ?
R- Attendez, pour le moment...
Q- ... On en est sur le CPE, mais le CPE-CNE, c'est lié ?
R- Bien sûr qu'il y a un lien entre les deux puisque ce sont deux frères jumeaux, d'une certaine manière. Il faudra reprendre le dossier, tout à fait.
Q- Vous demandez la reprise du dossier.
R- Il faudra regarder à nouveau le dossier. D'abord qu'on est une discussion sur l'évaluation, qui soit une évaluation précise.
Q- Bien. Est-ce que vous ne trouvez pas qu'autour de cette histoire de CPE, on a privilégié la forme plutôt que le fond ? Est-ce que vous ne trouvez pas, globalement, qu'on s'intéresse en France un peu plus aux questions de forme qu'aux questions de fond.
R- Non, non, non.
Q- Non ? Vous n'êtes pas d'accord avec ça ?
R- Non, c'est les deux. Il y a les deux, mais parfois les questions de forme rejoignent les questions de fond. Quand un gouvernement, quand un Premier ministre, comme ça été le cas cette fois-ci, décide tout seul dans son coin, sans consulter personne, on peut dire que c'est une question de forme, c'est vrai, mais en même temps c'est une question de fond. Cela veut dire qu'il a bafoué ce qu'on appelle la démocratie sociale, qu'il a bafoué la nécessité et l'obligation de consulter les partenaires sociaux. Donc c'est de la forme et du fond en même temps. Et après, le fond véritable, ce qui est le plus important, ça je suis d'accord sur le dossier CPE, c'est qu'il est devenu le symbole de la précarité légalisée. C'est ça le CPE. Comme si on allait créer des emplois en cassant le code du travail ! Ça n'existe pas. Enfin, il faut vraiment être très libéral pour penser ce genre de chose.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2006