Texte intégral
Q - Catherine Colonna, bonjour. Catherine Colonna, vous êtes la ministre française des Affaires européennes. Merci d'avoir accepté notre invitation.
R - Merci à vous.
Q - Puis avant ça, vous avez également été, entre autres, porte-parole de la présidence de la République pendant près de dix ans. Alors, ce mardi 9 mai, c'est la fête de l'Europe, une Europe un peu toujours groggy après le double "non" français et néerlandais au projet de Constitution européenne, c'était l'an dernier. Alors, c'est peut-être lié à l'ambition de relancer l'idée européenne, d'en faire une Europe plus concrète, plus proche des préoccupations des Européens, des citoyens. Avant d'en reparler avec vous, Catherine Colonna, je vous propose tout de suite de voir le clip que vous avez réalisé, à cette occasion.
(CLIP VIDEO)
Q - Alors, c'est la fête, mais en même temps, la réalité européenne, ce n'est pas vraiment la joie...
R - C'est pour cela que cette journée du 9 mai est une journée particulière. Qu'est-ce que le 9 mai ? C'est un hommage au 9 mai 1950, c'est-à-dire une idée française, jour où le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Robert Schumann, a lancé la construction européenne. Aujourd'hui, c'est un moment de réflexion. Je crois qu'avec le recul que nous pouvons prendre, c'est une journée de fête mais qui est également faite pour réfléchir. C'est une occasion - et elles sont rares - de regarder ce que nous a apporté, ce que nous apporte la construction européenne, de voir qu'elle a fait du bon travail depuis plus de cinquante ans et nous a apporté la paix, la sécurité et la démocratie partout en Europe.
Q - Vous êtes la ministre des Affaires européennes, si vous deviez vendre justement le bénéfice de l'Europe, ce serait la paix ?
R - D'abord, la paix. Dans un continent qui a été ravagé par les guerres, génération après génération, qui ensuite, a été coupé en deux. La démocratie partout en Europe : il y a encore quinze ans, l'Europe était encore coupée en deux par le rideau de Fer... Elle n'a pas fait que cela, et même si elle n'avait fait que cela, déjà, on devrait lui dire merci. Elle nous donne également un espace de développement économique, tous nos pays ont une plus grande prospérité économique grâce à l'Europe, qui est un marché de 450 millions d'habitants. Dans la mondialisation, l'Europe est une chance supplémentaire, parce qu'aujourd'hui, il faut être unis pour être plus forts. Pensons-y de temps en temps et, au-delà de ce message de réflexion, il y a un message de responsabilité : l'Europe c'est qui ? C'est nous. Elle dépend de nous. Donc à nous de la rendre plus proche, plus efficace, plus concrète. A nous de faire qu'elle fasse encore du meilleur travail.
Q - Vous avez pris toute une série d'initiatives pour fêter l'Europe aujourd'hui. On va voir ces superbes images de quelques grands monuments parisiens, entre autres la Tour Eiffel qui est habillée de bleu, la couleur de l'Europe. Cela c'était cette nuit. Ce sera comme cela jusqu'à minuit.
R - De cette nuit à 0h00 jusqu'à ce soir minuit. Le 9 mai est une journée exceptionnelle : minuit-minuit.
Q - On va voir, sous la pluie malheureusement, l'Arc de Triomphe, superbe aussi. La plus belle avenue du monde...
R - C'est superbe.
Q - Alors il y a plein d'activités : à la gare du Nord, il y a un Eurostar aux couleurs de "Fêtons l'Europe" qui est parti pour Londres...
R - ...qui est parti tout à l'heure avec des élèves d'une classe de seconde, qui vont aller passer une journée à Londres. Car l'Europe rapproche les peuples. Et puis, sur tout le territoire français, il y a 350 événements aujourd'hui. 350 manifestations de tous ordres, pour tous les publics : des concerts, des chorales à 18h, partout en France, qui chanteront l'hymne européen, des expositions, des débats, une journée dans les cinémas ...
Q - Aujourd'hui, à Paris, les tickets de métro avaient pris la couleur européenne.
R - Le ticket de métro était bleu. J'ai pris ce matin le métro en achetant mon ticket bleu.
Q - Est-ce que tout cela va suffire à compenser le désamour que les Européens ont avec l'Europe ?
R - L'Europe c'est tous les jours qu'il faut la faire, et tous les jours qu'il faut travailler à la rendre plus concrète et plus efficace. Mais ce 9 mai, c'est une journée particulière, donc pour nous c'était une occasion à saisir. Faire qu'on en parle, qu'on se dise "oui, c'est la Journée de l'Europe. Qu'est-ce que l'Europe, qu'est-ce qu'elle nous apporte, et comment faisons-nous pour qu'elle marche encore mieux ?".
Q - Je parlais tout à l'heure du "non" au projet de Constitution européenne en France et aux Pays-Bas l'année dernière. C'était en juin 2005, l'Europe avait décidé de se donner un an de réflexion, ce sera donc bientôt juin 2006, cela veut-il dire que cela va repartir, on va y aller pour l'Europe ?
R - Il a été décidé en juin, 2005, en effet, une période de réflexion. Cette période n'est pas une pause. Alors, quelle est la différence ? Pour la pause, nous nous arrêtons, nous restons les bras croisés. Quant à la période de réflexion, elle doit permettre de réfléchir et d'être actifs.
Q - Nous arrivons à son terme...
R - Ce que nous avons fait depuis un an, c'est justement essayer de remettre l'Europe au travail sur des sujets très concrets, quotidiens, qui intéressent davantage nos citoyens. Quelles sont leurs préoccupations ? Les premières sont la croissance et l'emploi. C'est la sécurité, l'investissement dans ce qui va faire que demain sera profitable à tous les Européens. Mettre plus d'argent sur la recherche, l'innovation, augmenter les bourses pour les étudiants, mettre sur pied une politique européenne de l'énergie que nous n'avions pas. Voilà tout ce que nous avons fait depuis un an, plus un bon budget pour l'Europe pour la période 2007-2013.
Q - Le budget a été décidé en décembre 2005, le budget est vraiment "ric-rac"...l'augmentation est très faible.
R - 865 milliards d'euros pour l'Europe pour les sept ans qui viennent, c'est-à-dire 55 milliards de plus que le budget précédent. Avec 55 milliards de plus, vous faites plus. On a augmenté le budget de l'Europe sur l'investissement dans la recherche, sur la politique étrangère, sur les programmes pour les jeunes et dans beaucoup d'autres domaines aussi. Il fallait le faire et l'Europe a su le faire. Elle va comme elle peut, dirais-je, après le "non" au référendum, aux Pays-Bas et en France, mais le cap est tenu.
Q - Le "non" au référendum sur la Constitution, c'est définitivement l'enterrement de la Constitution européenne, du projet de Constitution ?
R - C'est une autre question, qui se pose encore aujourd'hui. Si nous faisons le compte : nous sommes vingt-cinq, il faut donc vingt-cinq ratifications pour que le traité entre en vigueur.
Q - Or, on ne les aura pas ?
R - Il y a quinze pays aujourd'hui qui ont dit oui.
Q - Dont d'ailleurs aujourd'hui l'Estonie.
R - L'Estonie aujourd'hui. Cela signifie que le processus de ratification reste ouvert. Et d'autres pays qui le souhaitent peuvent poursuivre et ratifier. Deux pays ont dit non et huit doivent encore se prononcer. Je ne sais pas, pour la France, quelle peut être, à court terme, la solution institutionnelle. Travailler pour une Europe plus concrète et efficace, on le fait. Rapprocher l'Europe des citoyens, on le fait. Ensuite, il faudra sans doute revenir sur la question institutionnelle parce que je suis convaincue qu'il faut à l'Europe élargie des institutions rénovées et plus efficaces pour que l'on continue à faire avancer l'Europe.
Q - Revenir sur la question institutionnelle cela veut dire que vous imaginez qu'à terme on puisse reposer la question aux Français ?
R - Il faut avoir en tout cas des institutions rénovées. Je crois que la question reste ouverte. Il est prématuré aujourd'hui d'y répondre. Ce qui n'est pas prématuré c'est de commencer à améliorer ce que l'on peut améliorer dans le cadre des textes actuels. Nous venons de faire des propositions.
Q - Justement, la France a fait des propositions. Le président Jacques Chirac en a fait quelques-unes en janvier. Il va les réitérer probablement...
R - Nous les avons précisées il y a moins de deux semaines.
Q - Par exemple : capacité de décision à la majorité et moins à l'unanimité. Est-ce que, dans la constellation européenne d'aujourd'hui, c'est possible ?
R - C'est possible si les Européens le décident, s'ils le veulent. Mais en tout cas les textes le permettent, à la fois dans le domaine social et sur les questions de sécurité, par exemple, la lutte contre le terrorisme. Donc, nous proposons parce que c'est possible : si nous voulons faire avancer les choses, nous le pouvons.
Q - Et vous êtes entendue ? Qui soutient la France ?
R - Nous aurons un grand débat, et ceux qui veulent avoir d'autres idées, qu'ils les aient. Ceux qui veulent proposer autre chose, ou ne veulent pas de telle avancée, qu'ils le disent. Mais nous alimentons, vous le voyez, cette réflexion, et dans le même temps nous faisons avancer l'Europe, parce que c'est cela qui est prioritaire : faire l'Europe des politiques concrètes et faire l'Europe des projets.
Q - La France a souvent parlé de l'idée de groupe pionnier, au pluriel aussi d'ailleurs, cela dépend des sujets. Est-ce que, pour vous, cette idée d'avancer avec certains pays sur certains sujets reste une idée défendue par la France et valable pour faire avancer l'Europe ?
R - C'est une idée qui figure d'ores et déjà dans les textes européens, dans les traités actuels, ceux qui sont en vigueur. Par préférence, nous faisons les choses tous ensemble. Et l'objectif de l'Europe c'est bien cela, c'est de faire que nous avancions tous ensemble. Mais si, à un moment donné, un groupe de pays veut aller plus vite que les autres, et que d'autres hésitent, on peut faire des choses à quelques-uns, à condition bien sûr que les groupes restent ouverts et que ceux qui ne pourraient pas aujourd'hui rejoindre les pays les plus avancés puissent le faire. On ne sépare pas, je vais être directe, des torchons et des serviettes ! Il faut que nous puissions bâtir, jour après jour, comme nous l'avons déjà fait avec l'espace Schengen : nous n'étions, à l'époque, qu'un petit groupe de pays, aujourd'hui cela progresse. L'euro : il n'y a pas tous les pays, mais tous les pays européens peuvent rejoindre la zone euro.
Q - Donc c'est peut-être la manière grâce à laquelle l'Europe a progressé ?
R - C'est une façon de donner une certaine souplesse dans une Europe élargie, où il n'est pas forcement facile de marcher tous au même pas, au même moment, d'un coup d'un seul.
Q - Alors on a parlé de pause, de réflexion, de période de réflexion. On est en pleine campagne électorale en France, avec plus d'un an d'avance. Tony Blair a quelques soucis en Grande-Bretagne. Est-ce que cela veut dire que l'on va perdre un an et que rien ne se fera avant juin 2007 ?
R - Sûrement pas. Tout d'abord, tout le monde a des élections, parce que les élections c'est la démocratie. Donc, entre maintenant et nos élections, en France, il y a douze pays européens qui ont des élections. C'est normal, la vie ne s'arrête pas quand il y a des élections, au contraire.
Q - La France et la Grande-Bretagne sont tout de même des "poids lourds".
R - Nous ne nous arrêtons pas, puisque nous avons pris des initiatives, l'Europe a su faire un budget, mettre plus d'argent sur la recherche, lancer les premières bases d'une politique de l'énergie. Je sais qu'il y a eu des moments plus porteurs, c'est évident. Mais nous continuons, pas à pas, à avancer. Il faut que le cap soit tenu et il l'est. Et puis j'espère que chacun comprendra que son destin est entre ses mains. L'Europe ne vient pas d'ailleurs, elle ne tombe pas de la planète Mars. C'est nous qui la faisons, c'est donc nous qui en sommes co-responsables. Si nous voulons l'améliorer, améliorons-la. Elle ne dépend que de nous.
Q - Un dernier mot très bref sur l'élargissement : Roumanie et Bulgarie, c'est prévu en 2007. Est-ce que la France défend toujours cette date ?
R - Les traités sont signés. La seule question qui reste est de savoir si ces deux pays sont fin prêts, s'ils ont pu faire ce qu'il fallait pour être prêts le jour J.
Q - Et cela n'est pas gagné...
R - C'est la Commission européenne qui va donner son dernier accord. Ensuite c'est le Conseil, donc les Etats membres, qui décide. Je crois qu'ils suivront l'avis de la Commission, que nous ne connaissons pas, nous l'attendons dans une semaine, en espérant que ces pays puissent y arriver. Ils ont mis les bouchées doubles depuis quelques mois pour pouvoir être prêts à temps.
Q - Au-delà de la Bulgarie et de la Roumanie, il faudra faire un "stop" à un moment donné ?
R - Il faudra en tout cas régler un certain nombre de problèmes : comment fonctionne l'Europe ? Avec quelles institutions ? Quel est son budget ? Quel degré d'intégration veut-on ? Quelle Europe élargie avec quelles politiques communes ?
Q - Donc cela est un ordre du jour beaucoup plus lointain ?
R - Tous ces sujets sont à l'ordre du jour. Dès le Conseil européen de juin, nous aurons un débat ouvert, libre, à vingt-cinq, sur ces thèmes parce que les questions sont là, les réponses ne sont pas faciles, mais au moins parlons-en.
Q - J'espère que nous aurons l'occasion d'en reparler sur TV5 Monde avec vous. Merci Catherine Colonna d'avoir été l'invité de TV5 Monde.
R - Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mai 2006