Interview de M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, à Radio Classique le 5 avril 2006, sur le CPE, notamment les marges de manoeuvre du gouvernement, le probable report des examens et la politique universitaire du gouvernement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- Bonjour F. Goulard, merci d'être la voix du Gouvernement ce matin sur Radio Classique Info, en pleine crise du CPE. Dans moins d'une heure, maintenant tous les syndicats doivent se retrouver pour une réunion commune, ce qu'on appelle ordinairement une intersyndicale. Avant de participer aux négociations avec les représentants de l'UMP emmenés par B. Accoyer, ces syndicats disent : "nous négocierons à partir du moment où le CPE sera retiré". Alors le contrat "première embauche" est-il encore vivant à l'heure qu'il est, Monsieur le ministre ?
R- Le président de la République a fixé une ligne, il a promulgué la loi, il a annoncé qu'il fallait l'améliorer sur deux points : d'une part, la durée de la période de consolidation d'un an au lieu de deux ans et sur l'explication donnée aux salariés en cas de rupture. Je pense que c'est un terrain de négociations. Il y a des positions de départ, il y a une négociation qui s'ouvre. Je pense qu'il faut que chacun fasse un pas vers l'autre. Le Gouvernement est prêt à le faire, les parlementaires également.
Q- Donc, le CPE n'est pas abrogé à l'heure qu'il est ?
R- En tout cas, il y a une chose qui n'est pas abrogée : ce sont les problèmes auxquels sont confrontés les jeunes et il faudra trouver des solutions. Et je remarque une chose, c'est que ce front syndical, pour l'instant - pour l'instant, mais les négociations commencent - n'a pas fait de propositions très concrètes pour changer une situation qui n'est pas tolérable.
Q- On a quand même du mal à voir quelles sont les marges de manoeuvre du Gouvernement, entre des syndicats qui disent "abrogation sinon rien" et un Gouvernement qui ne veut rien retirer avant de parler. On est dans l'impasse.
R- On est dans la situation où une loi a été votée, a été promulguée, il faut quand même le rappeler, ce sont des choses essentielles. Nous sommes dans une démocratie, dans un état de droit. Le Parlement s'est prononcé, régulièrement, il a voté une loi, on peut parler de cette loi, il n'y a pas de loi immuable et le président de la République a précisément dit qu'on pouvait, on devait l'améliorer. C'est sur ce terrain là qu'il faut se placer. Les syndicats ont leur rôle, mais les parlementaires ont le dernier mot lorsqu'il s'agit de voter la loi. Alors nous sommes très ouverts, on peut parler de tout, mais il faut savoir qu'il s'agit d'une loi et non pas d'une négociation, par exemple de type salarial où on doit trouver un accord de type contractuel.
Q- Quoi qu'il en soit, les syndicats sont fiers d'avoir repris la main. D. de Villepin d'ailleurs leur a donné une belle occasion de se ressouder là où ils étaient divisés. Le Premier ministre qui passe le relais à l'UMP, le chef qui perd sa place, c'est la rue qui a gagné, est-ce ça, réellement la démocratie ?
R- C'est vrai que c'est un vrai problème pour nous tous d'être confrontés à ce type de situation. Ce n'est pas totalement satisfaisant, il faut le dire, mais je pense que nous allons, dans les prochains jours, dans les prochaines semaines trouver des solutions. Les groupes parlementaires sont chargés de faire une proposition de loi, on retrouve un terrain normal de fonctionnement des institutions, c'est normal que les parlementaires fassent des propositions. Je pense que le jour où les négociations commencent, il faut laisser à ceux qui vont en être chargés, le soin de trouver une voie. Elle n'est pas évidente, mais je suis certain qu'elle sera trouvée, parce que le pays ne peut pas vivre dans une situation comme celle-là, il faut absolument que l'on trouve une issue.
Q- Vous êtes ministre délégué à la Recherche et à l'Enseignement Supérieur, comment vont se passer les examens ? Vous confirmez que beaucoup vont être reportés à la rentrée et qu'il y aura un peu d'indulgence ?
R- Ce sont les présidents d'université qui sont chargés de l'organisation des examens et il convient que chacun d'entre eux trouve des solutions, adaptées à ce qui s'est passé dans son université, mais avec un impératif : ne pas brader les diplômes. Parce que brader les diplômes, avoir des examens de complaisance c'est aller à l'encontre de l'intérêt des étudiants. Il ne faudrait pas que les futurs employeurs se disent que cette année 2006, les diplômes ont été donnés. Donc une exigence universitaire, une exigence de qualité et des solutions adaptées. Je voudrais rappeler que la majorité des facultés - je dis bien des facultés, pas des universités -, à l'intérieur des universités, ont fonctionné normalement dans cette période et donc les cours ont eu lieu et les examens peuvent se dérouler normalement.
Q- F. Goulard, [parlons de] la recherche et de l'emploi justement. Hier, le projet de loi de programme pour la recherche a été définitivement adopté par le Parlement. Demain, vous irez à l'Université Paris IV, où vous parlerez, notamment, insertion professionnelle et adaptation des formations. Le secteur de la recherche embauche aujourd'hui ?
R- Le secteur de la recherche va embaucher beaucoup. Nous créons cette année 3.000 emplois dans le secteur de la recherche, ce qui est considérable. Nous allons continuer, les départs à la retraite seront nombreux dans les prochaines années, donc c'est un secteur d'avenir, à deux points de vue : d'avenir pour les jeunes qui veulent s'engager dans ce secteur et d'avenir évidemment parce que l'avenir économique, notamment de notre pays dépend beaucoup de la recherche.
Q- Alors tout le débat aujourd'hui - le CPE, on en a parlé - mais il y a
aussi la réflexion en amont sur les formations etc. Est-ce que le bât
n'est pas en train de blesser sérieusement aujourd'hui à ce niveau ?
R- Oh, la crise que l'université a vécue au cours de ces dernières semaines révèle de vraies difficultés dans les formations universitaires. Et moi j'observe que ce sont les étudiants qui sont dans les filières où les débouchés sont souvent problématiques qui ont le plus manifesté, qui sont le plus engagés dans des mouvements de contestation - et ce n'est pas tout à fait étonnant. Il faut absolument que nous réformions nos formations universitaires, de sorte qu'elles préparent mieux à l'emploi. C'est un travail que nous avons commencé et qu'il faut, naturellement intensifier et poursuivre.
Q- Chaque ministre dit ça, Monsieur Goulard, excusez-moi, mais bon, à chaque fois qu'on les reçoit à ce micro, c'est le credo.
R- Chaque ministre ne le fait pas et moi j'ai observé que nous n'avions pas eu de véritable politique universitaire depuis d'assez nombreuses
années ...
Q- Alors la vraie politique universitaire c'est quoi ?
R- On ne s'est pas suffisamment soucié, tout simplement de l'accès à l'emploi des étudiants. Un exemple : le chiffre, qui devrait essentiel, du nombre de diplômés pour chaque filière de formation qui trouvent un emploi dans l'année suivant son diplôme, eh bien ce chiffre n'est généralement pas disponible. Nous sommes en train de faire en sorte qu'il y ait de ce point de vue là une information complète des étudiants pour qu'ils sachent, que s'engageant dans telle filière de formation, ils ont telle probabilité de trouver un emploi à la sortie. Eh bien ça c'est un effort que nous avons engagé depuis quelques mois, mais qui n'avait pas été engagé au préalable. De la même façon, nous n'avons pas assez dans notre université de formations professionnalisantes. Nous sommes en train d'en augmenter le nombre. De la même façon, un certain nombre de filières, qui aujourd'hui ne préparent pas à des emplois dans les entreprises, doivent s'habituer, par exemple à développer les stages pour faciliter l'insertion dans l'emploi des futurs diplômés. C'est un travail qui est en cours, c'est un travail qu'il faut accentuer, parce que les résultats aujourd'hui ne sont pas encore là.
Q- Ça c'est l'amont et qui de l'aval ? Quelle est la place réservée à l'innovation, notamment la place des entreprises dans tout cela qui accueillent les jeunes finalement ?
R- Les entreprises sont toutes prêtes à embaucher des jeunes, à investir dans une formation pendant les premiers mois, elles le montrent tous les jours. Les grosses entreprises ont de gros programmes de recrutement, notamment en raison des départs en retraite. Nous avons, dans notre pays un taux de création d'entreprises qui est très élevé. Donc cela veut dire qu'il y a des possibilités, mais il faut que les deux se rencontrent. Il faut que l'université quelquefois se rapproche de l'entreprise, il faut que l'entreprise connaisse mieux les universités. Il y a des efforts à faire de part et d'autre.
Q- Et que toutes les instances, peut-être en amont se connaissent et parlent peut-être un peu plus aussi, non ?
R- Mais il est tout à fait exact que l'université doit mieux connaître l'entreprise et qu'il y a de ce point de vue-là des efforts d'organisation à faire. Nous sommes en train de les faire, nous sommes en train d'instituer dans toutes les universités des services qui s'occuperont des stages, qui s'occuperont des futurs emplois, qui s'occuperont de ce lien entre l'entreprise, c'est-à-dire l'emploi de demain et l'université. C'est un travail considérable qui est engagé, mais qui n'est pas achevé.
Q- [Un mot concernant] le budget, F. Goulard. On parle de 24 milliards d'euros, en augmentation annuelle de 4 %, à l'horizon 2010.
R- De 4 % en euro constant, ce qui veut dire une vraie progression, très forte et puis et surtout à l'heure actuelle, une augmentation en 2005- 2006 et 2007 de 6 milliards d'euros de ressources publiques pour la recherche. C'est un effort à une hauteur qui n'avait jamais été connu jusqu'à présent. Nous faisons un effort pour la recherche parce que nous savons que c'est le ressort principal de l'innovation, donc, de la compétitivité économique de demain.
Q- On fait aussi bien que nos voisins européens ?
R- Nous faisons mieux que la moyenne européenne, ce n'est pas toujours su. Nous sommes après l'Allemagne, le deuxième pays de recherche en Europe. Nous sommes par exemple devant les Britanniques, ce qui n'est pas rien, parce que la science britannique est de très haut niveau et nous sommes en train de progresser dans ce domaine là, de façon très
nette.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 avril 2006