Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Commissaire,
Chers collègues,
Avec ma collègue espagnole, Carmen Calvo, et mon collègue hongrois, Andras Bozoki, je voudrais vous inviter à vous joindre à une initiative qui vise à créer une liste du " Patrimoine de l'Europe ".
Il s'agit de doter l'Union européenne d'un label européen du patrimoine, sur le modèle du patrimoine mondial de l'UNESCO, qui a rencontré le succès que vous connaissez.
Nous proposons d'instituer une inscription commune des hauts lieux de mémoire et de création, des sites et des monuments emblématiques de l'identité européenne sous tous ses aspects - qu'ils évoquent les souvenirs les plus tragiques ou les moments les plus heureux de l'histoire européenne, qu'ils soient rattachés à notre passé commun ou qu'ils représentent l'avenir que nous bâtissons ensemble.
Nous croyons à la valeur pédagogique du patrimoine. Parce qu'un lieu parle à tout le monde. Parce que diriger l'attention de nos concitoyens sur un site ou un monument, c'est faire prendre conscience au public le plus large de ce qui relève d'un esprit européen, d'un esprit de famille, d'une familiarité indéfinissable que l'on retrouve par-delà les fiertés nationales et les racines locales qui sont légitimes et qu'il convient d'honorer.
En créant ce label européen du patrimoine, nous souhaitons lancer une aventure commune, qui amène les élus, les associations et les citoyens, les spécialistes et les médias, à se mobiliser pour obtenir cette forme de reconnaissance et à réfléchir sur ce qui est proprement européen dans un lieu comme dans une fraction de la mémoire qu'ils détiennent.
Nous avons aussi à l'esprit des objectifs pratiques qui nous intéressent tous autour de cette table.
D'abord améliorer l'attractivité de nos territoires en développant le tourisme culturel. Notre idée est simple : ce label, nous espérons le voir figurer dans des guides touristiques. Nous espérons que ces guides et que les panneaux de visite ménageront des encarts sur le caractère proprement européen d'un monument ou d'un lieu de mémoire. En faisant figurer en encart le drapeau européen, ou un logo européen, sur un prospectus ou sur un site Internet, nous ferons oeuvre utile pour la conscience européenne.
Autre objectif pratique, ce label européen du patrimoine pourra être mis au service de projets scientifiques de qualité. Une condition de délivrance pourrait être que les gestionnaires des sites s'engagent dans une démarche de qualité d'accueil, de conservation et de restauration, en veillant à promouvoir le multilinguisme.
Enfin, cette inscription sera pour nous, ministres de la culture, une façon de peser ensemble au sein du processus de décision communautaire. Parce que nous pourrons nous rattacher à une initiative médiatique. Parce que la délivrance de ce label sera pour chacun d'entre nous un argument pour revendiquer dans nos pays une part accrue de fonds structurels. Parce qu'il reviendra nécessairement aux ministres de la culture de prendre ensemble, à l'unanimité, les décisions de classement qui seront des décisions éminemment politiques. Vous le savez, ce qui concerne le patrimoine est sensible. Classer le pont de Mostar, une synagogue, une église, une mosquée, un café révolutionnaire, un ancien poste-frontière, un champ de bataille ou une usine qui vibre encore des luttes sociales, ce sont des décisions politiques qu'il nous appartiendra d'assumer. Ce label sera un moyen efficace pour ce Conseil d'exister dans le concert européen.
Nous devrons être exigeants mais ouverts, afin de nous adresser à toutes les dimensions de l'identité européenne, pourvu que soit respecté le critère d'une relation physique avec un lieu.
Il pourra s'agir de l'Europe de l'art de vivre, celle des bains de Karlsbad et des bains Gellert, comme celle des thermes romains, celle des vignobles de la Moselle comme des vignobles de Porto ou de Jerez, celle des cristalleries de Bohème et de la porcelaine de Saxe, celle des cafés, qui d'après George Steiner décrivent les contours de l'Europe : Café Gerbault à Budapest, Café Demel à Vienne, Café Carul Cu Bere à Bucarest.
Mais nous pourrions aussi penser à l'Europe des projets, des plus contemporains comme le tunnel sous la Manche, le site de lancement d'Ariane, le pont-tunnel Copenhague-Malmö, aux autres plus anciens comme l'Orient-Express, la gare ferroviaire d'Helsinki, les Docks de Londres, les studios de Babelsberg, pour ne citer que ces quelques exemples.
L'Europe de l'esprit, celle qui a fait la pensée européenne avec les temples du savoir que sont nos grandes universités : Université Humboldt à Berlin, Université d'Oxford, Université de Cordoue, Université de Tartu (Estonie), Trinity College à Dublin, Université d'Uppsala en Suède ; et les lieux de mémoire de nos grands penseurs : maisons de Schiller à Weimar, maison de Voltaire à Ferney - qu'on appelait l'Auberge de l'Europe - maison de Goethe à Francfort, maison de Pessoa à Lisbonne et maison de Kafka à Prague.
L'Europe de la création, celle des artistes et des oeuvres : Maison de Beethoven à Bonn, maison de Mozart à Salzbourg, maison de Rubens à Anvers, Kronborg Slot qui fut le cadre de la tragédie d'Hamlet.
L'Europe du sacré, nos cathédrales, nos églises, nos monastères, nos synagogues et nos mosquées.
L'Europe des marchands et des industriels, avec les villes de la Hanse, les villes de foire du Moyen-Age comme Troyes dans mon pays, les friches industrielles de Glasgow, la Ruhr, la City, Venise, le Pirée.
L'Europe des batailles et de la réconciliation, qu'il s'agisse des plages du débarquement, du champ de bataille de Verdun, des camps de concentration, comme des lieux où l'on a su construire la paix : je pense aux premiers points de rencontre qui ont vu se rencontrer, lors de la chute du rideau de fer, les premiers gouvernements libres des deux parties de l'Europe enfin réconciliée.
Enfin et bien sûr, l'Europe de l'architecture et des styles, à laquelle on pense d'emblée : Europe romane, Europe gothique, Europe baroque, Europe classique, Europe de l'Art nouveau et du Mouvement moderne.
Pardonnez la longueur de cette énumération. Elle n'a d'autre but que de vous montrer que nous pouvons tous prétendre, à un titre ou à un autre, nous inscrire dans cette démarche sur un pied d'égalité. Car nous disposons tous d'une parcelle de la mémoire et de l'avenir de l'Europe.
Ce projet est ouvert à tous. Je forme des voeux pour que tous le rejoignent. Nous pouvons sans coût et sans structures supplémentaires, en utilisant nos administrations nationales et en mettant nos experts autour d'une table, nous mettre d'accord chaque année sur quelques dizaines de dossiers.
Conformément au principe de subsidiarité, chaque Etat membre devra pouvoir s'organiser selon sa structure administrative pour les propositions de sélection. Ce label n'aura notamment pas pour objet de substituer au réglementations nationales qui instituent des procédures de classement contraignantes.
Au plan intergouvernemental, les ministres chargés de la culture des Etats membres qui se joignent à cette initiative, ou leurs représentants, établiront les critères de sélection des sites et monuments qui seront soumis par chaque Etat membre. Ils décideront à l'unanimité de leur inscription sur une liste du patrimoine historique de l'Europe.
Avec mes collègues espagnol et hongrois, je vous invite, si vous voulez participer concrètement à cette initiative, à envoyer vos collaborateurs à Paris le lundi 10 juillet afin d'adopter les critères de sélection des sites et règles de procédures. Avec mes collègues espagnol et hongrois nous nous sommes entendus sur un premier projet qui servira de base à la discussion. Vous en avez reçu copie.
Notre objectif est de mettre au point, d'ici la fin de l'année 2006, une première liste illustrative de sites et monuments pour les Etats membres qui participeront à cette coopération.
J'espère que nous pourrons progresser, avec l'appui bienveillant de la présidence finlandaise, dans la définition d'un corpus commun, représentatif d'une identité européenne respectueuse des identités nationales et régionales.
Je crois que nos citoyens attendent de notre part des initiatives concrètes de ce type.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 30 mai 2006