Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, sur RTL le 12 avril 2006, sur l'annonce du remplacement du contrat première embauche et la position du MEDEF sur la question d'un possible impact concernant le contrat nouvelles embauches.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Bonjour, L. Parisot.
Bonjour.
Q- Deux mois et demi de contestations ont eu raison du contrat "première embauche". On a pu noter, dans les défilés de tous ces jours-là, une teinte anti-patronale très affirmée. Beaucoup de slogans. Celui-là, par exemple : "Nous ne sommes pas de la chair à patrons". Avez-vous remarqué cela, L. Parisot ? Cela vous inquiète-t-il ?
R- Nous avons ressenti, notamment dans les Medef territoriaux, des attaques qui, par bien des aspects, étaient injurieuses, mais surtout injustes. Et il est vrai qu'à un certain moment, il y a eu des exagérations. Mais je vous dirais aussi, pas tant que cela. Parce que, ce que nous remarquons surtout, c'est qu'il y a eu, à l'occasion de cette crise, un vrai débat. Que, pour la première fois, enfin, en France, nous parlons de flexibilité. Pour la première fois, on commence à comprendre que, si l'on veut faire baisser significativement, et durablement, le chômage dans notre pays, il y a un certain nombre de réformes sur lesquelles il faut réfléchir, travailler, et, notamment, la réforme du marché du travail.
Q- Ce que les contestataires n'ont pas aimé, notamment, dans le contrat "première embauche" : cette faculté donnée à l'employeur de licencier sans pouvoir s'expliquer. Comprenez-vous cela, L. Parisot ?
R- Nous avons, d'emblée, compris à quel point cette nouvelle approche, sur un contrat de travail, pouvait être très mal ressentie par de nouvelles générations, qui ont sur leurs épaules, déjà, de très lourdes charges. Nous avons à faire, aujourd'hui, à une jeunesse à qui on est en train d'expliquer - d'abord, d'une manière générale - que la planète est en danger. Qu'en France, on a des problèmes particulièrement lourds comme, par exemple, l'endettement. Je crois qu'il fallait, effectivement, entendre une anxiété, une angoisse particulièrement forte. Et c'est pour cela que nous avons, très vite, émis des réserves. Car, si nous pensons que la réforme est possible, si nous pensons que la flexibilité peut être introduite dans notre pays, nous pensons aussi qu'elle doit être équitablement répartie. Qu'il ne s'agit pas de faire peser cet effort de souplesse sur une seule catégorie de la population.
Q- Si vous convenez que l'absence de motivation du licenciement est mal ressentie, c'est pourtant le cas dans le cadre du contrat "nouvelles embauches" qui, lui, s'applique aux entreprises de moins de 20 salariés. Et, aujourd'hui, ce contrat "nouvelles embauches" - puisque vous convenez que le contrat "première embauche" était mal fait - il faudrait aussi le revoir ?
R- Non. Ce sont deux logiques tout à fait différentes. Dans un cas, on stigmatisait une partie de la population, dans un autre cas, on permet au secteur qui est peut-être le plus dynamique de notre pays, c'est-à-dire les TPE.
Q- Les très petites entreprises.
R- Voilà, les très petites entreprises. Il ne faut pas regarder, aujourd'hui, les créations de richesses possibles uniquement par type de métier ou type d'activité. Là, où l'on a des réserves fantastique, c'est dans les petites entreprises françaises. On sait qu'il y a eu énormément de créations, ces dernières années, notamment dans le secteur des services. Et ces petites entreprises ont, effectivement, besoin, pour croître, de plus de souplesse que n'importe quelle autre entreprise soyons réalistes ! Soyons pragmatiques ! On sait qu'aujourd'hui il y a déjà près de 400.000 emplois qui ont été créés, grâce à ce contrat. Je peux vous citer des exemples de très petites entreprises qui ont pu, dès le mois de septembre dernier, embaucher, à la plus grande satisfaction et de l'employeur et de la personne recrutée.
Q- Mais quelle est la légitimité de pouvoir licencier quelqu'un sans lui expliquer pourquoi on le fait ? Parce qu'on travaille dans une très petite entreprise, c'est plus légitime que parce qu'on travaille dans une grande ?
R- Non. Il faut expliquer pourquoi il y a cette approche-là. Parce que, malheureusement, en France, nous battons le record mondial des contentieux, en terme de droit du travail. Pourquoi avons-nous autant de contentieux ? Parce que nous n'arrivons pas à organiser la séparation, quand celle-ci est nécessaire et, parfois, elle est nécessaire. Nous n'arrivons pas à organiser la séparation entre l'employeur et le salarié d'une manière qui ne soit pas dramatique dans notre pays. Donc, si le législateur a cherché à envisager des périodes d'essai, au cours desquelles la séparation peut se faire d'une manière simplifiée, c'est pour réduire ces cas de contentieux. Parce que, ce contentieux, c'est ce qui explique, je dirais la très grande réticence, pour ne pas dire la peur, de beaucoup d'employeurs à embaucher, à la hauteur de leur capacité de production ou de leurs carnets de commandes.
Q- "Il sera difficile au Gouvernement de ne pas ouvrir le dossier du contrat "nouvelles embauches" - en tout cas, c'est F. Chérèque qui le dit, dans Libération, ce matin. "La CFDT le lui demandera". Voilà donc le nouveau combat de syndicats : le contrat "nouvelles embauches".
R- Nous allons proposer aux syndicats de réfléchir d'une manière différente. Il faut que l'on arrête de regarder des choses comme cela :un jour sur tel sujet, un autre sur tel autre, à l'emporte-pièce, selon les émotions des uns et des autres. Nous devons, tout d'abord, faire un constat, un diagnostic, et le faire d'une manière sérieuse, d'une manière travaillée, d'une manière réfléchie. Faisons ensemble, patronat et syndicats, le diagnostic des dysfonctionnements du marché du travail. Regardons ensemble et listons. Faisons la carte géographique de toutes les flexibilités qui seraient nécessaires pour la croissance économique de notre pays, de toutes les précarités, en distinguant les bonnes précarités - parce qu'il y a des bonnes précarités - et les mauvaises précarités, parce qu'il y a des situations qui sont inacceptables. Essayons, tout d'abord, ensemble, de faire cet état des lieux et, ensuite, voyons ce qui peut être amélioré, et comment cela doit être amélioré.
Q- On voit bien que les syndicats ont trouvé de l'énergie dans ce combat qu'ils estiment avoir gagné, à l'occasion de la lutte contre le CPE. Etes-vous inquiète, ce matin, L. Parisot, du climat et de l'envie des syndicats d'en découdre, et d'obtenir la disparition de certains contrats ?
R- Pas du tout ! S'ils ont de l'énergie, nous en avons aussi. Alors, faisons en sorte de mettre nos énergies ensemble, mais d'une manière positive. Je crois que ce qui est vraiment salutaire, c'est que, enfin, les débats s'installent dans notre pays. Vous savez que la France est un pays un peu intellectuel qui a, d'abord, besoin de partir des idées pour, ensuite, arriver au réel. Alors, très bien, nous sommes dans des échanges d'idées. Je reviens sur ce que je disais tout à l'heure : jamais on n'a autant entendu le concept de flexibilité qu'aujourd'hui.
Q- Pour le condamner !
R- Non, justement, non. Regardez ! De Cohn-Bendit, il y 3 semaines, dans Le Monde qui disait : "On a besoin de plus de souplesse sur le marché du travail", jusqu'au président de l'Assemblée Nationale, hier après-midi, qui disait : "Il faut, effectivement, envisager la flexibilité sur le marché du travail". Expliquons, encore plus que nous ne l'avons fait jusqu'à présent à nos concitoyens, pourquoi cette flexibilité ce n'est pas forcément un risque en plus, c'est un avantage, si nous voulons faire baisser le chômage dans notre pays.
Q- Certains pensent que, jusqu'à l'élection présidentielle, l'année qui s'ouvre sera une année perdue pour la société française et ses réformes.
R- Je ne le crois pas du tout ! C'est pour cela que j'ai proposé aux différents syndicats d'ouvrir des discussions. Profitons, au contraire, de l'arrivée de ce grand débat que va être la campagne présidentielle pour mettre tous les enjeux importants sur la table. Pour faire en sorte que, justement, les Français, à l'occasion de la prochaine campagne, tranchent en connaissance de cause.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 avril 2006