Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, sur France 2 le 7 avril 2006, sur la crise du contrat première embauche, notamment son impact économique et les possibles modalités de sortie de crise.

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Média : France 2

Texte intégral

Bonjour à tous. Bonjour L. Parisot.
Bonjour.
Q- D. de Villepin continue à défendre le CPE ; les syndicats, eux, réclament son abrogation pure et simple. Du coup, on a l'impression d'être toujours dans le blocage. Hier, vous vous disiez plutôt optimiste. Est-ce que ce matin vous l'êtes encore ?
R- Oui, parce que je pense que l'intervention du président de la République, il y a une semaine maintenant, a profondément changé la situation dans cette crise. Il a ouvert la voie vers une logique nouvelle faite de débats, d'échanges et de concertations. Nous-mêmes, nous avons rencontré hier les groupes parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat, les groupes parlementaires UMP, et nous privilégions deux axes. Le premier, c'est qu'il faut tout faire pour mettre un terme rapide à la crise parce que cette crise coûte cher à notre pays.
Q- Est-ce que ça ne passe pas par l'abrogation pure et simple du CPE comme le demandent les syndicats ?
R- C'est à la représentation nationale de décider s'il doit y avoir une mesure de ce type ou pas.
Q- Est-ce que c'est indispensable aux patrons, le CPE, par exemple ? Est-ce qu'eux trouvent que c'est une mesure vraiment utile ?
R- Ecoutez, ce qui est tout à fait important dans ce qui se passe aujourd'hui, c'est que, enfin, le débat sur la flexibilité est un débat public. Ce n'est plus un débat réservé à quelques économistes et quelques experts. Et, grâce à l'initiative du gouvernement de D. de Villepin, les Français commencent à comprendre qu'il y a un lien réel, démontré et démontrable, entre le chômage élevé que nous connaissons dans notre pays et la rigidité du marché du travail. Alors...
Q- Mais vous ne croyez pas quand même que, justement, la crise du CPE, ça va jeter aux oubliettes, et pour longtemps, ce débat sur la flexibilité ? Parce que flexibilité, c'est devenu depuis quelques temps un mot vraiment tabou.
R- Non, justement. Je pense le contraire parce que je pense qu'en France, tout commence par le débat. Il faut d'abord qu'il y ait un échange d'idées, voire de confrontations peut-être d'une manière un peu convulsive et ça, on peut le regretter. Mais en même temps, c'est par cette pédagogie que les choses peuvent évoluer. Ce qui compte, selon nous, c'est ce que nous avons dit notamment hier, c'est qu'une fois que la crise sera terminée, il ne faut pas pour autant justement cesser cette discussion, cesser cet échange sur cette question de la nécessaire souplesse qu'il faut mettre dans le marché du travail si nous voulons permettre aux entreprises de continuer à grandir, de se développer et donc de créer des emplois. Alors, c'est pour ça que nous, le Medef, nous proposons aux organisations syndicales de très vite engager un grand débat, une grande réflexion sur toutes les flexibilités et toutes les précarités. Alors, je dis bien "précarités" au pluriel parce qu'il y a des précarités que nous considérons comme inacceptables, que nous devons tous combattre : le SDF dans la rue ou le travailleur pauvre. Mais il y a aussi des formes de précarités qui sont des opportunités pour l'avenir. Un CDD pour un jeune de 25 ans dans une entreprise de biotechnologie, c'est la meilleure façon de mettre le pied à l'étrier. Donc je crois qu'il faut distinguer les choses et les recenser, faire, je dirais, une carte de géographie de ce qu'il faudrait diagnostiquer, puis améliorer, puis transformer.
Q- Mais, en attendant, on est encore dans la crise du CPE. Qu'est-ce que vous, vous proposez pour sortir de cette crise ? Qu'est-ce qu'il faut faire ?
R- Ce que nous proposons, c'est de créer les conditions de ce débat dont je viens de vous parler entre organisations syndicales et organisations représentant les entreprises. Vous savez, dans le domaine économique et social, laissons les partenaires sociaux avancer entre eux. Représentants des syndicats de salariés, représentants des entreprises, c'est nous qui connaissons mieux que beaucoup d'autres la réalité de l'entreprise, la réalité du terrain.
Q- Et c'est ce qui n'a pas été fait au moment du CPE.
R- Voilà. Il est évident que, dans la crise du CPE, il y a notamment des enjeux de forme. Il faut donner un espace...
Q- Il n'y a pas eu assez de concertation, on n'a pas assez consulté, c'est ça que vous voulez dire ?
R- Il faut donner un espace à la démocratie sociale. Il faut lui permettre de respirer, il faut lui permettre d'élaborer elle-même ses propres solutions.
Q- Alors, il y a une idée qui circule ce matin : on dit que le CPE pourrait être suspendu pour six mois - ça serait une proposition de l'UMP, ce n'est pas confirmé, mais c'est une hypothèse - et que, pendant ce temps-là, c'est la concertation dont vous parlez qui pourrait se mettre en place. Est-ce que ça, suspension/concertation,ça vous paraît la bonne solution ?
R- Encore une fois, c'est à la représentation nationale et aux plus hautes autorités de l'Etat de décider dans cette affaire qu'elle est la meilleure sortie de crise.
Q- Mais je vous demande votre avis sur cette idée.
R- Ce que nous pensons en tout cas, c'est qu'il est temps de trouver un moyen d'arrêter cette gigantesque perturbation qui, encore une fois, fait beaucoup de mal, non seulement à notre image, mais à la solidité de notre tissu social. Nous sommes aujourd'hui à un stade de radicalisation tel que nous entendons des propos parfois haineux d'un groupe à l'autre. Je crois qu'il n'est jamais bon qu'une société puisse se laisser embarquer ainsi dans des clivages aussi profonds et avec une violence aussi perceptible.
Q- Alors, justement, les patrons font partie des victimes, si j'ose dire, de cette crise du CPE parce qu'on entend souvent dire : "Finalement, les patrons, ce sont des gens qui n'ont qu'une idée en tête, c'est licencier".
R- Oui, c'est une idée totalement absurde. Evidemment, un chef d'entreprise n'a qu'une envie, c'est de faire grandir son entreprise. Faire grandir son entreprise, ça veut dire au contraire créer une équipe, installer un esprit d'équipe, avoir un projet. On peut faire une analogie avec le monde du sport : il y a bien souvent les mêmes valeurs et les mêmes ressorts dans l'esprit sportif que dans l'esprit d'entreprise. Alors, vous avez raison, ces derniers temps, on a entendu des propos qui sont tout à fait consternants, tristes, parfois blessants pour les chefs d'entreprise. Il faut bien se rendre compte que certains propos, s'ils avaient été tenus à l'égard d'une autre catégorie de la population, on n'aurait pu facilement les qualifier de racistes.
Q- Mais il y a quand même des patrons qui abusent. Ça, c'est vrai.
R- Ecoutez, les hommes ne sont pas des anges. Dans toute civilisation, on sait très bien qu'il faut justement faire un effort pour organiser la vie en collectivité, pour limiter ceux qui sont abusifs et qui ont des comportements condamnables. Mais c'est tellement marginal. Essayons de regarder l'essentiel. Essayons de comprendre qu'en France, il y a des milliers, des centaines de milliers de TPE et de PME qui n'ont qu'une envie, c'est de pouvoir montrer leur savoir-faire, de pouvoir inventer, créer de nouveaux produits et, malheureusement, en France, on n'a pas encore compris à quel point l'entreprise était au coeur de tout. Et notamment dans le monde politique, il faudrait que tous sachent regarder l'entreprise, je dirais d'une manière un peu plus respectable et plus valorisante. Le jour où on comprendra ça, beaucoup de choses iront beaucoup mieux dans notre pays.
Q- Est-ce que la crise du CPE va avoir des conséquences économiques pour la France ?
R- Ecoutez, on est à la limite. Bien sûr, le ministre de l'économie et des Finances a raison de dire que, sur le plan macro économique, les indicateurs ne sont pas atteints. Mais sur le plan micro économique, ce matin...
Q- C'est-à-dire au niveau des petites entreprises.
R- Ecoutez, ce matin, allez demander aux commerçants de Nantes qui sont victimes de tout un tas de blocages s'ils ne ressentent pas déjà un effet économique de ce qui se passe. Si on regarde au cas par cas, il y a de nombreuses situations où, attention, le danger, le risque pour l'entreprise n'est pas loin parce que, vous savez, on parle beaucoup de précarité. C'est vrai et, encore une fois, je pense qu'il y a des précarités que nous devrions tous ensemble combattre. Parlons aussi de la précarité de la TPE ou de la PME. Quand une entreprise ne gagne pas d'argent, elle est immédiatement en danger de mort.
Q- Et là vous voyez des faillites se profiler à cause de la crise du CPE ?
R- Nous n'en sommes pas là, mais il ne faudrait pas que ça dure encore quelques semaines parce qu'alors là, malheureusement, on pourrait connaître des cas de ce type.
Q- Hier, N. Sarkozy vous a téléphoné. Est-ce que, lui, vous le sentez capable de résoudre la crise ?
R- Je ne crois pas que ça soit une question de personne. C'est d'abord une question de méthode. Il faut que ça soit vraiment tout le monde qui soit conscient du fait qu'il y a un moment où il faut savoir mettre un terme aux choses et en même temps ne pas renoncer aux idées et aux débats qui ont été lancés.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 avril 2006