Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur les grands thèmes pouvant réunir l'ensemble de la gauche pour gagner les élections de 2007, Paris le 27 avril 2006.

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Circonstance : Forum de la gauche le 27 avril 2006

Texte intégral

À mon tour de me réjouir de notre débat, même si on ne répondra pas à toutes les questions.
Si l'on veut un débat, il doit être franc et direct. Nous savons bien que nous ne sommes pas tous d'accord car, si nous l'étions, on serait tous dans la même formation politique. Or, j'ai compris que ce n'était pas le cas. Je ne me plains pas pour autant de notre diversité ; je pense même que c'est une chance pour la gauche, si on sait la dominer.
Si nous sommes tous rassemblés, c'est que l'on sent qu'il y a à la fois une interpellation directe du mouvement qui s'est levé contre le CPE, mais qui s'adresse aussi à nous. On a obtenu une grande victoire, le CPE n'est plus ; mais il y a encore le contrat nouvelle embauche, c'est la même chose pour les petites entreprises ; il y a l'apprentissage à 14 ans et le travail de nuit à 15 ans. On n'en a pas terminé. Et une grande victoire sociale n'est pas forcément une grande victoire politique.
C'est pourquoi, beaucoup de ceux qui se sont mis en mouvement nous disent maintenant « Est-ce que vous serez là en 2007 ? Pas simplement dans la grande concurrence électorale du premier tour. Serez-vous là au second tour, car c'est la condition pour gagner ? Est-ce que vous serez là pour gagner au second tour et pour réussir, ensuite, à gauche ? ».
Nous sommes à un an de cette échéance décisive qu'est l'élection présidentielle. C'est beaucoup, c'est trop, c'est même insupportable. Mais, c'est aussi court, si on veut se mettre dans de bonnes conditions pour travailler ensemble et pour gagner.
Je veux tirer trois leçons de la victoire sur le CPE qui, aujourd'hui, sont autant d'exigences pour la gauche :
1. Il y a eu victoire sur le CPE, parce qu'il y a eu unité syndicale. Cette unité syndicale a été pour beaucoup dans le recul du gouvernement. Les syndicats avaient leur diversité, leur contentieux. Ils se sont mis ensemble. Si nous revenons, nous, ensemble, aux responsabilités, on a le devoir de construire une grande démocratie sociale de notre pays et d'accorder toute la place aux syndicats, aux salariés dans l'entreprise. Je suis d'accord avec la proposition qui consiste à donner possibilité aux salariés, dans les organes de direction de leur entreprise, d'être représentés en tant que tels et après un vote des salariés eux-mêmes.
2. Il y a eu victoire sur le CPE, parce que les citoyens eux-mêmes se sont mobilisés. C'est une conclusion que l'on doit tirer y compris pour l'après 2007. Ne pensons pas que parce qu'il y aurait une victoire de la gauche nous pourrions réussir sans la mobilisation des citoyens. C'est parce que, souvent, nous avions oublié cette leçon démocratique que nous avons rencontré des difficultés ces dernières années. Et, à cet égard, il semble qu'il y ait des interrogations sur le référendum. Je suis pour le référendum et pour le respect du résultat du référendum. Je ne veux pas que l'on puisse dire que la gauche aurait peur de consulter le peuple, chaque fois qu'il est nécessaire de le faire. À nous de le convaincre ; de toute façon, sa décision nous engage tous.
3. Il y a eu victoire sur le CPE, parce que la gauche s'est rassemblée. Il faut maintenant nous rassembler, pas simplement pour rejeter, pour repousser, pour écarter, mais pour transformer et agir. C'est une interpellation qui nous concerne tous.
Il nous faut être franc tant sur la forme que sur le fond.
Sur la question de l'emploi par exemple, il n'y aura pas le retour au plein emploi que nous souhaitons s'il n'y a pas un grand processus de croissance durable. La croissance ne concerne pas uniquement celle des biens matériels. Elle concerne aussi celle du bien être dans notre vie, d'où la nécessité d'un modèle de développement différent. Il faut cependant qu'il y ait plus de richesses, plus d'activités mieux réparties, mieux organisées. Pour cela, il faut faire des choix courageux : il faut accorder une grande priorité au long terme, c'est-à-dire à la Recherche, à l'Education, à la formation, au savoir, à la connaissance. Ce sont les choix essentiels si l'on veut transformer et, en même temps, si l'on veut qu'il y ait plus de croissance, il faut qu'il y ait plus de pouvoir d'achat, plus de revenus distribués, sinon comment faire ! D'où la proposition d'une conférence salariale annuelle (un « grenelle » social) où l'on discute de la répartition des fruits de la croissance et de ce mode de développement.
Nous devons dire que le contrat à durée indéterminée (CDI) est la voie normale d'accès au marché du travail et du travail lui-même. Cela suppose de faire en sorte que toutes les formules précaires soient pénalisées, que toutes les formules de long terme et de contrat à durée indéterminée soient favorisées. J'ai entendu un certain nombre d'interpellations à propos des cotisations sociales et les exonérations. C'est vrai qu'aujourd'hui il y en a beaucoup -22 milliards d'euros- sans aucune contrepartie. Il faut instaurer ces contreparties ; et la contrepartie, c'est la stabilité, c'est l'emploi et la distribution du pouvoir d'achat.
Sur la question de la sécurité : les citoyens aspirent à la sécurité : la sécurité sociale, la sécurité pour l'environnement, la sécurité physique, le fait que l'on n'accepte pas d'être mis en cause dans sa liberté. Il faut donc donner aussi une sécurité professionnelle. Faut-il aussi savoir de quoi l'on parle. Le problème avec la droite, c'est qu'elle vole les mots, qu'elle les dénature, qu'elle les transforme et en change la nature à travers ses actes. Je suis pour une sécurité sociale professionnelle. Qu'est-ce que cela veut dire ? Chaque fois que l'on perd un emploi, qu'une entreprise disparaît, on doit assurer une transition, permettre une formation, une qualification pour passer d'un emploi à un autre emploi, sans nécessairement revenir vers l'ANPE. Et, si l'on doit revenir vers l'ANPE, elle doit être un grand service public de l'emploi qui permet d'accompagner, de former, de professionnaliser, qui ne laisse personne de côté.
Et, par rapport au code du travail, il ne s'agit pas simplement de le renforcer ou d'abroger -il faudra le faire- les dispositions prises depuis 2002. Il faut déjà faire appliquer le code du travail. Nous avons le meilleur code du travail en France, qui le sait ! À partir de là, il faut renforcer l'inspection du travail, mais surtout les droits des syndicats. Qu'est-ce qui nous différencie des grandes démocraties sociales en Europe ? N'oublions pas que nous ne sommes pas les seuls à savoir ce qu'est le droit du travail ou le droit social en Europe et qu'il y a même des pays qui sont plus en avance que nous, notamment sur la formation professionnelle, sur la sécurité professionnelle. Le droit du travail, c'est d'abord un droit du travail vérifié, contrôlé par organisations syndicales qui ne font pas 10 % des salariés, mais 50, 60 ou 70 %. Il faut avoir des outils financiers adéquats. Il faut avoir de nouveaux systèmes de crédit -sûrement, d'impôts financiers -nécessairement. À cet égard, quel est le problème posé ? Sans doute l'accès aux crédits, et notamment pour les plus modestes ; sans doute pour des milliers de petites entreprises. Mais il y a aussi la protection de nos propres entreprises. Et, dans le système capitaliste d'aujourd'hui, nous avons intérêt à avoir un pôle public, notamment au travers d'une Caisse des dépôts qui jouerait complètement son rôle.
Sur les paradis fiscaux : c'est une vraie question. Il y a aujourd'hui un système qui ne peut pas être accepté, un système de paradis fiscaux, de fuite des capitaux, de système off-shore en Europe. Je sais que cette question européenne nous traverse. Mais nous devons être capables de l'aborder entre nous et de nous réunir sur des objectifs communs, y compris sur ces questions économiques et monétaires. J'y suis prêt.
CONCLUSION
Aujourd'hui, nous sommes tous conscients de ce qui nous sépare sur un certain nombre de questions -et c'est normal sinon il n'y aurait pas de débat-, et, en même temps, sur ce qui doit nous rassembler. Certes, nous pourrions nous rassembler sur le rejet de la droite. Oui, et alors ! Cela ne suffit pas. Je ne me contente pas d'être simplement porteur de rejet. Nous avons collectivement le devoir de porter un projet ensemble.
Comment faire ? Faisons-nous semblant de nous unir tout en y croyant pas ? J'accepte l'idée qu'il puisse y avoir plusieurs candidatures dans le cadre de l'élection présidentielle -cela doit permettre d'avoir le pluralisme à gauche. Mais que l'on soit clair au moins sur deux points : bien sûr être pour le désistement au second tour, cela va de soi -quoiqu'il semble nécessaire de le redire à certains. Mais il faut aussi se mettre d'accord sur des propositions communes. Ce sera difficile, compliqué, mais c'est nécessaire. Il faut gouverner ensemble si on veut réussir ensemble. Ne laissons pas penser qu'il y en aurait qui serait forcément dans le gouvernement et d'autres qui n'y seraient pas. Nous devons y être les uns et les autres. Et, si vous doutez de nous, ne nous laissez pas seuls. Faites en sorte que l'on soit tous ensemble sur les mêmes propositions.
En 2007, nous avons le devoir de gagner. On nous dit « attention, si nous gagnons, on pourrait perdre 2012 ! ». Mais, avant de perdre 2012, on pourrait d'abord perdre 2007 ! On nous dit « mais la droite sera terrible en 2012 ! ». N'avez-vous pas le sentiment que déjà en 2007 elle le sera ? Pensez-vous qu'il n'y a pas de risque de victoire de la droite en 2007 ? Pensez-vous qu'il n'y a pas de dérive dès aujourd'hui d'appel à l'électorat de l'extrême droite ? Pensez-vous qu'il n'y a pas de risque, y compris pour le pacte républicain dès 2007 ?
Il faut gagner en 2007 et sur de grandes propositions. Il faut gagner aussi sur une utopie. Je ne refuse pas ce terme, mais une « utopie concrète » qui nous permette de changer profondément notre pays et de le changer durablement. Je suis pour ne pas perdre en 2007 et aussi pour gagner en 2012.source http://www.parti-socialiste.fr, le 3 mai 2006