Conférence de presse de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur les relations franco-tunisiennes, la coopération militaire entre les deux rives de la Méditerranée et les grands dossiers de politique étrangère, à Tunis le 2 juin 2006.

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Circonstance : Déplacement en Tunisie, le 2 juin 2006

Texte intégral


Mesdames,
Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse d'être une nouvelle fois en Tunisie à titre officiel puisque c'est mon deuxième voyage dans ce pays comme ministre de la Défense.
Les relations en matière de défense entre la Tunisie et la France sont extrêmement anciennes mais elles sont encore plus importantes aujourd'hui, compte tenu de la situation stratégique mondiale et également du fait que nos deux pays, proches par bien des éléments de principes, de valeurs, de développement commun et d'amitié, sont également soumis aux mêmes risques.
Ces risques, vous les connaissez : le risque du terrorisme, qui a frappé le territoire tunisien comme il a frappé le territoire français ; le risque de la prolifération des armes de destruction massive qui menace tous les pays, surtout si ces armes devaient un jour être associées à des actions terroristes ; le risque des crises multiples qui agitent notre monde. Des crises récurrentes mais qui se développent de plus en plus sur le continent africain, au Moyen-Orient, en Asie centrale, aux frontières de l'Europe, notamment dans les Balkans. Depuis la fin de la guerre froide, alors que nous espérions tous toucher les dividendes de la paix, nous constatons au contraire que nous recevons de plein fouet la multiplication de ces crises.
Face à cela, la Tunisie et la France ont besoin d'unir leurs forces, à la fois dans un cadre bilatéral - qui est le cadre le plus normal en raison des relations étroites et de confiance qui existent entre nos deux pays - mais également pour essayer de réunir, à leurs côtés, d'autres pays afin de démultiplier les capacités de protection de nos concitoyens contre les risques que je viens d'évoquer.
C'est l'ensemble de ces sujets qui étaient à l'ordre du jour de la rencontre que j'ai eue ce matin avec mon collègue et ami le ministre tunisien de la Défense, et de celle que j'ai eue avec le président Ben Ali qui m'a fait l'honneur de m'accorder une longue audience. Nous avons donc évoqué les relations bilatérales, notamment le développement des actions de formation, d'entraînement, d'échanges et d'équipement entre les armées tunisienne et française.
Nous avons aussi évoqué les actions menées dans le cadre du "5+5" en matière de défense. Vous le savez, c'est une initiative que j'ai prise au mois de décembre 2004 et qui relie les cinq pays du Sud de l'Europe - le Portugal, l'Espagne, la France, l'Italie et Malte - et cinq pays du Sud de la Méditerranée - la Tunisie, la Libye, l'Algérie, le Maroc et la Mauritanie. Dans le cadre de ce "5+5 défense", nous envisageons des actions et un renforcement de nos moyens en commun, notamment des exercices dans le domaine maritime dont le but est de lutter contre divers trafics, contre l'immigration clandestine, d'être à même de lutter contre un certain nombre de catastrophes naturelles en renforcement des actions de la sécurité civile et de lutter éventuellement contre les pollutions.
Ce que nous voulons également mettre sur pied - et la Tunisie joue un rôle majeur en la matière - c'est un Centre d'études stratégiques qui permettrait de développer une culture de défense commune entre les officiers des armées de ces différents pays. Nous voulons également créer un centre qui pourrait servir d'apprentissage pour le déminage et pour l'élimination des armes anciennes que l'on trouve encore dans tous nos pays et qui, malheureusement, font toujours des victimes. Je sais que cela a encore été le cas en Tunisie, il y a quelques semaines.
C'est donc une action très importante qui, en l'espace de dix-huit mois, a vu une vraie mobilisation et dans le cadre de laquelle la Tunisie joue un rôle important pour rassembler les intervenants, trouver un consensus et permettre à l'ensemble des pays du Maghreb de travailler ensemble, en même temps qu'ils travaillent avec les pays du Sud de l'Europe.
Avec le président Ben Ali, nous avons évoqué la situation d'un certain nombre de pays qui sont en crise en Afrique et au Moyen-Orient : son analyse est particulièrement intéressante. En effet, l'intérêt des relations de confiance aussi étroites que celles qu'il peut y avoir entre la France et la Tunisie, c'est aussi de bénéficier de l'analyse d'amis qui, dans le même temps, ont une sensibilité ou une connaissance plus proche d'un certain nombre de pays et qui peut nous permettre ainsi d'enrichir notre propre réflexion stratégique.
Je vous remercie.
Q - Le 5+5 est plutôt un processus politique dépourvu de mécanismes. Est-ce qu'il y a au moins des éléments nouveaux dans le domaine de la défense, un mécanisme, des structures, un budget, un plan d'action ?
R - Dans ce cadre là, il y a une structuration, c'est-à-dire qu'il existe un comité qui réunit les hauts responsables des armées. Puisque c'est la France qui, après l'Algérie, préside cette année ce 5+5, le prochain comité aura lieu au mois de novembre, à Paris. Ensuite, il y aura la réunion des ministres au mois de décembre.
Dans les choses très concrètes, il y a notamment les exercices maritimes. Il y a déjà eu un premier exercice avec des échanges d'officiers sur les bâtiments qui ont participé. Il y a également ce projet de Centre d'études stratégiques, à l'initiative de la Tunisie, qui pourrait fonctionner dans un premier temps un peu comme le modèle des études Erasmus, c'est-à-dire des échanges et la capacité pour les officiers de faire une partie de leurs études dans les centres de formation des autres pays, mais avec une marque au sol, comme on dit dans le domaine militaire, qui serait en Tunisie. La France, pour sa part, a dit qu'elle était prête à participer au financement de cette opération à raison de 500 000 euros par an pendant trois ans. C'est donc quelque chose de particulièrement significatif. C'est une opération qui pourrait, si tout le monde en était d'accord et je sais que la Tunisie prend un certain nombre d'initiatives en ce sens, se mettre sur pied à partir de 2007.
Ce sont là des choses extrêmement concrètes et nous allons voir à l'occasion du prochain comité directeur et à l'occasion de la prochaine rencontre des ministres, les nouveaux exercices qui pourraient avoir lieu dans le domaine maritime mais je souhaiterais qu'il puisse aussi y en avoir dans le domaine aérien.
Q - Votre visite a pour objectif le lancement d'un centre de communication militaire. Pourrait-on avoir une idée de l'utilité de ce centre ?
En deuxième lieu, pourrait-on avoir des éléments concrets sur ce que vous avez convenu avec la partie tunisienne concernant la lutte contre le terrorisme ?
R - En ce qui concerne le centre de communication, c'est un élément important de la souveraineté des Etats que d'avoir la faculté de communiquer en toute sécurité dans des domaines sensibles. Quand je dis en toute sécurité, cela veut dire en national mais également en international avec des partenaires alliés. La France aide la Tunisie à s'équiper ainsi et c'est la raison pour laquelle je vais, cet après-midi, visiter et inaugurer en partie des installations qui sont mises sur pied là-bas.
En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, nous avons, au cours des conversations que j'ai eues ce matin avec le président de la République et le ministre de la Défense, posé le principe que la lutte contre le terrorisme est une lutte globale qui n'est pas simplement militaire et policière. Elle doit également viser à faire disparaître les raisons qui sont à la base du terrorisme. Cela veut dire la participation au développement dans un certain nombre de pays - pour le domaine économique - ; la solution d'un certain nombre de conflits ou de crises - c'est le rôle des diplomates ; mais également la suppression d'un certain nombre de réseaux de financement - c'est le domaine financier. Par exemple, la lutte contre la drogue qui est menée en Afghanistan est également une façon de couper les réseaux terroristes d'un certain nombre de leurs financements.
Il y a aussi un élément de lutte contre le terrorisme qui est un élément militaire et policier. Policier, c'est à l'intérieur et militaire, c'est à l'extérieur parce nous nous rendons bien compte que, dans ce domaine, les frontières n'existent pas. C'est d'ailleurs ce qui implique aussi que les pays travaillent ensemble à la lutte contre le terrorisme. La meilleure protection de nos concitoyens contre le terrorisme, c'est la prévention, c'est-à-dire savoir le plus tôt possible ce que peuvent être les intentions des terroristes, de façon à pouvoir les déjouer.
Le renseignement joue un rôle tout à fait essentiel en la matière. Nous avons donc parlé ensemble de la nécessité de renforcer toujours davantage, même si nous sommes aujourd'hui à un très bon niveau, les échanges de renseignement que nous pouvons avoir, non seulement entre la Tunisie et la France mais aussi avec tous les autres pays qui sont concernés. Je crois que c'est là un élément important.
Deuxièmement, comme je vous le disais tout à l'heure en ce qui concerne le 5+5, la surveillance maritime est également un élément extrêmement important qui concrétise cette coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
Q - Les pays de la rive Sud de la Méditerranée que vous venez d'évoquer font partie en même temps de ce qu'on appelle le dialogue méditerranéen avec l'OTAN. On sait que des exercices se font chaque année dans ce cadre-là. Quelques observateurs considèrent qu'il existe un dialogue de proximité entre les pays méditerranéens tandis que les pays de l'OTAN sont hétérogènes et que leur dialogue est plus ou moins vague. Quel est votre commentaire sur cette différence ?
Deuxième question si vous le permettez : il y a une semaine, M. Prodi a demandé aux Etats-Unis de retirer les navires atomiques basés en Corse. Y voyez-vous un début de concrétisation de l'objectif de la France qui veut faire de la Méditerranée une mer pour les Méditerranéens ?
R - Sur les rapports entre les pays du "5+5" et l'OTAN, il est évident que la proximité immédiate entre les pays du Sud de l'Europe et les pays du Maghreb fait que des échanges ont lieu depuis très longtemps et que le dialogue se poursuit au quotidien. Il manquait peut-être, dans le domaine de la défense, une application concrète et c'est la raison pour laquelle j'ai pris cette initiative du "5+5 défense" qui vient s'ajouter à un certain nombre d'autres "5+5", simplement pour donner des applications très concrètes et très précises à ce dialogue.
Avec l'OTAN, c'est un peu différent dans la mesure où les pays sont beaucoup plus nombreux et, pour certains d'entre eux, plus éloignés géographiquement mais également culturellement et en termes d'intérêts globaux, même s'il peut y avoir des intérêts de sécurité qui sont communs. Il s'agit là de quelque chose qui me paraît assez naturel et dans lequel il ne faut pas voir une opposition entre l'action de la défense européenne et celle de l'OTAN.
Comme je le dis souvent, entre l'OTAN et l'Europe de la défense, il y a une complémentarité correspondant à une appréciation pragmatique des situations, et non pas une opposition. L'OTAN est pour nous un élément de notre protection ultime si un danger menace notre survie humaine. La défense européenne, c'est notre action au quotidien pour essayer de régler un certain nombre des conflits qui peuvent avoir des retombées négatives sur nous ou pour nous aider à nous protéger nous-mêmes contre un certain nombre de risques.
Quant à la position de M. Prodi, je vous avoue qu'elle m'a complètement échappé. Il m'est donc difficile de vous donner une interprétation dès lors que je n'en ai pas les éléments concrets. Ce n'est pas dans mon habitude de parler quand je ne connais pas bien les choses.
Q - Vous venez d'évoquer des thèmes très militaires mais vous n'avez pas parlé des sujets d'ordre exclusivement politique débattus au cours de votre visite. Il y a des hauts et des bas ; il y a quelques jours un communiqué du Quai d'Orsay n'était pas très positif vis-à-vis de certains problèmes de Droits de l'Homme. Mais vous qui vous déplacez assez souvent entre les deux pays, et comme ministre d'un gouvernement ami, sentez-vous davantage de proximité politique ?
R - Comme vous l'avez dit, je viens souvent ici en visite officielle ou privée et je ressens toujours la même proximité, renforcée encore par les risques dont nous parlions tout à l'heure et par le besoin de construire un avenir en commun, sur le plan économique mais également sur le plan culturel. Quand je viens en Tunisie, je me sens en famille et je pense que lorsque les Tunisiens viennent en France ils se sentent également en famille, quelles que soient leurs activités ou leurs responsabilités. Cela nous permet justement d'avoir des contacts et des analyses qui se font avec une grande franchise.
Vous parliez du problème des Droits de l'Homme. Je pense qu'il s'agit à la fois d'un problème d'image internationale de la Tunisie et d'un problème d'efficacité. Nous ne sommes pas très loin des problèmes qui sont les miens, d'un point de vue professionnel. Nous disions tout à l'heure que la lutte contre le terrorisme est une lutte militaire et policière pour protéger nos concitoyens mais son efficacité implique également de prendre des mesures de fond pour désamorcer tout ce qui peut favoriser le recrutement des terroristes ou la sympathie que des extrémistes ou des terroristes pourraient retrouver dans la population. Il y a donc des problèmes de développement économique, car la très grande pauvreté est un élément qui donne prétexte au terrorisme. Il est vrai aussi que certaines atteintes qui sont portées à des libertés doivent être examinées sous l'angle de leur intérêt pour la lutte contre le terrorisme mais quand on va trop loin, cela peut avoir un effet inverse et alimenter l'envie de certaines personnes de rejoindre les groupes extrémistes terroristes. C'est une analyse très difficile à faire et c'est un problème qui se pose aussi aux armées quand elles sont sur un territoire. Jusqu'où peut-on aller ? Il y a un dialogue qui s'impose à tous les pays quand on examine les phénomènes de la lutte contre le terrorisme.
Q -Vous avez parlé tout à l'heure de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Nous savons que la France présente une position ferme contre le nucléaire iranien. Peut-on savoir jusqu'où pourrait aller Paris dans d'éventuelles actions ou sanctions contre Téhéran ?
R - Ce que nous disons d'abord, c'est que l'Iran est un grand pays, de très vieille culture et de haut niveau technologique. Il est naturel que ce pays puisse utiliser l'énergie nucléaire pour son développement. C'est une préoccupation pour tous que d'envisager ce qui se passera après l'épuisement des ressources pétrolières. En revanche, ce que nous disons aussi, c'est que nous sommes extrêmement préoccupés par la prolifération nucléaire. Nous pensons qu'il serait très dangereux pour le monde que l'Iran se dote de l'armement nucléaire. Ce que nous voulons, c'est faire comprendre à ce pays qu'il peut et doit jouer tout son rôle de puissance sur le plan international mais qu'il doit respecter pour cela sa propre signature des accords internationaux contre la prolifération nucléaire.
Le sens de l'action que nous menons avec les pays européens, c'est qu'il faut obtenir ce résultat par des voies diplomatiques. Nous pensons que l'Europe, comme l'ONU, a un grand rôle à jouer pour faire comprendre à l'Iran que c'est de son propre intérêt, comme c'est de l'intérêt de tous. Lorsqu'un pays viole son engagement et sa signature, il peut y avoir à ce moment-là un certain nombre de sanctions prévues par les règles de l'ONU. Ce que nous voudrions, c'est ne pas être obligés d'en arriver là. C'est la raison pour laquelle nous essayons de tout faire pour que cette question se règle au plan diplomatique. Je pense que les décisions d'hier et l'unanimité des trois Européens, des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine sont une bonne chose qui renforce cette position.
Q - Vous avez évoqué avec les autorités tunisiennes les problèmes qui secouent la région, notamment en Afrique. Avez-vous parlé de la crise du Darfour ? On sait que l'ONU et l'Union africaine cherchent des renforts pour s'interposer. Est-ce que la France pense envoyer des soldats ?
R - Le Darfour est effectivement une de nos préoccupations, d'abord parce qu'il y a eu des massacres de populations mais également parce que la crise du Darfour a des retombées négatives sur l'ensemble de la région. Les problèmes du Tchad viennent en grande partie de la déstabilisation. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques des crises africaines et c'est la raison pour laquelle nous essayons de mobiliser l'ensemble de la communauté internationale et l'Europe sur la prévention et l'intervention en matière de maintien de la paix.
En ce qui concerne le Darfour, nous disons depuis toujours que nous devons aider l'Union africaine mais c'est l'Union africaine qui est en première ligne. Nous essayons de répondre et je rappelle que l'Union européenne est présente sur ce théâtre, en soutien, depuis longtemps. La France a un certain nombre d'officiers qui, à la demande des autorités, aident à la mise en place des moyens d'endiguer la crise et de revenir au calme. Ceci dit, nous pensons aussi que cette situation doit être réglée en premier lieu par les Africains eux-mêmes. Nous pouvons les soutenir mais nous ne voulons pas nous substituer à eux.
Le Darfour est un peu pour nous un modèle de ce que nous voulons faire. Nous ne pensons pas qu'il soit bon aujourd'hui, parce que les choses ont évolué depuis un certain nombre d'années, que les Européens ou les forces occidentales soient trop présentes et en première ligne sur les théâtres. Ce que nous voulons, c'est aider les Africains à se doter eux-mêmes de forces de maintien de la paix. C'est la raison pour laquelle la France essaie depuis plusieurs années, à travers une formule qui s'appelle "Recamp", d'aider à la formation, à l'entraînement et à l'équipement des forces d'un certain nombre de pays africains qui pourraient ainsi devenir le bras armé, en quelque sorte, de l'Union africaine.
Il y a quelques mois, j'ai obtenu de mes collègues européens que l'Europe vienne désormais en relais de la France dans cette opération "Recamp". D'ores et déjà, nous essayons de le faire. Je souhaite également qu'au-delà de l'Europe, d'autres pays puissent participer à cela. Je crois que l'Afrique en a besoin parce que nous voyons de multiples lieux où les foyers de rivalités inter-ethniques viennent déstabiliser les pays, et empêchent tout simplement les habitants de vivre normalement. Il y a un fort risque, compte tenu de la structure très ethnique de l'Afrique et du fait que les frontières ne respectent pas les ethnies, que cela joue un peu comme une tache d'huile sur l'ensemble du continent africain, ce qui pourrait entraîner des conséquences dramatiques, pour les pays d'Afrique subsaharienne bien sûr, mais également pour les pays du Maghreb et les pays européens.
Q - Je voudrais savoir ce que vous avez convenu avec les autorités tunisiennes concernant l'immigration clandestine. Ne trouvez-vous pas paradoxal, quelques jours après la distinction du film "Indigènes" au Festival de Cannes, que la France tourne le dos à ces Africains avec lesquels elle partage l'histoire ?
J'ai une deuxième question d'ordre écologique : qu'en est-il du Clemenceau ?
R - En ce qui concerne d'abord l'immigration clandestine, je crois qu'il faut avoir une vision exacte des problèmes. Il ne s'agit pas simplement de dire : on empêche des gens d'entrer sur nos territoires. Ce n'est pas cela le problème. Il faut savoir pourquoi des gens, notamment des Africains subsahariens, veulent venir sur le territoire français et européen.
Ce n'est pas parce qu'ils ont envie de quitter leur pays de gaieté de coeur. Quand vous parlez avec eux, ils vous disent qu'ils quittent leur famille, leur village, leurs amis, souvent à contre-coeur parce que c'est pour eux la seule façon de vivre. Soit ils sont menacés par des massacres, voire des génocides mais il y a alors en général un accueil politique et le problème ne se pose pas. Soit ils ne peuvent tout simplement pas vivre parce qu'ils ne peuvent se nourrir. L'immigration est simplement une façon de survivre pour eux et éventuellement pour leur famille à laquelle ils envoient un peu d'argent.
Alors la vraie question qu'il faut se poser, et qu'on ne se pose pas suffisamment dans nos pays, c'est comment faire en sorte que ces gens puissent vivre décemment chez eux. Et là, je n'entends pas tous ceux qui, la main sur le coeur, disent qu'il est scandaleux de ne pas régulariser les immigrés clandestins ou qu'il est scandaleux de les empêcher d'arriver dire : faisons en sorte que ces gens puissent vivre là où ils le voudraient, c'est-à-dire au milieu de leur famille et de leurs amis.
C'est la raison pour laquelle le président Chirac appelle depuis des années - mais je dois le reconnaître, souvent en prêchant dans le désert - à ce que les pays qui en ont les moyens aident à un réel développement des pays qui sont à l'origine de l'immigration clandestine. Le jour où les gens auront de l'eau pour avoir des cultures, le jour où ils auront des écoles, le jour où ils pourront vivre chez eux sans crainte de se faire tuer, ils n'iront pas vers l'Europe. Ou quelques-uns uns iront mais ce sera une bonne chose.
C'est d'abord comme cela que l'on doit regarder le problème de l'immigration clandestine. De la même façon que je vous disais tout à l'heure : on ne réglera pas simplement le terrorisme par des mesures militaires mais aussi en allant à l'origine du problème. Dans tout cela, il faut avoir une vision un peu plus large si l'on veut être efficace.
Deuxièmement, vous me parlez du Clemenceau. C'est un peu loin mais je pense que le problème du Clemenceau est un élément très caractéristique des attitudes a priori négatives quand certains gouvernements veulent faire quelque chose. Je constate qu'il y a chaque année des dizaines de navires qui sont abandonnés dans des fonds de ports et qui sont en train de rouiller sans que personne ne se préoccupe de la pollution pour l'environnement. Je constate que depuis des années, il y a sur des chantiers totalement incontrôlés tels que ceux du Bangladesh, d'Inde, etc, des navires qui viennent d'Europe, d'Amérique, et d'autres continents et qui sont envoyés, sans aucune dépollution préalable, pour être démantelés dans des conditions ne préservant en rien la santé des ouvriers.
La France a voulu être exemplaire. C'était la première fois, et plusieurs associations de protection de l'environnement l'ont souligné, qu'un armateur public ou privé s'occupait de dépolluer un navire avant de l'envoyer démanteler à l'extérieur. Il y a eu une campagne de presse et une campagne judiciaire menée par certaines associations pour des raisons que je préfère ne pas connaître. Je constate que les quatre instances judiciaires ont chaque fois débouté les associations. Mais il en a résulté une sorte de malentendu. Finalement, ce que nous voulions faire et qui devait servir d'exemple aux autres n'était pas connu. C'est la raison pour laquelle le président de la République a décidé de rapatrier le Clemenceau.
Il se trouve aujourd'hui dans le port de Brest et, comme je l'ai dit, j'ai décidé de tout faire en totale transparence, de façon à ce que chacun puisse voir ce que nous avions fait et le saluer comme c'est de plus en plus le cas. Mais également de façon à ce que ce que nous allons faire puisse servir de modèle, d'exemple et de démarrage d'une action pour les autres pays. Parce que sinon, d'ici dix ans, ce sont des milliers de navires pollués qui vont ainsi rouiller dans des cimetières marins et porter atteinte à l'environnement.
Aujourd'hui, le Clemenceau est à Brest. Il sera ouvert d'ici quelques jours à la presse qui pourra le visiter et qui pourra constater ce qu'il en est. Dans le même temps, j'ai déjà lancé un appel d'offres pour une expertise pour que l'on voie tout ce qui reste à bord, ce qui nous permettra ensuite de lancer à l'automne prochain un appel d'offres pour désigner les entreprises ou l'entreprise qui sera chargée du démantèlement.
Dans le même temps, nous avons des contacts avec les autres ministères de la Défense de l'Union européenne qui sont tous concernés par ce sujet. Je pense en particulier aux Britanniques ou aux Allemands qui sont extrêmement intéressés. Ensemble, nous allons essayer de voir quelle est la meilleure filière possible pour trouver une solution à ce problème qui concerne tous les pays qui ont des marines, qu'elles soient de guerre ou qu'elles soient commerciales.
Q - Je reviens sur l'Iran. En cas d'échec des démarches diplomatiques, un scénario militaire est-il prévisible comme le disent les responsables américains ?
R - D'abord les responsables américains ne disent pas cela. Les déclarations de Mme Rice qui datent d'hier matin montrent très nettement que c'est la voie diplomatique qui paraît devoir être explorée et, encore une fois, je pense que ce qui est important, c'est de réussir ce que l'on veut dans la vie. Ce que nous voulons réussir, c'est de trouver une solution par la voie diplomatique.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juin 2006