Déclaration de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à France 2 le 5 mai 2006, sur l'affaire Clearstream et sur le projet de loi sur l'immigration.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Hier soir, sur France 2, M. Alliot-Marie répondait aux questions et expliquait qu'elle était, elle aussi, victime de la kabbale et qu'elle avait appris par voie de presse que son compagnon, P. Ollier, était cité dans ces fameux fichiers. D'où sa colère, d'où l'idée qu'elle aussi était au coeur de cette manipulation. L'avez-vous trouvée convaincante ?
R- La réalité, c'est que l'on voit bien que dans toute cette histoire, qui, en quelque sorte, rend un peu plus dépités nos compatriotes sur le système politique français, qui sont entre la nausée, l'écoeurement et le sentiment, que de toute façon, il n'y a rien qui vaille dans ce système. Mais la réalité, c'est qu'il y a eu des dysfonctionnements majeurs parce qu'à priori, ce n'est pas à un ministre des Affaires étrangères de lutter contre le terrorisme et de faire appel aux services de renseignement, cela dépend du Premier ministre. La réalité, c'est que normalement, tout cela remonte à Matignon, parce que cela relève de trois ministères que sont le ministère de la Défense, le ministère des Affaires étrangères et celui de l'intérieur. Au moins sur ces deux points et sur bien d'autres, on voit bien qu'il y a eu des dysfonctionnements et que derrière tout cela, il y a quelqu'un. Ce que nous souhaitons, ce n'est pas jeter la pierre immédiatement à D. de Villepin ou à quiconque, c'est qu'il y a des déclarations contradictoires entre le général Rondot et notamment le Premier ministre. Que l'on donne au moins à la justice les moyens de pouvoir dire rapidement aux Français ce qui se cache derrière tout cela.
Q- Qu'est-ce qui vous faire dire que la justice n'a pas les moyens ? Il y a des juges qui travaillent sur cette enquête. Vous trouvez cela trop long ?
R- Non, il faut un temps. Ce que je sais, c'est qu'on est dans le domaine où très rapidement on va soulever des questions liées au secret défense et des choses de ce genre. Ce qu'il faut, c'est que nos compatriotes sachent qui est derrière cela, parce que même si ce n'est pas le Premier ministre, il y a bien quelqu'un derrière tout cela.
Q- Le Premier ministre a tenu une conférence de presse hier. Il a un peu infléchi ses déclarations précédentes, concernant N. Sarkozy et les divergences entre ce que dit le général Rondot et lui. Est-ce que cela veut-il que s'il est pris en flagrant délit de mensonge, à un moment donné, il doit partir ?
R- Ce qui est certain, c'est que - d'où notre volonté de modifier les institutions, parce que les hommes ne sont pas parfaits, la politique et le pouvoir risquent de corrompre à tout moment. Et donc, il faut créer des procédures, des pouvoirs et des contre-pouvoirs, des systèmes qui permettent la transparence du système politique, qui permettent de réintroduire l'exemplarité et l'éthique, et donc, quoi qu'il arrive, dans tout cela, cela nous montre qu'il faut modifier en profondeur les institutions avec un pouvoir exécutif qui soit fort, mais aussi un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire qui soient assez forts pour que nos compatriotes se disent que dans ce système, nous ne sommes pas dans l'opacité, nous ne sommes pas entre copains, mais nous, citoyens, pouvons savoir où se situent les choses. D'où cette volonté de modifier
en profondeur nos institutions. Il faut créer les moyens pour que l'exemplarité et l'éthique en politique retrouvent leur place, parce qu'on ne peut pas demander à nos compatriotes des efforts, leur demander éventuellement de se serrer la ceinture et, en même temps, se dire qu'il y a les autres qui, eux, continuent de s'arranger dans leur coin.
Q- Un des éléments d'interrogation, c'est pourquoi le ministre des Affaires étrangères de l'époque reçoit le chef des services de renseignement ? Pourquoi il a une conversation, peut-être pas forcément privée, entre eux ? N'en réfère ni aux juges ni au Premier ministre. Ce sont les dysfonctionnements que vous évoquez ?
R- Il y a des dysfonctionnements en tout genre...
Q- Parce que normalement, c'est aux juges, à la justice d'enquêter plutôt qu'aux services secrets. C'est ce que dit M. Roussin, un ancien proche du président de la République.
R- La réalité, c'est que quand le Premier ministre dit qu'il a été chargé de la lutte contre le blanchiment et les trafics, la réalité, c'est que ce n'est pas du domaine du ministre des Affaires étrangères qui s'occupent de diplomatie. Cela relève du Premier ministre, normalement, et le Premier ministre a trois ministres autour de la table : celui qui s'occupe des questions diplomatiques - parce qu'il peut y avoir des questions qui relèvent de cela -, le ministre de l'intérieur qui est chargé d'évaluer les risques et les dangers, et le ministre de la Défense qui est éventuellement opérationnel au titre des services de renseignement. Mais, il est clair que cela ne relève pas uniquement du ministre des Affaires étrangères.
Q- Pourquoi est-ce que le président de la République se tait, à votre avis ?
R- Il se tait parce que, là encore, on est dans une démocratie qui n'est pas une démocratie moderne. On est dans un système où l'on a un président de la République qui est un peu comme l'archange, descendant de temps à autre sur terre pour donner son message à nos compatriotes. Si vous regardez les démocraties modernes, vous avez des chefs d'Etat ou de gouvernement qui s'expriment, qui s'expliquent devant le peuple chaque semaine, qui disent au pays où ils veulent l'emmener, quelle politique ils comptent mener, quelles priorités... Ils prennent des risques. Or on est dans un système où le président de la République s'exprime le 14 juillet, le 31 décembre, puis une fois ou deux. Ce qu'il faut, c'est une démocratie, avec un chef d'Etat, comme en Allemagne,comme en Angleterre, comme aux Etats-Unis, qui prend des risques, qui est responsable et qui est devant le peuple. C'est ça la vraie démocratie.
Q- On est un peu étonnés, ce matin, de vous entendre presque sur la ligne des sarkozystes qui disent qu'il ne faut pas que D. de Villepin démissionne maintenant, qu'on doit laisser passer la justice - c'est ce que disait C. Estrosi, hier, à votre place -, qu'il ne faut pas qu'il démissionne tout de suite : "laissons le temps au temps" ; "tant que D. de Villepin n'est pas mis en examen, il n'y a aucune raison qu'il démissionne, et d'ailleurs, sur cette affaire, il ne peut pas être mis en examen". Je résume la position des sarkozystes. C'est un peu paradoxal de vous voir sur cette ligne !
R- Non, je souhaite que l'on ait un peu de sérénité sur cette affaire et que l'on ne condamne pas les personnes avant que les éléments clairs aient été prouvés, et notamment pas les magistrats parce que c'est leur boulot. En revanche, on sait très bien ce que les sarkozystes souhaitent dans tout cela : c'est que changer de Premier ministre, c'est un concurrent éventuel, potentiel, pour la candidature à l'UMP à l'élection présidentielle et que comme le Premier ministre a déjà eu une balle dans la jambe droite avec le contrat "première embauche", il a une deuxième, dans la jambe gauche maintenant, avec cette histoire Clearstream. Donc cela les arrange !
Q- Donc, il ne peut plus faire du mal à Matignon à l'encontre de N. Sarkozy, c'est ce que nous voulez nous dire ?
R- J'ai cette impression.
Q- Si D. de Villepin s'en va, qui peut le remplacer ?
R- Vous demanderez au président de la République.
Q- Vous n'avez pas quelques...
R- Aucune idée.
Q- Qu'est-ce qui se murmure dans les couloirs de l'Assemblée ?
R- Je n'ai aucune idée et, honnêtement, cela ne changera pas grand-chose, parce que de toute façon, la faiblesse du pouvoir exécutif est telle que l'année qui viendra, sera d'abord et avant tout une année où l'on gérera les affaires courantes.
Q- Le grand débat sur l'immigration, lui, engage pour les années à venir. Il y a de grosses divergences entre ce que propose l'UMP et votre vision. Vous dites qu'il faut contrôler l'immigration mais vous n'êtes pas d'accord sur le système d'immigration choisie.
R- Qu'il faille mettre en place des moyens pour limiter l'immigration subie, c'est-à-dire l'immigration de pauvreté, nous sommes totalement d'accord. Le contrat d'intégration, tout cela OK. Mais ce que nous refusons, ce que nous rejetons, c'est l'idée d'une immigration choisie, c'est-à-dire d'aller pomper les cadres, celles et ceux qui assurent et qui doivent normalement assurer le développement de leur pays, et de les faire venir en France. Pour trois raisons : la première, c'est que ce n'est pas moral, on ne va pas chercher les meilleurs de ces pays qui en ont tant besoin pour les mettre chez nous. Le deuxième, c'est que l'on ne me fera pas croire qu'avec 5 millions de chômeurs dans notre pays, on est obligé d'aller chercher les autres. Si on a besoin de médecins, il suffit d'ouvrir le numerus clausus. Il n'y a pas besoin d'aller chercher des médecins des pays en voie de développement.
Q- Mais on les paie beaucoup moins cher, ceux que l'on fait venir des pays en voie de développement.
R- Certes, mais cela, c'est encore un peu moins moral. Le troisième élément, c'est qu'en plus, on joue contre nous : en allant chercher celles et ceux qui normalement assurent le développement de leur pays, on joue contre nous à terme, parce que si l'on ne permet pas de mettre en place les moyens de leur développement, on va continuer à avoir des flux d'immigration. Donc, à terme, on amorce une nouvelle pompe parce que l'on ne permet pas les conditions du développement. Donc, pour nous, l'immigration choisie est une mauvaise idée. Et en plus, elle n'empêchera pas l'immigration subie. Donc on va avoir l'immigration choisie d'une part, plus l'immigration subie, qui continuera à se développer dans notre pays.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 mai 2006