Texte intégral
Q - Merci d'être en ligne avec nous puisque vous êtes à Moscou pour le G8 des ministres des Affaires étrangères qui a précédé celui des chefs d'Etat à Saint-Pétersbourg. Alors, j'imagine que vos conversations vont essentiellement tourner autour des problèmes de l'énergie.
R - Oui, autour des problèmes de l'énergie, bien sûr, mais aussi autour de l'Iran, avec cette crise de prolifération nucléaire iranienne. Le 1er juin, à Vienne, avec les Européens, bien sûr, mais aussi les Etats-Unis, la Chine et la Russie, nous sommes parvenus à un accord, pour faire une proposition positive aux Iraniens.
Le 6 juin, M. Javier Solana, notre Haut Représentant pour la PESC, a présenté cette proposition à M. Larijani, le négociateur iranien. Nous attendons les résultats et nous disons aux Iraniens : "maintenant, répondez assez vite, avant le G8 des chefs d'Etat et de gouvernement prévu à Saint-Pétersbourg, le 15 juillet prochain".
Q - Monsieur Douste-Blazy, qu'est-ce qui pourrait se passer ? On a un peu le sentiment quand même que l'Iran joue un peu avec les nerfs des autres participants. Ils jouent un peu au chat et à la souris.
R - Nous attendons des dirigeants iraniens qu'ils se conforment à leurs obligations internationales et qu'ils prennent les mesures demandées par l'Agence internationale de l'Energie atomique et par le Conseil de sécurité des Nations unies, pour démontrer que leur programme nucléaire est de nature exclusivement pacifique. Nous faisons preuve d'une certaine flexibilité dans la recherche d'une solution, mais maintenant, il faut qu'ils saisissent cette opportunité et nous leur avons donné jusqu'à la mi-juillet.
Q - Mais qu'est-ce qui va se passer, imaginez qu'on arrive au G8 des chefs d'Etat et que l'Iran n'ai pas bougé et vous renvoie la balle dans votre camp ?
R - Une nouvelle réunion aura lieu entre M. Larijani et M. Solana le 5 juillet...
Q - Juste avant.
R - Ce matin, j'ai présidé une réunion avec Mme Beckett et M. Steinmeier - mes homologues britannique et allemand - et M. Javier Solana, pour pouvoir bien calibrer cette réunion et dire aux Iraniens que, maintenant, il faut qu'ils nous répondent.
Ils ont le choix : soit ils s'isolent sur le plan de la communauté internationale, soit ils créent les conditions de la confiance en arrêtant les centrifugeuses d'enrichissement, en particulier dans les usines de Natanz.
Q - Est-ce que ça veut dire que le mot "embargo" ne sera pas tabou au G8, Monsieur le Ministre, et que l'on pourrait renforcer l'embargo vis-à-vis de l'Iran ?
R - Cela veut dire surtout qu'il faut trouver une solution diplomatique le plus vite possible. Vous savez, le 31 mai, il y a eu un virage historique dans l'affaire de la prolifération nucléaire iranienne ; les Américains, pour la première fois depuis 1980, ont accepté l'idée d'avoir un dialogue avec les Iraniens, via les Européens. C'était quelque chose qui n'était pas couru d'avance. Nous l'avons obtenu, maintenant toutes les conditions sont là pour se mettre autour de la table. Je ne peux pas penser qu'ils vont dire non.
Q - Par ailleurs, il y a toujours les problèmes de l'énergie et la tension sur les coûts de l'énergie. Et là, ce sont les Russes, cette fois, qui tiennent un peu "la main" dans cette partie là. Vous pensez que ça ne risque pas de se percuter, justement, avec l'affaire iranienne, la montée du prix de l'énergie, notamment du pétrole et la position des Russes ?
R - Non, mais je crois que nous devons, en effet, organiser d'abord une politique de l'énergie au niveau de l'Union européenne, à la fois pour être indépendants sur l'approvisionnement, et pour être indépendants en terme de production. En France, on est bien placé pour savoir que le nucléaire civil est une des clefs, demain, de l'énergie. Et puis, enfin, il faut bien sûr, trouver des solutions pour éviter une catastrophe écologique due à l'augmentation de la température moyenne globale de la planète et demander, par conséquent, l'application du protocole de Kyoto. Dans ce cadre là, l'Union européenne et la Russie ont énormément de choses à faire ensemble et nous espérons que la Russie considère que les oléoducs et les gazoducs venant de la Russie vers l'Union européenne sont aussi précieux que ceux qui vont vers l'Iran.
Q - Les Russes se sentent un peu agacés, même un ministre a dit à propos de l'affaire Arcelor/Mittal/Severstal qu'il y avait un début de "russophobie" en Europe. Pouvez-vous leur garantir que ce n'est pas le cas, Monsieur le Ministre ?
R - Non, ce n'est pas vrai. En ce qui concerne Mittal, il y avait deux sujets. Premièrement, c'est le marché et les actionnaires qui décident. Deuxièmement, le gouvernement avait souligné la nécessité de garder les emplois et les centres de recherche là où ils sont, c'est-à-dire dans l'Union européenne. Nous pensons que M. Mittal a pris cet engagement devant les actionnaires et il nous paraît désormais tout fait normal d'accepter ce projet.
Q - Autre sujet, M. Douste-Blazy, c'est ce qui se passe à nouveau en Israël et sur les Territoires palestiniens. Les chars israéliens sont rentrés dans les Territoires palestiniens. Des ministres du Hamas et des grands dirigeants ont été arrêtés ce matin. Là encore, ça risque de faire une poudrière supplémentaire dont on n'avait peut-être pas besoin avec, justement, l'Iran juste à côté.
R - Non, en effet. Toute augmentation de la violence nous sépare un peu plus du processus politique qui est la seule clef pour régler le conflit israélo-palestinien. Nous condamnons toute violence et nous avons également condamné l'arrestation d'hommes politiques et les conditions dans lesquelles ces arrestations se sont produites. Il nous paraît extrêmement important de dire que, de part et d'autre, il faut arrêter les violences le plus vite possible car la France, comme l'Union européenne, pense qu'il n'y a qu'une solution politique à ce conflit.
Q - Mais est-ce que vous croyez que le Hamas ne joue pas un peu avec le feu et que, après tout, Israël, en l'occurrence, est un peu dans son droit, pour une fois ?
R - Je pense que de part et d'autre, ces violences ne doivent pas avoir lieu. Après les élections législatives palestiniennes et les élections législatives israéliennes, le moment est venu de négocier, de se parler, de se reconnaître mutuellement et d'entamer un processus politique. Tout le reste est terriblement négatif.
Q - Est-ce que l'Europe continuerait à soutenir monsieur M. Abbas, pour essayer de garder, quand même, je dirais, un homme un peu pondéré dans cette affaire ?
R - Mais c'est notre but. Notre but est de donner toute sa légitimité à M. Abbas, à l'Autorité palestinienne qui est la grande avancée institutionnelle des dix dernières années dans cet endroit du monde. Il est nécessaire d'aider M. Abbas et c'est ce que nous avons demandé l'autre jour dans le cadre du Quartet, en demandant une aide pour la population palestinienne, via M. Abbas.
Q - Monsieur le Ministre, revenons un instant, pour terminer, sur le G8. Celui des chefs d'Etat va se tenir, je l'ai dit, en juillet à Saint-Pétersbourg, ça va être un G8 plutôt inquiet, un G8 soucieux ou un G8 plutôt confiant dans l'avenir, entre tous les problèmes qui se posent ?
R - Ce G8 sera marqué par une instabilité à tous les niveaux.
Regardez ce qui se passe au niveau iranien, nous venons d'en parler, on verra d'ici là ce que les Iraniens auront répondu à la communauté internationale représentée par Javier Solana.
Regardez ce qui se passe au niveau du conflit israélo-palestinien, où en serons-nous à ce moment là ? Ce conflit déstabilise l'ensemble de cette région, et le monde.
Nous verrons également ce qui se passera pour ce qui concerne le protocole de Kyoto. Est-ce que certains pays du G8 vont continuer à ne pas accepter le protocole de Kyoto ? Ce qui conduit à un réchauffement de la planète et à une augmentation du niveau de la mer. Comme on a pu l'observer à l'occasion du dernier sommet France-Océanie, autour du président Chirac, il y avait des dirigeants qui se posent la question de savoir si leur pays ne va pas être englouti dans les prochains mois.
Tout cela, en effet, laisse présager une atmosphère très grave, très lourde pour la tenue de la réunion du G8, qui est en même temps si nécessaire.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juin 2006