Interview de M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, à France-Info le 10 avril 2006, sur le CPE et le CNE, l'emploi des jeunes sans qualification et le chômage des jeunes.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral

Q- Qu'attendez-vous de J. Chirac et de D. de Villepin, aujourd'hui ?
R- Surtout des mesures pour ramener un peu le calme dans ce pays. C'est maintenant l'urgence essentielle.
Q- Quitte à enterrer le CPE ?
R- Oui. Vous savez que nous le défendions - et nous le défendons encore, si j'ose dire - parce qu'il amenait, à notre avis, la flexibilité dont les entreprises ont besoin pour accélérer l'entrée au travail des plus jeunes, qui ont des difficultés deux fois plus que les autres catégories d'hommes ou de femmes de notre pays. Ceci étant, avec la tournure que cela a pris - le CPE est devenu le bouc émissaire de l'ensemble des problèmes de notre société - je crois qu'aujourd'hui, il faut être capable de le suspendre. C'est ce que j'ai dit vendredi lorsque j'ai été reçu par les responsables de l'UMP. Et puis revoir tous les dispositifs d'insertion des jeunes. Je crois qu'il ne faut pas réinventer ce qui existe déjà. On a, pour les jeunes, au niveau formation initiale, le contrat d'apprentissage, ensuite la formation professionnelle, le contrat d'insertion professionnelle, qui est un contrat formidable. Ce contrat doit satisfaire l'ensemble des organismes, parce qu'il répond à un besoin tout à fait pragmatique, où on regarde en fonction des besoins de l'entreprise. Je cherchais le mot : c'est le contrat de professionnalisation, voilà. Et puis ensuite, pour les moins favorisés, ceux qui ont moins de diplômes, essayer de voir par exemple le CJE - contrat "Jeunes en entreprise" - en l'adaptant. Ces contrats doivent être adaptés : pour le contrat de professionnalisation, il faut aider davantage l'entreprise pour qu'elle en prenne davantage, et pour le contrat "Jeunes en entreprise", il faut voir les adaptations pour que les jeunes puissent entrer plus facilement dans l'entreprise.
Q- Mais la flexibilité est-elle vraiment la panacée pour faire baisser le chômage des jeunes ?
R- Oui, je crois que la flexibilité est essentielle. Qu'est-ce qui crée l'emploi ? C'est la croissance. La croissance, nous ne l'avons pas suffisamment pour créer des emplois de manière suffisante dans notre pays. Donc, il faut trouver des outils incitatifs pour l'entreprise pour créer de l'emploi. Le CNE, par exemple, a été extrêmement incitatif parce qu'il permet aux petites entreprises de vérifier si économiquement elles pouvaient soutenir un ou deux salaires en plus pour un projet qu'elles avaient. Cela a très bien marché, ça marche bien. Je vous rappelle quand même : 360.000 contrats signés depuis le mois d'août.
Q- Les chiffres sont contestés.
R- Ils sont très peu contestables. Vous verrez qu'ils se vérifient de plus en plus. Et sans doute 120.000 ou 130.000, qui n'auraient pas été créés dans le CNE. Le CPE devait faire la même chose.
Q- En gros, aujourd'hui, vous vous attendez à perdre la bataille du CPE mais vous espérez gagner un jour la guerre de la flexibilité : c'est ça ?
R- Ah oui, absolument. Vous l'avez très bien dit. On perdra - enfin je ne sais pas si on peut le citer comme cela, parce que c'est la France qui perd - mais ce qu'il faut [savoir], c'est qu'obligatoirement on sera obligé de remettre la flexibilité en place derrière. D'ailleurs, même Monsieur Chérèque parlait de la "flex-sécurité", on en parle depuis longtemps : plus de flexibilité pour l'entreprise et puis des règles du jeu plus précises pour les salariés, je suis d'accord, mais pas forcément plus rémunératrices. Le problème du chef d'entreprise aujourd'hui, s'il licencie, il va au tribunal de prud'hommes et il perd entre six mois et un an de salaires à payer. Le chef d'entreprise n'ose pas prendre ce risque. Cela coûte trop cher à l'entreprise.
Q- Vendredi, vous l'avez dit, vous avez donc rencontré les parlementaires UMP chargés de ce dossier. Dans quel état d'esprit les avez-vous trouvé ? D'abord, avez-vous senti que c'était eux qui tenaient la main vraiment ?
R- Je crois que c'était eux qui tenaient la main, qui avaient besoin d'avoir un certain nombre d'informations pour ensuite les transcrire. C'est ce qu'ils vont nous dire aujourd'hui, j'imagine. Ils ont écouté attentivement ce qu'on leur a dit. D'ailleurs, on a fait un communiqué tout de suite après, qui est à la disposition de tout le monde où justement, j'expliquais qu'il fallait reprendre les contrats existants : l'apprentissage, le contrat de professionnalisation et éventuellement, le contrat "Jeunes en entreprise" pour les plus défavorisés.
Q- Est-ce que vous ne craignez pas que finalement les petits patrons soient un peu les dindons de la farce de cette histoire ?
R- Pour l'instant, les petits patrons, si j'ose dire - les moins de vingt salariés ne rentrent pas dans cette catégorie - ce sont les plus de vingt les "dindons de la farce", parce qu'on leur retire la flexibilité. Mais ce qui seront le plus "dindons de la farce", si je reprends votre expression, c'est sans doute ceux qui cherchent du travail, ceux qui cherchent à rentrer dans l'entreprise, parce que les souplesses qu'on leur a retirées vont limiter les embauches.
Q- En même temps, il est dangereux de se couper de la jeunesse d'un pays. L. Parisot disait qu'il est dangereux de se couper des chefs d'entreprise. Croyez-vous qu'il y a vraiment un problème aujourd'hui entre cette majorité et les chefs d'entreprise ?
R- Non, je ne crois pas qu'il y ait un problème entre la majorité et les chefs d'entreprise. Il y a eu une maladresse sur la forme pour présenter ce contrat "première embauche" sur lequel tout se focalise. C'est sur la forme, et non sur le fond. On voit bien que ce gouvernement fait des tas d'effort pour les entreprises, pour les PME, les moins de 250 salariés. Ceci étant, on met un coup d'accélérateur sur plein de choses, et puis là, on met un énorme coup de frein sur autre chose, ce qui fait que la machine n'avance pas.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2006