Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à France-Info le 30 juin 2006, sur le chômage, la situation sociale et la politique gouvernementale.

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Média : France Info

Texte intégral


Q- Avec nous, le ministre de l'Emploi et de la Cohésion sociale, J.-L. Borloo. Alors, presque 50.000 chômeurs de moins au mois de mai, le chômage au plus bas depuis quatre ans, on vient de le dire ; finalement, vous aviez raison contre D. de Villepin : il n'y avait pas besoin du CPE pour faire baisser le chômage.
R- Vous avez une façon " Bande dessinée " de présenter les choses ! Non, c'est vrai qu'après quatre années - en gros, la grosse dernière année de Jospin et les trois années suivantes - on connaissait tous les mois 20.000 chômeurs de plus. Et il y avait une raison à cela : c'est que l'on n'avait pas compris que la société française est en pleine mutation, la société occidentale est en mutation. Et donc faire coordonner l'offre et la demande, quand on est en mutation, c'est très compliqué. C'est pour ça qu'on a fait ce plan avec toutes ces réformes : plan de J.-P. Raffarin et ensuite plan également de D. de Villepin ; il y a qu'un plan du Gouvernement, je veux dire, arrêtons d'opposer...
Q- Même si on l'appelle le " Plan Borloo ".
R- Oui, mais enfin, arrêtons d'opposer les uns et les autres...
Q- Et si ce plan n'avait pas existé, on en serait à combien aujourd'hui ?
R- Eh bien je pense très sincèrement qu'on aurait continué à progresser, on serait probablement aujourd'hui plutôt à 10,5, 10,6, 10,7, je ne sais pas, mais il n'y avait pas de raison objective que ça s'arrête. Alors, qu'est-ce que l'on a fait, parce qu'en fait, c'est la question de fond ? On a tenu compte de ces mutations et on s'est occupé des demandeurs d'emploi, considérant que c'était une richesse, que c'était des talents, qu'il fallait les informer sur les nouveaux métiers, déclencher des formations directement avec eux, faire des bilans de compétences, les recevoir tous les mois ; dans les cas des conventions de reclassement personnalisé, les recevoir toutes les semaines. C'est ça la première grande mesure. Permettez-moi de rendre un hommage majeur aux équipes de l'ANPE, parce que c'est beaucoup plus difficile d'être un référent unique, c'est-à-dire recevoir tout le temps le même demandeur d'emploi et non pas de manière aléatoire, le faire tous les mois, la pression qui... On a recruté 3.500 personnels ANPE, tant mieux. L'Unedic ou les Assedic, qui travaillent maintenant avec les ANPE, les Chambres de commerce, les Chambres de métiers, les villes, les Missions locales, ce grand service public. Ça c'est le point. Le deuxième, évidemment, on double la production de logements, parce que l'on avait une crise terrible et ça, ça tire, vous savez, la vieille phrase : " quand le bâtiment va, tout va ", eh bien ça reste vrai.
Q- En même temps, J.-L. Borloo, et permettez-moi de vous couper, on s'occupe mieux des chômeurs, c'est un fait, mais il n'y a pas de baisse économique du chômage, la création d'emplois n'est que de 60.000 alors que le rythme de croissance est de 2 %. Il y a un problème, quand même, dans l'économie française.
R- Mais non, vous vous trompez ! Quelle est la mesure ? La mesure c'est combien il y a de personnes qui travaillent et qui paient des cotisations sociales. On est d'accord ou pas ?
Q- Ah, mais je vous laisse vous exprimer.
R- Non, mais...
Q- Ne posez pas la question à ma place !
R- Mais non, mais parce que c'est extraordinaire ! Vous avez lu un jour une erreur et vous la répétez éternellement. La seule vraie mesure, il y a deux mesures : le nombre de chômeurs, 261.000 de plus en dix-sept mois, le nombre de salariés qui ont retrouvé une activité, qui paient des cotisations, 260.000. Il y a une parfaite adéquation entre les créations d'activités et la baisse du chômage.
Q- J.-L. Borloo, mois après mois, le chômage baisse, et pourtant la côte de popularité du Premier ministre baisse à un rythme presque aussi rapide. Où est le problème ?
R- Vous savez, le rôle de Premier ministre c'est quand même un rôle très difficile et très ingrat. Notre pays a toujours eu des Premiers ministres qui ont des cotes qui montent, qui descendent, voilà, ça fait partie de la vie. Ils l'assument et ils l'assument totalement et complètement. Je n'ai pas à commenter plus ce genre de situation. C'est un métier de chien, Premier ministre. J'ai croisé l'autre jour...
Q- Mais vous, si on vous proposait un jour...
R- ...J.-P. Raffarin : il a rajeuni de dix ans ! Il était là, détendu, souriant, en forme, devant le Musée des Arts Premiers. Oui, c'est un métier de chien.
Q- Ça veut dire que vous, si on vous proposait le poste de Premier ministre, vous refuseriez.
R- Mais, attendez, pourquoi voulez-vous... ? J'ai le sentiment de faire plutôt bien mon boulot dans le logement, en tout cas de me donner du mal, de faire plutôt pas trop mal mon boulot sur l'emploi. C'était deux crises majeures...
Q- Donc vous feriez peut-être un bon Premier ministre.
R- Pourquoi voulez-vous... Non mais, quand quelqu'un fait à peu près bien son travail, pourquoi faut-il, de manière obstinée, surtout lui demander d'aller faire autre chose ?
Q- Bon, alors, permettez-moi...
R- C'est quand même une drôle d'idée.
Q- Puisque vous n'avez pas d'ambition, permettez-moi d'en avoir à votre place...
R- Mais j'ai de l'ambition ! Je vais vous dire mon ambition, parce que l'on parle de chômage, là, parce que l'on est tous bien installés autour d'une table, mais enfin il y a toujours plus de deux millions de chômeurs en France. Bon, eh bien moi, mon ambition, c'est, un, que les temps partiels très subis, notamment d'un certain nombre de femmes, soient franchement améliorés, et deuxièmement que l'on réduise ce chômage de longue durée, notamment le chômage de jeunes. Donc, c'est vrai que je suis très content parce qu'on a bossé comme des fous pendant deux ans. Cela dit, il n'y a pas de quoi, quand même, ouvrir la bouteille de champagne.
Q- J.-L. Borloo, vous faites partie d'une famille politique dont on parle peu...
R- A tort !
Q- Le Parti radical. Est-ce que ça ne serait pas pertinent que cette famille politique ait un candidat à la présidentielle ?
R- Ecoutez, en ce qui concerne la droite républicaine, la droite sociale, ce qu'incarne le Parti radical, il y a clairement aujourd'hui un candidat à l'UMP qui est, pas désigné, mais quasiment désigné. Alors, très franchement, aller rajouter de l'incertitude ou de la pagaille alors que par ailleurs il y a une extrême droite qui est très puissante dans notre pays, une gauche républicaine qui est puissante également et une extrême gauche qui se développe, me paraît rajouter de l'inquiétude, là où il n'y en a pas besoin. En revanche, que cette droite sociale, qui... Par exemple sur ce sujet de l'emploi, eh bien, ne défend pas l'idée de modèle social français, ça ne marche pas du tout. Nous, on défend l'idée [selon laquelle] on ne l'a juste pas très bien fait fonctionner pendant 20 ou 25 ans, parce que l'on n'a pas compris ce qu'était le chômage de masse, parce qu'avec 260.000 personnes qui contribuent aux caisses de Sécurité sociale, ça change la donne. Quand on en aura 600.000 de plus dans un an, vous verrez que l'ensemble des comptes sociaux vont recommencer à être positifs. Nous, on croit à ces valeurs humanistes. Eh bien, on en discutera très fortement, peut-être même de manière rugueuse, mais avec l'UMP et son président, et pas à la place.
Q- Vous, vous serez jamais candidat contre N. Sarkozy ?
R- C'est évidemment une question qui ne se pose pas.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 juin 2006