Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, sur l'avenir du traité constitutionnel européen, notamment sur ses propositions de ratification des dispositions faisant consensus : la charte des droits fondamentaux et les pouvoirs institutionnels.

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Circonstance : Déclaration du Gouvernement préalable au conseil européen à l'Assemblée nationale, le 13 juin 2006

Texte intégral

Tous les États, à commencer par la France, semblent avoir pour seul accord de ne pas la réveiller ! Les Conseils européens s'enchaînent, les rencontres se multiplient sans que s'esquisse la moindre initiative : la dernière rencontre des chefs d'États et de gouvernement consacrée à la relance d'une stratégie de croissance et d'emplois en a été l'illustration pathétique. Si tout le monde a constaté qu'aucun objectif n'était tenu, ce fut pour en conclure qu'il est urgent de ne rien faire !
Ce gouvernement s'illustre avec brio dans cette conspiration du sommeil. Tétanisé par le vote de nos compatriotes et englué dans les difficultés domestiques, il a en effet délesté son action de toute dimension européenne !
Quant au « patriotisme économique », j'apprécie la reprise d'une idée que j'avais défendue après les attentats du 11 septembre, mais j'en goûte moins votre application, qui se réduit à bloquer toute stratégie industrielle conduite de concert avec nos partenaires européens. Dans le même temps, vous laissez sans réagir Wall Street racheter notre place boursière Euronext - le Président de la République vient de se réveiller, mais trop tard pour changer quoi que ce soit !
Et que dire de votre mutisme sur l'avenir du traité constitutionnel ? La contribution française promise par le Président de la République se limite à de micro-améliorations institutionnelles à partir des traités existants. On ne peut sans doute demander mieux à un pouvoir en fin de règne qui n'a plus la confiance populaire. Tous nos partenaires le savent et ne se privent pas de le dire. C'est au successeur de Jacques Chirac et à sa nouvelle majorité qu'appartiendra la responsabilité de définir la position de la France.
Ce débat est d'ores et déjà l'occasion d'éclairer nos électeurs et nos partenaires européens sur les choix que nous ferons. Alors parlons net : j'ai été un défenseur du traité constitutionnel, je respecte le droit des quinze États qui l'ont ratifié de vouloir le sauvegarder, mais je ne crois pas que cela soit possible. Les Français ont dit non pour des motifs majeurs, nul ne peut croire qu'on va les faire revoter sur le même texte, avec les mêmes arguments, en espérant qu'ils changent d'opinion à l'usure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Le traité est caduc. Il faut avoir le courage de le dire à nos partenaires comme je l'ai fait il y a trois semaines à Berlin devant les dirigeants de la social-démocratie allemande.
Quand M. Sarkozy propose de demander au Parlement de trancher l'avenir du traité, il commet le plus scandaleux déni de démocratie. Le Parlement est l'émanation de la souveraineté populaire, il n'en est pas le censeur. Rien que pour ce manquement, je souhaite que les Français censurent le candidat Sarkozy à la présidentielle !
Si nous voulons trouver une sortie de crise, il nous faut changer le traité et revoir l'approche politique de l'Union.
Un changement de méthode est essentiel. Nous avons tous pris conscience que l'intégration toujours plus rapide par de grands traités ne passe plus. Nous savons tous qu'une Union à vingt-cinq et bientôt à vingt-sept ne peut plus fonctionner d'un même pas. La force de l'Europe est sa plasticité. Elle peut avancer par des voies multiples : l'intergouvememental, les coopérations renforcées, les politiques communes. Ne les opposons plus.
Les réussites d'Ariane ou d'Airbus montrent que de simples accords entre gouvernements peuvent être particulièrement efficaces pour avancer dans certains domaines. Les coopérations renforcées ont une zone, l'euro, et le groupe d'États qui peuvent constituer le noyau d'une relance européenne. Quant aux politiques communes, elles doivent retrouver leur rôle de réponse aux grands défis tels que l'indépendance énergétique, la modernisation des infrastructures, la mise en oeuvre de programmes éducatifs et universitaires, la maîtrise des flux migratoires, l'aide au développement, les programmes de solidarité.
Sortons des formules uniques. Inventons l'Europe plurielle. La grande vertu de notre référendum est d'avoir redonné son sens à l'Union: produire du concret, de l'efficacité, du progrès dans la vie des peuples.
Cette prise de conscience est générale. On l'a vu dans l'amorce de réforme du pacte de stabilité ou dans la refonte salutaire de la directive Bolkestein. On le mesure dans la proposition de directive sur les services publics déposée par les députés socialistes. Pour la première fois, une grande force politique propose qu'on adopte enfin le principe de subsidiarité en ce qui concerne les services publics et qu'on laisse donc à chaque État la liberté de les gérer et de les financer comme il l'entend. C'est un engagement des socialistes. Nous ferons tout pour l'obtenir.
C'est dans le même esprit que nous poserons sans fard la question de l'élargissement. On ne peut plus poursuivre cette fuite en avant sans fin, où chaque adhésion en appelle une autre. Nos peuples ne suivent plus. Ils ont le sentiment que l'Europe a plongé dans le dumping social et ne sait plus où elle s'arrête. On ne peut ignorer cette inquiétude.
L'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie est signée et se fera d'ici un à deux ans, L'Europe doit donner trois garanties en retour : accepter une longue pause dans les adhésions tant que le rattrapage économique et social des pays qui viennent d'entrer n'a pas été réalisé ; se doter des moyens de fonctionner et de décider à vingt-sept ; définir enfin ses frontières ultimes à l'est comme au sud.
Quelle que soit ma compréhension pour l'adhésion des pays de l'ex-Yougoslavie ou celle de la Turquie, je ne crois pas qu'elle puisse se faire avant longtemps. Il peut y avoir d'autres formules à proposer que l'adhésion. Un projet politique se fonde aussi sur la géographie.
Ce n'est qu'au terme de ces clarifications politique, économique, sociale et géographique que l'Europe pourra reprendre la question constitutionnelle. Le rêve d'une grande cathédrale n'est pas venu. Le temps est à une ambition plus réaliste: graver un corps de valeurs, donner aux institutions les moyens de fonctionner. C'est le sens des propositions que j'ai faites l'an dernier ici au nom des députés socialistes. Il faut soumettre à ratification les dispositions du traité qui font consensus - la charte des droits fondamentaux, les pouvoirs institutionnels. Nous aurions au moins deux leviers qui manquent à l'Union : les principes d'une citoyenneté commune et des outils pour décider.
Que nous le voulions ou non, nous avons reçu mandat de transformer l'Europe imaginaire en Europe réelle. La France retrouvera son rang et sa crédibilité auprès de nos partenaires en cessant de parer l'Union de tous les bienfaits ou de toutes les malédictions. La solution de nos problèmes ne passe pas d'abord par Bruxelles mais par nous-mêmes, en particulier quand les Français auront à décider, en 2007, de l'orientation des années à venir. L'un des grands enjeux de l'élection présidentielle sera bien de retrouver une influence perdue par dix années d'une présidence chaotique ! Ce n'est pas le grand soir de l'Europe qu'ont rêvé certains. Mais c'est au moins la promesse d'une renaissance par les peuples, d'une renaissance pour les peuples !
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 19 juin 2006