Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à Europe 1 le 24 mai 2006, sur les manifestations des salariés de la Sogerma la politique de l'emploi d'EADS et l'Unédic.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Dans 90 minutes, vous allez participer à la manifestation des salariés de la Sogerma devant EADS, à Paris, sous les fenêtres de N. Forgeard. Et alors ?
R- Alors ? Je crois que la responsabilité de secrétaire général de la CFDT, lorsqu'il y a 1.100 emplois en jeu dans une grande entreprise, plus toutes les conséquences sur le bassin d'emplois, qui se chiffrent en plusieurs milliers d'emplois, c'est de venir soutenir les salariés.
Q- D'accord, le soutien de la CFDT, c'est très important, mais qu'est ce que cela va changer ? La Sogerma a 300 millions d'euros de dettes, en 2005 ; elle a perdu 238 millions d'euros, elle va en perdre autant. Est-ce que c'est vous qui allez rembourser ?
R- Certainement pas, vous le savez. Mais je vais poser deux types de questions lors de cette manifestation. D'une part, aux responsables de la Sogerma, c'est-à-dire EADS : pourquoi avons-nous attendu aussi longtemps pour décider d'annonces aussi brutales ? Cela fait maintenant plus d'un an que la CFDT, au comité d'établissement de cette entreprise, propose un audit, une évaluation des problèmes financiers ; l'entreprise nous l'a refusé, les autres syndicats de l'entreprise nous l'ont refusé. Aujourd'hui, on est sur des annonces brutales. Deuxième question à EADS : on nous dit qu'EADS renforce l'activité de son autre entreprise sur les mêmes créneaux, qui est en Allemagne. Pourquoi renforcer en Allemagne et enlever en France ? Ne peut-il pas y avoir un équilibre des charges de ces entreprises dans la maintenance des avions, entre ces deux pays ? Ensuite, et c'est l'élément essentiel, là, je vais aussi m'adresser au Gouvernement ; le Premier ministre est intervenu hier à la télévision, il a oublié deux choses...
Q- Il est même allé sur place, il vous a pris de vitesse, il est allé à Bordeaux. Les syndicats, les salariés voient en lui-même leur dernière carte et leur dernière chance.
R- Oui mais le Premier ministre nous ment. Il nous a pris de vitesse ! Je vais poser deux questions au Gouvernement et au Premier ministre, qui s'est emparé de ce dossier : l'Etat est actionnaire d'EADS, il a 15 % des actions ; à quoi sert-il d'avoir 15 % des actions pour faire comme si on n'était pas au courant ? Vous connaissez beaucoup d'entreprises, vous, qui suppriment 1.050 emplois et qui ne préviennent pas leurs actionnaires, un de ces actionnaires principaux ?
Q- Vous voulez dire qu'il y a des représentants de l'Etat dans le conseil d'administration ?
R- Non seulement il y a des représentants de l'Etat mais les actionnaires,les représentants sont co-décideurs. Donc je dis aujourd'hui que l'Etat fait comme s'il découvrait le problème alors qu'il était au courant. Deuxième chose : l'Etat est client d'EADS, de la Sogerma. Question : pourquoi le Gouvernement français a-t-il décidé de faire la maintenance de ses avions militaires au Portugal ?
Q- C'est moins cher...
R- C'est moins cher ! C'est légèrement moins cher. Mais la conséquence, la responsabilité sociale de l'entreprise ? Monsieur de Villepin nous fait depuis des mois des leçons sur les délocalisations. Là, l'Etat vient d'organiser une délocalisation réelle, qui supprime 1.000 emplois, parce que c'est une des conséquences des difficultés de la Sogerma. Et maintenant, l'Etat va devoir investir dans la réindustrialisation du site et cela va coûter, au final, plus cher que cette délocalisation. Je crois que là, le Premier ministre a oublié de présenter les responsabilités qui sont les siennes, directement, sur la situation de l'entreprise.
Q- Mais est-il responsable du fait que les activités de maintenance de Mérignac évoluent ? Qui va faire revenir Air France, Lufthansa, les compagnies low cost ? Il peut éventuellement rapatrier les maintenances militaires mais sur le reste, ce sont des évolutions liées à la mondialisation.
R- D'une part, la CFDT n'a jamais nié qu'il faille, par moment, adapter, faire évoluer l'industrie à la nouvelle réalité. Il y a deux situations : adapter et supprimer. Là, on est dans la suppression, d'une part parce que l'Etat s'est désengagé en tant que client, et d'autre part, le niveau des salaires, le niveau de l'emploi dans la Sogerma n'est pas plus élevé que les autres concurrents européens. J'ai donné l'exemple d'EADS qui fait le choix de renforcer son pôle allemand, alors que les salaires sont moins élevés en France qu'en Allemagne.
Q- Oui, plus d'équilibre...
R- Plus d'équilibre, bien évidemment !
Q- N. Forgeard confirmait à 7h40, avec C. Delay, que 300 salariés resteraient sur le site Sogerma, et que tous les autres se verraient proposer un emploi dans le groupe, à Toulouse ou à Marseille.
R- Le problème n'est pas qu'un problème des salariés de Sogerma, il y a 4.000 emplois directement sous-traitants autour. Il y a une école de formation de techniciens de maintenance. Qu'est-ce que l'on va faire de ces emplois ? C'est 4 à 5.000 emplois qui sont en jeu, au-delà de ceux de la Sogerma.
Q- Au fond, chacun est dans son rôle : le syndicaliste est auprès de ceux qui souffrent à trois semaines de son congrès, et le Premier ministre, pour se refaire une santé de sauveur à moins d'un an de la présidentielle, il est là, il va à Bordeaux. Pourquoi préférer l'ambiguïté à la vérité ? Un jour ou l'autre, si on maintient Mérignac, peut-être faudra-t-il fermer d'autres sites avec plus de chômage, dans deux, trois, quatre, cinq ans ?
R- Je le répète : la CFDT a toujours été claire, elle sait très bien que par moment, il faut adapter notre industrie à la réalité du marché. Ceci dit, l'anticipation, d'une part : en prévoyant, en anticipant, en faisant de la prévention, on trouve des solutions ; deuxièmement, je suis désolé, quand l'Etat a une responsabilité, il y a une responsabilité sociale de l'Etat vis-à-vis de ses clients, en particulier de la Sogerma et des sous-traitants, il faut que l'Etat prenne ses responsabilités. L'Etat ne peut pas renvoyer tout sur l'entreprise alors qu'il est actionnaire à 15 % de cette entreprise. A quoi sert-il d'être actionnaire si on n'a aucun pouvoir ?
Q- Autre sujet, l'Unedic, présidée par A. Thomas, CFDT, doit se prononcer sur une petite expérimentation intéressante, positive de quinze mois : des entreprises privées accompagnent des chômeurs et leur trouvent des emplois plus vite et moins cher que l'ANPE. Faut-il poursuivre cette expérimentation ?
R- C'est beaucoup plus compliqué que cela. D'une part, l'ANPE n'a plus le monopole ; dans ce domaine, la loi donne l'obligation de diversifier les organismes qui sont des placeurs pour les chômeurs. La démarche de la CFDT dans cette opération, c'est d'essayer d'améliorer l'accompagnement, les services que l'on donne aux chômeurs. Donc, on a fait quelques expérimentations, c'est 6.000 chômeurs sur plus de 2 millions concernés...
Q- 25 millions d'euros d'économies.
R- Mais le problème n'est pas de faire des économies.
Q- C'est de trouver des emplois ?
R- Non. Le problème, c'est d'aider les chômeurs. Là, ce sont des chômeurs volontaires, donc on a un système particulier, pour trouver des emplois. Nous, on veut en tirer des conséquences, on veut faire une vraie évaluation, pour améliorer ensuite, dans le service public de l'emploi, la façon de suivre les chômeurs.
Q- Donc, on continue ?
R- On va faire quelques petites expérimentations supplémentaires. Mais comme on a une mise à plat totale du système de l'Unedic, que l'on doit faire d'ici à la fin de l'année avec le Medef, on souhaite voir, dans cette mise à plat, ce que l'on fera ensuite pour aller plus loin.
Q- S. Royal a proposé voici cinq jours, pour que les syndicats soient plus forts et plus représentatifs en France, je cite "une adhésion obligatoire au syndicat de son choix". Vous, vous refusez. Quelle est la vraie raison ?
R- Parce que cela ne marche pas le syndicalisme obligatoire. Le syndicalisme se fait sur engagement individuel, personnel. Il n'y a pas de pays, si ce n'est quelques pays totalitaires, mais ce n'est pas ce que voulait dire S. Royal, bien évidemment, où le syndicalisme est obligatoire. Mais si l'on veut qu'il y ait plus de syndiqués dans notre pays, il faut donner plus de rôle, plus de place, plus d'utilité au syndicalisme. Donc, plutôt que de chercher des artifices de ce type, il faut trouver, faire évoluer les règles du dialogue social dans notre pays. La France, est le seul pays où le dialogue social n'est pas organisé au niveau national, entre les organisations syndicales, patronales, et l'Etat...
Q- D'accord, ce n'est pas la solution ?
R- La solution de S. Royal, non ! Mais c'est bien que les politiques cherchent des solutions pour essayer... A la limite, pourquoi ne pas rendre l'adhésion à un parti politique obligatoire. On voit bien que ce n'est pas sérieux. Pourquoi le syndicalisme particulièrement ? Mais essayons plutôt de faire évoluer le dialogue social, de faire en sorte que ce qui s'est passé pour le CPE n'arrive plus dans notre pays, où des politiques décident seuls. On a une place. Et lorsque l'on aura une utilité plus forte, les salariés s'intéresseront plus au syndicalisme et adhéreront plus nombreux.
Q- Clearstream, je sais que cela ne vous regarde pas, mais que pensez-vous : de la nature, des effets, des conséquences de ce que l'on appelle une affaire, un scandale d'Etat ou une manip ?
R- La conséquence, principalement, c'est qu'il y a une image des politiques qui se dégrade encore dans notre pays. Et ce n'est pas bon. Parce que cela avantage tous les populismes, le "tous pourris". Et la CFDT ne veut pas participer au "tous pourris". Quatre ans après le 21 avril 2002, un an après le 29 mai 2005 et le référendum sur l'Europe, on en est encore à réhabiliter la politique. Je pense que l'on a besoin de vrais débats politiques, contradictoires, de projets, de droite et de gauche, pour réhabiliter, pour donner espoir à la population.
Q- Cela arrive, c'est la campagne.
R- Oui, et je l'espère. Mais ces affaires qui ne sont pas bonnes pour l'image du pays, ne sont pas bonnes non plus pour l'image du politique. Et nous, on veut renforcer le politique dans notre pays. C'est absolument important pour la démocratie.
Q- Avez-vous l'impression que le gouvernement Villepin travaille normalement, qu'il gouverne ou qu'il se sent sur le départ ? A-t-il fait évoluer ses relations avec vous ? Elles se sont améliorées, elles se sont normalisées depuis le CPE ?
R- Non. Les relations avec les syndicats sont plutôt au point mort. C'est-à-dire que l'on n'a pas ouvert de nouveaux débats et de nouveaux chantiers de travail. Nous, ce que l'on propose, c'est deux pistes. La première, si le Premier ministre veut se sentir utile, et j'espère, c'est ce qu'il disait hier, qu'il ouvre le débat sur le dialogue social, c'est-à-dire : comment on organise la négociation pour aller vers des réformes utiles dans notre pays ; la place des partenaires sociaux par rapport à la loi. Et puis, qu'il nous laisse - et là, c'est un message vis-à-vis du Medef, qu'on rencontrera la semaine prochaine -, qu'on ouvre enfin, au-delà de la mise à plat de problèmes de l'Unedic, le vrai chantier qui est celui demain, qui est sorti au niveau du CPE, celui de la flexibilité, celui de la précarité, pour essayer de construire une nouvelle sécurité aux salariés, pour rendre le marché du travail plus efficace.
Q- Mais vous, vous dites : dès maintenant, ce Premier ministre, tout de suite, ou à partir de 2007 ?
R- Sur le dialogue social, on ne va pas d'abord perdre une année. On voit bien que le problème du chômage, les problèmes qui se posent à notre pays, se posent. Nous, on a un rôle, les partenaires sociaux, en faisant notre travail. Et je le dis, on ne peut pas éternellement dire au Gouvernent : vous ne nous laissez pas faire, et ne rien faire. Donc, on a un rôle. Mais de l'autre côté, je crois que le Premier ministre peut laisser sa marque dans le dialogue social, en faisant évoluer ces règles du dialogue social, pour que les partenaires sociaux aient plus de possibilité d'être utiles dans notre société.
Q- D. de Villepin a-t-il votre numéro de portable ?
R- Il a tous les numéros utiles et nécessaires. Quand on est Premier ministre, on peut téléphoner à qui l'on veut. Le problème n'est pas de savoir si on téléphone...
Q- Non, mais que le dialogue que se fasse, commence au moins comme cela. Et vous avez noté, et nous aussi, que le Medef, vous le rencontrez le 29, c'est-à-dire dans cinq jours, et que vous voulez, là aussi, que cela s'enclenche. Dernière question : dans quelques jours, trois semaines à peine, il y a votre congrès. Beaucoup de choses sont sans doute renvoyées au congrès qui va avoir lieu, à Grenoble. Que va-t-il en sortir ? Que voulez-vous qu'il en ressorte ?
R- Nous, on veut, avec les militants CFDT, se poser les questions, comme se les posent les salariés. C'est-à-dire, de dire : voilà les réponses que l'on veut vous donner, sur quatre sujets principaux...
Q- Non, vous allez donner les réponses ?
R- Oui, mais le problème est : est-ce que l'on aborde maintenant le problème du contrat de travail dans notre pays ? Est-ce que l'on aborde le problème des services publics, de l'utilité, de l'efficacité des services publics ? Est-ce que l'on aborde le problème des retraites pour 2008, dans quelles conditions fait-on encore évoluer notre système social sur les retraites ? Est-ce que l'on pose le problème de la représentativité des syndicats ? On ose, la CFDT, on ose se remettre en cause, poser des questions que se posent les salariés pour leur amener des réponses, et ainsi participer au débat démocratique dans notre pays.
Q- D'ici à 2007, pendant la campagne électorale.
R- Oui, mais ce sont les questions que tout le monde, que tous les salariés vont se poser pour les quatre ans qui viennent.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 mai 2006