Interview de M. Bernard Van Craeynest, président de la CFE CGC à BFM le 24 mai 2006, sur le contrat première embauche (CPE), les rencontres et la négociation entre les partenaires sociaux et le contrat nouvelle embauche (CNE).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : BFM

Texte intégral


Hedwige Chevrillon : Suite du " 12/15 " en compagnie de Bernard van Craeynest, président du syndicat CFE-CGC. On parlait, à l'instant, du dossier Sogerma où vous attendez de pied ferme les décisions qui vont être, éventuellement, si décisions il y a, qui vont être prises cet après-midi mais, vous, cet après-midi. Vous rencontrez Laurence Parisot, donc qui fait un peu son tour de piste, qui rencontre successivement tous les leaders syndicaux. Qu'est-ce que vous attendez d'elle et qu'est-ce que vous allez lui dire après ces quelques mois quand même assez mouvementés sur le plan social ?
Bernard van Craeynest : J'espère que nous allons entrer rapidement dans le vif du sujet parce que Laurence Parisot nous a écrit le 11 avril pour nous proposer ces fameuses rencontres bilatérales avec les cinq organisations représentatives. Nous sommes le 24 mai. C'est déjà un mois et demi de perdu pour traiter les nombreux dossiers. (...) Quand on voit qu'il faut deux mois pour réussir à conduire ces rencontres bilatérales, qui ne sont jamais qu'un tour d'horizon et derrière lequel il sera nécessaire de définir les priorités de nos négociations et un calendrier.
HC : Alors justement, vous dites " rentrer dans le vif du sujet " mais c'est quoi, le sujet ?
BVC : C'est déjà voir comment on va terminer une négociation en cours depuis de nombreux mois sur la pénibilité au travail. Je vous rappelle que celle-ci découle de la loi de réforme des retraites du 21 août 2003. Le législateur a laissé trois ans aux partenaires sociaux pour négocier. Nous sommes à trois mois de l'échéance et, pour l'instant, rien n'est véritablement traité. Nous en sommes toujours à chercher une date pour remplacer la réunion du 2 mai, qui a été annulée.
HC : Qui bloque ?
BVC : Le patronat.
HC : Ce ne sont pas les autres syndicats, c'est le patronat.
BVC : Car le raisonnement est on ne peut plus simpliste. Les patrons considèrent que cette négociation doit aboutir à quelque chose qui ne doit coûter pas un centime d'euro supplémentaire. Je crois que quand on est figé par cette vision, que je qualifierai de " petit bout de la lorgnette ", on a du mal à voir l'ensemble du dossier qui est important.
HC : Mais qui a encore les poches pleines pour payer, justement, ces "un euro supplémentaire" pour faire avancer le dossier ?
BVC : Personne n'a les poches pleines, malheureusement, actuellement. C'est bien ce qui nécessite qu'on définisse très clairement qui paie quoi. Parce que nous avons, sur ces dossiers de la santé au travail et de la pénibilité, des dossiers importants. On nous explique, depuis plusieurs années, qu'il est nécessaire de travailler plus longtemps. On ne travaille pas jusqu'à 65, voire plus, années dans les mêmes conditions que lorsqu'on a 20 ou 25 ans. On l'a vu, ça a été cité en exemple au moment de la réforme des retraites en 2003. Quand on est policier ou instituteur, on ne se comporte pas de la même manière en courant derrière les petits voyous ou devant une classe maternelle à 60 ans qu'à 25 ou 30. Donc, il est nécessaire d'insister sur ces problèmes de gestion des carrières, de reconversion, de reclassement mais il y a aussi des problèmes majeurs de santé au travail. Je pense au dossier amiante. Nous savons que nous sommes face à un sinistre majeur qui va coûter très cher. J'ai expliqué à madame Parisot, car je lui parle, il nous arrive de téléphoner, je lui ai dit " Face à ce sinistre, il serait bon d'anticiper et de voir ce qui relève de la responsabilité de l'Etat, de ce qui doit être indemnisé par l'Etat, et de ce qui doit être indemnisé par les fonds que l'on met en place, qui sont financés, en particulier, par les cotisations des employeurs ". Parce que, sinon, nous allons continuer à voir fleurir des décisions de justice qui vont condamner des employeurs.
HC : On l'a vu encore récemment dans le dossier Alstom.
BVC : Exactement. Alstom Power Boilers, dont nous attendons le verdict le 4 septembre. Lorsque l'entreprise est condamnée, ce sont des sommes à verser qui conduisent des employeurs à se dire " Eh bien finalement, si c'est comme ça en France, je vais peut-être délocaliser ". Et puis, finalement, la peine est double. On externalise les métiers polluants, les métiers à risque. On perd de l'emploi en France alors qu'il faut, précisément, travailler sur ces problèmes de prévention, de sécurité au travail.
HC : Vous allez donc parler de pénibilité, des dossiers un peu lourds. Est-ce que vous allez parler de flexibilité parce que, avec l'enterrement du CPE, des éventuelles modifications du CNE, Contrat nouvelle embauche ? Tiens, à propos, est-ce que vous êtes sur la même ligne que Jean-Louis Borloo, le ministre de l'Emploi qui disait, dimanche dernier, qu'il fallait peut-être faire évoluer le CNE ?
BVC : En toute modestie, je dirais que Jean-Louis Borloo est sur la même ligne que moi car, dès la crise du CPE et, surtout, son issue le 10 avril, j'avais indiqué que je craignais beaucoup quant à l'avenir du CNE, tout simplement parce que nous voyons bien qu'il y a de multiples contentieux juridiques. Or, je vous rappelle que le CNE a été créé soi disant pour sécuriser les employeurs, les mettre à l'abri de tous ces contentieux judiciaires.
HC : Vous avez des contentieux juridiques éventuels, potentiels, qui remontent chez vous, à la CGC ?
BVC : Nous en voyons comme tout un chacun devant différents conseils de Prud'hommes et il est bien évident que, lorsque les employeurs vont avoir pris conscience que, finalement, ce CNE ne les met pas à l'abri, ils vont retomber dans leur frilosité vis-à-vis de l'emploi. C'est, une nouvelle fois, le niveau de l'emploi qui va être pénalisé dans notre pays. C'est pourquoi il me semble important que nous soyons en capacité de dialoguer et de négocier autour de ce problème de rupture du contrat de travail quel qu'il soit parce que il s'agit d'arrêter d'être chacun sur son ... en ayant une madame Parisot qui nous dit " Il faut que nous discutions de séparabilité " de je ne sais trop quel néologisme et puis, de l'autre côté, les organisations syndicales qui disent " Il faut que nous parlions sécurisation des parcours professionnels ". Je crois qu'il faut que nous parlions des deux et, une négociation, c'est cela. Chacun démarre avec des points de vue, des positions et, le but de la négociation, c'est de faire en sorte de rapprocher ces points de vue.
HC : Mais est-ce que vous demandez, comme la CGT, la peau du CNE ?
BVC : Vous savez, je ne fais pas d'effet de manche ou d'effet d'annonce. Si rien n'est fait concernant les conditions d'utilisation du CNE, je suis persuadé que le CNE va mourir de sa belle mort si on laisse continuer à filer les contentieux judiciaires.
HC : Oui. Laurence Parisot, vous sentez qu'elle est quand même dans un esprit d'ouverture ou, à votre avis, là, on est aussi un peu dans l'effet de manche et que, finalement, rien ne bouge ?
BVC : Je souhaiterais des actes concrets. Ca fait cinq mois que je suis président de la CFE-CGC. Certes, nous avons connu une grave crise autour du CPE qui a bloqué énormément de choses...
HC : Ca va faire quasiment un an pour Laurence Parisot.
BVC : Oui et j'ai déjà eu l'occasion de rencontrer Laurence Parisot en tête à tête. Je lui ai parlé au téléphone. Je crois que nous sommes, l'un et l'autre, deux personnes de bon sens. Donc, nous nous retrouvons, intellectuellement, sur un certain nombre de points de vue. Maintenant, il faut passer de ces considérations intellectuelles et théoriques aux actes et, là, de ce point de vue-là, je demande à voir parce que, encore une fois, les semaines passent, les mois filent et je ne pense pas que nous soyons, compte tenu du calendrier, en capacité et, encore une fois, compte tenu du fait qu'il faut traiter le problème du dossier pénibilité avant le mois d'août, nous soyons en capacité d'entrer dans le vif de négociations telles le problème du contrat de travail avant la rentrée de septembre.
HC : Est-ce que vous avez eu des contacts avec le Premier ministre, Dominique de Villepin, depuis la fin, la crise du CPE ?
BVC : Oui.
HC : Oui et alors ? C'est lui qui vous a appelé ?
BVC : Oui, absolument. Je vois bien quelles sont les manoeuvres, une fois de plus, politiciennes. Tout le monde court après tout le monde, ne veut pas lâcher un pouce. J'ai été contacté par le PS, par l'UMP, par madame Boutin, par monsieur Dupont-Augnan. Comme par hasard, on voit qu'il y a beaucoup de candidats éventuels aux futures élections présidentielles qui sont très soucieux de connaître nos points de vue et nos propositions. Alors, si c'est pour s'en inspirer mais, surtout, pour les mettre en oeuvre, si, toutefois, ils parviennent au pouvoir, je dis que c'est très bien. Quant à monsieur de Villepin, j'ai été surpris de voir que, visiblement, pas grand chose semble l'affecter. Il est persuadé qu'il a encore un an devant lui. Il veut être dans l'action. J'espère que ça profitera à la France, à notre économie et à l'emploi. Source http://www.cfecgc.org, le 30 mai 2006