Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, avec Canal le 9 mai 2006 sur la fête de l'Europe, les projets européens et sur l'avenir de la Constitution européenne.

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Circonstance : Journée de l'Europe, le 9 mai 2006

Texte intégral


Q - Merci d'être avec nous ce matin. Juste avant de parler de l'Europe, un mot sur les autres sujets d'actualité avec Libération, l'affaire Clearstream, par exemple, "Ce qu'ils vont dire aux juges", on se pose beaucoup de questions judiciaires, cela sera pour le courant de la semaine, il y aura des auditions probablement, celle du ministre de l'Intérieur est attendue, mais on se pose aussi beaucoup de questions politiques. "Chirac est à l'heure du choix", titre Aujourd'hui et Le Parisien. Alors le choix, vous, vous préférez quel choix, vous ? Vous avez une option, une...
R - Fromage ou dessert ?

Q - Qui fait le fromage et qui fait le dessert... Villepin ou Sarkozy ? Les deux !
R - Ils sont complémentaires.

Q - Faut-il changer de Premier ministre ? Voilà la question toute simple qu'on a envie de vous poser ce matin.
R - Ce n'est pas moi qui y répondrai parce que si vous voulez me faire parler de l'affaire Clearstream, je dirai simplement que je n'ai pas de commentaires sur ce sujet sur lequel beaucoup de gens ont parlé sans savoir ce qui s'est passé. Alors, pour ce qui me concerne, je vous dirai simplement que la justice est saisie, c'est une affaire sérieuse et il faut que la justice fasse son travail en toute sérénité si elle le peut, donc ne compliquons pas davantage son travail, et puis la vérité sera faite à l'issue de ce travail.

Q - Sauf que la justice... le temps de la justice est beaucoup plus long que le temps politique, est-ce qu'un gouvernement peut tenir dans ce climat-là ?
R - Le temps de la justice, effectivement, est souvent long mais c'est aussi une garantie d'un travail sérieux. Donc laissons-la travailler, je vous en prie.

Q - En tout cas, 2006 année utile, on y arrivera ?
R - Il le faut et, pour ma part, je m'y emploie. Chacun des ministres d'ailleurs est à son poste, assume ses responsabilités et travaille parce que c'est ça que les Français nous demandent, être au travail et les aider.

Q - Vous ne vous mouillez pas, alors bon c'est par conviction personnelle parce que vous voulez laisser faire la justice, ou c'est une consigne du gouvernement ...
R - C'est par conviction que c'est à la justice, en effet oui, de faire son travail...

Q - Il n'y a pas de black-out des ministres, coup de fil de Matignon, hier matin ?
R - Je n'ai pas d'information particulière, vous non plus, je pense. Donc, laissons la justice travailler, faire la vérité, c'est important.

Q - No comment, donc.
R - Et si possible, en toute sérénité.

Q - Alors vous, dans votre métier, puisque vous êtes ministre des Affaires européennes, vous rencontrez beaucoup d'hommes politiques étrangers justement, des ministres étrangers vous parlent de Clearstream ou du CPE ? Qu'est-ce qu'ils... comment voient-ils la France en ce moment ? Qu'est-ce qu'ils vous disent ?
R - Je pense qu'ils s'interrogent comme chacun pourrait s'interroger sur notre pays, en le regardant. Ils en parlent peu en vérité, donc là-aussi essayons, les uns et les autres, de faire notre travail. Moi, je m'occupe...

Q - Ils restent polis.
R - ...aujourd'hui en particulier de l'Europe, et je vais essayer de vous en parler.

Q - Pour trouver l'Europe à la une d'un journal, il faut aller chercher du côté des Echos...
R - On la trouve, on la trouve.

Q - Oui, "L'Europe au rendez-vous de la croissance en 2006". Alors la croissance, mais sauf pour la France, puisque les prévisions annoncées par Les Echos sont bonnes sauf pour la France, 1.9 seulement.
R - Alors on ne va pas corriger la presse jamais...

Q - C'est la Commission de Bruxelles qui dit ça...
R - Et surtout pas les prévisions des Echos ou de la Commission de Bruxelles qui, comme tous les experts - et c'est normal - révise à la hausse ou à la baisse les prévisions. On a eu, ces dernières années, une croissance qui était supérieure à la croissance des autres pays européens, et nous pensons avoir une croissance supérieure à 2 %, nous le verrons, là-aussi. L'essentiel, je crois, est de faire ce qu'il faut pour alimenter la croissance et il y a plutôt de bonnes projections.

Q - La fête de l'Europe aujourd'hui, pourquoi on devrait faire...
R - Aujourd'hui, c'est le 9 mai.

Q - Mais alors c'est quoi le 9 mai... Rappelez-nous, rappelez-nous, qu'est-ce que c'est que le 9 mai ?
R - Bonne question ! Le 9 mai, c'est depuis vingt ans maintenant la journée de l'Europe dans tous nos pays européens.

Q - Et le 9 mai 1950...
R - Et cela n'est pas une date qui a été choisie par hasard voilà, c'est un hommage au 9 mai 1950, qui est le jour où Robert Schuman, qui était alors ministre français des Affaires étrangères, a fait la déclaration historique qui a marqué le début de la construction européenne. Donc depuis vingt ans...

Q - C'était la création de la Communauté économique du charbon et de l'acier...
R - Voilà.

Q - La CECA.
R - Mettre en commun le charbon et l'acier français et allemand...

Q - Ce qui est énorme...
R - Ces outils qui faisaient la guerre et qui servaient à fabriquer des canons, et faire de ces outils de la guerre des outils de la paix, ça a marché une fois tous les vingt ans. On avait donné, merci.

Q - Mais aujourd'hui...
R - On ne la voyait pas beaucoup en France...

Q - Est-ce qu'il y a de quoi faire la fête ?
R - On ne la voyait pas beaucoup en France cette fête de l'Europe. On a décidé, cette année, de faire les choses autrement et puis que cela se voit, et que ce soit positif, parce que l'Europe mérite d'être fêtée, elle a fait du bon travail.

Q - Alors pourquoi, dites-moi ?
R - Depuis cinquante ans, plus de cinquante ans même...

Q - Mais là récemment, est-ce qu'on a de quoi faire la fête ?
R - Je crois que oui. Ce 9 mai offre l'occasion justement de prendre un tout petit peu de recul par rapport aux événements, de réfléchir au sens de la construction européenne. Et, si on regarde d'où on est parti et là où nous en sommes aujourd'hui, elle a fait du bon travail. Et puis j'ajouterais qu'au-delà de la paix, de la sécurité, du développement économique qu'elle nous permet, au-delà même de l'outil formidable, de la chance supplémentaire qu'elle représente dans la mondialisation, l'Europe c'est quoi ? L'Europe vient d'où ? Elle est là parce que des gens ont eu l'idée intelligente de dire : "groupons-nous, soyons plus forts au lieu de nous faire la guerre une fois de temps en temps". Donc c'est aussi un message de responsabilité, un message positif...

Q - Pourquoi il ne passe pas ce message, puisqu'on l'a bien vu... 55 % il y a an au référendum... On reste sur un référendum négatif, il y a un an...
R - Je voudrais que cette journée du 9 mai aide justement à mieux réaliser que l'Europe, c'est nous qui la faisons. Donc, elle sera ce que nous en ferons, ça dépend de nous, collectivement, elle ne vient pas du ciel, elle n'est pas faite d'en haut, elle ne tombe pas comme ça sur terre comme une météorite. Elle dépend de nous, nous en sommes co-responsables. Donc c'est à ça, aussi, que je voudrais encourager à réaliser...

Q - C'est peut-être pour ça justement qu'il y a eu un non... Est-ce qu'il y a eu des initiatives majeures et concrètes pour le quotidien des Français, là depuis un an, par exemple ?
R - Alors depuis un an, nous avons donné la priorité à ce qu'on appelle l'Europe des projets, c'est-à-dire projet par projet, sujet par sujet, une Europe plus concrète et plus efficace, qui soit plus proche.

Q - Concrètement, quels projets...
R - ...des préoccupations des citoyens.

Q - Deux, trois exemples, allez.
R - Exemple : augmenter les bourses pour les étudiants.

Q - OK, c'est bien ça.
R - Ça a marché. S'occuper de l'énergie, le prix du pétrole ne baisse pas, c'est le moins qu'on puisse dire, peut-être même que ces ressources en hydrocarbure vont aller en se raréfiant, et peut-être que ce serait une bonne idée de mettre enfin sur pied une politique européenne de l'énergie.

Q - Quoi ? Alternative, plus écolo, c'est quoi ? Nucléaire ?
R - Toute l'énergie...

Q - A la fois du nucléaire et de...
R - Tout type d'énergie produite. Mais faisons ensemble une politique commune de l'énergie qui n'existe pas du tout aujourd'hui, aussi bien pour la sécurité de nos approvisionnements, que pour l'offre, que pour les interconnections, que pour, peut-être, les énergies alternatives, mettons-là sur pied. Alors, c'est la France qui a pris l'initiative l'automne dernier de le proposer, on a fait ensuite un certain nombre de documents et de travaux que nous avons donnés à nos partenaires et à la Commission qui s'en sont inspirés. Et puis, au Conseil européen de mars, les premières bases de cette future politique de l'énergie ont été mises sur pied. Autre exemple...

Q - C'est le début, on est d'accord pour se mettre d'accord, OK c'est déjà bien pour commencer. Troisièmement...
R - Plus que ça, c'est un premier étage. Troisièmement, on sait qu'il faut investir davantage dans la recherche, l'innovation, tout ce qui nous permettra, à l'avenir, de rester compétitifs. Donc un bon budget, sur le plan national pour la recherche des moyens supplémentaires, nous l'avons fait aussi. Et puis, sur le plan européen, l'utilisation d'une facilité supplémentaire de financement par la Banque européenne d'Investissement. Ce sont trois exemples, il pourrait y en avoir d'autres. Sur l'OMC, nous ne sommes pas restés non plus les bras croisés, nous avançons. Alors je sais ce que vous allez me dire, il y a eu des époques plus porteuses, des époques où l'Europe s'est...

Q - Vous lisez dans nos pensées.
R - Voilà, s'est mieux portée, là, elle est un peu à la peine, c'est vrai, elle manque d'ambition collective. Mais elle arrive à prendre des décisions, et à prendre les bonnes décisions. Donc pas à pas, continuons la construction...

Q - Un peu de rêve, non ?
R - Je ne sais pas si le charbon ou l'acier faisaient rêver et pourtant, c'était une idée géniale.

Q - Le non français, c'était il y a un an, on en est où aujourd'hui ? Est-ce que les institutions européennes, les vingt-cinq, réfléchissent à un plan B ?
R - Le plan...

Q - On va revoter tout simplement, peut-être.
R - Le plan B, il n'y en avait pas, ça se savait, mais ça se constate. Donc un certain nombre de gens ont essayé de faire prendre des vessies pour des lanternes, je le regrette.

Q - Non, mais attendez, on nous a dit quand même, si vous votez non, c'est une cata, c'est une cata, l'Europe explose, et vous venez de nous dire qu'il y a plein de bonnes nouvelles. Donc finalement voter non...
R - Je vous dis qu'elle fait son travail.

Q - ...n'était pas un drame, non, la preuve.
R - Je vous dis qu'elle fait son travail, qu'il y a eu des époques un peu meilleures, et que, sans doute, elle irait mieux si on avait effectivement pu ratifier ce traité. Alors on fait avec, on avance, on tient le cap, c'est important et puis la France, non seulement tient son rang, mais continue à faire des propositions, continue à être un élément moteur, mais on aurait pu avoir encore mieux, je vais dire ça comme ça.

Q - Les vingt-cinq se sont donnés rendez-vous mi-2007 pour se dire, qu'est-ce qu'on fait de cette Constitution, est-ce qu'on la relance, est-ce qu'on l'abandonne ? Pourquoi fin 2007 ? Est-ce que c'est parce qu'il y aura les élections françaises et que, du coup, les cartes seront rebattues et du coup, est-ce que Chirac n'est pas l'obstacle principal à la Constitution européenne ?
R - Ils se sont donnés rendez-vous mi-2006, au mois de juin, cela va arriver vite. Quant aux élections, tout le monde en a, entre maintenant et les élections en France, il y a, je crois, douze pays, douze partenaires qui ont des élections. C'est normal, les élections font partie de la vie des démocraties. Donc on ne va pas attendre chaque élection pour prendre des décisions. Avançons et d'ailleurs, sur les institutions, on a fait des propositions sur le rôle des parlements, sur la coordination des politiques économiques, sur la sécurité ou dans le domaine social. On peut déjà améliorer un certain nombre de choses sans changer les traités, sachant que la question du traité reste ouverte, ça c'est vrai.

Q - Alors le "J'aime, j'aime pas", il nous reste quelques secondes, vous pouvez répondre par "J'aime, j'aime pas", aux propositions suivantes, mais d'une façon courte, s'il vous plaît, parce qu'on n'a plus le temps. "J'aime, j'aime pas", Tony Blair qui s'accroche au pouvoir.
R - Tony Blair, j'aime bien ; s'accrocher au pouvoir, le peuple jugera.

Q - Le manuel d'histoire franco-allemand.
R - Très bien.

Q - Vous l'avez lu ?
R - Oui, on a aidé à le faire.

Q - Bravo. "J'aime, j'aime pas", le plombier polonais.
R - J'adore, il est très beau ! On a mis l'affiche "venez chez moi". dans le salon attenant à mon bureau...

Q - Ah bon ?
R - Oui, pour les visiteurs !

Q - Tout le temps là.
R - C'était un beau clin d'oeil que les Polonais nous ont fait.

Q - "J'aime, j'aime pas", l'expression vieille Europe ?
R - J'aime pas.

Q - " J'aime, j'aime pas", le film "L'auberge espagnole".
R - Génial ! "Les poupées russes" aussi, la suite.

Q - Et "Camping", alors c'est le carton du printemps au cinéma, trois millions d'entrées.
R - Je ne l'ai pas vu.

Q - Ah bon.
R - Mais j'ai fait du camping.

Q - Ah bon ?
R - Oui.

Q - Quand vous étiez jeune.
R - Oui, dans ma jeunesse.

Q - Rappelez-nous quand même les deux sites Internet pour savoir un petit peu ce qui va se passer aujourd'hui.
R - On en a un pour lequel il faut se dépêcher parce que c'est le 9 mai, le 9 mai c'est aujourd'hui, feteleurope - en un seul mot - point fr. Et puis on ouvre une nouvelle expression en ligne sur Internet sur l'Europe, parce que le dialogue sur l'Europe a manqué, et donc à partir d'aujourd'hui, on bascule sur touteleurope.fr, tout savoir sur l'Europe et s'exprimer sur l'Europe.

Q - Merci Catherine Colonna, très bonne journée.
R - Merci.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2006