Texte intégral
Madame la Déléguée,
Mesdames, messieurs,
Le 1er mai 2004, dans son acte d'extension le plus important depuis sa création, l'Union européenne accueillait 10 nouveaux Etats membres : l'Europe de l'Est était dans sa plus grande partie réunie à l'Europe de l'Ouest. C'est une étape historique majeure de notre Union.
Ces pays et leurs ressortissants ont tous les droits associés à la qualité d'Etats membres et de citoyens européens : intégration des Etats à toutes les instances de délibération et de décision, droit de leurs ressortissants à la libre circulation et l'établissement dans l'Union.
Dans le domaine du travail et de l'emploi, il reste cependant une étape à franchir : le libre accès des ressortissants des nouveaux Etats membres aux marchés du travail des 15 Etats accueillants.
Avant d'entrer dans ce sujet, je voudrais faire deux remarques préliminaires :
- il ne s'agit pas ici d'un débat sur l'immigration, puisque ces ressortissants sont européens et ont droit, à terme, à cet accès. C'est tout au plus un problème de phase transitoire.
- il faut également éviter la confusion avec la question du détachement de salariés étrangers dans le cadre de la prestation de services ; cette question relève de la directive sur les services. C'est un point important mais distinct de la libre circulation des travailleurs.
En ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, au moment de cet élargissement de l'Union européenne, les 15 Etats accueillants ont vu s'ouvrir une période transitoire de 7 ans - de 2004 à 2011, décomposée en trois phases - pour ouvrir leur marché du travail aux ressortissants des pays entrants.
La France a décidé, à l'instar d'ailleurs d'une majorité des 15 Etats membres accueillants, d'utiliser la faculté offerte par les actes d'adhésion de maintenir l'application de sa législation nationale en matière d'accès à l'emploi salarié pendant cette période transitoire. Cela veut dire qu'à l'heure actuelle, notre pays exige des ressortissants des nouveaux Etats membres, tout comme de ceux des pays tiers, une autorisation à toute demande de travail en France, avec la faculté d'y opposer le cas échéant la situation de l'emploi.
Mais nous arrivons à la deuxième étape de la transition qui va commencer le 1er mai 2006 et nous devons prendre une nouvelle décision.
Le gouvernement français avait à choisir entre trois possibilités pour cette nouvelle étape :
- soit maintenir les dispositions actuelles : régime d'autorisation de travail avec possibilité d'opposer la situation de l'emploi comme pour les ressortissants des Etats tiers.
- soit ouvrir complètement notre marché du travail : c'est ce qu'attendent les gouvernements des pays nouveaux. C'est également la position de la Commission européenne. C'est la position qu'ont adoptée la Finlande, l'Espagne, le Portugal, ainsi que les Pays-Bas à partir du 1er janvier 2007, qui vont ainsi rejoindre les 3 pays qui avaient déjà ouvert (Royaume-Uni, Irlande, Suède).
- soit ouvrir une troisième voie, médiane, fondée sur une ouverture progressive. Dans une telle hypothèse, la période transitoire est juridiquement maintenue mais l'accès au marché du travail repose sur un assouplissement de certaines conditions de la délivrance de l'autorisation de travail.
Avant de prendre sa décision notre pays a pris en compte les considérations suivantes :
1/ Le souci que l'ouverture se fasse en cohérence avec notre politique d'emploi qui vise d'abord à mobiliser les ressources disponibles sur le marché national. Nous disposons de gisements d'emplois importants :
- un taux de chômage élevé que nous devons réduire ;
- des taux d'activité et d'emploi au dessous de la moyenne communautaire qu'il nous faut améliorer ;
- une démographie plus dynamique que la plupart des autres pays européens qui requiert moins l'appel à la main d'oeuvre étrangère.
Mais nous savons aussi, comme l'ont montré les pays qui ont ouvert, qu'une offre de travail extérieure contribue au développement de la croissance car elle est créatrice d'activités, de richesse et donc d'emplois. Pour en bénéficier pleinement, il faut qu'il y ait synergie entre notre politique d'emploi et cet apport extérieur.
2/ La deuxième considération est le souhait de notre pays de développer sa coopération avec les nouveaux entrants et il est évident que nous devons en tout état de cause affirmer à l'égard de leurs ressortissants notre solidarité communautaire.
L'attente est forte du côté des nouveaux Etats membres.
Les ministres, les dirigeants ou les ambassadeurs de ces pays que j'ai rencontrés m'ont fait part de leur sentiment. Bien sûr ils souhaitent que nos marchés du travail soient ouverts à leurs ressortissants. Mais ils ressentent surtout une sorte de discrimination de la vieille Europe à leur égard comme s'ils n'étaient pas vraiment membres du club.
Gabor Czsimar, le ministre du travail hongrois, au titre de Président du groupe des 4 pays de Visegrad, m'a transmis la déclaration de ces pays en faveur de la libre circulation des travailleurs au 1er mai 2006.
3/ La troisième considération est la volonté d'ouverture de nos compatriotes eux-mêmes. Contrairement aux perceptions trop souvent répandues les Français ne sont pas fermés aux nouveaux Etats membres. J'en veux pour preuve les consultations que j'ai conduites aussi bien avec les partenaires sociaux qui ont plaidé ensemble l'ouverture lors d'un comité pour les questions européennes et internationales le 3 mars qu'avec les parlementaires des deux délégations européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat que j'ai rencontrés en février.
Le 13 mars, lors d'un Comité interministériel réservé aux questions européennes, le gouvernement a choisi la voie médiane d'une ouverture progressive et maîtrisée. La levée des restrictions concernera en priorité certains métiers connaissant des tensions de recrutement.
Nous sommes en ce moment même dans le processus d'affiner la liste des métiers pour lesquels ne sera plus opposée la situation de l'emploi lors de la délivrance de l'autorisation de travail en France. Cette liste est globalement construite à partir du critère suivant : elle retient les métiers ayant un indicateur de tension égal au moins à 1. En clair il s'agit de ceux où les offres d'emploi sont égales ou supérieures aux demandes. On y trouve des métiers des secteurs BTP, hôtels, cafés, restaurants, de l'agriculture de certains autres secteurs. Les modalités de cette levée des restrictions seront concertées avec les partenaires sociaux.
Cette nouvelle situation va devoir être gérée par les services de main d'oeuvre étrangère de nos directions départementales en ayant à l'esprit que la liberté complète d'accès au marché du travail est programmée à terme de 3 ou 5 ans maximum à l'ensemble des ressortissants des nouveaux Etats membres. Cette gestion devra être conduite avec attention en mettant en place un suivi statistique très régulier pour surveiller les flux. D'autre part, il conviendra d'examiner les demandes avec célérité et compréhension sinon notre volonté d'ouverture serait critiquée et contestée. Nous devons vraiment réussir cette transition avant de passer à l'ouverture totale dans quelques années.
L'élargissement de l'espace européen à des pays aux situations économiques et sociales très différentiées fait ressurgir les craintes liées aux délocalisations d'entreprises, à la concurrence inégale voire au développement du travail illégal.
Nos concitoyens doutent de l'Europe. Ils doutent de sa capacité à affronter ces défis sans qu'il soit porté atteinte aux piliers fondamentaux de la solidarité et de la cohésion sociale. La crainte qu'ils ont pu exprimer n'est pas celle de l'étranger mais celle de voir remis en cause, par une concurrence qui reposerait sur le dumping social d'un travail bon marché, leur système de conditions de travail et de protection sociale.
L'enjeu consistant à faire de l'Europe à 25 un espace de solidarité et de progrès est aujourd'hui plus important que jamais. Pour ma part, je suis confiant dans notre capacité à relever ce défi. Mais cela demande un débat sur l'Europe que nous voulons.
Si le principe de liberté du marché intérieur est au coeur de l'Europe, rappelons que le principe de l'harmonisation dans le progrès social est tout aussi fondamental à sa construction. Il est dans la matrice originelle de l'Europe, et je voudrais faire ici trois propositions pour que nous le faire progresser.
La première est qu'il est aujourd'hui indispensable de consolider le socle législatif social qui a été construit - véritable code du travail européen en devenir - avec pour base un ensemble de directives.
Les directives, notamment sur la protection de la santé et de la sécurité au travail, sur le temps de travail, doivent garantir à tous les salariés de l'Union une protection minimale décente. Tel est le sens de mon engagement.
La deuxième proposition est que nous devons bâtir un marché des services qui respecte notre modèle social.
La première version de la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur présentée en janvier 2004 par la Commission avait fait l'objet de multiples critiques. Les opinions publiques y ont vu l'outil de mise en place d'une Europe ultra libérale et peu soucieuse de ses valeurs sociales ; elles l'ont largement rejetée.
Ces critiques ont été entendues par le Parlement européen dont je voudrais saluer ici le travail remarquable qui a abouti au vote du 16 février d'où est issu un tout autre texte.
Le texte du Parlement fait de la dimension sociale un moteur du fonctionnement du marché des services. La libre prestation de services doit respecter les règles du détachement des travailleurs qui garantissent l'application du droit social du pays d'accueil.
Aujourd'hui, la nouvelle proposition de la commission s'inspire largement de ce vote. Elle va être examinée maintenant dans le cadre du Conseil. La remise à plat demandée par la France est bien engagée.
Enfin, et c'est ma troisième proposition, je souhaite que nous nous engagions avec nos partenaires européens dans des accords bilatéraux de coopération entre inspections du travail et autorités administratives pour mieux coordonner nos actions et les échanges d'information de manière à assurer la parfaite légalité au regard du droit du travail et de la sécurité sociale des mouvements des travailleurs et des prestations de services.
Il nous faut veiller avec détermination à ce que les travailleurs qui viennent en France s'employer auprès d'une entreprise française ou ceux qui y viennent en détachement pour effectuer une prestation de service pour le compte d'une entreprise d'un autre pays européen, le fassent dans les conditions de protection auxquelles ils ont droit.
C'est pour les ministres du travail des pays européens un objectif commun. Ensemble, nous devons assurer un ordre social européen. Et nous devons le faire savoir. C'est la démarche que je propose à mes homologues des pays des nouveaux Etats membres de l'est européen.
Si je voulais résumer ces réflexions et cette démarche, je dirais qu'elles visent à bâtir la confiance de nos peuples dans l'Europe, la faire avec eux, pas sans eux.
Faire grandir la confiance de nos propres concitoyens dans l'idée que nous pouvons intégrer dans notre marché nos amis de l'Est par un processus progressif, contrôlé et mutuellement profitable.
Faire grandir la confiance des ressortissants des nouveaux membres que l'Union européenne contribue à leur développement économique et social comme elle l'a fait pour l'Irlande, l'Espagne, le Portugal dont le rattrapage est un véritable succès à mettre au crédit de l'Europe.
Il est donc important que le débat ait lieu sur ces orientations, que les Européens s'approprient ce débat. Je voudrais remercier la déléguée aux affaires européennes et internationales et son équipe d'avoir initié cette conférence qui est une contribution utile et bien venue au moment de l'ouverture du marché du travail. Je vous souhaite de fructueuses discussions.
Je vous remercie.Source http://www.cohesionsociale.gouv.fr, le 1 juin 2006