Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les enjeux technique, pédagogique, scientifique et intellectuel de la "révolution" numérique à l'université, Paris le 23 mai 2006.

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Circonstance : Colloque "L'université à l'ère du numérique" à Paris le 23 mai 2006

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs d'administration centrale,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais saluer pour commencer le Professeur Albert-Claude Benhamou, qui préside le comité de pilotage du colloque. Chacun sait, Monsieur le Professeur, votre implication dans la cause de l'université numérique, notamment en votre qualité de directeur de la première d'entre elles, l'Université médicale virtuelle francophone.
Grâce à vous, ce colloque est une vraie réussite. J'imagine d'ailleurs combien l'organisation d'un tel événement a dû solliciter votre ténacité et votre force de persuasion ! Aujourd'hui, nous pouvons tous vous en remercier.
On parle volontiers de « révolution numérique », et ce terme, un peu galvaudé peut-être, est cependant tout à fait juste.
Car il s'agit bien d'une révolution.
L'humanité a déjà connu des révolutions dans la transmission des savoirs, quand elle est passée de la parole à l'écriture, de la copie à l'imprimerie.
Mais jamais encore nous n'avions assisté à un bouleversement aussi complet, radical et rapide.
Ce bouleversement touche naturellement l'université, lieu même de la production et de la transmission des savoirs fondamentaux.
Au cours de ce colloque, de nombreuses tables rondes ont permis, ou vont permettre, à des conférenciers prestigieux d'apporter leur vision des rapports entre l'université et le monde numérique.
Le sujet est naturellement très riche, et je n'ai pas l'ambition de vouloir tout dire, d'autant que François Goulard a déjà abordé hier ces questions. Je voudrais me limiter à souligner trois enjeux majeurs :
- l'enjeu technique ;
- l'enjeu pédagogique,
- et enfin l'enjeu intellectuel et scientifique.
1. L'enjeu technique.
L'enjeu technique, tout d'abord.
Il se formule dans des termes finalement assez simples : le train de la révolution numérique est désormais lancé à grande vitesse. Et c'est un train dont la vitesse croît sans cesse.
Pour nous, il est donc impératif de suivre la cadence des progrès, car la course numérique est une course où les écarts se creusent sans cesse. Et ceux qui restent à la traîne sont condamnés à des efforts de plus en plus grands pour rattraper leur retard !
Le premier enjeu, c'est donc de faire en sorte que nos établissements d'enseignement supérieur soient correctement équipés, afin que les étudiants puissent rester dans la course.
Bien des progrès restent à accomplir. Mais il serait injuste de ne pas reconnaître les avancées qui ont été faites partout. Car elles sont tout à fait considérables.
D'abord, nous avons aidé les universités à accélérer la couverture du réseau sans fil : nous sommes passés de quelques bornes il y a deux ans à plus de 5 000 bornes !
Désormais, dans plus de 70 % des sites universitaires, les étudiants peuvent facilement accéder au réseau depuis leur micro-ordinateur portable.
Par ailleurs, l' équipement des étudiants a plus que triplé en 18 mois ! Nous le devons au succès de la campagne nationale du « Micro portable étudiant » (MIPE), qui a touché 600 000 étudiants sur les campus, et leur a permis de s'équiper à moindre coût.
28 % des étudiants sont désormais équipés, alors qu'ils n'étaient que 8 % en 2004, au lancement de l'opération.
C'est un progrès technique, mais aussi social, qui permet de remédier à la « fracture numérique », qui sépare trop souvent encore ceux qui peuvent avoir accès à l'équipement et aux ressources informatiques de ceux qui en sont financièrement exclus.
Vous le voyez : pour le réseau sans fil, comme pour le micro-portable étudiant, nous avons donc connu de beaux succès.
Je signale d'ailleurs que nous les devons à l'implication des personnels enseignants et administratifs des universités.
Je sais qu'ils sont très mobilisés pour faire en sorte que l'équipement numérique des établissements soit rapidement amélioré. D'ailleurs la rapidité avec laquelle le réseau sans fil s'est propagé dans l'université montre qu'à l'évidence, il y avait dans les universités une attente importante, mais aussi une volonté résolue de progresser !
2. Un enjeu pédagogique
J'en viens à l'enjeu pédagogique, qui n'est pas moins important que l'enjeu technique.
Et il me semble évident que la révolution numérique nous pose à nous tous, hommes politiques, parents, professeurs, un problème pédagogique.
Car il faut que les jeunes qui entrent à l'université soient déjà correctement préparés à faire un bon usage des outils numériques. C'est dire que la révolution numérique à l'université doit se préparer en amont, dans les esprits !
Vous le savez sans doute, l'Education nationale réalise, elle aussi, une sorte de révolution : elle est en train de définir, dans un texte unique, l'ensemble des savoirs et compétences que tout élève devra posséder à sa sortie du système scolaire.
Cela peut sembler évident. Et pourtant, cela n'avait jamais été fait depuis Jules Ferry !
Eh bien, nous avons inscrit dans ce « socle commun de connaissances et de compétences », la maîtrise des techniques de l'information et de la communication. Cela signifie que la maîtrise des nouvelles technologies numériques devient un des piliers du socle des connaissances fondamentales, au même titre que la maîtrise d'une langue étrangère ou que les principaux éléments de mathématiques. Cela veut dire aussi que l'Education nationale va s'engager sur des objectifs précis, détaillés dans le texte du Socle.
Le Brevet informatique et internet (ou B2i) est déjà largement répandu au collège. Il deviendra obligatoire aux épreuves du Brevet des collèges dès 2007.
Le but, c'est donc de faire en sorte que nos enfants maîtrisent le plus tôt possible le monde du numérique, pour faire en sorte qu'ils arrivent à l'université avec une pratique solide et déjà bien éprouvée.
Maîtriser signifie d'abord utiliser de façon plus efficace , notamment grâce à une meilleure connaissance des logiciels.
Mais maîtriser signifie aussi, et surtout, utiliser de façon réfléchie !
Or maîtrise technique et maîtrise intellectuelle peuvent ne pas se recouper.
Vous pouvez être un virtuose dans l'usage des logiciels et être littéralement perdu dans Internet !
Car sur la « toile » circulent des informations de qualité très diverse !
Articles scientifiques, journaux intimes, rumeurs, opinions, tout tend à se confondre dans un même flux accessible de partout.
Et pour filer la métaphore liquide, je dirais que ce flux risque de noyer ceux qui n'ont pas de repères intellectuels suffisamment solides. C'est un risque auquel les plus jeunes sont exposés , mais aussi les étudiants, s'ils n'ont pas bien été formés.
C'est pourquoi il convient que nos jeunes acquièrent aussi tôt que possible la capacité à faire un usage critique des ressources numériques. Et par usage critique, je veux dire un usage discriminant, sélectif .
Pour parvenir à ce résultat, il faut donner aux jeunes les moyens d'identifier les sources d'information fiables, au sein de l'océan d'informations dans lequel nous immerge une simple connexion informatique.
A ce niveau, les enseignants jouent un rôle crucial. Ce sont eux en effet qui peuvent guider l'élève ou l'étudiant dans le monde de l'Internet, et lui donner les repères lui permettant d'exercer son esprit critique.
Mais pour cela, encore faut-il que l'enseignant soit lui-même de plain-pied avec l'élève dans l'univers numérique !
L'utilisation des TIC doit donc faire partie des savoir-faire de base de l'enseignant.
Actuellement la formation des enseignants est en cours de redéfinition.
J'ai demandé que le nouveau cahier des charges de la formation des enseignants prenne en compte les TIC. Elles pourront ainsi entrer dans le champ des compétences validées à la fin de la formation initiale des professeurs stagiaires.
J'ajoute que le ministère travaille à la constitution d'une banque de données utilisable par les professeurs pour la préparation de leurs cours. Nous l'avons appelée « Espace numérique des savoirs ».
Ses utilisateurs pourront y récupérer un extrait littéraire, une carte géographique, une reproduction doeuvre d'art, et l'inclure dans un cours, dans une présentation numérique, etc.
Ainsi accompagnés par des maîtres qui savent eux-mêmes se servir des ressources numériques, les jeunes pourront rapidement faire la part entre les sources fiables et les sources douteuses.
3. Un enjeu scientifique et intellectuel
J'en viens pour finir à l'enjeu scientifique et intellectuel.
Car si l'éducation doit faire de nos jeunes des utilisateurs éclairés du monde numérique, il faut encore qu'ils puissent y trouver des sources fiables d'information et de connaissances.
Et c'est ici que l'université doit pleinement assumer sa vocation à être le lieu par excellence du savoir.
La révolution numérique a créé un nouveau monde, le monde virtuel. Et de même qu'elle est le lieu des savants dans le monde des hommes, l'université se doit d'être le lieu du savoir dans le monde virtuel.
Car l'université est un repère, une référence. Et le monde virtuel a besoin de ces repères, de ces références, tout comme le monde des hommes a besoin des professeurs et des savants.
C'est pourquoi l'université, ce lieu des savoirs, doit aussi exister en tant que tel dans l'univers virtuel.
On vous a déjà sans doute parlé des universités numériques thématiques. Leur utilité première est naturellement de fournir aux étudiants des cours en ligne.
Et je me félicite que nous puissions compter d'ores et déjà sur 6 universités numériques, qui couvrent à peu près l'ensemble du champ scientifique. Je salue d'ailleurs spécialement celle dont a la charge le Professeur Benhamou, l'Université médicale virtuelle francophone, dont les contenus sont d'ores et déjà très riches.
Mais si les usagers naturels de ces universités virtuelles sont les étudiants, je crois cependant que les universités virtuelles, et plus généralement les sites internet des universités ont une mission bien plus importante : celle de devenir des lieux de référence pour tous ceux qui sont à la recherche d'une information précise, scientifique, fiable.
Et ce peut être chacun de nous !
Je voudrais citer une anecdote qui va peut-être vous faire sourire.
Un professeur d'université canadien m'a raconté qu'elle avait un jour reçu un mail d'un élève de terminale. Il lui expliquait qu'il avait un devoir à écrire, et comme il avait vu que ce professeur faisait un cours de doctorat sur le même sujet, il venait lui demander quelques « tuyaux », comme on dit !
Au fond, cet élève, un peu audacieux peut-être, avait eu un réflexe assez sain ! Il avait besoin d'une information précise, et sérieuse. Et il a donc regardé du côté de l'université, dont il pensait qu'elle était le lieu le plus indiqué pour la trouver !
Eh bien, je pense que l'université doit affirmer son statut de lieu numérique de référence , que ce soit à destination des étudiants, mais plus généralement pour tout un chacun !
Ce qui passe naturellement par un développement des sites, des contenus en ligne.
Il est nécessaire de préserver des lieux de savoir au milieu de l'agitation du monde. Mais, il est non moins nécessaire que des lieux virtuels de savoir existent et se développent à l'écart du bruit de fond de l'océan d'Internet. Et les universités ont tout naturellement vocation à être de tels lieux !
Mesdames et Messieurs,
Je n'aurai pas la prétention de vouloir développer des considérations plus techniques sur un sujet dont les meilleurs spécialistes mondiaux vous ont ou vont vous entretenir.
Je voudrais juste ajouter un mot pour finir.
La révolution numérique touche naturellement l'université, mais plus généralement tout le système éducatif . C'est une question qu'il fait traiter dans son ensemble. Et c'est pourquoi il nous faut agir à tous les niveaux.
Vous l'avez compris, nous y travaillons, et, avec votre contribution, nous bâtirons une école et une université plus modernes !
Je vous remercie.
Source http://www.education.gouv.fr, le 24 mai 2006