Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les question migratoires et l'aide européenne pour le développement de l'Afrique, à Rabat le 11 juillet 2006.

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Circonstance : Conférence interministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, à Rabat (Maroc) les 10 et 11 juillet 2006

Texte intégral


Monsieur le Ministre des Affaires étrangères du Royaume du Maroc,
Monsieur le Président du Conseil des ministres de l'Union européenne,
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères de la République du Sénégal,
Monsieur le Commissaire européen,
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères du Royaume d'Espagne,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations internationales et régionales,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

Nous sommes réunis depuis hier à Rabat pour apporter des réponses coordonnées et responsables aux questions migratoires. Les échanges que nous avons eus se sont révélés fructueux et nous permettront d'adopter ce matin deux textes : la déclaration politique, d'une part, et le plan d'action, d'autre part. Cette conférence est donc d'ores et déjà une réussite et je souhaite à mon tour remercier tous celles et ceux qui y ont contribué, à commencer bien sûr par le Royaume du Maroc, qui nous accueille dans des conditions parfaites et a joué un rôle moteur dans la préparation et le déroulement des travaux.
En ma qualité de ministre déléguée aux Affaires européennes, je veux vous dire combien je juge essentielle la tenue de cette conférence. Grâce à elle, nous allons, en effet, engager une nouvelle étape de l'histoire entre nos deux continents, l'Afrique et l'Europe, en bâtissant un nouveau partenariat sur les questions de migrations et de développement.
Ce n'est certes pas la première fois que des ministres se réunissent pour aborder ces sujets. Une importante conférence sur les migrations et le développement s'est ainsi tenue en mars dernier à Bruxelles, et l'engagement d'un dialogue de haut niveau sur ce même thème est prévu aux Nations unies en septembre.
Mais la Conférence de Rabat est novatrice à de nombreux égards.
Ce qui fonde l'originalité de cette conférence, c'est d'abord son format. Nous sommes plus de 80 ministres et secrétaires d'Etat, d'Afrique occidentale et centrale, du Maghreb et de l'Union européenne, réunis depuis hier pour apporter une réponse globale aux questions migratoires, sur des routes précises traversant notamment le nord du continent africain. C'est bien la première fois que sont réunis des pays d'accueil, de transit et d'origine et cela témoigne d'un engagement politique fort de chacun de nos pays, engagement qui est essentiel pour apporter des réponses nouvelles au défi migratoire.
Cette conférence est également novatrice, je dirais même fondatrice, dans la mesure où nous partageons tous une conviction essentielle : celle qu'il n'y aura de réponse efficace aux questions migratoires que si nous appréhendons celles-ci de façon globale. Cela a toujours été la conviction de la France. C'est aujourd'hui une conviction partagée.
Bien sûr, les frontières existent et doivent être contrôlées, en Europe comme en Afrique. Bien sûr, la fermeté s'impose pour y veiller, et nous devons être inflexibles vis-à-vis des passeurs et des trafiquants d'êtres humains qui sont les marchands d'esclaves des temps modernes ; il faut lutter résolument contre ces filières qui exploitent la misère humaine. Pour autant, il ne saurait évidemment être question de bâtir des forteresses.
Car les migrations sont une source d'enrichissement mutuel pour les pays d'accueil comme pour ceux d'origine. L'histoire de nos deux continents nous montre que les migrations nous ont toujours beaucoup apporté. Elles sont un élément d'ouverture sur le monde, et de progrès de l'esprit.
Nous avons ainsi une responsabilité partagée pour faire en sorte que les migrations continuent de nous enrichir. Il faut, sur ce sujet, se garder de toute précipitation, de toute facilité, dans un souci d'équilibre et de stabilité qui nous concerne tous également. On peut et on doit faire mieux et faire plus, ensemble, dans ce domaine. C'est pourquoi nous avons souhaité en faire l'un des axes importants de la Conférence de Rabat et du plan d'action que nous adopterons ce matin.
Or aujourd'hui, trop souvent, les femmes et les hommes décident d'émigrer parce qu'ils s'y sentent contraints. L'immigration irrégulière est presque toujours une émigration subie, marquée par les déchirements et la tragédie. L'arrachement à sa famille, à ses proches et à sa terre natale, l'exploitation par des passeurs sans scrupule faisant commerce du malheur d'autrui, les risques du voyage que ce soit sur terre ou en mer, et au bout du voyage la clandestinité, la misère, et l'incertitude pour ceux qui parviennent à destination : nous ne pouvons pas laisser faire cela.
Notre responsabilité collective est donc que les migrations restent un choix, jamais une contrainte. C'est pourquoi il importe de les maîtriser ensemble de façon coordonnée et équilibrée. C'est ainsi que nous pourrons pleinement respecter les droits et la dignité des migrants. L'immigré régulier a des droits propres dont celui de pouvoir s'intégrer pleinement dans sa société d'accueil.
C'est parce que nous partageons cette conviction que nous nous sommes réunis pendant ces deux jours et nous apprêtons à adopter une approche globale des questions migratoires qui ne repose pas seulement sur la lutte contre l'immigration irrégulière, qui est nécessaire mais insuffisante, mais également sur la promotion maîtrisée des migrations légales et sur le renforcement du développement et de la coopération.
Et je souhaite insister sur ce dernier point car on ne trouvera de solutions aux difficultés soulevées par les migrations qu'en traitant le problème à la source et cette source s'appelle le développement. C'est le message que la France, par la voix du président de la République, porte depuis plusieurs années dans le monde entier, et encore lors du dernier Conseil européen en juin dernier.
L'Europe est celle qui fait le plus en faveur de l'Afrique. Elle apporte plus de 60 % de l'aide publique au développement reçue par le continent et elle est ainsi son premier donateur mondial. Cela a représenté 15 milliards d'euros en 2004 et avec les engagements d'augmentation pris en 2002 et renouvelés en juin 2005, ce seront 23 milliards d'aide supplémentaire annuelle d'ici 2015 pour le continent. Par ailleurs, l'Europe est la zone la plus ouverte aux importations en provenance des pays pauvres : elle est ainsi le plus grand marché d'exportation des produits africains comme le premier importateur de produits agricoles des pays en développement. Elle assume donc ses responsabilités, et souvent donne l'exemple.
Cependant nous pouvons faire encore beaucoup plus. Et c'est tout l'intérêt de ce nouveau partenariat que nous mettons en place aujourd'hui que de dessiner de nouvelles perspectives de coopération pour l'avenir.
Et ne nous y trompons pas. Nous serons tous jugés sur nos actes. Le plan d'action comme la déclaration politique d'aujourd'hui sont porteurs d'un espoir. Pour que cet espoir devienne réalité, il nous appartiendra de les décliner en actions et en projets concrets dans les mois et les années qui viennent. Nous avons commencé. Il faudra poursuivre. C'est à cela que, dès demain, nous devons commencer à travailler. Je veux vous dire à ce sujet que la France, qui s'est fortement mobilisée dans la préparation de cette conférence, a la volonté, à titre national et en tant qu'Etat membre de l'Union européenne, de donner à ce partenariat toute sa dimension opérationnelle et concrète pour obtenir des résultats avec les partenaires d'Afrique du Nord, occidentale et centrale et d'Europe.

C'est pourquoi nous avons rendu public hier un livret de propositions qui comporte plusieurs actions que nous pourrions mener ensemble. Je n'en citerai que quelques unes :
Nous pourrions lancer de nouveaux projets de co-développement entre l'Europe et l'Afrique en mobilisant les diasporas installées en Europe et en utilisant notamment les financements communautaires existants. Le co-développement, favorisant la contribution des migrants dans le développement de leur pays d'origine, est porté par la France depuis 1995 et désormais relayé par nos partenaires africains et européens. C'est, en effet, un axe majeur du partenariat de Rabat en ce qu'il vise à faire des migrations un levier du développement.
Nous pourrions également favoriser la mobilité des compétences entre l'Europe et l'Afrique grâce à des mesures concrètes, ciblées notamment sur les étudiants, les jeunes professionnels, les médecins, les chercheurs et tous ceux qui concourent au développement et au dynamisme des pays d'origine et d'accueil.
Nous pourrions encore définir de façon concertée une stratégie en matière de réadmission visant à couvrir les principales étapes des routes migratoires, et prévoyant les mesures d'accompagnement nécessaires, afin qu'une coopération s'établisse entre les pays d'Europe et d'Afrique sur la question de la réadmission, qui fait partie intégrante d'un dialogue global sur les migrations. Le partenariat de Rabat doit nous en fournir l'occasion.
Ce ne sont que quelques exemples d'actions que nous pourrions décider de mener ensemble et qui illustreraient concrètement notre détermination à faire de Rabat une véritable réussite.
Le partenariat que nous mettons en place aujourd'hui est donc remarquable par ses ambitions et le courage politique qui le sous-tend. Il représente une association volontaire entre pays d'origine, de destination et de transit, soucieux de relever un défi commun dans un esprit d'ouverture et de bonne volonté et aussi de responsabilité partagée. Car nous sommes tous concernés.
Les trois dimensions du plan d'action - migration et développement, migration légale et immigration irrégulière - forment au total un ensemble cohérent en vue d'une réponse globale, équilibrée et juste au défi des migrations, et qui place l'homme au coeur des priorités.
Pour conclure, je veux redire que nous avons une obligation de résultat. La conférence elle-même sera, à n'en pas douter, considérée comme un succès - votre présence le garantit - et je tiens à remercier à nouveau le Maroc pour l'excellent accueil qu'il nous a offert à tous. Mais l'essentiel sera de permettre que la coopération globale dont nous affirmons ici le principe et les grandes lignes s'engage effectivement, de façon dynamique, pour produire des résultats concrets et efficaces. Et vous pourrez compter sur la détermination de la France à agir en ce sens.
Ne manquons pas l'occasion historique qui nous est offerte et ouvrons aujourd'hui à Rabat, qui est un point de départ, un nouveau chapitre de l'histoire de nos deux continents fondé sur le dialogue, l'écoute et l'action nécessaires au succès de notre nouveau partenariat.
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 juillet 2006