Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la construction européenne, la réforme des institutions communautaires et les échéances de l'Union économique et monétaire, Paris le 9 mai 1996.

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Circonstance : Conférence "L'Europe pour vous" à l'occasion de la journée de l'Europe, Paris le 9 mai 1996

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
L'après-midi a été longue et dense, comme Michel BARNIER vient de le rappeler, et je ne voudrais pas trop retarder le moment où je pourrais dialoguer directement avec certains d'entre vous sur tel ou tel aspect de la politique européenne de notre pays et de l'avenir de la construction européenne. Je vais donc essayer d'être aussi bref que possible et de limiter mon intervention qui clôture cette conférence "L'Europe pour vous à quelques minutes.
Vous le savez, et cela a été rappelé par les différents intervenants que vous avez entendus cet après-midi, les échéances européennes de ces prochaines années sont nombreuses et cruciales pour l'avenir de la construction européenne :
- la conférence intergouvernementale est la première de ces échéances ; cette négociation, qui s'est ouverte à Turin le 29 mars dernier, vise à la fois à réformer les institutions européennes pour leur permettre d'affronter la perspective de l'élargissement que nous souhaitons, à donner à l'Europe les moyens d'exercer une véritable diplomatie et enfin à rapprocher la construction européenne des citoyens ; c'est dire si elle est cruciale : c'est d'elle et de ses résultats que dépendra notre capacité à accueillir les peuples frères dont nous avons été séparés depuis la seconde guerre mondiale, ce qui est pour nous à la fois un devoir moral, une nécessité absolue pour assurer la paix sur le continent européen et une opportunité incontestable de renforcer la vitalité économique de nos entreprises ;
- vous le savez, dès 1998, le processus qui doit nous conduire quelques années plus tard à la création et à l'utilisation d'une monnaie unique va s'ouvrir ; là encore, il s'agit d'une échéance fondamentale si nous voulons que les entreprises dans lesquelles vous travaillerez plus tard continuent de bénéficier des bienfaits du marché unique et si nous voulons que nos concitoyens appartiennent à un ensemble suffisamment fort et suffisamment cohérent pour parler d'égal à égal avec les autres grands blocs qui structurent l'espace économique mondial des problèmes qui nous concernent tous (questions monétaires, sujets commerciaux,...) ;
- cette fin de siècle verra également le démarrage des négociations qui devront déboucher sur l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale, orientale et baltique dont nous avons été séparés artificiellement pendant si longtemps et dont j'ai dit il y a un instant combien il me semblait indispensable de les accueillir.
J'interromps là cette énumération, mais, comme moi, vous comprenez bien que cette fin de siècle sera cruciale pour l'avenir et le développement de la construction européenne.
Et tout ce calendrier ne pourra se dérouler avec succès sans le soutien et l'adhésion de chacun de nos concitoyens, ce qui supposera un effort accru de transparence et de clarté de la part de tous les responsables, à Paris comme à Bruxelles. L'Europe est en effet trop souvent perçue comme lointaine, technocratique et désincarnée et la tentation est grande, j'en suis conscient, de suivre les démagogues et les corporatismes de tout bord qui abusent de cette insuffisance de transparence du processus de construction européenne pour lui imputer toutes les difficultés économiques et sociales dont souffre notre pays.
Vous le comprenez bien, c'est un mauvais service à rendre à l'Europe et c'est donc un mauvais service à rendre à la France. En effet, au-delà de tout parti pris idéologique et au-delà de toute querelle partisane, la liste des participants à ce colloque en témoigne, nous sommes tous convaincus que la construction européenne a été, depuis 40 ans, un élément capital du maintien de la paix en Europe, du renforcement de la prospérité économique dans nos pays et du développement de la présence économique, politique et culturelle de notre continent sur la scène internationale.
C'est peut-être difficile pour les jeunes gens que vous êtes de prendre conscience de ce qu'était la situation de la France avant que ne démarre ce processus de construction européenne : en effet, le réflexe européen est quelque chose qui vous est maintenant extrêmement familier et vous auriez du mal à imaginer une France isolée, dotée de frontières hermétiques avec ses principaux voisins, au poids économique marginal à l'échelle mondiale et vivant dans la crainte d'un sursaut d'instabilité sur le continent.
Pourtant, telle serait la situation que nous connaîtrions si J. MONNET et R. SCHUMAN, que nous célébrons aujourd'hui, en commémorant la déclaration du 9 mai 1950, n'avaient pas eu cette vision qui nous est maintenant familière d'une Union européenne développant des relations et des solidarités sans cesse plus étroites entre les peuples qui la composent, et si, en 1958, le Général de GAULLE n'avait pas confirmé, et de manière éclatante, le choix européen de notre pays.
Les raisons qui ont justifié ces choix d'hier prévalent encore aujourd'hui et prévaudront plus encore demain : notre horizon est et ne peut être que l'Europe.
Mais, il faut le constater même si on peut le regretter, et chacun d'entre nous y a sa part de responsabilité, malgré les efforts de l'État, des institutions européennes, des collectivités et des associations, nous avons parfois du mal à comprendre et à percevoir les justifications et les modalités des interventions de l'Europe dans notre vie quotidienne : l'Europe, parce qu'elle n'est pas assez lisible, est donc trop souvent décriée.
C'est ce constat qui a justifié les prises de position du Président de la République auprès de ses homologues, à Madrid en décembre dernier et à Turin il y a quelques semaines, en faveur d'un plus grand rapprochement de l'Europe et de ses citoyens ; telle est donc la tâche que mon gouvernement se donne, informer nos concitoyens sur les apports concrets de la construction européenne pour leur vie quotidienne, rassembler nos compatriotes autour de l'enjeu majeur que représente l'avenir de la France dans l'Europe.
Et, dans ce domaine, plus encore que dans tout autre, rien n'est pire que le silence. Le silence suscite l'apparition de contrevérités, favorise leur diffusion et engendre un mouvement de repli qui ne peut que justifier, a posteriori, les préventions dont on a pu faire preuve.
C'est pourquoi mon gouvernement s'est fixé une mission primordiale dans ce domaine : écouter, informer, débattre et faire prendre conscience, voilà quelle est notre responsabilité, confiée principalement à Michel BARNIER, bien sûr, en tant que Ministre chargé des Affaires Européennes, mais aussi à l'ensemble des membres du gouvernement qui, chacun dans leur domaine particulier, sont concernés par le débat européen et sont convaincus de la nécessité d'uvrer à une meilleure compréhension de ce débat chez nos concitoyens.
Dans cet esprit, j'ai demandé à Michel BARNIER de préparer et d'engager, parallèlement au déroulement de ces grands chantiers que j'évoquais tout à l'heure (Conférence Intergouvernementale, mise en place progressive de l'Union Économique et Monétaire), une large opération d'écoute et de dialogue sur l'Europe avec l'ensemble des Françaises et des Français, au plus proche des préoccupations qui sont celles de la vie quotidienne, de votre vie quotidienne.
L'objectif de cette opération est clair : il s'agit de donner à chacun de nos concitoyens l'occasion de participer à un débat sur les apports concrets de la construction européenne à leur vie quotidienne. Les modalités restent bien évidemment encore à préciser, mais il me semble nécessaire, pour que ce débat ne soit pas artificiel et prenne en compte les véritables interrogations de l'ensemble de nos concitoyens, de prévoir qu'une partie importante de ce dialogue puisse se dérouler sur le terrain, le niveau régional étant sans doute le mieux adapté à cet exercice.
Je souhaite par ailleurs que cette opération de "Dialogue national pour l'Europe" se déroule sur une année entière, à partir d'octobre prochain. Il me paraît en effet nécessaire de se donner suffisamment de temps pour que ce dialogue puisse se dérouler, de manière aussi décentralisée et démultipliée que possible.
Sur quoi ce dialogue doit-il porter ? Les questions sont simples et faciles à poser : qu'est-ce que l'Europe m'apporte aujourd'hui concrètement, pour ma sécurité, pour mon emploi, pour la liberté que j'ai de circuler ou d'entreprendre, pour le développement de ma région ou de ma commune, pour l'influence de mon pays dans le monde, pour le maintien de mon identité et de ma culture ? C'est à toutes ces questions, et sans doute à bien d'autres, qu'il faudra répondre franchement, sans détours et sans fard, plus sérieusement et plus systématiquement que cela n'a jamais été fait jusqu'à présent.
L'État peut et doit lancer cette dynamique. Mais il ne peut à lui seul assurer la nécessaire démultiplication de ce dialogue. C'est pourquoi j'appelle de mes voeux une mobilisation de tous les partenaires concernés pour que cette initiative puisse être relayée au maximum. L'objectif, c'est que vous tous, et en particulier, tous les lycéens, les collégiens et les étudiants de France, toute cette jeunesse qui est l'avenir de notre pays et de l'Europe, vous puissiez à la fois poser les questions qui vous semblent nécessaires et développer les idées et les suggestions que vous avez certainement à l'esprit et que vous n'avez jamais eu l'occasion d'exposer jusqu'à présent.
Mon souhait est que, pour amorcer ce dialogue, de multiples réunions publiques, sessions d'information ou de formation, débats et autres forums puissent se dérouler parallèlement dans toutes nos régions, dans nos départements et dans nos villes, dans nos écoles, nos lycées et nos universités, au sein des réseaux professionnels, associatifs ou syndicaux.
J'ai, par ailleurs, indiqué que chacun des membres de mon Gouvernement avait vocation à participer à ce dialogue, Michel BARNIER étant chargé d'en assurer la conception d'ensemble et la coordination : je pense en particulier que les ministres de l'éducation nationale, de l'intérieur, de l'économie et des finances, de l'aménagement du territoire ou de l'agriculture auront en effet, de par leur domaine de responsabilité et grâce à l'importance des contacts qu'ils ont pu nouer avec les institutions communautaires et avec nos partenaires européens, une responsabilité particulière dans ce dialogue.
Enfin, à l'issue de ces mois de dialogue, d'écoute mutuelle, un groupe placé auprès de M. BARNIER et composé de quelques "grands témoins" particulièrement concernés par les questions européennes et émanant de la "société civile" pourrait, après avoir suivi le déroulement de toute cette opération, être chargé d'en tirer les enseignements, qui, j'en suis certain, seront nombreux et utiles.
Cette journée s'achève, et je voudrais vous remercier pour votre attention, en formant le vu que cette conférence reste dans vos mémoires comme une première "Leçon d'Europe", administrée par des maîtres prestigieux, et qu'elle vous ait renforcés dans la conviction que l'Europe est l'avenir de la France et qu'elle a besoin de nous tous autant que nous avons besoin d'elle.