Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les grands défis de la science, notamment le défi de sauvegarde de la planète, Paris le 4 juillet 2006.

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Circonstance : 75ème anniversiare du Conseil international pour la science (ICSU) à Paris le 4 juillet 2006

Texte intégral

Monsieur le Président du Conseil international pour la Science,
Monsieur le Président de l'Académie des sciences,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un grand plaisir et un honneur de me trouver devant un parterre aussi impressionnant de savants renommés, venus des quatre coins du globe !
J'en profite pour saluer votre président, M. Goverdhan Mehta, et lui dire combien la France est heureuse d'accueillir ce symposium qui marque le 75e anniversaire de votre organisation.
Je salue aussi le Président de l'Académie française des sciences, M. Edouard Brézin.
La France, terre de science a formé de nombreux scientifiques qui ont joué un rôle de premier plan.
Et nombreux sont ceux qui ont siégé à l'Académie des Sciences, sous sa prestigieuse coupole.
Aujourd'hui, c'est la communauté mondiale qu'elle accueille, et nous en sommes particulièrement honorés et fiers.
Mesdames et Messieurs,
La science est aujourd'hui une réalité internationale. La connaissance est mondialisée.
Cette mondialisation est source de progrès, car elle s'accompagne d'échanges plus nombreux. Elle permet des synergies souvent remarquables. L'existence même de votre organisation en est la preuve !
Mais cette mondialisation s'accompagne désormais d'une compétition toujours plus intense dont le but est scientifique bien sûr, mais de plus en plus économique. Cela créé des fractures entre nos pays, des tensions au sein de nos sociétés.
C'est pourquoi cette mondialisation de la connaissance concerne aussi les politiques : elle nous pose des problèmes inédits, pour lesquels nous devons inventer des solutions nouvelles. L'agenda international traduit cette prise de conscience politique.
Au début de ce mois, je participais à Moscou au premier sommet du G8 consacré à l'éducation.
Et la semaine dernière, j'étais à Athènes pour une rencontre des ministres de l'éducation de l'OCDE consacrée au rôle de l'enseignement supérieur et aux risques de « marchandisation » de la connaissance.
Il y a donc bien une prise de conscience générale au plus haut niveau de l'importance des problèmes liés à l'éducation, au savoir, à la connaissance.
Je crois que trois grands défis se présentent à nous :
- le défi de l'économie de la connaissance ;
- le défi de l'éducation à la science ;
- le défi de la sauvegarde de la planète.
1. Le défi de l'économie de la connaissance
Je commencerai par le défi de l'économie de la connaissance.
Cette expression « économie de la connaissance » met en présence deux idées qui peuvent sembler opposées.
L'économie d'une part, qu'on associe spontanément à l'entreprise, au profit, à la rentabilité.
Et la connaissance d'autre part, qu'on associe plutôt à l'université et à la recherche désintéressée.
Désormais, nous sommes entrés dans l'économie de la connaissance : la connaissance est devenue un des principaux, sinon le principal facteur de compétitivité économique.
Cette configuration tout à fait nouvelle donne un rôle fondamental à la science.
Elle bénéficie donc d'un regain d'intérêt de la part des politiques et des industriels ; et cela se traduit par des niveaux de financement absolument inédits dans toute l'histoire.
Cette situation présente aussi le risque que l'utilité de la science soit réduite à son exploitation économique. C'est un risque dont il faut se protéger, car ce n'est pas en améliorant la bougie qu'on a découvert l'électricité !
En France, nous avons donc pris soin de préserver l'équilibre entre science fondamentale et sciences appliquée.
Le Pacte pour la Recherche que j'ai mis en place avec François Goulard traduit précisément cette approche, avec un renforcement de la recherche, et un effort financier, sans précédent depuis au moins 25 ans, soit 20 milliards d'euros supplémentaires sur la période 2005-2010.
En même temps, l'économie de la connaissance s'accompagne d'une compétition de plus en plus intense entre les pays, entre les équipes, entre les hommes, pour être les premiers à faire les découvertes, et pour obtenir les financements.
L'émulation est naturellement une bonne chose quand elle fait progresser la science.
Ce n'est plus le cas quand elle commence à entraver le progrès de la science au lieu de la faire avancer !
Je sais que beaucoup parmi vous s'inquiètent de la prolifération des articles écrits trop vite. Plus grave : on a vu récemment que des scientifiques pourtant reconnus avaient cédé aux sirènes de la course aux résultats.
Ces dérives sont naturellement inquiétantes, et la communauté scientifique a un rôle capital à jouer pour que ne soit pas pervertie une valeur fondamentale de la science : l'esprit de probité.
Et puis, cette compétition s'accompagne de la volonté d'attirer les meilleurs talents. C'est le problème bien connu de la fuite des cerveaux.
Nous devons être là encore particulièrement vigilants, pour que certains pays déjà défavorisés ne le soient pas de plus en plus.
Vous savez bien que dans la compétition scientifique, les écarts se creusent de plus en plus !
Aussi, il faut veiller à ne pas condamner certains pays à un retard impossible à rattraper.
Je sais que c'est un sujet sur lequel vous travaillez actuellement.
2. Le défi de l'éducation à la science
Le second grand défi, c'est celui de l'éducation à la science.
Pour les pays développés, le XXIe siècle s'ouvre sur un grand paradoxe.
La science est toujours plus présente, y compris dans notre vie quotidienne ; elle est de plus en plus nécessaire au progrès économique et social. Et pourtant, elle peine à attirer les jeunes.
Les raisons de cette relative désaffection sont multiples. Je voudrais en souligner deux.
D'abord, les progrès de la science au XXe siècle se sont accompagnés d'une spécialisation toujours plus grande, tandis que les concepts scientifiques s'éloignaient toujours plus des représentations communes.
Tout cela a créé une certaine difficulté pour la société à comprendre l'intérêt et les finalités de la science.
A cela s'ajoute le déclin des idéologies du progrès. Nous sommes très loin maintenant des doctrines d'Auguste Comte, pour qui l'Histoire était une grande marche vers l'âge positif, l'âge scientifique.
Aujourd'hui, l'opinion publique est plus sensible aux désastres écologiques qu'aux progrès technologiques.
Plus que des progrès de la science, nous avons aujourd'hui une conscience aiguë des dérives de son instrumentalisation.
Nous devons donc restaurer dans les esprits, et particulièrement chez les jeunes, le désir de science, l'envie de participer à cette extraordinaire aventure humaine qu'est la recherche scientifique.
Je sais que votre organisation s'est déjà mobilisée sur ce sujet, en faisant de l'éducation scientifique une de ses grandes priorités.
En France, nous essayons nous aussi de sensibiliser les jeunes à la beauté de la science.
C'est tout le sens de l'opération La main à la pâte , qui a été lancée en 1996, à l'initiative du professeur Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992, et membre de l'Académie des sciences.
Grâce à elle, depuis 10 ans maintenant, les élèves des écoles primaires sont sensibilisés à la démarche d'investigation scientifique.
Le Président Brézin est très sensible à ce sujet, et nous avons commencé à travailler, avec l'Académie des Sciences, sur la manière d'étendre cette approche dans les collèges.
Et je crois que la mobilisation des savants en faveur de l'éducation scientifique des plus jeunes serait un excellent levier pour susciter les vocations dont nous avons besoin !
3. La sauvegarde de la planète
Le troisième grand défi, c'est celui de la sauvegarde de la planète.
Vous savez sans doute que la France a été le premier pays à inscrire dans sa Constitution une Charte de l'environnement.
Ce texte figure désormais aux côtés de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Elle est ainsi devenue le premier pays à consacrer le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé, et le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.
Ce devoir s'applique tout d'abord au changement climatique.
Il faut ici souligner le rôle essentiel qu'a joué votre organisation dans l'établissement du diagnostic du réchauffement climatique, et dans sa diffusion auprès des responsables politiques.
Le Groupe International d'Experts sur le Climat (GIEC) créé en 1989 par l'ICSU a été une excellente initiative, déterminante pour toutes les décisions politiques qui ont été prises depuis : le protocole de Kyoto, les mesures de réduction de gaz à effet de serre, le coup d'accélérateur donné aux connaissances sur l'environnement global.
Nous devons naturellement continuer dans cette voie, car les mécanismes de régulation climatique comporte encore bien des mystères : le rôle des océans, celui des courants principaux comme le Gulf Stream , etc..
Si la sensibilisation de l'opinion publique et des décideurs est désormais acquise, il reste encore à inventer les solutions. Ce qui veut dire que le Groupe International d'Experts sur le Climat a plus que jamais un rôle central à jouer.
La question du réchauffement climatique pose aussi celle des énergies de demain.
Quelles seront-elles ? On peut citer les bio-énergies, les énergies renouvelables, la pile à combustible, ou encore la fusion thermonucléaire, avec le projet ITER que la France a l'honneur d'accueillir.
Toutes ces questions appellent des réponses politiques, mais qui ne peuvent être prises qu'avec un éclairage objectif, que seule la communauté est capable de donner.
Et puis, il y a bien d'autres questions tout aussi importantes : les risques de maladies nouvelles voire de pandémies, la capacité de la planète à nourrir 9 ou 10 Milliards d'individus, avec les conséquences que cela entraîne en matière d'agriculture, de gestion de l'eau, etc.
Sur des interrogations aussi globales, l'action politique n'a de sens que si elle est coordonnée et qu'elle s'appuie sur un diagnostic indiscutable, partagé par tous.
Nous avons donc besoin d'une communauté internationale scientifique forte et unie, capable d'éclairer les choix politiques, pour le plus grand bien de tous.
Vous l'avez fait avec brio pour le climat.
Naturellement, il a fallu du temps pour susciter cette prise de conscience scientifique, puis politique. Mais elle a suscité des actions.
Voilà pourquoi la France vous soutient, vous accompagne et s'associe à vos réflexions depuis maintenant 75 ans.
Voilà pourquoi nous avons redoublé d'efforts afin que votre organisation puisse rester à Paris. Et je me réjouis naturellement que Madame Catherine BRECHIGNAC, actuelle présidente du CNRS, puisse prendre la tête de votre organisation dès 2008.
Si je puis exprimer une attente, c'est que l'ICSU puisse développer sa capacité à éclairer les grandes interrogations de la planète, en apportant son expertise, sa vision globale et son objectivité.
Lors de la conférence internationale sur la biodiversité qui s'est tenue à Paris en janvier 2005, notre Président de la République Jacques Chirac a justement lancé le projet d'une expertise scientifique internationale.
Je me réjouis que le comité interdisciplinaire Diversitas et son président M. Michel Loreau aient accepté de contribuer à ce projet.
Je voudrais ajouter pour finir que notre monde à plus que jamais besoin des valeurs de la science : nous ne sommes jamais à l'abri des régressions, vous le savez bien.
Partout dans le monde, l'universalité de la science peut être menacée par les replis identitaires, partout les vérités les mieux fondées peuvent être contestées !
La France, patrie des Lumières, a toujours été aux avant-postes du combat contre l'obscurantisme, le fanatisme, l'intolérance, et elle le restera à vos côtés.
Et puis, la science est porteuse de ce message universel : quelles que soient nos certitudes, il nous reste toujours du chemin à parcourir, il y a toujours un horizon vers lequel nous pouvons avancer.
C'est ce que disait magnifiquement Newton lui-même :
« à mes yeux, il me semble n'avoir été qu'un enfant jouant sur le rivage, ravi de trouver un galet plus poli, un coquillage plus joli qu'à l'ordinaire, tandis que le vaste océan de la vérité s'étendait devant moi, inconnu ».
Je vous remercie

Source http://www.education.gouv.fr, le 7 juillet 2006