Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à France-Inter le 6 juin 2006, sur le plan national d'action pour l'emploi des séniors et la politique du logement et le plan de rénovation urbaine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral


Q- Le Gouvernement présente donc aujourd'hui un Plan national d'action pour l'emploi des seniors, un programme étalé jusqu'en 2010 pour faire bouger les mentalités sur le travail des plus de 50 ans. Vous allez présenter ce texte aujourd'hui avec D. de Villepin. Je rappelle qu'en France, 37 % des 55-64 ans sont au travail, c'est un des taux d'activité des seniors les plus faibles en Europe. Vous voulez supprimer l'idée que quand des seniors arrêtent de travailler prématurément, cela donne de la place aux jeunes. Ce n'est pas facile de faire évaluer les mentalités dans ce domaine là. Vous pensez qu'un plan comme celui-ci avec une trentaine de mesures peut y parvenir ?
R- Si on n'y croyait pas... D'abord ce plan, il a été élaboré en concertation avec les partenaires sociaux. Les mesures phares d'ailleurs ont été signées par certaines organisations syndicales, c'est-à-dire que c'est un processus assez long. On a à la fois des sujets de mentalité et des sujets techniques. Les sujets de mentalité, c'est, dans une société en mutation, le fait que plus on s'approche de l'âge de la retraite, si on a pas eu de bilan intermédiaire à 40 ou 45 ans, s'il n'y a pas eu une formation complémentaire, parce que tout bouge, bien entendu, eh bien l'entreprise se dit qu'un jeune qui vient d'être formé pourrait faire l'affaire et d'ailleurs, le salarié lui-même intériorise cette idée-là. Et donc, on a ce sentiment qu'au-delà de 50 et quelques années, c'est un une variable d'ajustement ! En réalité, c'est toute l'expertise d'une entreprise ou de la société française qui est en cause, que ce soit dans les domaines sociaux, culturels, industriels économiques. Et donc il faut que l'on trouve le bon moyen pour faire changer ces mentalités. Beaucoup d'entreprises ont commencé, à notre demande, à faire des bilans à 40 ans ou 45 ans, des bilans de compétence. Et on voit les résultats assez spectaculaires. Cela c'est pour les mentalités. Il va y avoir une campagne de presse assez forte là-dessus. Et puis, techniquement, il y avait un certain nombre de mesures qui étaient difficiles, par exemple, beaucoup de ces seniors pouvaient avoir une action de soutien pour une entreprise de 18 mois ou deux fois 18 mois, c'est ce que l'on appelle maintenant le "CDD senior" qui a été, je le rappelle signé par les partenaires sociaux, des mesures un peu...
Q- Sauf la CGT qui dit : "c'est un nouveau contrat précaire"...
R- La CGT, et FO aussi est réservée mais bon cela fait l'objet d'une concertation, on n'est pas obligé d'être d'accord sur tout. En tous les cas, certaines organisations syndicales l'ont souhaité et l'ont signé. Ce n'est pas d'origine gouvernementale, nous nous prenons nos responsabilités après. Il y a d'autres problèmes techniques : le cumul emploi-retraites, qui est possible mais qui pénalisait les gens au Smic. On augmente donc jusqu'à 1,6 Smic les retraites obligatoires, les mises à la retraite, les mises en congé retraite : c'est un truc quand même un petit peu stupéfiant. Ça, on y met un terme. La contribution Delalande, qui était à la fois une bonne idée mais on s'est rendu compte qu'elle avait des effets pervers, même si cela ne concerne que 3.000 personnes par an, enfin quand même ! Donc voilà, il y a un problème de mentalité et puis un problème technique.
Q- Allez-vous supprimer dans un proche avenir, la dispense de recherche d'emploi qui est accordée aux chômeurs de plus de 57 ans, c'est une piste que vous allez explorer ?
R- Non, c'est G. Larcher, qui est le vrai pilote de ce programme parce qu'on travaille ensemble. Il l'a évoqué ; éventuellement, il en parle avec les partenaires sociaux mais enfin ce n'est pas ce sujet qui est réellement à l'ordre du jour.
Q- Je parlais de cette évolution des mentalités. On dit "les salariés les plus âgés sont trop chers, ils ne sont pas assez flexibles, ils sont incapables de s'adapter aux nouvelles technologies...". Dans ce domaine là, pensez-vous que les choses peuvent bouger, votre plan permet-il cela ?
R- Non, mais là, en tant que tel, on ne peut jamais dire qu'un plan en lui-même... Mais l'idée quand même qu'à 40 ou 45 ans - il y a un bilan très intéressant qui est fait aux Caisses d'épargne, "à la mi-vie" ça s'appelle - oui, quand les choses évoluent, il faut s'y préparer, il faut s'y adapter, il faut faire éventuellement de la formation complémentaire mais le rôle des seniors c'est essentiellement un rôle de tutorat, de maîtres d'apprentissage, c'est un rôle d'encadrement, c'est un rôle de sage. Donc c'est toute l'image du rôle des seniors qui doit évoluer dans la société d'une manière générale.
Q- Mais de nombreux spécialistes des questions économiques ont mené des enquêtes et affirment qu'il est quasiment impossible d'être recruté aujourd'hui si on a plus de 40 ans à EDF, à la SNCF, dans les administrations...
R- Mais l'administration dans ce domaine n'est absolument pas le bon élève. Il y a même une règle, la règle des 45 ans, interdisant dans certaines fonctions publiques ou plus exactement dans certains établissements publics, le recrutement mais ça c'est une vieille mentalité, c'est cela que l'on est train de faire bouger en disant : "mais ne vous y trompez pas". C'était la vieille idée selon laquelle il valait mieux recruter beaucoup plus jeune. Alors, au final, le résultat de nos théories anciennes, c'est que on était nuls chez les très jeunes, les moins de 26 ans, et puis nuls chez les plus de 55 ans. Eh bien ce sont ces deux bouts de la chaîne qu'il faut régler.
Q- La retraite beaucoup plus tard, vous y êtes favorable ?
R- Pour l'instant, il y a eu les réformes Fillon, je crois que l'on va en rester là. En revanche, le fait de pouvoir faire du cumul emploi-retraite tel qu'il prévu par ce texte me paraît une très bonne chose.
Q- D. de Villepin sera là ce matin pour présenter ce plan à vos côtés, il ne vous laisse pas grand-chose. L'emploi des seniors est l'un des sujets qui peut lui permettre de rebondir après l'échec du CPE. Je rappelle que D. de Villepin s'était invité la semaine dernière à Maisons-Alfort dans la Val-de-Marne, dans un déplacement que vous aviez organisé pour marquer les bons chiffres du chômage. Ne squatte-t-il pas un peu votre territoire ?
R- Surtout pour visiter unes des associations de services à la personne, qui est un autre plan que l'on avait lancé il y a six mois et qui marche d'ailleurs incroyablement bien : 34 % d'augmentation d'activités.
Q- D. de Villepin vous laisse-t-il de la place ?
R- Vous savez, les ministres ne sont pas à leur compte. Une équipe gouvernementale et un chef de Gouvernement c'est une équipe solidaire. Il n'y a pas d'idée que "j'ai un espace, qu'il me prenne l'espace", cela ne fonctionne pas comme ça. Moi je suis ravi qu'il soutienne l'ensemble des mesures à l'emploi. Je vois bien les commentaires que cela peut susciter mais très franchement, cela n'a pas beaucoup d'importance. En revanche, j'ai une bonne nouvelle pour vous, vous en voulez une ce matin ?
Q- Une bonne nouvelle !
R- Je sais que France Inter est très sensible aux problèmes du logement et au problème urbain, et je m'en réjouis d'ailleurs. Eh bien les chiffres, ceux qu'on sort - on est dans une crise du logement absolument terrible que le Plan de cohésion sociale avait prévu de doubler la production de logements et de tripler la production de logements sociaux - eh bien, on la les chiffres qui sont tombés ce matin. Sur les douze derniers mois, 422.147 mises en chantier, 150.000 de plus qu'il y a trois ans et 538.207 permis de construire. Cela fait trente ans que l'on n'avait pas autant construit de logements en France.
Q- Justement, la crise des banlieues a montré qu'il y avait en France des zones de pauvreté, des ghettos, une population se sent isolée, rejetée. Qu'est ce qui a changé depuis ces violences, qu'est-ce que votre Plan égalité des chances a déjà changé, ou s'il doit changer les choses ce sera quand ? Parce que l'on voit bien que la situation reste extrêmement tendue.
R- Mais elle est tendue et je vais vous dire, une crise de trente ans -souvenez-vous, vous y étiez peut-être à la marche des Beurs à l'époque - une crise de trente ans ne se résout pas en quatre mois ou en six mois ou en neuf mois. D'ailleurs le Plan de cohésion sociale et le Plan de rénovation urbaine, cet espèce d'énorme "Plan Marshall" qui vise à transformer radicalement ces quartiers, il avait été mis en place un an avant et j'ai toujours dit qu'il fallait entre cinq et sept ans pour que cela produise ses effets, cela ne se règle pas comme ça. Et d'ailleurs si la politique, c'était juste faire des annonces et que le résultat était le lendemain matin dans la boîte aux lettres, cela se saurait. Eh bien, ce qui est en train de changer, c'est ce Plan de rénovation urbaine qui était prévu pour 200 quartiers, il y en a 180 où les travaux ont démarré, et à près de 20 milliards d'euros, on l'a porté à 30 milliards d'euros et il y a 450 autres quartiers qui y ont droit. C'est-à-dire, résidentialiser, faire des équipements publics, changer complètement l'habitat et son environnement, et puis le Plan de cohésion sociale avec des moyens massifs notamment sur le recrutement des jeunes par les contrats d'avenir, les contrats d'accompagnement à l'emploi, des équipes ANPE spécialisées sur les jeunes, ce n'est pas tout à fait par hasard si c'est l'emploi des jeunes qui baisse le plus vite aujourd'hui en France, notamment grâce à l'apprentissage. Mais ne nous y trompons pas, le problème français est à la fois très peu vaste en taille mais là où il existe, il est très dur et très dense parce qu'ancré depuis trente ans dans cet espèce d'interstices de la République. Dons il lui faudra encore beaucoup d'efforts.
Q- Que pensez-vous des déclarations récentes de S. Royal qui prône de mesures extrêmement fermes en matière de sécurité, qui émet des réserves maintenant sur les 35 heures ?
R- Je me réjouis que Mme Royal - et le Parti socialiste finalement, c'en est un leader - découvrent que les 35 heures qui ont pu avoir sur tel ou tel point de l'intérêt, notamment dans la métallurgie sur la flexibilité, a été terrible pour les smicards français. Il y a eu ce que l'on a appelé à l'époque - les socialistes étaient ravis, ils avaient inventé le mot - "la modération salariale". Tu parles ! Je t'en fous, cela a été le blocage des salaires pendant quelques années, notamment sur le Smic. Je rappelle que J.-P. Raffarin a fait en trois fois la convergence des Smic, cela veut dire une augmentation de 17 % pour faire ce rattrapage-là. Alors que le Parti socialiste enfin s'en rende compte, c'est une bonne nouvelle. Qu'elle découvre qu'il y a un problème de délinquance et notamment de délinquance des jeunes, j'en suis ravi. J'aurais préféré qu'elle vienne voter à la fois le Plan de rénovation urbaine, le Plan de cohésion sociale, qu'elle vote les "internats de réussite éducative" qu'elle a l'air de découvrir et ce que l'on appelle "Défense-deuxième chance", c'est-à-dire l'encadrement par l'armée d'un certain nombre de jeunes pour leur apprendre le métier. Tout cela est en place depuis un an grâce au Plan de cohésion sociale, je n'ai pas le souvenir qu'elle ait assisté au moindre débat.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2006