Texte intégral
Q - Vous êtes ministre déléguée aux Affaires européennes. Vous avez organisé aujourd'hui la 20ème édition de la journée de l'Europe. C'était très festif, on a vu un certain nombre de grands monuments parisiens illuminés en bleu, la Tour Eiffel, l'Assemblée nationale, le Sénat, aux couleurs de l'Union européenne. Les ambassades des pays européens - ça, c'était nouveau - étaient toutes ouvertes au public. C'est un peu une journée du patrimoine avant l'heure ?
R - Oui, c'est une journée symbolique. L'Europe se fait avec les peuples, avec les citoyens et on a voulu montrer que tous ces lieux où se fabrique l'Europe étaient ouverts au public, tournés vers l'extérieur. Je crois que c'était une belle idée !
Q - Comme le ministère des Affaires étrangères, le Quai d'Orsay... Il y a aussi un certain nombre de chorales, de concerts. Les collèges, les lycées étaient également associés. Vous, c'est un peu votre cheval de bataille, Catherine Colonna, convaincre les jeunes, les collégiens, les lycéens des bienfaits de l'Europe. La semaine dernière encore, vous étiez dans l'une de vos nombreuses tournées auprès des jeunes pour, justement, vanter l'Europe ?
R - Je crois qu'elle le mérite bien, si je peux parler comme ça. Ce 9 mai a été une formidable occasion de fête, mais aussi une occasion de réflexion. On a d'abord voulu faire la fête parce qu'on doit avoir de la fierté d'avoir fait l'Europe, de faire l'Europe tous les jours, d'essayer de l'améliorer tous les jours. Mais c'est aussi, évidemment, l'occasion de réfléchir à ce 9 mai. Il célèbre le 9 mai 1950. Avec Gilles de Robien, nous en avons parlé aux élèves car cette date marque le début de la construction de l'Europe. Cela nous permet, peut-être, de prendre un peu de recul et de mesurer le chemin qui a été parcouru en plus de 50 ans, de se souvenir à la fois d'où l'on vient, c'est-à-dire d'une Europe ravagée par la guerre, de voir où l'on est aujourd'hui, et de voir tout ce que l'Europe nous apporte au quotidien, sur le plan politique, sur le plan des valeurs ....
Q - Dans ce contexte, il y a beaucoup de jours fériés au mois de mai, est-ce que la journée d'hier, du 8 mai, n'est-elle pas devenue obsolète, et est-ce que ça ne devrait pas être plutôt le 9 mai ?
R - Le 9 mai 1950, cela a été la proposition française de faire la grande réconciliation entre la France et l'Allemagne. Tout est parti de là. C'est encore dans la mémoire de beaucoup de nos pays et de nos familles. Progressivement, nous passons et nous passerons à autre chose. Peut-être le moment viendra-t-il où nous tournerons définitivement la page. Je ne crois pas inutile de se souvenir du passé pour pouvoir apprécier le présent à sa juste valeur. De temps en temps, il faut se souvenir aussi d'où l'on vient.
Q - Il y a peut-être d'autres façons de se souvenir. Justement, pour sensibiliser tous les jeunes, les lycéens, les collégiens, vous avez, par exemple, envoyé aux professeurs au mois d'avril, un kit pédagogique pour parler de l'Europe avec les élèves, et la semaine dernière il y a eu ce manuel d'histoire franco-allemand à destination des classes de terminale, lancé par Jacques Chirac et Gerhard Schröder, c'était la semaine dernière dans la Somme. Expliquez-nous en quoi il consiste ?
R - En vue de la journée du 9 mai, un kit pédagogique fait avec le Mouvement européen, notre ministère et le ministère de l'Education nationale a été reçu par tous les lycées et collèges de France en avril. Il a été conçu pour permettre aux professeurs qui le souhaitaient d'avoir un débat et aux élèves d'avoir une réflexion sur l'Europe. Le kit comprend des cartes, l'histoire de l'Europe, sa géographie actuelle, les grands noms de la construction européenne, la culture de l'Europe, un petit quiz avec différents niveaux - pour mesurer concrètement ce que l'Europe nous apporte -, des fiches sur l'Europe et les jeunes pour comprendre ce que fait l'Europe pour les jeunes.
L'autre chose dont vous parlez, c'est ce manuel d'histoire. Voyons comment et pourquoi s'est faite la construction européenne : la paix, d'abord et, rien que pour cela, il faudrait lui dire merci. Elle n'a pas fait que ça : la paix, la démocratie sur l'ensemble du continent - il était coupé en deux il y a encore quinze ans -, davantage de prospérité économique parce que c'est un immense marché. Les échanges se multiplient et pour nous c'est de l'activité, des exportations, de l'emploi. Dans la mondialisation, c'est une chance supplémentaire et tout cela parce qu'il y a des grands hommes, visionnaires, qui ont montré qu'il était plus intelligent de mettre en commun un certain nombre de choses que de se faire la guerre tous les vingt ans. L'histoire de ce manuel commun vient, en effet, d'une initiative franco-allemande, du président de la République et du Chancelier, pour montrer qu'après un passé difficile, après la phase de la réconciliation, nous sommes maintenant capables de faire des choses ensemble et de regarder notre histoire ensemble, de décrire dans les même termes, en se mettant d'accord, ce qui s'est passé entre nous dans le passé - qui n'a pas toujours été simple, comme vous savez, ni heureux, contrairement à aujourd'hui.
Q - Il n'arrive pas un peu tard, ce livre ?
R - Non. Que ce soit en terminale - on a commencé par les terminales - puis l'an prochain les classes de première, puis de seconde, tous les élèves, au lycée et au collège, sont amenés à apprendre l'histoire de France et donc l'histoire de l'Europe. Il est important qu'on puisse aujourd'hui franchir ce pas supplémentaire qui fait qu'on regarde notre passé en face, de la même façon.
Q - A maintenant quasiment un an du "non" au référendum, ce sera le 29 mai prochain, date historique, hélas, certains pourraient dire que les Français commencent à se réconcilier avec l'Europe, ou il y a-t-il toujours un manque, un défaut de compréhension ?
R - Il y a eu des incompréhensions, un divorce. Je ne souhaite pas présenter ce 9 mai 2006 comme une réponse, parce que la meilleure des réponses, c'est la réponse de fond. On s'emploie, depuis un an, à rendre l'Europe plus efficace, plus concrète pour tout ce qui intéresse les gens : la croissance, l'emploi, la sécurité, les problèmes d'énergie, tout ce qu'on doit faire davantage pour investir dans la recherche, dans l'éducation. C'est cela qui compte d'abord. Mais, vous n'avez pas tort : l'Europe a été souvent incomprise parce qu'elle est mal connue. Je souhaite que nous parlions d'Europe, que nous regardions ce qu'elle fait réellement, que nous n'en parlions pas de façon théorique ou abstraite, mais que nous voyions ce qu'elle fait, ce qu'elle nous apporte dans notre quotidien. Et ce, que ce soit pour les prix du téléphone - on a le choix maintenant entre des opérateurs et des abonnements, pour l'avion qui est moins cher, pour la qualité de l'eau potable qui est la même partout -, il y aurait mille exemples où l'Europe nous apporte beaucoup. Je voudrais qu'on s'en rende mieux compte.
Q - Vous parliez d'incompréhension. Qu'est-ce qu'on dit dans les couloirs des institutions européennes que vous fréquentez, dans ce contexte d'affaires en France, est-ce qu'on ne vous regarde pas un peu de travers ?
R - J'ai pris mes fonctions au lendemain du choc du 29 mai. Déjà, c'était un choc. La France reste en initiative en Europe, elle fait des propositions, elle reste écoutée. Je ne dirais pas pour autant qu'on a fait une bonne affaire, je le dis pudiquement, comme ça ; mais on avance, pas à pas. L'Europe, c'est aussi une histoire de hauts et de bas et cela ne l'a pas empêchée d'avancer. Il en est de même pour notre pays. L'essentiel est de surmonter les difficultés et de relever les défis. Le gouvernement est au travail, il est actif. Sur l'Europe, il est, vous le voyez, en initiative. Il n'y a que comme ça qu'on peut marquer des points.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2006