Interview de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, à RMC le 4 juillet 2006, sur le dopage dans le sport et notamment dans le cyclisme et le football.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- Notre invité ce matin, J.-F. Lamour, ministre de la Jeunesse et - il faut pas oublier - des Sports et de la Vie associative. C'est important.
R- Ah oui, surtout qu'on la voit heureuse, là. D'ailleurs pas simplement que la Jeunesse française. Tous les Français sont derrière les Bleus. C'est bien, il faut ça. Il faut cette union nationale qui est naturelle, qui est spontanée, qui révèle, je crois, cette volonté d'être fier de son pays, de son équipe, voilà. Il ne faut pas non plus en faire trop, on est dans une démocratie.
Q- Mais il ne faut pas faire la fine bouche.
R- Il ne faut surtout pas faire la fine bouche, je suis bien d'accord avec vous. Je crois qu'ils sont rares ces moments où justement une nation partage une émotion, une passion, un moment exceptionnel. On aime ou on n'aime pas le foot, c'est vrai que de temps en temps, le foot a ses excès, mais là, on aime aussi, comment vous dire, on aime aimer une équipe. On aime être fier d'elle. Et là, Zidane et ses amis nous offrent quelque chose d'exceptionnel.
Q- Lorsque vous étiez en compétition vous-mêmes, lorsque vous étiez sportif de haut niveau, vous aimiez le foot déjà ou pas tellement ?
R- J'allais voir de temps en temps le PSG jouer. C'était plutôt le rugby et c'est vrai que le foot était déjà une discipline un peu à part, entre guillemets, du monde olympique. Sauf une fois, où lors des jeux de Los Angeles, en 84, l'Equipe de France, souvenez-vous, avait gagné la médaille d'or.
Q- Je me souviens, oui.
R- On avait vu arriver Jeannol et toute son équipe pour la phase finale à Los Angeles et on s'était vraiment très très bien entendu. Ils avaient gagné l'or, j'avais gagné également l'or et j'en garde un très très bon souvenir. Mais c'est vrai qu'on a des parcours assez divergents, finalement. Ce n'est pas du tout le même monde, on se retrouvait de temps en temps, je me souviens avoir vu Rocheteau avec l'équipe d'Auxerre à des moments où on se détendait un petit peu mais pas vraiment de parcours mêlé. A l'INSEP, par exemple, l'Institut des sports, où s'entraînent les deux tiers des médaillés olympiques des jeux d'été, il n'y a pas de footballeur, vous le savez, ils sont à Clairefontaine.
Q- C'est H. Michel qui entraînait cette équipe qui a été championne olympique en 1984. J.-F. Lamour, vous avez une question à poser aux auditeurs de RMC.
R- Oui, j'ai envie de leur demander : est-ce qu'au travers du parcours de ces Bleus, qui est superbe, est-ce qu'ils ont envie de s'inscrire dans un club sportif ou d'inscrire leurs enfants dans un club, et je précise quel que soit le sport ? Est-ce que ça leur donne envie de faire du sport et de le faire dans un lieu fait pour ça, c'est-à-dire dans un club sportif ?
Q- J.-F. Lamour, vous serez, évidemment, demain soir, à Munich !
R- Bien sûr, bien sûr ! Je les ai suivis... Je connais tous les aéroports et les terrains. D'ailleurs, il faut le dire, [ce sont de] magnifiques stades, [et une] organisation parfaite. A la fois, superbe organisation et les gens sont chaleureux, vraiment, il y a le sourire sur tous les visages. Il faut rendre hommage aux Allemands parce qu'ils sont en train de réaliser une très très belle Coupe du monde, un peu comme nous l'avions fait en 98. Cela compte aussi, vous savez, le fait d'être bien accueilli, d'être bien dirigé, et puis surtout des stades qui sont très très beaux.
Q- On va revenir sur la compétition en elle-même mais qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent, " moi, je ne me reconnais pas dans cette Equipe de France où il y a trop de Noirs " ?
R- Ah oui, enfin, ça c'est l'exception qui confirme la règle.
Q- Il y en a, il y en a, il y en a.
R- Il y en a, et puis ce n'est pas, encore une fois, un personnage politique dans lequel, vous en doutez, je me reconnais. Le sport, c'est peut-être là aussi l'une des seules activités où seule la compétence, uniquement la compétence - en gros, c'est le meilleur qui est sur le terrain, voilà. Alors, là, il se trouve, que la composition qui a été effectuée par R. Domenech, ce sont les meilleurs joueurs français. Point barre, voilà. Mais c'est l'expression de ce que nous avons de meilleur. Cela veut dire c'est le mérite qui permet à tous ces joueurs d'être sur le terrain, quels qu'ils soient, quelle que soit leur origine, quel que soit leur parcours. Ce sont les meilleurs qui sont sur le terrain, et ce sont les meilleurs qui nous permettent d'être là où on en est, c'est-à-dire en demi-finale. Je crois qu'il faut s'arrêter là. C'est l'expression de notre richesse, de notre capacité à inventer un jeu flamboyant, un jeu qui va de l'avant et c'est très bien comme ça.
Q- On va prendre tout de suite, Ronan, notre premier auditeur. Ronan, 25 ans, informaticien. Vous êtes en Slovaquie, Ronan.
Ronan, Auditeur : Oui, bonjour Jean-Jacques. Je suis à Bratislava... Bonjour monsieur le ministre. J'avais une question, c'est pour savoir si on peut devenir sportif de haut niveau sans avoir recours au dopage, quel que soit le sport ?
R- Oui, évidemment qu'on est sportif de haut niveau sans avoir recours au dopage, évidemment. D'une part, parce que, en France, tout le dispositif de ce qu'on appelle le suivi médical, dès qu'on rentre dans une filière de haut niveau en France, quel que soit le sport, on est suivi médicalement, et à chaque fois il y a une petite anicroche, un paramètre qui est perturbé, eh bien le médecin de l'équipe ou de la fédération tire le signal d'alarme. Alors, le paramètre perturbé, ça peut être du surentraînement, ça peut être un mauvais moment, un problème de santé, ou, peut-être aussi, effectivement, la prise de produit interdit. Donc, on veille vraiment à ça. Alors, il faudrait, bien sûr, que ce soit généralisé partout dans le monde. Cela coûte cher tout ça. Il faut savoir qu'en France, on dépense à la fois en prévention et en lutte contre le dopage, presque 20 millions d'euros, 20 millions d'euros par an. Donc, c'est un effort important de la part de l'Etat et je crois qu'il est nécessaire. Et pour répondre à votre question, oui, on peut devenir un athlète de haut niveau, évidemment sans se doper et c'est une question surtout d'entourage du sportif. Il faut que les parents veillent, regardent un peu l'évolution de son enfant, il faut que les éducateurs soient bien formés, que les dirigeants des clubs également fassent attention à ce que l'entourage à un moment donné d'un sportif ne fasse pas finalement que le sportif soit tenté par telle ou telle prise de produit interdit, parce qu'on comprendre, effectivement, que la tentation soit là quand on est blessé, quand on va moins bien. Voilà. Mais c'est une question d'entourage, d'accompagnement, de, comment dirais-je, d'éthique de la pratique sportive. Mais résolument, oui, on peut être athlète de haut niveau sans se doper.
Q- Merci Ronan. J.-F. Lamour, sur le dopage, je vais vous poser 2-3 questions très directes. Pourquoi est-ce que le football n'applique pas les règles appliquées dans d'autres sports ?
R- Ils vont les appliquer puisque S. Blatter a signé le protocole d'accord avec l'Agence Mondiale Antidopage. Il l'a fait juste avant le début de la Coupe du monde, j'allais dire enfin, et c'est très bien. Il y avait des interprétations un peu différentes entre l'Agence Mondiale... Vous savez, je suis membre de la commission exécutive de l'Agence Mondiale. Cela été un dialogue, quelquefois même une confrontation sur un sujet d'ailleurs où je peux comprendre que S. Blatter, le président de la FIFA, soit un peu réticent : c'est l'automaticité des peines. Il estimait que cela ne tiendrait pas devant les tribunaux. En gros, vous prenez un produit interdit, vous prenez deux ans de suspension. Je trouve que c'est très lisible partout dans le monde. C'est la règle qui est valable pour tous les sports partout dans le monde...
Q- ... tous les pays, toutes les fédérations.
R- Oui, mais S. Blatter disant : attention ! Parce que cette sanction peut être remise en cause par des tribunaux civils au prétexte qu'il n'y a pas d'automaticité de peine, d'ailleurs comme en France. Le droit français ne reconnaît pas l'automaticité. Alors, tout a été dans la virgule près, dans l'expression un peu du compromis et je crois que maintenant la FIFA va adopter le code mondial antidopage.
Q- Aujourd'hui, quels sont les contrôles qui sont effectués pendant cette Coupe du monde, J.-F. Lamour ?
R- Eh bien, ce sont des contrôles qui ont lieu après la compétition, c'est-à-dire des joueurs sont tirés au sort de façon aléatoire et vont, effectivement...
Q- ... mais on n'a pas les mêmes contrôles que dans le cyclisme, par exemple ?
R- Non, parce que le cyclisme, par exemple, a rajouté ce qu'on appelle les contrôles sanguins, qui n'existent pas encore dans le football. Je pense qu'il serait nécessaire, effectivement, que le football instaure ces contrôles sanguins, mais je vais vous parlez franchement...
Q- ... oui, allez-y !
R- Les contrôles sanguins pendant des compétitions, moi j'y crois à moitié. Je crois que ce qui est important maintenant, c'est de pouvoir contrôler n'importe quel sportif, amateur et professionnel, là où il s'entraîne. Parce qu'on a bien vu, en particulier, malheureusement encore dans ces affaires de cyclisme, que les coureurs, quand il veulent faire des cures, par exemple pour changer leur sang, si je puis dire, en tout cas l'oxygéner, ils le font à distance des compétitions. Ils ne le font pas juste avant la compétition ou pendant la compétition, mais ils le font à distance d'une compétition. Ce que j'appelle, moi, le contrôle inopiné, c'est-à-dire le contrôle qui peut se faire pratiquement au domicile de l'athlète ou au bas de son immeuble, ou sur leur lieu d'entraînement, je crois que ça c'est l'évolution majeure sur lequel il faut vraiment s'arc-bouter et cela pour tous les sports. Tant qu'on n'aura pas vraiment organisé ces contrôles inopinés, je crois qu'il manquera vraiment quelque chose dans la lutte antidopage.
Q- Je lisais une réaction de l'Association Internationale des Coureurs Cyclistes Professionnels, cette association qui se plaint d'une différence de traitement entre le cyclisme et les autres disciplines sportives.
R- Je vais vous donner un exemple : en France, par exemple, il y a 8.500 contrôles qui sont effectués par an, eh bien il y en a, de mémoire, 17 % qui le sont dans le cyclisme, 12 qui le sont dans l'athlétisme, un peu moins, aux alentours de 10 dans le football, et encore un peu moins dans le rugby. Ces quatre sports représentent environ 45 % des contrôles effectués en France. Donc, vous voyez, ce n'est pas simplement le cyclisme. Alors, ce qui est vrai, c'est que c'est malheureusement dans le cyclisme - et encore le seuil concernant les corticoïdes a été élevé par l'Agence Mondiale Antidopage - et c'est malheureusement encore dans le cyclisme qu'on trouve le plus de contrôles positifs. Mais il n'y a pas que le cyclisme qu'on contrôle. En France, tous les sports le sont mais c'est vrai qu'on focalise sur un certain nombre de sports, entre guillemets, dits à risque.
Q- Il y aura, je crois, à Madrid, l'année prochaine, une grande conférence mondiale sur le dopage.
R- 2007. C'est un peu le point après la conférence mondiale qui s'était déroulée à Copenhague en 2003, là, ou gouvernements et fédérations internationales et le Comité International Olympique avaient dit " banco !, on va rédiger un code mondial antidopage". Il est rédigé. Il va maintenant être appliqué, nous allons ratifier le code, nous, en France, je pense au mois d'octobre prochain. 2007, c'est en gros on fait un point d'étape, on voit ce qui marche, ce qui ne marche pas, parce que c'est une évolution permanente. Je ne dis pas qu'avec le code et avec la loi française, on a réglé tous les problèmes, je dis que maintenant il faut faire un point parce que les tricheurs, eux, essaient toujours de contourner les lois et de contourner les procédures. Donc, ce colloque, cette conférence mondiale à Madrid est très importante, elle va nous donner, encore une fois, les prochaines orientations : dopage génétique, contrôle inopiné, le système ADAMS qui permet à chaque athlète de dire où il se trouve en entraînement ou en compétition et cela tout au long de l'année. Il a un ordinateur, il dit voilà, il se branche sur internet, il a un code, il envoie ses données et un médecin préleveur peut venir n'importe quand, n'importe où pour le contrôler.
Q- J.-F. Lamour, est-ce qu'il y a des footballeurs concernés par l'enquête espagnole dont on a beaucoup parlé avant le départ du Tour ?
R- Alors, qu'est-ce que j'ai fait, moi, quand j'ai vu sortir dans tous les journaux...
Q- ... des listes.
R- Enfin, non, il n'y avait pas de listes, mais en tout cas il y avait des noms, on parlait de... bon. J'ai vu à deux reprises mon collègue qui est vraiment à la fois un ami et un collègue, J. Lissavetsky, le ministre des Sports espagnol, et je lui ai dit les choses comme ça : moi, j'en ai assez, les Français en ont assez de voir le Tour malmené, on n'en peut plus, à chaque début de Tour il y a une affaire, à chaque début de Tour, encore une fois, il y a des révélations. Je lui ai dit, vraiment, si c'est possible, levez le secret de l'instruction pour savoir si des cyclistes qui participent au Tour sont concernés par cette affaire. Eh bien, il faut lui rendre hommage, il a fait lever le secret de l'instruction auprès de son collègue, le ministre de la Justice. Et donc les organisateurs du Tour et d'UCI ont reçu par l'intermédiaire de la Fédération espagnole de cyclisme les éléments concernant les cyclistes. Point barre, c'est tout ce que nous savons. Donc, aujourd'hui, ce qui a été fourni par la partie espagnole - et encore une fois je leur en sais gré parce que je ne voulais pas que le Tour commence dans un état d'incertitudes, de rumeurs qui étaient terribles - nous avons reçu tous les éléments concernant les cyclistes. Alors, il reste certainement après d'autres choses à voir, d'ailleurs S. Blatter va saisir officiellement les Espagnols pour savoir si oui ou non il y a d'autres sports concernés. Mais vous en conviendrez, moi, et les Français sont dans le même état d'esprit, on en a assez que le Tour de France, pour certains coureurs, serve de laboratoire expérimental à ciel ouvert. Il faut arrêter ça ! Une page est tournée et le fait que l'Espagne rejoigne le concert des grandes nations qui luttent contre le dopage est une très bonne chose. Maintenant, il faut que tout le monde prenne ses responsabilités, équipes, ils l'ont fait, j'ai vu que l'équipe T. Mobile a pris des décisions courageuses, d'autres équipes l'ont fait également. Voilà, l'UCI doit être très présente, active dans cette lutte contre le dopage, les gouvernements aussi. Je crois que là il y a une vraie convergence. Il faut profiter pour vraiment faire en sorte que le cyclisme soit un sport tel qu'on l'aime, voilà. Et qu'on arrête de nous dire qu'il n'y aplus de problème dans le cyclisme. Malheureusement, on voit qu'il y en a encore.
8h48. J.-F. Lamour est avec nous, une petite pub, une minute et nous nous retrouvons.
Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2006